EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 janvier 2011, sous la présidence de M. Jacques Legendre, président, la commission examine le rapport de M. Jean-Pierre Leleux sur la proposition de loi n° 179 (2010-2011) relative à l'indépendance des rédactions.
M. Jacques Legendre , président. - Monsieur Assouline, en tant qu'auteu,r pouvez-vous nous exposer l'objet de ce texte ?
M. David Assouline . - Quelques mots avant que le rapporteur expose très objectivement les propositions de la commission - n'y a-t-il d'ailleurs pas un vice de forme ?
M. Jacques Legendre, président . - C'est pourquoi je vous donne la parole.
M. David Assouline . - Cette commission s'est attachée de manière rigoureuse et suivie à ce que l'indépendance des médias soit totale. Elle l'a fait en recherchant un consensus car, quoique nous nous soyons divisé sur l'audiovisuel public, certains réclamant une plus grande indépendance, d'autres constatant qu'il était hypocrite de ne pas reconnaître ce qui se faisait, nous avons le même objectif. C'est pourquoi je pensais que cette proposition pouvait faire consensus. Chacun sait bien combien nos médias sont dans un système singulier par rapport à la situation de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne. De grands groupes industriels, dont ce n'était pas le métier, se sont emparés des médias ; ils ont uniformisé l'offre et font peser sur l'indépendance des rédactions un risque auquel nul ne peut être indifférent. Le débat ne porte pas sur l'intérêt qu'il y a à ce que de grands groupes injectent de l'argent dans une presse qui a du mal à vivre : j'ai pris en compte cet argument de l'UMP. Il s'agit ici de l'indépendance des rédactions. Informer le public n'est pas une action quelconque ; l'indépendance des médias tient à une liberté fondamentale - ce sont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution complété par le Sénat qui la consacrent.
Je n'ai pas pensé aux médias audiovisuels en préparant cette proposition de loi, mais à la presse quotidienne régionale, à laquelle nous sommes profondément attachés. A côté des grands médias nationaux, il y a en effet dans les territoires des journaux locaux. Sur dix lecteurs de journaux, sept lisent la presse nationale et deux autres L'Équipe . La richesse absolue que constitue cette presse est née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains titres étant issus de la Résistance, d'autres ayant été créés par des familles, tous contribuant à une multiplicité de choix. On pouvait y lire un éditorial, y trouver une information, profiter d'un pluralisme de l'offre. Aujourd'hui, comme j'essaie de le décrire dans l'exposé des motifs, quatre grands groupes détiennent des dizaines de titres. Les petits groupes ne pouvant suivre l'évolution économique, des regroupements sont nécessaires. Puisqu'il faut en passer par là, ne trahissons pas le lecteur, et faisons en sorte que, quand il y a dix titres, il y ait dix rédactions, dix offres spécifiques. Dans mon enfance, lorsqu'on allait acheter le journal, on voyait Le Figaro et L'Aurore à la devanture des kiosques, avec la même une et les mêmes titres. On lit un quotidien régional sans savoir qu'un autre propose le même éditorial. Il peut y avoir consensus pour dire qu'en rééditant ce coup, on trompe tout le monde.
Cette proposition, dont j'ai travaillé les quelques articles avec le Syndicat national des journalistes (SNJ), essaie en cas de fusion ou de regroupement de garantir une offre pluraliste et des rédactions indépendantes. Nous sommes la seule grande démocratie à connaître une telle concentration. Nous avions proposé un cadrage avec une proposition de loi que vous avez rejetée. Puisqu'il y a concentration, protégeons le pluralisme. J'espère que vous n'opposerez pas à ce texte un rejet facile, car il y a de la crédibilité de l'information dans notre pays.
Que l'on soit dans l'opposition ou dans la majorité, la liberté de la presse est un bien commun : il ne faut pas que la presse quotidienne, détenue par quatre groupes, dise la même chose sur tout le territoire.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Personne ne s'accorde sur le contenu de la notion d'indépendance des rédactions. Elle n'est définie ni par la loi, ni par la convention collective nationale des journalistes qui fait plutôt référence à leur liberté d'opinion. L'indépendance rédactionnelle ne signifie pas l'absence de subjectivité, comme le montre la diversité actuelle de la presse d'opinion.
