TROISIÈME PARTIE : TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. CYCLE D'AUDITIONS SUR LES CONVENTIONS FISCALES (23 MARS 2010)
A. AUDITION DE M. PASCAL SAINT-AMANS, CHEF DE LA DIVISION CHARGÉE DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE ET DE LA COMPÉTITION FISCALE À L'OCDE
Réunie le mardi 23 mars 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission des finances a tout d'abord procédé à l' audition de M. Pascal Saint-Amans, chef de la division chargée de la coopération internationale et de la compétition fiscale à l'OCDE.
M. Jean Arthuis , président, a indiqué que le Sénat est appelé à se prononcer sur dix-huit projets de loi visant à ratifier, d'une part, douze accords, sous forme d'échange de lettres, relatifs à l'échange de renseignements en matière fiscale et, d'autre part, six avenants à des conventions fiscales traitant de la suppression des doubles impositions. La technicité des accords, tout comme les aspects politiques, ont conduit la commission des finances à organiser trois auditions afin de mieux comprendre la politique conventionnelle fiscale française. Cette dernière résulte notamment de l'action, directe ou indirecte, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la direction de la législation fiscale et du ministère des affaires étrangères
M. Pascal Saint-Amans, chef de la division chargée de la coopération internationale et de la compétition fiscale à l'OCDE , a souligné que la ratification d'accords fiscaux d'échange de renseignements en matière fiscale est un sujet d'actualité partagé par de nombreux membres de l'OCDE, compte tenu de l'intensification de la lutte contre la fraude fiscale depuis un an.
Présentant le contexte particulier dans lequel s'inscrivent les projets de loi de ratification, il a indiqué que l'année 2009 a constitué « une année révolutionnaire » dans la mesure où, depuis cette date, il est désormais risqué de dissimuler des capitaux à des fins de non-imposition. Dès 1996, le G7 réuni à Lyon a pris conscience des difficultés posées par l'évasion fiscale. En 1998, un rapport de l'OCDE sur la concurrence fiscale dommageable (« Harmful tax competition ») a défini les quatre critères d'identification d'un paradis fiscal : des impôts insignifiants ou inexistants, l'absence de transparence sur le régime fiscal, l'absence d'échanges de renseignements fiscaux avec d'autres Etats, l'absence d'activités économiques substantielles. Sur la base de ces critères, quarante paradis fiscaux ont été identifiés à la fin des années 1990.
En 2002, l'OCDE a créé le concept d'Etat non coopératif en matière d'échange de renseignements, et formalisé un certain nombre de standards internationaux à respecter afin de ne pas être qualifié de juridiction non coopérative. L'échange d'informations constitue un axe pertinent d'action, car les paradis fiscaux étant caractérisés par une fiscalité inexistante ou insignifiante, les accords visant à proscrire la double imposition ne sont pas les instruments pertinents pour lutter contre l'évasion fiscale.
Le modèle d'accord d'échange de renseignements à des fins fiscales reprend l'article 26 du modèle de convention de non double-imposition. Les standards promus par l'OCDE sont les suivants : l'échange d'informations est fait sur demande, lorsque l'information est vraisemblablement pertinente, la nature de cette information pouvant être fiduciaire ou bancaire.
Toutefois, en l'absence d'une volonté politique internationale forte, l'échange d'informations en matière fiscale ne s'est pas sensiblement amélioré avant 2008, et ce d'autant moins que les juridictions visées critiquaient le caractère unilatéral de ces accords et l'absence de bénéfices mutuels. En 2008, la situation politique internationale évolue avec le scandale du Liechtenstein, la crise financière et grâce à l'élection de M. Barack Obama, qui dans ses fonctions précédentes avait signé un texte de loi (« Stop tax haven abuses act ») permettant aux autorités américaines d'exiger des données confidentielles concernant des comptes bancaires, y compris dans les paradis fiscaux recensés par Washington. En 2009, ce changement a été confirmé par le sommet du G 20 de Londres qui a publié deux listes d'Etats non coopératifs en matière fiscale. Cette même année, les grandes places financières comme la Suisse, le Luxembourg, Singapour, Hong Kong, Andorre, le Liechtenstein et Monaco ont adopté les standards de l'OCDE
Les critères de classement des Etats non coopératifs sont les suivants : la liste « blanche » regroupe les Etats qui ont signé au moins douze accords d'échanges d'information à des fins fiscales ; la liste « grise » concerne les Etats qui se sont engagés à signer des accords d'échanges ; la liste « noire » rassemble enfin les Etats qui n'ont pris aucun engagement. En avril 2009, vingt-deux Etats ont pu être retirés de la liste grise, deux Etats supplémentaires devraient connaître le même sort en 2010. Au total, 400 accords auraient été signés dont cinquante entre des paradis fiscaux.
M. Jean Arthuis, président, s'est étonné que l'inscription sur la liste blanche puisse être autorisée, alors même que l'Etat n'a signé des accords qu'avec des paradis fiscaux.
M. Pascal Saint-Amans a confirmé que la qualité des signataires de l'accord n'est pas un critère retenu pour le passage sur la liste blanche. Il a toutefois souligné que peu d'Etats se contentent de signer douze conventions, et que la plupart continuent à signer des accords au-delà de cette limite.
Par ailleurs, il a fait observer que les listes seront désormais contrôlées. En effet, le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales a décidé, en 2009, de franchir une étape supplémentaire en lançant un programme d'évaluation de l'application des standards de l'OCDE. Fondée sur le principe de l'examen par les pairs (« peer review »), l'évaluation comporte deux phases :
- la première phase conduit deux pays examinateurs, assistés du secrétariat du Forum, à étudier la pertinence du réseau conventionnel du pays examiné sur le fondement des réponses apportées aux trois questions suivantes: les accords ont-ils été signés avec les partenaires de cet Etat ? La ratification des accords signés est-elle en cours ? Le cadre législatif et réglementaire est-il adapté aux nouveaux engagements de cet Etat ?
- la seconde phase a pour objectif de dresser un bilan quantitatif et qualitatif des échanges d'information effectués.
Depuis, le 10 mars 2010, dix-huit juridictions sont l'objet d'une évaluation qui débouchera sur l'adoption d'un nombre équivalent de rapports par le Forum mondial.
S'agissant de la cellule de régularisation mise en place par le ministère français de l'économie pour inciter les évadés fiscaux à se dénoncer, M. Pascal Saint-Amans a fait remarquer que d'autres Etats que la France ont mis en place une structure similaire.
M. Jean Arthuis, président, s'est félicité de l'augmentation des accords d'échange d'information qui traduit un nouvel état d'esprit. L'évaluation des standards de l'OCDE est un exercice prometteur à condition que des moyens efficaces y soient alloués.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a souhaité connaître la place de la France au sein du comité des affaires fiscales de l'OCDE.
M. Pascal Saint-Amans a souligné que la France est un membre dynamique, qui a permis de politiser au niveau international la question des échanges de renseignements à des fins fiscales, rendant ainsi possible la levée du secret bancaire dans des pays particulièrement rétifs à ce changement comme la Suisse. Les conférences internationales de Paris, le 21 octobre 2008, et de Berlin, le 23 juin 2009, organisées notamment à l'initiative de M. Eric Woerth, alors ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, illustrent le rôle actif joué par la France.
M. Bernard Angels a souhaité connaître le bilan de la surveillance des prix de transfert au sein des entreprises.
M. Pascal Saint-Amans a indiqué que la définition du prix des transactions intra-groupe est couverte par l'article 9 du modèle de convention fiscale de l'OCDE, fondé sur le principe de pleine concurrence, c'est-à-dire que ces transactions doivent être conduites par les établissements du groupe comme s'il n'existait aucun lien entre eux. Les prix de transfert constituent un enjeu majeur pour les Etats dans lesquels sont situées les sociétés internationales, car ils peuvent directement influencer la matière taxable compte tenu des possibilités d'optimisation fiscale. Si les prix de transfert sont particulièrement contrôlés par les administrations fiscales françaises et allemandes, il n'existe pas de suivi de l'OCDE, qui ne s'intéresse qu'à l'application du contrôle fiscal en matière de prix de transfert, et qui ne dispose à ce jour d'aucune information sur les montants en jeu. Depuis janvier 2010, l'organisation a toutefois lancé des travaux complémentaires afin de mettre en place un système d'information permettant d'identifier, par pays, la matière taxable et le montant d'impôt effectivement payé par les sociétés multinationales. Cette initiative a fait suite au constat selon lequel les pays en développement seraient également des victimes des logiques d'optimisation en matière de transactions intra-groupe.
Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, sur la localisation des activités relatives au commerce électronique, M. Pascal Saint-Amans a expliqué que l'OCDE a élaboré des principes directeurs dès le début des années 2000 dans le cadre de son comité des affaires fiscales. Il existe aujourd'hui « un corpus de droit mou » qui traite de cette problématique.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné que le commerce électronique se caractérise par des assiettes taxables difficiles à identifier.
M. François Trucy s'est demandé si les critères relatifs aux paradis fiscaux peuvent être renforcés, et si les propriétaires des capitaux hébergés dans ces juridictions continuent d'être exonérés en matière fiscale.
M. Pascal Saint-Amans a observé que le coût de la fraude s'est sensiblement accru, l'évasion fiscale représentant désormais un comportement à risques compte tenu des pénalités financières ou pénales en vigueur.
Mme Nicole Bricq s'est étonné que le Chili puisse être inscrit sur la liste blanche de l'OCDE alors qu'il figure sur la liste noire de la France, ce qui pose un problème de coordination des décisions nationales et internationales. Elle a souligné que la liste française se justifie par le fait que certains Etats non coopératifs peuvent être quittes de leurs engagements en matière d'échanges d'informations alors mêmes que les accords signés ne le sont qu'avec d'autres Etats non coopératifs.
Rappelant que le Chili applique un taux d'impôt sur les sociétés de 19 % et dispose d'une administration fiscale jugée performante, M. Pascal Saint-Amans a indiqué que l'adhésion de ce pays à l'OCDE a été subordonnée à son engagement de lever le secret bancaire. Ayant signé un nombre suffisant d'accords d'échange de renseignements, le Chili a été retiré de la liste grise en décembre 2009.
Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président , sur les délais de ratification des accords par les différents Etats concernés, M. Pascal Saint-Amans a indiqué qu'un groupe de travail a été constitué au sein de l'OCDE, car les délais moyens entre la négociation des accords et l'entrée en vigueur de ces derniers ne sont pas satisfaisants dans certains cas.
M. Adrien Gouteyron a souhaité obtenir des précisions, d'une part, sur les modalités de sélection des pays examinateurs dans le cadre de la procédure d'examen par les pairs et, d'autre part, sur les principaux domaines où le modèle de convention de l'OCDE est en retrait par rapport à la position conventionnelle française.
M. Pascal Saint-Amans a précisé les éléments suivants. L'examen par les pairs, qui inclut les 91 pays membres du Forum, comprend trois étapes :
- l'envoi d'un questionnaire afin de connaître les spécificités du pays ;
- la rédaction d'un rapport par deux pays et le secrétariat du forum ;
- l'adoption du rapport par le groupe d'examen des pairs en juillet 2010, puis par le Forum mondial, lors de sa réunion à Singapour à l'automne 2010.
Un délai de quatre à six mois est prévu entre le lancement du processus d'examen d'un pays et l'adoption du rapport.
S'agissant des différences entre les modèles, le modèle français de convention d'échanges d'informations est plus restrictif que celui de l'OCDE, notamment en ce qui concerne le partage des frais pour la collecte d'information, ou les exceptions à l'échange de renseignements.
M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur l'existence d'une éventuelle procédure de déclassement dans le cas où les Etats inscrits sur la liste grise n'appliquent pas les engagements souscrits.
M. Pascal Saint-Amans a indiqué qu'une procédure d'alerte est en vigueur afin de signaler le non-respect des engagements, et que des représailles peuvent être décidées.