B. UNE ERREUR DE STRATÉGIE : UN TEXTE TROP MARQUÉ PAR LE CALENDRIER POLITIQUE
1. Un texte déséquilibré
Enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2011, la proposition de loi d'Eric Diard a vu son calendrier d'examen s'accélérer en réaction au mouvement social du mois de décembre 2011 déclenché par les agents de sûreté. Malgré le préavis déposé par ceux-ci, des négociations ne purent aboutir avant le déclenchement de la grève. Devant la couverture médiatique qui a accompagné ces événements, le Gouvernement a souhaité marquer sa réactivité en y apportant son plus ferme soutien.
Cette prise de position, dans la lignée de la politique menée depuis 2007, est la marque d'un parti pris en faveur des entreprises qui interviennent dans le secteur du transport aérien de passagers plutôt que des salariés et des passagers. En effet, si ce texte est présenté avant tout par ses promoteurs comme visant à améliorer l'information des passagers, son examen révèle un déséquilibre qui rend les dispositions qui s'y rapportent bien plus faibles que celles qui viennent encadrer le droit de grève des salariés.
Ainsi, l'obligation faite aux entreprises d'informer les passagers ne s'appliquera qu'en cas de grève , alors que dans le transport terrestre elle porte sur toutes les perturbations, quelle qu'en soit la cause. De plus, aucune sanction n'est prévue en cas de manquement d'une entreprise de transport aérien à cette règle.
A l'inverse, tout salarié qui fera grève sans en avoir informé son employeur quarante-huit heures à l'avance ou qui, revenant sur sa déclaration d'intention ou décidant de reprendre le travail après une grève, n'aura pas averti celui-ci vingt-quatre heures à l'avance sera passible d'une sanction disciplinaire.
L'article 2 de la proposition de loi, qui contient ces deux mesures, illustre donc bien l'orientation résolument offensive du texte, passant outre la négociation avec les partenaires sociaux pour, au final, offrir une fragile garantie aux passagers en échange d'une limitation des droits des salariés.
2. Une procédure inadaptée pour un texte social de cette ampleur
Les défauts de ce texte sont également liés aux circonstances de son examen et de son vote par l'Assemblée nationale. Une proposition de loi est, bien trop souvent, le moyen pour le Gouvernement de faire adopter par le Parlement des mesures sans se soumettre aux obligations qui sont les siennes lorsqu'il dépose un projet de loi.
S'il n'est ici aucunement question de mettre en cause la sincérité et la qualité des travaux du rapporteur de l'Assemblée nationale, on ne peut que regretter la précipitation avec laquelle ce texte, pour lequel la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement, est examiné par le Parlement. La session parlementaire devant s'achever dans moins d'un mois, la commission mixte paritaire serait en principe appelée à se réunir sur ce texte à peine deux mois après son dépôt par son auteur. L'article 42 de la Constitution dispose pourtant, en son troisième alinéa que « la discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission ». L'urgence était-elle telle qu'il ait fallu faire fi de ces délais, fixés par le pouvoir constituant pour permettre au Parlement de mener un travail de réflexion dans de bonnes conditions, en ayant recours à la procédure accélérée ? Celle-ci devient la norme, ce qui ne peut que nuire à la qualité du travail parlementaire et conduit, au final, à le déconsidérer.
De plus, bien que ce texte concerne en premier lieu, quoi qu'en dise son objet, le droit de grève, il n'y a pas eu de concertation formelle des partenaires sociaux . Même si certains pourront, peut-être à juste titre, argumenter que ses dispositions n'entrent pas dans le champ de l'article L. 1 du code du travail car elles relèvent de la négociation de branche et non de la négociation interprofessionnelle, il n'en reste pas moins que l'esprit de la loi Larcher du 31 janvier 2007 relative au dialogue social s'en trouve ainsi bafoué. Il est regrettable que l'Assemblée nationale n'ait pas mis en oeuvre son protocole de consultation préalable des partenaires sociaux et que la commission des affaires sociales ne se soit pas saisie du texte pour avis.
Les procédures liées à l'élaboration d'un projet de loi n'ont pas, par définition, été respectées. L'avis du Conseil d'Etat aurait pourtant été précieux, car cette proposition de loi soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. L'absence d'étude d'impact prive le Parlement d'une information plus précise sur le secteur du transport aérien et les conséquences mesurables de ce nouveau droit à l'information des passagers. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'un bilan coût-avantage du texte, au regard du coût social qu'il va engendrer, lui ait été favorable.
Cette proposition de loi apporte de mauvaises réponses à des questions pertinentes sur le dialogue social dans le secteur du transport aérien. Elle est symptomatique du malaise éprouvé par certaines forces politiques à l'égard de la négociation collective : la loi ne peut pourtant pas tout résoudre, et en l'espèce elle ne résoudra rien. Elle ne fera qu'aggraver une situation sociale qui est déjà tendue dans de nombreuses entreprises de l'assistance en escale. C'est uniquement par la négociation en amont et la reconnaissance accrue des métiers qui y sont exercés que les conflits disparaîtront.
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Réunie le mercredi 8 février 2012, sous la présidence d'Annie David, présidente, la commission a décidé de ne pas adopter de texte pour cette proposition de loi, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction initiale voulue par ses auteurs, conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupes pour ce qui concerne l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire.