Article 21 (art. 180-1 [nouveau] et art. 495-7 du code de procédure pénale) Extension du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Le présent article tend à étendre le champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
1 - Une procédure rapide de jugement qui a montré son intérêt
La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), créée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, permet au procureur de la République de proposer à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, une peine qui, en cas d'accord de l'intéressé, pourra être homologuée par le président du tribunal.
Ainsi, en application des articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale, le procureur de la République peut proposer à une personne qui reconnaît avoir commis un délit puni à titre principal d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans d'exécuter une ou plusieurs des peines encourues. Si l'intéressé accepte, il est aussitôt présenté devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui, lequel entend la personne et son avocat, vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique et décide, ou non, d'homologuer les peines proposées par le procureur de la République. Lorsque le procureur a proposé une peine d'emprisonnement, sa durée ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue . La procédure n'est ni applicable aux mineurs, ni aux délits de presse, d'homicides involontaires, aux délits politiques ou aux délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale.
Le rapport d'information précité de votre commission des lois consacré aux procédures rapides de traitement des affaires pénales 111 ( * ) constatait, un an après l'adoption de cette nouvelle procédure, que « la mise en oeuvre de la CRPC [semblait] avoir démenti les appréhensions initiales qu'elle avait suscitées. Elle ouvre la perspective d'un traitement différent de l'infraction pénale, inscrit davantage dans une logique de dialogue et de compréhension de la sanction ».
D'après les informations communiquées par le ministère de la justice, le nombre d'affaires traitées en CRPC a atteint 23.035 en 2005, 51.655 en 2007 et 56.339 en 2009, avec, à chaque fois, un taux d'homologation approchant les 88%. Le quantum moyen d'emprisonnement ferme en tout ou partie prononcé par la voie de cette procédure était de 3,5 mois. Le montant moyen de l'amende ferme en tout ou partie était quant à lui de 489 euros (données provisoires pour l'année 2009). A l'heure actuelle, près des deux tiers des procédures faisant l'objet d'une CRPC sont relatives à la circulation routière (conduites sous l'empire d'un état alcoolique, conduite sans permis et sans assurance, etc.). 10% d'entre elles sont relatives à des faits de vol ou de recel, 7% à de faits de violences, 7% à des escroqueries et des délits relevant de la délinquance économique et financière, et 5% à des affaires de stupéfiants. Source : casier judiciaire national |
2 - Les préconisations formulées par la commission présidée par le recteur Guinchard
Constatant que cette procédure était très appréciée par l'ensemble des intervenants judiciaires, aussi bien les magistrats que les avocats, la commission présidée par M. Serge Guinchard a préconisé d'étendre le champ d'application de la CRPC à l'ensemble des délits, tout en maintenant les exceptions existantes (délits commis par des mineurs, délits de presse, délits d'homicides involontaires, délits politiques ou délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale).
Pour cette commission, « sur un plan constitutionnel, cette extension ne poserait, a priori, pas de difficulté. Dans sa décision du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel n'avait pas conditionné la constitutionnalité de la CRPC à sa limitation aux délits punis d'une peine maximum de cinq ans.
Sur un plan pratique, l'exclusion des délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement de cette procédure prive le ministère public d'une voie de poursuite qui pourrait s'avérer appropriée pour certaines infractions. La CRPC ne peut, par exemple, être utilisée pour les infractions de trafic de stupéfiants. Ainsi, en cas de détention ou de transport d'une petite quantité de stupéfiant, aucune qualification adaptée ne permet de recourir à cette procédure alors même que le prévenu reconnaît sa culpabilité et que la peine envisagée tiendra évidemment compte de la quantité modérée de stupéfiants transportés. En ce qui concerne la poursuite de délits aggravés par plusieurs circonstances tels que le vol ou l'abus de confiance, les parquets sont contraints de disqualifier les faits en cas de poursuite par voie de CRPC. Enfin, certains délits tels que la falsification ou la contrefaçon de chèque sont également exclus de ce mode de poursuite compte tenu de la peine encourue, sept ans, ce qui est fortement regrettable.
Or, à partir du moment où les peines pouvant être prononcées sont strictement prévues par la loi et ne peuvent excéder un an d'emprisonnement, il n'apparaît pas pertinent à la commission d'interdire le recours à la procédure de CRPC pour des délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement. En effet, soit les faits justifient une peine importante et en tout état de cause le ministère public devra choisir un autre mode de poursuite, soit les faits permettent une peine pouvant être prononcée dans le cadre de la CRPC et, compte tenu des garanties présentées par cette procédure, il n'y a pas lieu d'en écarter l'application » 112 ( * ) .
3 - L'article 21 du projet de loi : une extension du champ de la CRPC
Suivant ces préconisations, l'article 21 du projet de loi propose d'étendre le champ de la CRPC à l'ensemble des délits , à l'exception des délits commis par des mineurs, des délits de presse, des délits d'homicide involontaires, des délits politiques 113 ( * ) ainsi que des délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale.
4 - La position de votre commission : exclure certaines atteintes aux personnes les plus graves et permettre le recours à la CRPC après une instruction
Votre commission a apporté deux modifications importantes au présent article :
- d'une part, sur proposition de son rapporteur, elle a exclu du champ des délits pouvant donner lieu à une CRPC certaines atteintes aux personnes les plus graves ;
- d'autre part, sur proposition du Gouvernement, elle a autorisé le recours à cette procédure après une instruction, lorsque les faits reprochés à la personne mise en examen constituent un délit.
