B. LES DIFFICULTÉS LIÉES AU DISPOSITIF
La mise en oeuvre de la procédure d'élaboration du SCDI a fait apparaître plusieurs sources potentielles de blocage.
Trois points sont essentiellement dénoncés :
- la brièveté du délai fixé pour l'adoption des SDCI ;
- l'incertitude sur le transfert aux nouvelles communautés de compétences actuellement confiées à des syndicats spécialisés ou sur la reprise de certaines compétences de proximité au sein de structures intercommunales élargies ;
- l'entrée en vigueur immédiate des règles de composition des organes délibérants des nouveaux établissements.
1. Le calendrier d'adoption des schémas
Les premiers mois de l'année 2011 auront été consacrés à la constitution des commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI) sur la base des nouvelles règles régissant leur composition ; l'adoption des schémas doit intervenir avant le 31 décembre prochain.
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Une CDCI rénovée
La représentation respective des communes et des intercommunalités a été rééquilibrée au profit de ces dernières, consacrant la place accrue qu'elles occupent aujourd'hui dans le paysage local et qui devrait être renforcée par le mouvement d'achèvement et de rationalisation des groupements de collectivités.
La composition rénovée de la commission
départementale
(art. L 5211-43 du code général des collectivités territoriales) 40 membres 3 ( * ) dont : - 40 % de maires, adjoints au maire ou conseillers municipaux élus par les maires : les électeurs sont regroupés par collèges basés sur l'effectif démographique des communes ; - 40 % de représentants d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre élus par le collège des présidents des organes délibérants de ces établissements ; - 5 % de représentants des syndicats mixtes et des syndicats de communes élus par le collège des présidents de chacune de ces catégories de syndicats ; - 10 % de représentants du conseil général élus par celui-ci ; - 5 % de représentants du conseil régional dans la circonscription départementale élus par celui-ci. Le mode de scrutin retenu pour l'ensemble des sièges est celui de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. La commission est présidée par le préfet, assisté d'un rapporteur général et de deux assesseurs élus parmi les maires. |
Le renouvellement des CDCI devait être organisé dans les trois mois suivant la promulgation de la loi de réforme, c'est-à-dire le 16 mars 2011 au plus tard ( cf art. 55) 4 ( * ) .
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Un calendrier trop rapide
Conformément à la loi, le projet de schéma élaboré par le préfet et présenté à la CDCI, a ensuite été adressé pour avis, en mai et juin, aux collectivités concernées qui l'ont examiné au cours des trois mois suivants.
Saisie du projet de schéma, la CDCI dispose maintenant de quatre mois -jusqu'à la mi-décembre- pour statuer.
Rappelons qu'elle peut modifier le projet de schéma à la majorité des deux tiers de ses membres.
Au regard de l'ampleur des chantiers entrepris, nombre d'élus jugent le délai imparti aux CDCI trop court pour leur permettre de travailler efficacement, mettant en péril le succès des nouvelles intercommunalités.
Deux observations peuvent être présentées à ce sujet. Après les très nombreuses créations d'EPCI à fiscalité propre intervenues à la suite des lois de 1992 et de 1999, les situations dans lesquelles la carte intercommunale restait inachevée sont celles où se concentrent les difficultés et les désaccords locaux les plus prononcés. Et l'expérience a démontré que l'inclusion non souhaitée de communes dans une communauté handicape, parfois fortement, l'activité de celle-ci. Ce sont deux motifs d'apporter un soin particulier au processus d'achèvement.
Les quelques semaines imparties à la CDCI ne peuvent pas permettre à la concertation de jouer pleinement pour lever certains blocages et remédier à diverses difficultés de périmètres. Cette contrainte temporelle est d'autant plus regrettable que, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, dans ses instructions aux préfets, « l'élaboration du SDCI est conçue comme un exercice de production conjointe entre le préfet et les élus, par le biais notamment de la CDCI » 5 ( * ) . Le ministre soulignait qu'il tenait « tout particulièrement à ce que cette concertation soit approfondie ».
Pour remédier à ce problème de calendrier, une proposition de loi vient d'être déposée sur le bureau du Sénat : les sénateurs Nathalie Goulet, Françoise Férat et Hervé Maurey préconisent de reporter de six mois, soit au 30 juin 2012, la date d'adoption des SDCI 6 ( * ) .
Pour sa part, le président du Sénat, M. Jean-Pierre Bel, tirant la synthèse des enseignements à cet égard des élections sénatoriales du 25 septembre, a demandé un moratoire « sur la mise en oeuvre de la refonte de l'intercommunalité » 7 ( * ) .
