2. L'exigence d'une stratégie en cas de recapitalisation
Quel que soit le degré de nécessité d'une recapitalisation, votre rapporteure générale considère qu'elle n'est pas la seule clef du problème, qu'elle doit s'inscrire dans une stratégie européenne concertée visant à limiter l'intervention des Etats, et qu'elle comporte un risque pour le financement de la croissance.
a) La recapitalisation n'est qu'une partie de la solution
Le règlement de la crise de la zone euro ne peut reposer sur le seul renforcement des fonds propres des banques . Celui-ci permet de renforcer leurs capacités de résistance aux risques de crédit et de marché, mais n'a pas d'effet direct sur le rétablissement de la solvabilité et de la croissance des Etats de la zone euro les plus en difficulté. Votre rapporteure générale juge donc nécessaire d'actionner conjointement plusieurs leviers, soit, outre la recapitalisation :
1) Une réponse crédible et pérenne à la situation très préoccupante de la Grèce. L'attentisme du printemps 2010 et la difficulté du processus d'engagement des Etats aura finalement coûté cher à la zone euro alors que le risque grec était absorbable.
2) Le renforcement de l'effet de levier du Fonds européen de stabilité financière (FESF), dont les capacités de financement, actuellement de 440 milliards d'euros, sont nécessairement limitées et ne peuvent être relevées à hauteur des besoins prévisionnels 62 ( * ) des cinq Etats les plus fragiles de la zone euro, de l'ordre de 1 500 milliards d'euros d'ici 2014. Le FESF doit donc être transformé en un dispositif capable d'empêcher l'extension de la crise à l'Espagne et l'Italie. Les modalités de cette démarche peuvent être variées, mais son principe est bien d'accroître le rôle prescripteur du FESF, c'est-à-dire la capacité d'entraînement que revêt l'investissement public européen 63 ( * ) .
3) Le règlement politique de l'amélioration de la gouvernance budgétaire et économique des Etats , afin de rétablir la confiance dans la capacité des autorités de la zone euro à prendre des décisions rationnelles et responsables.
b) Une stratégie qui minimise le recours aux fonds publics et assure une saine gestion des banques
Les estimations sur les besoins de recapitalisation des banques européennes sont très incertaines , de quelques dizaines de milliards à près de 400 milliards d'euros. En effet, elles sont déterminées par le choix du ratio cible - on évoque généralement 9 % de Core Tier One -, du régime de solvabilité applicable (Bâle « 2.5 », actuellement en vigueur, ou une anticipation de Bâle III), et des hypothèses de décote sur la dette souveraine, très sensibles puisqu'elles peuvent conduire à anticiper - et le cas échéant à provoquer - des événements de probabilité variable. Le calibrage du montant global par l'Autorité bancaire européenne (ABE) et la fixation du délai constituent donc un exercice particulièrement risqué .
En tout Etat de cause, les Etats de la zone euro, en particulier la France et l'Allemagne, n'ont aujourd'hui guère les moyens budgétaires d'assumer eux-mêmes l'intégralité d'une recapitalisation substantielle des banques. Il paraît donc nécessaire d'aboutir, de préférence à l'échelle de l'Union européenne, à un accord qui respecte les termes suivants :
1) Une « séquence » et un échéancier : le renforcement des fonds propres doit impérativement reposer en premier lieu sur les banques elles-mêmes , par mise en réserve de l'essentiel des profits de 2011 64 ( * ) puis, le cas échéant, par appel au marché ou au FESF. Les Etats entreraient in fine directement au capital en cas d'écart par rapport au ratio cible. Lors de son audition précitée, Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, a ainsi souligné qu' « il s'agit de fixer un objectif à un horizon plus proche, auquel les banques devraient satisfaire en ayant recours à trois types de ressources possibles : le marché privé, des dispositifs publics nationaux, ou le Fonds européen de stabilité financière, réformé pour pouvoir concourir à la recapitalisation des banques. »
Le contrôle du respect des nouvelles exigences en fonds propres serait assuré par les autorités prudentielles nationales qui, conformément au « deuxième pilier » du régime de Bâle, peuvent exiger, au cas par cas, un niveau de fonds propres supérieur au plancher réglementaire 65 ( * ) .
2) Un encadrement strict des rémunérations , quelles que soient les modalités de recapitalisation : outre les dispositions en vigueur sur la proportionnalité et l'étalement des bonus ou l'application d'un malus, nées de la transposition de la directive sur les fonds propres dite « CRD III », les autorités nationales de régulation , sous l'égide de l'ABE, devraient utiliser pleinement leurs facultés de limitation des rémunérations fixes et variables des dirigeants et opérateurs de marché lorsqu'elles se révèlent manifestement incompatibles avec une saine gestion des risques.
L'article 3 de l'arrêté du 13 novembre 2010 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie 66 ( * ) dispose ainsi que « l'Autorité de contrôle prudentiel peut exiger des établissements assujettis [...] qu'ils restructurent leurs rémunérations d'une manière qui soit conforme à une saine gestion des risques et à un objectif de croissance à long terme ».
3) De façon plus originale, la mise en place de conditionnalités européennes sur l'octroi de crédit à différentes catégories d'emprunteurs, tels que les PME, les particuliers et les collectivités territoriales 67 ( * ) . Votre rapporteure générale insiste en effet sur le risque réel de forte contraction du crédit en cas de « surcapitalisation » des banques européennes, qui s'exercerait immanquablement au détriment de la croissance. Le renforcement des fonds propres ne peut donc être associé au développement du crédit qu'au prix d'une diminution des marges et de la rentabilité globale du capital , ce qui est d'ailleurs l'esprit des réformes prudentielles entreprises depuis 2008.
* 62 Soit le cumul des échéances de refinancement de la dette et des déficits prévisionnels.
* 63 L'effet de levier de l'investissement public se décline ainsi dans maints dispositifs au niveau national.
* 64 Afin de limiter la fuite des actionnaires, la conversion des résultats excédentaires en fonds propres pourrait également reposer sur une option de conversion du dividende en titres, moyennant une décote suffisante.
* 65 L'article L. 511-41-3 du code monétaire et financier dispose ainsi que « l'Autorité de contrôle prudentiel peut également exiger que l'entreprise détienne des fonds propres d'un montant supérieur au montant minimal prévu par la réglementation applicable et exiger l'application aux actifs d'une politique spécifique de provisionnement ou un traitement spécifique au regard des exigences de fonds propres ».
* 66 Arrêté du 13 novembre 2010 modifiant diverses dispositions réglementaires relatives au contrôle des rémunérations des personnels exerçant des activités susceptibles d'avoir une incidence sur le profil de risque des établissements de crédit et entreprises d'investissement ainsi que diverses dispositions de nature prudentielle.
* 67 Une telle démarche avait été entreprise en France lors de la mise en place de la SFEF, en octobre 2008.