• L'exclusion des atteintes aux personnes les plus graves
Les auditions réalisées par votre rapporteur lui ont donné le sentiment qu'en dépit des appréhensions initialement suscitées par cette procédure, celle-ci bénéficiait aujourd'hui d'une véritable acceptation de la part de l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Elle offre au parquet un outil intéressant de règlement rapide d'affaires dans lesquelles l'auteur des faits reconnaît sa responsabilité et accepte les peines proposées. Elle est par ailleurs entourée de garanties, puisque l'intéressé est nécessairement assisté d'un avocat, qu'il peut disposer d'un délai de dix jours de réflexion pour décider s'il accepte ou refuse la ou les peines proposées par le parquet, et qu'en tout état de cause, celles-ci doivent être homologuées par un magistrat du siège qui entend la personne et vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique.
Dans le rapport précité, la mission d'information de votre commission des lois sur les procédures accélérées de jugement observait qu' « au regard des autres modes de poursuite, la CRPC présente un triple avantage. En premier lieu, elle a permis de redonner au débat sur la peine une place parfois négligée dans l'audience correctionnelle classique. Le déplacement du débat de la culpabilité vers la sanction permet de mieux adapter celle-ci aux circonstances de l'infraction et à la personnalité du délinquant. Tel est le deuxième atout de cette procédure : une plus grande individualisation de la peine . [...] L'infléchissement de la position initiale du barreau s'explique [...] par la possibilité offerte par la CRPC d'éviter l'opprobre d'un procès en correctionnelle et la publicité qui s'y rattache, en particulier dans les ressorts les moins importants. En effet, même si l'audience d'homologation est publique, elle présente en principe une grande brièveté et partant, paraît moins stigmatisante en particulier pour les primo-délinquants. [...] Enfin, la CRPC permet une exécution de la peine dans de bonnes conditions : d'une part la sanction est acceptée, d'autre part, elle est, en principe, immédiatement exécutée » 114 ( * ) .
Au regard de l'expérience acquise, il paraît aujourd'hui justifié, comme le propose le projet de loi, d'étendre la possibilité de recourir à cette procédure pour l'ensemble des infractions de nature délictuelle.
Il est toutefois apparu à votre commission que certaines infractions particulièrement graves, telles que les agressions sexuelles aggravées ou les violences habituelles commises au sein du couple ou à l'encontre d'un mineur par exemple, ne devraient pas pouvoir faire l'objet d'une CRPC.
Sans doute cette procédure préserve-t-elle les droits de la victime : l'article 495-13 du code de procédure pénale prévoit que lorsque celle-ci est identifiée, elle est informée sans délai de cette procédure et est invitée à comparaître en même temps que l'auteur des faits au cours de l'audience d'homologation, accompagnée le cas échéant de son avocat, afin de se constituer partie civile et de demander réparation de son préjudice. Si la victime n'a pu exercer ce droit, le procureur de la République doit l'informer de son droit de faire citer l'auteur des faits à une audience du tribunal correctionnel qui statuera sur les seuls intérêts civils.
Toutefois, comme l'observait le rapport d'information précité de votre commission, l'audience d'homologation est souvent très brève. Or, certaines infractions particulièrement graves justifient, au regard notamment du préjudice subi par la victime, de donner lieu à une audience au cours de laquelle l'ensemble des faits seront examinés par la juridiction.
Pour cette raison, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à exclure du champ de la CRPC les violences volontaires et involontaires contre les personnes, les menaces et les agressions sexuelles aggravées (notamment celles à caractère incestueux) prévues aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal dès lors que ces délits sont punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans.
• Possibilité de recourir à la CRPC après une instruction
Votre commission a par ailleurs adopté un amendement du Gouvernement tendant à ouvrir la possibilité de recourir à la CRPC après une instruction, lorsque les faits reprochés à la personne mise en examen constituent un délit.
A l'heure actuelle, la procédure de CRPC ne peut être mise en oeuvre qu'à l'initiative du procureur de la République, dans le cadre d'une enquête préliminaire ou dans le cadre d'une enquête de flagrance.
Aux termes d'un nouvel article 180-1 du code de procédure pénale, cette procédure pourrait également être mise en oeuvre à l'initiative du juge d'instruction, lorsque les faits reprochés au mis en examen constituent un délit (pour des faits d'escroquerie ou de délits en matière de stupéfiants par exemple).
Cette possibilité serait assortie d'un certain nombre de garanties :
- tout d'abord, le juge d'instruction ne pourrait renvoyer l'affaire au parquet afin qu'il mette en oeuvre une CRPC qu'à la demande ou avec l'accord de l'ensemble des parties, une fois que la personne mise en examen a reconnu les faits et accepté la qualification pénale retenue : la procédure ne pourrait donc pas être mise en oeuvre sans l'accord de la partie civile ;
- une fois l'affaire renvoyée au parquet, ce dernier ne disposerait pas de l'opportunité des poursuites, puisqu'en l'absence de procédure de CRPC dans un délai de trois mois (un mois si la personne est détenue), le prévenu serait automatiquement renvoyé devant le tribunal correctionnel ;
- enfin, cette procédure ne serait naturellement possible que pour les délits susceptibles de faire l'objet d'une CRPC : conformément à la position adoptée par votre commission sur proposition de votre rapporteur (cf. supra ), le juge d'instruction ne pourrait pas initier sa mise en oeuvre dans des affaires portant sur les atteintes aux personnes les plus graves (violences conjugales, agressions sexuelles aggravées, etc.).
Votre commission a adopté l'article 21 ainsi modifié .
* 111 Rapport n°17 (2005-2006) de la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement, « Juger vote, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des affaires pénales, état des lieux ». Laurent Béteille, président, François Zocchetto, rapporteur, 12 octobre 2005.
* 112 Rapport précité, pages 143-144.
* 113 Voir supra au commentaire de l'article 20 du projet de loi.
* 114 Rapport précité, pages 62 et suivantes.