La protection du journaliste vis-à-vis des pressions extérieures repose aujourd'hui sur des dispositions législatives et conventionnelles ainsi que sur des dispositifs et pratiques négociés entre la direction et le personnel des rédactions. Les lois du 1 er août 1986 et du 30 septembre 1986 ont posé le principe formel de la distinction entre les fonctions de directeur de la publication et de responsable de la rédaction pour la presse et l'audiovisuel, dont les noms respectifs doivent être portés à la connaissance du public. La loi du 4 janvier 2010 a consacré dans le droit positif la protection du secret des sources des journalistes. Des accords passés entre représentants du personnel et organes dirigeants ont précisé les modalités de représentation ainsi que les prérogatives des rédactions au Monde comme à Télérama. Les sociétés de journalistes se sont multipliées. Constituées sous forme d'associations de journalistes, elles veillent à l'indépendance de la rédaction et au respect des règles déontologiques. Certaines disposent de parts dans le capital de l'entreprise éditrice et de prérogatives dans la désignation du responsable de la rédaction - c'est le cas au Monde. Enfin les dispositifs de médiation, en organisant une réponse de la rédaction aux demandes ou aux contestations du public, autorisent une forme de contrôle du citoyen.
Les journalistes bénéficient à titre individuel des clauses de conscience et de cession qui fondent leur droit moral et leur liberté individuelle, en leur permettant de quitter leur publication en cas de changement d'orientation ou de modification du contrôle de la société.
Le personnel des rédactions bénéficie de nombreuses garanties. Les États généraux de la presse écrite ont écarté la reconnaissance des rédactions par la loi, en considérant que l'effort de rétablissement de la confiance devait passer par une réflexion et une action propres au secteur de la presse et ne pas impliquer les pouvoirs publics, l'échelon le plus pertinent pour améliorer la confiance étant celui de la publication. De surcroît, l'inscription dans la loi de prérogatives trop étendues des rédactions risquerait de dissuader des investisseurs. Or la proposition de loi ne respecte pas l'esprit de ces recommandations. Elle met à mal la diversité et la souplesse des solutions déjà négociées au niveau de chaque rédaction. Elle pose en outre des problèmes d'applicabilité, en particulier pour les publications aux effectifs très réduits. Elle emploie des mots impropres et fait état d'informations erronées dans son exposé des motifs.
M. Ivan Renar . - La proposition de loi marque une avancée en matière d'information. Elle apporte de la transparence dans le fonctionnement des équipes. Cependant, s'il est fort bien de renforcer le poids des journalistes dans le processus de décision, il faut aussi se préoccuper de l'ensemble du personnel. En effet, dans la presse comme ailleurs, le droit d'alerte incombe aux syndicats ou au comité d'entreprise. Ne doit-on pas aussi traiter de la rédaction de Radio France et de France Télévisions ? Les modalités de nomination des présidents de ces sociétés ne constituent pas une garantie suffisante.
On annonce une diminution des aides publiques à la presse mais, face à une capitalisation croissante qui va à l'encontre de l'indépendance, cela pose le problème du statut et de la rémunération des journalistes. La vie du localier n'est pas rose ! Face à de telles conditions, il convient de protéger les journalistes. N'abandonnons pas la lutte pour l'indépendance des médias et réfléchissons à une loi anti-concentrations : si la presse est vraiment un quatrième pouvoir, alors elle doit être traitée comme telle et être indépendante.
Mme Marie-Christine Blandin . - Il y a deux fabricants de lessive dans le monde, et des centaines de marques ; il y a quatre raffineries dans une région, et bien des distributeurs. On peut avoir une autre ambition pour l'information ! Dans la région du président Legendre et de M. Renar, des titres historiques comme La Voix du Nord ou Nord Eclair ont chacun leur maquette mais des contenus identiques : l'information n'est plus diversifiée. Voilà pourquoi je soutiens une proposition de loi qui apporte des outils.
Les clauses que M. Leleux évoque existent bien. Et il y a aussi celle-ci : « si tu n'est pas content, tu t'en vas », comme on l'a entendu à Nord Eclair . Il serait dommage de repousser une proposition qui sert la démocratie. Je précise d'ailleurs que la directive européenne, dont la publication imminente justifiait la suppression par notre commission des articles 2 à 4 de ma proposition sur la photographie, n'a toujours pas été publiée et qu'elle n'est pas près de l'être.
