EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Notre Assemblée est appelée à se prononcer, en nouvelle lecture, sur le projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de l'élection présidentielle (n° 276, 2011-2012).
Dans sa rédaction initiale, ce texte visait seulement à réduire de 5 % le plafond du remboursement forfaitaire versé par l'État aux candidats à l'élection présidentielle et à geler le montant des plafonds de dépenses pour ce même scrutin : il s'agissait donc d'appliquer à l'élection présidentielle, régie par la loi organique, les mesures prévues pour l'ensemble des autres élections par la loi de finances pour 2012 1 ( * ) .
Selon le gouvernement, les économies réalisées grâce au projet de loi organique devraient s'élever à 3,665 millions d'euros.
Soumis à la procédure accélérée, le texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 19 décembre 2011. Les députés, sans modifier les dispositions de « rigueur » budgétaire portées par le projet de loi organique, l'avaient utilement complété afin d'augmenter de deux semaines le délai accordé aux candidats à l'élection présidentielle pour déposer leur compte de campagne -ce qui permettait de rapprocher ce délai du droit commun et de tenir compte de la complexité de ces comptes.
En commission, le 10 janvier, puis en séance publique, le 12 janvier 2012, le Sénat a modifié le texte adopté par les députés en vue de garantir le caractère équitable de la prochaine élection présidentielle. Notre Assemblée a ainsi adopté cinq amendements présentés par votre rapporteur -pour certains au nom de la commission des lois et, pour d'autres, à titre personnel- et un amendement déposé par MM. Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard. Par ce biais, elle a :
- réaffirmé le principe selon lequel les moyens procurés à un candidat par un éventuel mandat électif ne doivent pas être utilisés dans le cadre de sa campagne ;
- prévu que l'ensemble des dépenses engagées au profit d'un candidat pendant l'année qui précède le premier tour devraient être retracées dans son compte de campagne, sauf si ces dépenses sont dénuées de tout lien avec « le débat politique national » (et donc avec la campagne présidentielle) ;
- élargi les compétences de la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) pendant la campagne présidentielle ;
- étendu les possibilités de saisine du Conseil constitutionnel, juge en dernier ressort de la régularité des comptes de campagne des candidats, après la fin de la campagne ;
- rappelé que, en cas de rejet du compte de campagne du candidat élu (c'est-à-dire en cas d'irrégularité grave dans le financement de sa campagne), et si le Parlement estime que les actes ayant justifié ce rejet constituent un « manquement manifestement incompatible avec l'exercice [du] mandat [présidentiel] », la procédure de destitution du Président de la République prévue par l'article 68 de la Constitution pourrait être mise en oeuvre ;
- mis en place un nouveau mécanisme de calcul du montant maximal du remboursement de l'État aux candidats : ainsi, ce « plafond » serait non plus forfaitaire, mais proportionnel au nombre de voix obtenues au premier tour de l'élection présidentielle.
Réunie le 18 janvier 2011, la commission mixte paritaire n'a pas pu s'accorder sur un texte commun aux deux chambres ; l'Assemblée nationale, appelée à se prononcer en nouvelle lecture dès le lendemain, a adopté le projet de loi organique en des termes identiques à ceux qu'elle avait votés en première lecture.
Il appartient désormais au Sénat de se prononcer une nouvelle fois sur le présent projet de loi. À l'issue de cette nouvelle lecture, le gouvernement pourra -s'il le souhaite, et conformément au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution- demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. Si tel était le cas, les députés ne pourraient adopter que le dernier texte voté par eux, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par notre Assemblée.
Afin de déterminer si le Sénat doit, ou non, se rallier à la position de la majorité des députés et adopter le projet de loi organique dans la rédaction de l'Assemblée nationale, il convient de faire le point sur les arguments employés par M. Charles de la Verpillière, rapporteur du texte à l'Assemblée, pour justifier le rétablissement du texte voté par les députés en première lecture.
