ARTICLE 16 quater (nouveau) (Art. 220 sexies du code général des impôts) : Modification du crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles
Commentaire : cet article, inséré par l'Assemblée nationale, modifie le crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.
I. LE DROIT EXISTANT
Le crédit d'impôt (sur l'impôt sur les sociétés) pour dépenses de production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles engagées par des entreprises assumant les fonctions d'entreprises de production déléguées, régi par l'article 220 sexies du code général des impôts (CGI), a été créé par l'article 88 de la loi de finances pour 2004 (n° 2003-1311 du 30 décembre 2003).
Sa finalité générale est d'encourager la relocalisation en France des tournages de films et de productions audiovisuelles en langue française .
Il est distinct, bien que proche dans sa conception, du crédit d'impôt, visé à l'article 220 quaterdecies du CGI qui, lui, favorise la relocalisation en France des tournages de films et de productions audiovisuelles réalisés par des entreprises de production établies hors de France. Pour mémoire, l'article 55 bis du projet de loi de finances pour 2013, en cours d'examen par le Parlement, propose de proroger ce crédit d'impôt de quatre ans, de 2012 à 2016, et l'article 16 quinquies du présent projet de loi propose de modifier certaines de ses caractéristiques 200 ( * ) .
A. LES ENTREPRISES BÉNÉFICIAIRES
Le crédit d'impôt concerné par le présent article bénéficie aujourd'hui aux entreprises de production cinématographique et aux entreprises de production audiovisuelle soumises à l'impôt sur les sociétés qui assument les fonctions d'entreprises de production déléguées, et ce au titre des dépenses de production correspondant à des opérations effectuées en vue de la réalisation d'oeuvres cinématographiques de longue durée ou d'oeuvres audiovisuelles agréées 201 ( * ) .
Les oeuvres en question doivent appartenir aux genres de la fiction, du documentaire et de l'animation et répondre aux conditions suivantes :
1) être réalisées intégralement ou principalement en langue française ou dans une langue régionale en usage en France ;
2) être admises au bénéfice du soutien financier à la production cinématographique ou audiovisuelle ;
3) être réalisées principalement sur le territoire français 202 ( * ) ;
4) contribuer au développement de la création cinématographique et audiovisuelle française et européenne ainsi qu'à sa diversité.
A contrario , n'ouvrent pas droit au crédit d'impôt les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles à caractère pornographique ou d'incitation à la violence ou utilisables à des fins de publicité, les programmes d'information, les débats d'actualité et les émissions sportives, de variétés ou de jeux, ainsi que tout document ou programme audiovisuel ne comportant qu'accessoirement des éléments de création originale.
B. LES DÉPENSES ÉLIGIBLES
Les dépenses éligibles au crédit d'impôt sont les dépenses suivantes, correspondant à des opérations effectuées en France :
1) les rémunérations versées aux auteurs énumérés à l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle , ainsi que les charges sociales afférentes ;
2) les rémunérations versées aux artistes-interprètes mentionnés à l'article L. 212-4 du code précité, par référence pour chacun d'eux, à la rémunération minimale prévue par les conventions et accords collectifs conclus entre les organisations de salariés et d'employeurs de la profession, ainsi que les charges sociales afférentes ;
3) les salaires versés aux personnels de la réalisation et de la production , ainsi que les charges sociales afférentes 203 ( * ) ;
4) les dépenses liées au recours aux industries techniques et autres prestataires de la création cinématographique et audiovisuelle.
C. LE MONTANT DE L'AVANTAGE FISCAL
Le crédit d'impôt, calculé au titre de chaque exercice, est égal à 20 % du montant total des dépenses éligibles (énumérées ci-dessus) effectuées en France .
Plusieurs plafonds encadrent cependant le dispositif. L'assiette des dépenses éligibles est tout d'abord plafonnée à 80 % du budget de production de l'oeuvre et, en cas de coproduction internationale, à 80 % de la part gérée par le coproducteur français. Les subventions publiques non remboursables sont déduites de cette assiette.