M. Jean-Pierre Plancade . - M. Assouline a dit qu'il avait travaillé avec les journalistes et, si je n'avais pas vu le nom des auteurs de la proposition de loi, j'aurais pensé qu'elle émanait des journalistes : elle est faite par eux et pour eux. Ils sont protégés, reprotégés, surprotégés. Si je crois au journalisme d'opinion, je constate que la proposition de loi nous ramène dans le politiquement correct. On dit au patron de payer et de se taire. Si je partage l'exigence qui vous inspire, je n'en tire pas les mêmes conclusions, car notre système est assez équilibré. La concentration a permis à Hachette de mettre Google à genoux. A titre personnel, je ne peux m'associer à un texte fait pour faire plaisir à des journalistes qui disent parfois des choses inexactes.
Article 1 er
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - L'article 1 er prévoit l'institution obligatoire, au sein de toute entreprise éditrice de médias produisant ou diffusant de l'information, d'une représentation de l'équipe de rédaction soit par une équipe rédactionnelle indépendante, soit par une association de journalistes ou une société de rédacteurs. Si les journalistes refusent de constituer une association, ils seront tous, de fait, membres d'une équipe rédactionnelle. Celle-ci dispose de prérogatives plus étendues que l'association, avec un droit de veto sur la désignation du rédacteur en chef ou du directeur de la rédaction ; elle peut recourir à un vote de défiance pour s'opposer aux changements dans la composition du capital ou de l'équipe de direction. On nie ainsi l'autonomie de la direction et l'on favorise la défiance entre la direction et la rédaction plutôt que leur collaboration.
Nous préconisons au contraire de développer ce qui se fait déjà aujourd'hui dans la concertation. Nous sommes tous d'accord sur l'objectif de l'indépendance des médias mais nous divergeons sur les moyens pour y parvenir. L'article 1 er remet en cause la liberté de conscience individuelle du journaliste en cas de désaccord avec la position de l'équipe rédactionnelle.
Il y a des syndicats dans la presse comme dans les autres entreprises. On nous dira qu'ils s'occupent du droit du travail et pas de l'information. Je crains néanmoins des conflits avec l'équipe rédactionnelle.
L'asymétrie, enfin, est totale, quand le directeur de la publication conserve seul la responsabilité pénale alors qu'il n'est pas maître de la ligne éditoriale en dernier ressort.
M. Jean-Pierre Plancade . - Absolument !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Ce n'est pas en confondant équipe rédactionnelle et direction que l'on remédiera aux dérives. Mieux vaut laisser un espace à la concertation.
M. David Assouline . - L'essentiel de votre critique porte sur l'aspect collectif qui briderait la liberté individuelle. Cependant, le droit en vigueur continue de s'appliquer aux journalistes. L'on traite ici des rédactions ; l'on veut qu'elles puissent assurer leur mission d'information sans que le propriétaire, dont ce n'est pas le métier, définisse la ligne éditoriale ou détermine la carrière des journalistes. Je pourrais citer tous les titres possédés par le groupe Hersant de Paris Normandie et Le Havre Libre à La Provence et Var Matin . La situation n'est pas bonne. Que répondre en cas de fusion et qu'il n'y a plus qu'une rédaction pour plusieurs titres ? De telles situations pèsent sur l'emploi, elles affectent le métier parce que les journalistes sont confrontés à certaines demandes. La proposition fixe-t-elle un cadre contraignant ? On l'a dit tout à l'heure à propos de l'amendement de M. Ambroise Dupont, le droit protège, il offre un point d'appui : il ne contraint pas. Dans ce rapport de forces, les journalistes ne doivent pas être déplacés comme des pions. Le droit actuel, auquel vous vous référez a été gagné après bien des débats. Cependant, la situation a évolué depuis, et la loi doit s'adapter.
Je n'ai pas la même vue que M. Plancade sur ce qu'il appelle le corporatisme des journalistes, car leur métier, qui est indispensable à la démocratie, exige le plus de liberté possible. Plus on leur donne de liberté face à l'argent, et mieux nous garantissons la démocratie. L'article 1 er propose deux solutions afin d'approfondir ce qui existe déjà. Peut-être n'avons-nous pas trouvé les meilleures formules, mais vous auriez pu amender. Vous ne l'avez pas fait au motif que le droit existant suffit. Mon exposé des motifs prouve le contraire. Les interventions sont quotidiennes : l'on vient de voir le patron d'un groupe comme Canal+ sommer une journaliste d'arrêter son émission. Si vous reconnaissez que le texte traite d'un vrai problème, j'attends que vous suggériez des améliorations. Vous fermez les yeux pour des raisons politiques alors que nous devons garantir le pluralisme.