Le premier ministre, M. François Fillon, a pris en compte les difficultés surgies ici ou là en déclarant avoir « décidé de donner, partout où c'était nécessaire, davantage de temps à la concertation (...) sans s'enfermer dans des contraintes de calendrier » 8 ( * ) . Dans cet esprit, tout en confirmant le calendrier prévu initialement, le ministre chargé des collectivités territoriales, M. Philippe Richert, a déclaré devant le Sénat : « La date-butoir du 31 décembre 2011 devra être respectée autant que possible, mais elle pourra être dépassée si cela se révèle nécessaire » 9 ( * ) .
Des législateurs ont pu s'interroger sur la compatibilité de ces annonces avec la lettre de la loi, qui prévoit qu'un schéma départemental doit être adopté avant le 31 décembre. L'intention du Gouvernement, peut-on déduire des contacts noués par votre rapporteur, était alors non de modifier la loi mais d'exploiter au mieux deux de ses particularités peu relevées jusque là. D'une part, la loi ne sanctionne pas l'absence d'adoption d'un schéma. Son article 60 prévoit la création ou la modification de communautés en l'absence de schéma. D'autre part, le même article autorise le préfet à proposer aux communes, en vue de la création ou du remaniement d'une communauté, un périmètre différent de celui adopté dans le schéma départemental peu auparavant. L'annonce faite par le Gouvernement pourrait donc entrer dans les faits sans modification législative. On ne peut cependant que souhaiter qu'une évolution aussi nette du projet initial soit clairement approuvée par le Parlement.
2. Le sort de certaines compétences de proximité
Une deuxième difficulté résulte de deux des orientations fondant le schéma :
- d'une part, la fixation d'un seuil de « droit commun » d'au moins 5.000 habitants pour la constitution d'EPCI à fiscalité propre ;
- d'autre part, la réduction du nombre de syndicats de communes et de syndicats mixtes au profit des EPCI à fiscalité propre.
Cette double contrainte a rapidement soulevé la question du sort de certaines compétences de proximité, notamment les écoles, le portage des repas à domicile, les crèches, jusque-là assurées par des communautés de taille modeste ou des syndicats.
L'élargissement des périmètres peut en rendre plus complexe la gestion par le nouvel établissement en raison du nombre plus élevé des communes membres. Le président de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), M. Daniel Delaveau, entendu par votre rapporteur, notait le lien de pertinence entre compétences et périmètre.
C'est pourquoi, afin d'« éviter le retour non souhaité de certaines compétences aux communes », l'association des maires de France (AMF) propose la création de syndicats intercommunaux 10 ( * ) .
On mesure aisément à quel point de telles adaptations, au demeurant parfaitement compatibles avec l'objectif partagé d'achèvement de la carte des communautés, demandent une analyse approfondie et débattue que ne permet pas le calendrier fixé par le texte actuel.
3. L'application immédiate aux conseils communautaires des nouvelles règles les régissant
Aux termes du II de l'article 83 de la loi du 16 décembre 2010, la modification des règles fixant la composition des organes délibérants et des bureaux des intercommunalités s'appliquent aux nouveaux EPCI à fiscalité propre à l'exception de ceux qui ont été créés avant la promulgation de la loi du 16 décembre 2011 et de ceux dont le périmètre a été arrêté par le préfet avant cette même date.