En outre, la somme des crédits d'impôt calculés au titre d'une même oeuvre ne peut excéder :
- 1 million d'euros pour une même oeuvre cinématographique ;
- 1 150 euros par minute produite et livrée pour une oeuvre audiovisuelle de fiction ou documentaire ;
- 1 200 euros par minute produite et livrée pour une oeuvre audiovisuelle d'animation .
Les crédits d'impôt obtenus pour la production d'une même oeuvre ne peuvent, enfin, avoir pour effet de porter à plus de 50 % du budget de production le montant total des aides publiques accordées . Ce seuil est porté à 60 % pour les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles « difficiles et à petit budget définies par décret ».
D'après l'annexe au PLF 2013 « Voies et moyens » relative aux dépenses fiscales, en 2012, le coût de ce crédit d'impôt devrait s'élever à 109 millions d'euros (59 millions d'euros au titre des oeuvres cinématographiques et 50 millions d'euros au titre des oeuvres audiovisuelles).
II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée nationale a adopté un amendement portant article additionnel proposant plusieurs modifications du crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles.
L'amendement initial avait été déposé par nos collègues députés, Pierre-Alain Muet, Patrick Bloche et Guillaume Bachelay. Il a fait l'objet d'un sous-amendement du Gouvernement et d'un sous-amendement de notre collègue député, Christian Eckert, rapporteur général.
A. LE DISPOSITIF INITIALEMENT PROPOSÉ
Le dispositif initial proposait d'élargir le crédit d'impôt concerné :
1) en assouplissant ses conditions d'éligibilité . Il était ainsi envisagé de faire bénéficier du crédit d'impôt :
- les oeuvres de captation ou de recréation de spectacles vivants dont le montant des dépenses éligibles est supérieur ou égal à 2 000 euros par minute produite (ces oeuvres ne sont aujourd'hui pas concernées par le dispositif) ;
- les oeuvres audiovisuelles documentaires, dont le montant des dépenses éligibles est supérieur ou égal à 2 000 euros par minute (au lieu de 2 333 euros aujourd'hui) ;
2) en étendant le champ des dépenses éligibles. Il était ainsi proposé d'inclure dans l'assiette du crédit d'impôt :
- les rémunérations versées aux « artistes de complément » (les figurants), sur le modèle de ce qui est en vigueur pour le crédit d'impôt « cinéma » visé à l'article 220 quaterdecies du CGI ;
- les dépenses de transport, de restauration et d'hébergement occasionnées par la production de l'oeuvre sur le territoire français (sur le modèle de ce qui est également en vigueur et proposé pour le crédit d'impôt « cinéma » visé à l'article 220 quaterdecies du CGI) ;
- les dépenses relatives à l'acquisition d'images d'archives ;
3) en augmentant les plafonds du crédit d'impôt , comme suit :
Type d'oeuvre |
Plafond du crédit d'impôt |
|
Droit existant |
Droit proposé |
|
OEuvres cinématographiques : |
1 million d'euros |
4 millions d'euros |
OEuvres audiovisuelles : |
||
- OEuvres de fiction |
1 150 euros par minute produite et livrée |
1 250 euros par minute produite et livrée |
- OEuvres documentaires |
1 150 euros par minute produite et livrée |
1 150 euros par minute produite et livrée |
- OEuvres de captation ou de recréation de spectacles vivants |
- |
1 150 euros par minute produite et livrée |
- OEuvres d'animation |
1 200 euros par minute produite et livrée |
1 300 euros par minute produite et livrée |
- OEuvres de fiction répondant à deux critères spécifique s 204 ( * ) et pouvant déroger au principe de réalisation en langue française |
- |
5 000 euros par minute produite et livrée |
Source : commission des finances
Pour les oeuvres audiovisuelles de fiction pouvant bénéficier du plafond majoré de crédit d'impôt à 5 000 euros par minute produite et livrée ( cf . dernière ligne du tableau ci-dessus), il était proposé que, par dérogation, elles peuvent être réalisées en langue étrangère , à condition toutefois de faire l'objet d'une version livrée en langue française. Cette disposition s'écarte du principe « originel » du crédit d'impôt qui était précisément d'encourager la relocalisation en France de tournages d'oeuvres réalisées en langue française.