M. Jacques Legendre, président . - L'exercice est particulier puisque quand une proposition de loi est déposée par un groupe de l'opposition, le rapporteur ne peut déposer un amendement sans l'accord de l'auteur.
M. David Assouline . - On ne m'a rien proposé...
M. Jacques Legendre, président . - Ou l'on s'inscrit dans l'esprit du texte, ou il est débattu en séance publique dans sa rédaction initiale.
M. David Assouline . - La règle est saine puisqu'autrement, aucune proposition de loi de l'opposition n'arriverait en séance publique. Je pensais toutefois que depuis sept ans que je siège ici, une discussion était possible, mais l'on ne m'a rien proposé, et vous vous contentez de rejeter la proposition parce que vous avez la majorité.
Article 2
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - L'article 2 dispose que l'on portera à la connaissance des lecteurs le nom des actionnaires détenant plus de 10 % du capital, ce qui est une bonne chose. Mais il est satisfait par l'amendement que notre commission a fait adopter par le Sénat dans la proposition de loi de simplification du droit, actuellement en instance à l'Assemblée nationale.
M. David Assouline . - Vous êtes donc d'accord pour une plus grande visibilité. Nous vérifierons ce qu'il en est, mais j'observe que le rapport initial ne disait pas cela. Nous demandons que le public sache qui publie le journal et, quand cette mesure s'appliquera, vous en mesurerez les effets.
Article 3
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Aux termes de l'article 3, l'ours devrait mentionner les changements dans l'équilibre capitalistique. Cela pose des difficultés d'application pour les sociétés cotées dont l'actionnariat change tous les jours. De plus, la mesure est largement satisfaite par les articles 5 et 6 de la loi du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
Article 4
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Disproportionnées en cas de non-respect des articles 2 et 3, les sanctions prévues introduisent une inégalité entre les sociétés audiovisuelles et les entreprises de presse dont les aides publiques représentent en moyenne plus de 10 % du chiffre d'affaires.
M. David Assouline . - La presse bénéficie d'aides de l'État. Puisqu'il s'agit de l'argent des citoyens français, il doit y avoir des garanties : les actionnaires ne sont pas les seuls à avoir des droits.
J'ai entendu les observations de M. Renar. D'une part, le texte sur les concentrations a été rejeté, d'autre part, si je partage sa préoccupation sur les syndicats, la proposition ne traite que de l'indépendance des rédactions : on a voulu offrir un cadre.
Je reviendrai dans l'hémicycle sur l'accusation de légiférer pour une profession. Il faudrait la mettre en sourdine avant d'avoir compté les amendements au budget voire les projets de loi inspirés par des lobbys.
Mme Françoise Laborde . - Une proposition de loi de l'opposition a le mérite d'aborder certains sujets. Je n'avais pas saisi la position des États généraux de la presse écrite. S'il faut mettre des barrières, n'est-ce pas pour les médias en ligne qui changent le rapport à l'information ? Enfin, l'on ne distingue pas assez l'indépendance des journalistes de celle des rédactions. Nous travaillerons là-dessus.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Les États généraux de la presse écrite étaient constitués en pôles, dont un consacré à la confiance. C'est lui qui a considéré que « les efforts de rétablissement de la confiance devaient passer par une réflexion et une action propres au secteur de la presse et ne pas impliquer les pouvoirs publics ».
M. David Assouline . - Cela n'a pas reçu l'aval des journalistes. Il ne s'agit pas des tables de la loi.
M. Jacques Legendre, président . - Nous débattrons donc à partir de la rédaction de M. Assouline. Je rappelle que les amendements devront être déposés d'ici le 25 janvier à 15 heures.
M. Claude Domeizel . - Permettez-moi, monsieur le président, d'intervenir dans le cadre des questions diverses.
Hier, un jeune s'est immolé à Marseille. Peut-être s'agit-il d'un de ces collégiens et lycéens que l'on appelle des décrocheurs comme si c'était leur décision plus que celle du système éducatif. Nous connaissons tous des exemples de jeunes en difficulté, voire tentés par le suicide. Ne peut-on se tourner vers le ministère de l'éducation ? Nous avons avec lui le devoir de nous pencher sur ce phénomène.
M. Jacques Legendre, président . - Sur cette nouvelle, qui nous touche tous, il nous faut d'abord prendre des informations. Je les demanderai au ministre de l'éducation et vous les communiquerai.