Les nouvelles règles de fixation du nombre et de
la répartition des sièges
L'article 9 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a substantiellement modifié les règles de composition de l'organe délibérant et du bureau des EPCI à fiscalité propre. Ainsi, en ce qui concerne la composition du conseil communautaire , auparavant régie par des accords locaux : - les communes membres d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération peuvent conclure, à la majorité qualifiée (deux tiers des communes représentant au moins la moitié de la population, ou la moitié des communes représentant au moins deux tiers de la population), un accord par lequel elles répartissent librement les sièges entre elles, tout en « [tenant] compte de la population » de chacune d'entre elles. Le total de sièges ainsi créé est plafonné à hauteur de l'effectif qui aurait résulté de l'application du tableau qui figure au III du nouvel article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales (voir infra ) ; - à défaut d'accord dans les communautés de communes et dans les communautés d'agglomération, ainsi que dans les communautés urbaines et les métropoles, le nombre total de sièges est déterminé par un tableau qui fait dépendre ce nombre de la population totale de l'EPCI. Les sièges sont répartis entre les communes membres selon une représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; les plus petites communes (c'est-à-dire celles qui n'ont obtenu aucun siège en application de la répartition proportionnelle) se voient ensuite attribuer un siège au-delà de l'effectif total fixé par le tableau. À l'issue de cette phase, 10 % de sièges supplémentaires peuvent être créés par l'EPCI. Par ailleurs, le plafond applicable au nombre de membres du bureau des EPCI à fiscalité propre, auparavant fixé à 30 % de l'effectif du conseil communautaire, a été durci : désormais, le nombre de vice-présidents ne peut être supérieur ni à 20 % du nombre de délégués communautaires, ni à 15. |
Le plafonnement du nombre des délégués et de vice-présidents qui résulte de ce dispositif peut conduire à la cessation anticipée du mandat en cours de représentants des communes dans le cas d'EPCI à fiscalité propre créés par transformation, extension ou fusion de communautés ou de syndicats de communes. Comme l'ont souligné les associations d'élus entendues par votre rapporteur (à savoir l'AMF et l'AdCF), cette situation n'est pas sans lien avec les réticences qui se sont exprimées dans certains départements, où les acteurs locaux craignent qu'une modification brutale de la composition des conseils communautaires et des bureaux n'entraîne une déstabilisation des EPCI aux deux tiers de leur mandat électif en cours. Lors de son audition, M. Jacques Pélissard faisait ainsi valoir que l'application immédiate des dispositions de l'article 9 de la loi de réforme des collectivités territoriales créait un risque d'« évacuation » des délégués communautaires actuellement en fonctions (et notamment des représentants des petites communes), ce qui pouvait créer des tensions sur le terrain.
De même, selon une enquête réalisée en octobre 2011 auprès des présidents de communautés par l'AdCF (Association des communautés de France), plus de 40 % des présidents ayant émis un avis défavorable au projet de SDCI justifient ce choix par l'existence d'un « risque de déstabilisation du fonctionnement de la communauté » 11 ( * ) .
Pour résoudre cette difficulté susceptible d'entraver les projets en cours, l'AMF appelle à différer l'application des règles nouvelles à la date du prochain renouvellement général des conseils municipaux, qui doit légalement se dérouler en mars 2014.
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Sur le plan de la méthode, afin de favoriser le succès des processus d'achèvement de la carte intercommunale, l'AMF et l'AdCF privilégient le choix du consensus et de la volonté des élus. C'est pourquoi elles demandent que ne soient retenus dans les SDCI qui doivent être arrêtées au 31 décembre 2011, que les projets « mûrs et consensuels » 12 ( * ) . Elles souhaitent voir les autres renvoyés à la clause de revoyure fixée par la loi du 16 décembre 2010 à 2017, date de la première révision des SDCI. Rappelons que celle-ci devra intervenir tous les six ans au moins (art. 35). Dans le même temps, les deux associations d'élus proposent d'avancer de deux ans ce rendez-vous en l'organisant dès 2015, ce que permet naturellement la loi.
Les nouvelles instructions adressées aux préfets s'inscrivent dans ce sens, puisque le premier ministre a indiqué qu'un état des lieux sera réalisé dans chaque département « et, au cas par cas, la procédure ne sera menée à son terme que lorsqu'une majorité claire des élus concernés se dégagera en faveur du projet » 13 ( * ) .
* 3 Un siège supplémentaire est prévu :
- lorsque la population départementale est d'au moins 600 000 habitants, puis par tranche de 300.000 habitants ;
- par commune de plus de 100.000 habitants ;
- à partir d'un effectif de 400 communes dans le département, puis par tranche de 100 communes ;
- par EPCI à fiscalité propre de plus de 50.000 habitants ;
- à partir d'un effectif de 25 EPCI à fiscalité propre, puis par tranche de 10 établissements.
* 4 Le décret modifiant les dispositions réglementaires régissant les CDCI a été publié le 30 janvier (n° 2011-122 du 28 janvier 2011).
* 5 Cf circulaire du 27 décembre 2010.
* 6 Proposition de loi n° 8 (2011-2012) visant à modifier la date de fixation du schéma départemental de coopération intercommunale.
* 7 Cf communiqué de presse du 6 octobre 2011.
* 8 Lors d'un déplacement en Indre-et-Loire le 7 octobre 2011.
* 9 Cf questions d'actualité au gouvernement, séance du 20 octobre 2011.
* 10 Cf communiqué de presse de l'AMF du 4 octobre 2011.
* 11 Source : documents fournis par l'AdCF.
* 12 Cf. communiqué de presse de l'AMF du 4 octobre 2011.
* 13 Lors d'un déplacement en Indre-et-Loire le 7 octobre 2011.