Ainsi, selon les travaux menés par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, il apparaît que cette dernière a rejeté les modifications introduites par la Haute Assemblée au motif que celles-ci seraient, pour certaines, inutiles ou superfétatoires et, pour les autres, contraires à des principes constitutionnels.
Force est de constater que ces arguments ne sont pas fondés : les innovations adoptées par le Sénat ne contreviennent à aucune norme de valeur supérieure et constituent des précisions opportunes, qui permettront d'assurer le bon déroulement du scrutin présidentiel.
En effet :
- si l'insertion d'un rappel explicite, au sein de la loi du 6 novembre 1962, selon lequel « les candidats détenteurs d'un mandat électif ne peuvent utiliser les moyens procurés par ce mandat en vue de contribuer à la conduite de leur campagne » n'est pas nécessaire de jure 2 ( * ) , les auditions menées par votre rapporteur ont montré que ce principe n'était de facto pas respecté par les candidats. MM. François Logerot, président de la CNCCFP, et Jean-Claude Colliard, président de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, ont ainsi relevé que nombre de candidats continuaient de faire usage des avantages liés à la détention de mandats électifs pour faciliter la conduite de leur campagne, ces comportements étant favorisés par la jurisprudence très tolérante du Conseil constitutionnel : ce dernier considère en effet que les dons de personnes morales de droit public ne doivent pas donner lieu à sanction dès lors qu'ils ont été remboursés, a posteriori , par le candidat qui en a bénéficié ou par le parti politique auquel il appartient 3 ( * ) . Loin d'être redondant, le rappel introduit par le Sénat est donc utile et opportun ; il a en effet vocation à inciter la CNCCFP et le Conseil constitutionnel à appliquer des sanctions financières pour pénaliser les candidats ayant reçu des dons de personnes morales, quand bien même ces dons auraient été remboursés et pris en charge sur le compte de campagne du candidat dans un second temps ;
- la mise en place d'une présomption simple permettant de considérer, en l'absence d'élément contraire, que les dépenses exposées par les candidats ont une nature électorale (et doivent donc être retracées dans leur compte de campagne) vise à renverser la logique dont procède le droit actuellement en vigueur. En effet, en l'état du droit, le Conseil constitutionnel et la CNCCFP considèrent que la notion de « dépenses électorales », dont l'application à l'élection présidentielle résulte de la référence à l'article L. 52-12 du code électoral, doit faire l'objet d'une appréciation stricte : en d'autres termes, seules les dépenses qui présentent un lien direct avec l'élection et qui sont « spécifiquement destinées à l'obtention des suffrages des électeurs » 4 ( * ) doivent être retracées dans les comptes de campagne. Cette jurisprudence est légitime et pertinente pour les autres élections -notamment pour les élections locales, au cours desquelles le montant des dépenses effectivement engagées par les candidats est en général très limité par rapport à celui des plafonds de dépenses et de remboursement, si bien que ceux-ci peuvent être tentés de « gonfler » artificiellement leur compte de campagne pour bénéficier d'un remboursement public plus important 5 ( * ) . En revanche, cette vision restrictive du périmètre des « dépenses électorales » ne se justifie plus lorsqu'il s'agit de l'élection présidentielle : au vu de l'importance des dépenses exposées lors du scrutin présidentiel (qui sont parfois extrêmement proches des plafonds fixés par la loi du 6 novembre 1962 et se chiffrent en millions d'euros), il semble nécessaire non pas d'éviter que des dépenses soient indûment incluses dans les comptes de campagne mais, au contraire, de faire en sorte qu'aucune dépense ne soit négligée. L'amendement adopté par notre Assemblée en première lecture pleinement répond à cet objectif et garantit l'exhaustivité des comptes de campagne.