B. UN DISPOSITIF ADOPTÉ FINALEMENT PLUS « RESSERRÉ »
Le Gouvernement et notre collègue député, Christian Eckert, ont proposé deux sous-amendements à l'amendement initial, retreignant la portée des modifications initialement proposées :
- le premier exclut du champ du crédit d'impôt les oeuvres relevant de la captation ou de la recréation de spectacles vivants ;
- le second encadre les dépenses d'hébergement qui seraient prises en compte au titre des dépenses éligibles : celles-ci seraient, comme pour le crédit d'impôt « cinéma » visé à l'article 220 quaterdecies du CGI, plafonnées dans la limite d'un montant par nuitée fixé par décret .
En revanche, les propositions suivantes ont été maintenues :
- l'élargissement du crédit d'impôt aux oeuvres audiovisuelles documentaires, dont le montant des dépenses éligibles est supérieur ou égal à 2 000 euros par minute (au lieu de 2 333 euros aujourd'hui) ;
- l'extension des dépenses éligibles aux rémunérations versées aux « artistes de complément », aux dépenses relatives à l'acquisition d'images d'archives, et aux dépenses de transport, de restauration et d'hébergement occasionnées par la production de l'oeuvre sur le territoire français (sous réserve d'un plafond pour ces dernières) ;
- la hausse des différents plafonds du crédit d'impôt dont pourront bénéficier les oeuvres cinématographiques et les différents types d'oeuvres audiovisuelles ;
- l'introduction d'une dérogation au principe de réalisation en langue française pour certaines oeuvres audiovisuelles reposant sur un cofinancement étranger important (supérieure ou égale à 30 %) et atteignant un niveau de budget très élevé (35 000 euros de coût de production d'une minute).
Le II du présent article renvoie l'entrée en vigueur du dispositif à une date fixée par décret, au plus tard le 1 er janvier 2014 .
Selon les données du ministère chargé du budget, le coût de l'amendement initial était de l'ordre de 55 millions d'euros. L'exclusion des oeuvres de captation ou de recréation permet de ramener le coût du dispositif adopté à 45 millions d'euros environ . Le plafonnement des dépenses d'hébergement, en revanche, ne peut être évalué.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
A. UNE DES PROPOSITIONS DU PACTE NATIONAL POUR LA CROISSANCE, LA COMPÉTITIVITÉ ET L'EMPLOI
Les auteurs de l'amendement justifient le renforcement dudit crédit d'impôt, comme celui du crédit d'impôt visé à l'article 220 quaterdecies du CGI, en indiquant que celui-ci s'inscrit dans le cadre des propositions formulées dans le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi présenté par le Premier ministre le 6 novembre dernier :
Décision n° 17 : Développer une stratégie en matière d'attractivité visant notamment à attirer les talents internationaux et les grands projets d'investissement, ainsi que les activités culturelles (en particulier tournage de films et de productions audiovisuelles) et scientifiques. Un «passeport Talent» sera mis en place afin de faciliter l'accueil de compétences exceptionnelles venues de l'étranger. Les délais d'instruction réglementaires des grands projets d'investissement seront réduits. |
B. UNE NOTATION DE 2 PAR LE COMITÉ « GUILLAUME », MAIS UN LIEN DIFFICILE À ÉTABLIR ENTRE LES RÉSULTATS OBTENUS ET LE CRÉDIT D'IMPÔT CONCERNÉ
Le crédit d'impôt concerné par le présent article avait obtenu une note de 2 , sur une échelle de 0 à 3 (0 étant la plus mauvaise note et 3 la meilleure), par le comité d'évaluation des dépenses fiscales dit « comité Guillaume » 205 ( * ) .
Le comité soulignait, néanmoins, la difficulté à établir un lien direct entre les résultats obtenus par les secteurs audiovisuel et cinématographique et ledit crédit d'impôt :
- « le mécanisme du crédit d'impôt permet de favoriser le développement des industries techniques du cinéma » et « le développement des industries de l'audiovisuel ». « L'objectif qui vise à inciter les entreprises de production à localiser en France le tournage et les travaux de post-production des oeuvres audiovisuelles semble être partiellement atteint, même s'il est difficile d'établir un lien direct entre le dispositif et les résultats [obtenus] » ;
- « une augmentation du nombre d'emplois dans le secteur [audiovisuel] a été constatée entre 2005 et 2008. Le lien direct entre ce crédit d'impôt et la création d'emplois ne peut toutefois pas être démontré ». Il en est de même pour le secteur cinématographique.
Le comité s'interrogeait également sur l'articulation de ce crédit d'impôt avec le soutien apporté par le CNC : « le dispositif répond à l'objectif qui lui a été assigné. [...] Toutefois on peut s'interroger sur la nécessité de ce dispositif au vu du soutien budgétaire massif octroyé par le CNC au secteur cinématographique. Une aide budgétaire pourrait également y concourir ».
C. UN BILAN PLUS MITIGÉ DE LA COUR DES COMPTES
Dans son enquête sur le financement et la gestion du CNC, demandée par votre commission des finances en application de l'article 58-2 de la LOLF 206 ( * ) , la Cour des comptes a évalué les aides versées aux secteurs audiovisuel et cinématographique par le CNC , et non - il est vrai - le crédit d'impôt concerné par le présent article. Néanmoins, il paraît utile de rappeler ces observations afin d' apprécier, dans sa globalité, le soutien public apporté à ces deux secteurs .
La Cour des comptes indiquait que, si des succès étaient indéniables (la part de marché du cinéma français se maintient autour de 35 %), les résultats de la politique menée par le CNC étaient néanmoins contrastés :
- « Au terme d'une décennie qui n'a cessé de voir augmenter le nombre de films français produits chaque année, il est [...] permis de s'interroger sur la pertinence d'un dispositif de soutien orientant une part significative de ses ressources vers des films qui ne pourront rencontrer, pour des raisons tenant aux limites matérielles du réseau d'exploitation, qu'un public restreint, voire marginal . En tout état de cause, il apparaît raisonnable d'admettre que soutenir la production cinématographique sur des fonds publics n'a de sens que si le film produit a des chances d'être convenablement exposé » ;
- « Avec 229 millions d'euros en 2011, la France entretient [...] un dispositif de soutien à l'audiovisuel unique en Europe dans son principe et dans son volume, tout en demeurant l'un des pays où les productions nationales font les plus mauvais résultats d'audience », notamment s'agissant des fictions françaises.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
* 200 Cf . commentaire de l'article 16 quinquies .
* 201 L'agrément est délivré par le président du Centre national du cinéma et de l'image animée après sélection des oeuvres par un comité d'experts.
* 202 Un décret détermine les modalités selon lesquelles le respect de cette condition est vérifié ainsi que les conditions et limites dans lesquelles il peut y être dérogé pour des raisons artistiques justifiées.
* 203 Les auteurs, artistes-interprètes et personnels de la réalisation et de la production doivent être soit de nationalité française, soit ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne, d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, d'un Etat partie à la convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l'Europe, d'un Etat partie à la convention européenne sur la coproduction cinématographique du Conseil de l'Europe ou d'un Etat tiers européen avec lequel la Communauté européenne a conclu des accords ayant trait au secteur audiovisuel. Les étrangers, autres que les ressortissants européens précités, ayant la qualité de résidents français sont assimilés aux citoyens français.
* 204 Les deux critères sont les suivants : 1) Etre produites dans le cadre d'une coproduction internationale dont le coût de production est couvert au moins à hauteur de 30 % par des financements étrangers ; 2) Avoir un coût de production supérieur au égal à 35 000 euros par minute produite.
* 205 Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales - juin 2011.
* 206 Cette enquête a donné lieu à un rapport d'information de notre collègue Aymeri de Montesquiou n° 12 (2012-2013).