Le rapporteur du présent texte à l'Assemblée nationale juge, en outre, que le critère retenu par le Sénat pour distinguer les dépenses électorales des autres dépenses (à savoir le fait que les dépenses soient liées ou non au « débat politique national ») est « flou », et qu'il n'est « aucunement adapté à l'appréhension des dépenses électorales » puisque « les propos du Président de la République peuvent parfaitement s'inscrire dans le `débat politique national' sans pour autant avoir pour finalité d'obtenir les voix des électeurs lors d'un prochain scrutin » 6 ( * ) . Notre Assemblée ne peut que s'étonner que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, appliquant la jurisprudence du Conseil d'État sur le décompte du temps de parole du Président de la République dans les médias, applique un critère « flou » depuis plus de deux ans sans rencontrer de difficulté majeure. De même, on ne peut que se demander dans quels cas un candidat à l'élection présidentielle participera au débat politique national sans, pour autant, que cette intervention ait un impact sur les intentions de vote des électeurs ;
- en séance publique, le Sénat a adopté deux amendements visant à favoriser, en amont et en aval du scrutin l'édification d'une jurisprudence claire et stable en matière de financement de l'élection présidentielle. C'est ainsi que la Haute Assemblée a permis aux candidats déclarés (c'est-à-dire aux candidats potentiels qui ont désigné un mandataire financier et ouvert un compte de campagne) de faire appel à la CNCCFP pour répondre, au cours de la campagne, à leurs questions sur l'imputation des dépenses, cette décision étant susceptible de recours devant le Conseil constitutionnel. Elle a, par ailleurs, élargi les voies de recours sur les comptes de campagne en prévoyant que les décisions de la CNCCFP sur ces derniers pourraient être contestées non seulement par le candidat titulaire du compte, mais aussi par les autres candidats : la situation actuelle est en effet peu satisfaisante, dans la mesure où il apparaît peu probable qu'un candidat forme un recours contre une décision qui lui est favorable, quand bien même elle serait mal fondée en droit. Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, la première de ces dispositions risquerait d'être génératrice de contentieux, et la seconde d'« encourager la poursuite de la bataille politique sur un terrain contentieux ». Néanmoins, votre rapporteur estime qu'il serait paradoxal que le Parlement s'abstienne de créer des voies de droit nouvelles au seul motif qu'elles peuvent être fréquemment utilisées, voire dévoyées - a fortiori lorsque ces mêmes voies de droit constitueront un facteur de lisibilité et de prévisibilité du droit et permettront de sanctionner plus effectivement des atteintes graves aux principes de la République ;
- adoptant un amendement de nos collègues Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard, le Sénat a également rappelé que la responsabilité politique du chef de l'État pouvait être mise en cause en cas de rejet de son compte de campagne. De jure , cette précision est superfétatoire : en effet, la rédaction volontairement large de l'article 68 de la Constitution permet au Parlement, réuni en Haute Cour, de destituer le chef de l'État pour tout « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », quelle que soit la date à laquelle ce manquement a été commis (i.e. même s'il a été commis avant le début du mandat) et quelle qu'en soit la nature. Notre Assemblée a cependant souhaité qu'il soit explicitement fait mention de cette possibilité pour pallier l'important retard pris par le gouvernement dans la définition des conditions de mise en oeuvre de la procédure de destitution du Président de la République : rappelons, en effet, l'article 68 de la Constitution ne peut entrer en vigueur qu'après l'adoption d'une loi organique. Or, le projet de loi organique relatif à l'article 68 n'a adopté par l'Assemblée nationale en première lecture que le 24 janvier 2012 : il est donc peu vraisemblable que ce texte soit définitivement adopté avant la fin de la session parlementaire. Dès lors, l'amendement adopté par la Haute Assemblée est indispensable pour que l'article 68 puisse s'appliquer, si nécessaire, après l'élection présidentielle de 2012 ;
- enfin, notre Assemblée a mis en place un nouveau mécanisme pour le calcul du montant maximal du remboursement pouvant être versé à chaque candidat : plutôt qu'un remboursement forfaitaire, générateur de lourds effets de seuil et avantageant les candidats ayant obtenu entre 5 et 10 % des voix, la Haute Assemblée a ainsi souhaité que le remboursement dépende du nombre de voix obtenu par chaque candidat. Ce système est pleinement cohérent avec l'objectif affiché par le gouvernement, puisque le montant total des remboursements, fixé par le Parlement dans le cadre de la loi de finances de l'année de l'élection, sera contenu dans une enveloppe fermée : le système retenu par le Sénat constitue donc un facteur de meilleure maîtrise de la dépense publique.
De manière plus générale, le rapporteur de l'Assemblée nationale formule deux critiques, toutes deux d'ordre constitutionnel, à l'encontre des modifications adoptées par le Sénat.
En premier lieu, il est soutenu que les modifications adoptées par notre Assemblée porteraient atteinte au principe de sécurité juridique, dans la mesure où les dépenses des candidats sont comptabilisées depuis le 1 er avril 2011. Ce reproche ne saurait, toutefois, être retenu : rappelons en effet que le présent texte -dont l'unique objet est de modifier les règles applicables au financement de l'élection présidentielle de 2012- a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 30 novembre 2011, soit près de 9 mois après le début de la période sur laquelle les dépenses des candidats sont comptabilisées dans leur compte de campagne. En somme, l'inconstitutionnalité évoquée par le rapporteur de l'Assemblée concerne -si elle existe- l'ensemble du projet de loi organique, et non les seuls dispositions issues des travaux du Sénat.
En second lieu, lors de son intervention devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Charles de la Verpillière a jugé que « le texte de la Haute Assemblée [conduisait] en réalité à limiter les possibilités d'action du Président de la République en fin de mandat » et que, pour cette raison, il était contraire à l'article 6 de la Constitution, qui disposerait que le mandat présidentiel « est renouvelable une fois » 7 ( * ) . Dans ce cadre, votre rapporteur souligne que le droit actuellement en vigueur impose déjà au Président sortant -comme, au demeurant, à tous les candidats- de respecter des règles strictes en matière de financement comme en matière de propagande électorale, et que l'on peut difficilement soutenir que le chef de l'État devrait se voir doté d'un statut plus favorable, dans la campagne, que ses concurrents, au motif qu'il lui est possible de solliciter un nouveau mandat auprès des électeurs 8 ( * ) . Il est donc évident que le texte issu des travaux du Sénat n'encourt pas, sur ce terrain, la censure du Conseil constitutionnel.
Considérant que les critiques avancées par l'Assemblée nationale sont dépourvues de fondement et que le texte adopté par la Haute Assemblée sera un gage de plus grande transparence de l'élection présidentielle, ainsi qu'un facteur de limitation des déficits publics, votre commission a adopté à l'article unique un amendement de son rapporteur afin de rétablir les dispositions votées par le Sénat en première lecture, puis supprimées par les députés en nouvelle lecture.
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Votre commission a adopté le projet de loi organique ainsi rédigé.
* 1 Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011.
* 2 L'applicabilité de l'article L. 52-8 du code électoral, qui prohibe les dons de personnes morales, interdit l'utilisation de moyens public -hors de ceux qui sont fournis directement par l'État à tous les candidats- dans le cadre de la campagne présidentielle.
* 3 Le rejet du compte de campagne de M. Bruno Mégret après l'élection présidentielle de 2002, cité par M. de la Verpillière comme exemple de la rigueur de la jurisprudence constitutionnelle, était en effet justifié non pas par le fait que le candidat en cause avait utilisé son mandat municipal pour la conduite de sa campagne (et avait, en conséquence, bénéficié d'un don de personne morale), mais par le fait qu'il n'avait pas remboursé l'intégralité des dépenses prises en charge par la commune (décision du 26 septembre 2002, considérant 2).
* 4 Expression rappelée par les décisions de la CNCCFP sur les comptes de campagne de 2007.
* 5 Rappelons que le montant du remboursement ne peut excéder celui des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne (article L. 52-11-1 du code électoral).
* 6 Rapport n° 4183 de M. Charles de la Verpillière, disponible à l'adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r4183.asp
* 7 Rapport précité de l'Assemblée nationale.
* 8 Le texte même de l'article 6 de la Constitution démontre que celui-ci a vocation à prohiber l'exercice de plus de deux mandats successifs, et non pas à donner au Président sortant un droit à renouvellement de son mandat.