TRAVAUX DE LA COMMISSION
AUDITION DU MINISTRE
Réunie le mardi 29 avril 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Xavier Bertrand , ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur le projet de loi n° 302 (2007-2008) portant modernisation du marché du travail.
M. Xavier Bertrand , ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité a rappelé que l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a été conclu en appliquant la procédure de concertation définie par la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007. Il est de la responsabilité du pouvoir politique de ne pas dénaturer cet accord, qui a été signé par quatre syndicats représentatifs sur cinq, sans quoi les partenaires sociaux refuseront à l'avenir d'engager de nouvelles négociations. Le Parlement garde cependant un rôle, qui est de porter un regard politique sur les dispositions négociées.
L'écriture du projet de loi portant modernisation du marché du travail, qui transpose les dispositions de nature législative contenues dans l'accord, a été effectuée en concertation étroite avec les organisations signataires. Cet exercice s'est révélé délicat, même quand l'ANI était précis. La concertation se poursuit pour la rédaction des projets de décrets, qui seront transmis aux parlementaires pour information.
Le texte façonne un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité selon les modalités suivantes :
- l'article premier rappelle que le contrat à durée indéterminée (CDI) est la forme normale et générale du contrat de travail ;
- l'article 2 détermine les nouvelles règles relatives à la période d'essai ;
- l'article 4 réaffirme l'obligation de motiver tous les licenciements, ce qui a pour corollaire l'abrogation du contrat « nouvelles embauches » (CNE), qui est déjà abrogé dans les faits puisque les cours d'appel de Bordeaux et Paris puis le Bureau international du travail (BIT) ont condamné l'absence de motivation de la rupture pendant les deux premières années ; rappelant qu'il s'agit de la première condamnation de la France par le BIT, le ministre a estimé que cette affaire confirme la nécessité de toujours demander le point de vue des partenaires sociaux avant de prendre une décision ; il a indiqué sur ce point la position de la CGPME, qui a encouragé ses adhérents à signer des CNE et qui a le sentiment que la parole de l'Etat a été trahie ;
- l'article 5 organise la rupture conventionnelle du contrat de travail, qui existe aujourd'hui mais ne bénéficie en pratique qu'à des cadres supérieurs ; cette procédure sera désormais accessible à tous les salariés, ce qui favorisera la pratique de la négociation plutôt que les approches conflictuelles qui se concluent par un recours aux prud'hommes ;
- l'article 6 institue un nouveau contrat à durée déterminée (CDD) à objet défini ;
- l'article 7 prévoit la possibilité de faire prendre en charge par l'association pour la garantie des salaires (AGS) le versement des indemnités de rupture dues en cas de licenciement d'un salarié déclaré inapte en raison d'un accident ou d'une maladie d'origine non professionnelle ;
- l'article 8 vise à organiser la pratique du portage salarial en apportant les garanties nécessaires ; la branche de l'intérim, qui s'est vu confier le soin d'organiser le portage, souhaite le développement de cette activité ;
- l'article 9, enfin, abroge formellement le CNE.
En conclusion, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a rappelé que de futures négociations vont permettre de compléter prochainement les dispositions de ce projet de loi.
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a d'abord souhaité connaître le jugement du ministre sur l'ANI : s'agit-il d'un accord de routine, d'un accord substantiel dans la lignée de précédents accords de même type ou d'une véritable rupture, marquant une avancée significative en matière de flexisécurité ? Après avoir indiqué qu'il juge le développement de la négociation collective positif pour le pays, il a fait observer que le Parlement, qui transpose déjà les directives communautaires, est maintenant invité à transposer les accords conclus par les partenaires sociaux, ce qui conduit à s'interroger sur le rôle qui restera dévolu aux parlementaires.
Puis il a demandé au ministre s'il regrette que certains points abordés dans le document d'orientation que le Premier ministre avait adressé aux partenaires sociaux pour lancer les négociations ne figurent pas dans l'ANI. Doit-on, en particulier, déplorer que l'hypothèse d'un contrat de travail unique n'ait pas été véritablement explorée, les partenaires sociaux ayant au contraire décidé de créer un nouveau type de CDD ? Ou faut-il considérer qu'une multiplicité de formes de contrats de travail va dans le sens d'une plus grande flexibilité et fluidité du marché du travail ?
Il a ensuite souhaité savoir si la nouvelle procédure d'homologation de la rupture conventionnelle entraînera une surcharge de travail importante pour les directions départementales du travail, si elles auront les moyens d'y faire face et comment il serait possible d'associer les fédérations qui regroupent les entreprises de portage salarial à la négociation de l'accord confié à la branche de l'intérim.
Enfin, il a demandé des précisions sur le calendrier et sur les perspectives ouvertes par les négociations prévues dans l'ANI ou lancées à l'initiative du Gouvernement.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a estimé qu'une page s'est tournée au moment de la dernière élection présidentielle, et qu'il en serait d'ailleurs probablement de même si un autre candidat avait été élu. Il convient à présent d'écrire une nouvelle page dans l'histoire de nos relations sociales, comme le souhaite le Président de la République. Les accords qui ont été conclus récemment montrent que les partenaires sociaux sont prêts à prendre leurs responsabilités pour peu qu'on leur fasse confiance. Sur la représentativité syndicale, qui n'était pas un sujet facile à aborder, une position commune a ainsi été approuvée par deux organisations syndicales et deux organisations d'employeurs. Pour faire de la politique de manière moderne, il ne faut plus chercher à intervenir dans tous les dossiers mais être capable de rendre possibles des évolutions qui sont négociées par d'autres. Le Gouvernement et le Parlement doivent travailler en amont avec les partenaires sociaux s'ils ne veulent pas se sentir dessaisis de certains dossiers. L'existence de désaccords, par exemple sur la question des retraites, qui vient de donner lieu à une série de consultations avec les organisations syndicales, n'empêche pas de poursuivre le dialogue.
Le ministre a ensuite déclaré que le sujet du contrat de travail unique ne lui inspire aucun regret, dans la mesure où les partenaires sociaux ont défini un cadre unifié avec des règles pour la période d'essai applicables au niveau interprofessionnel. L'idée de contrat de travail unique n'a d'ailleurs jamais impliqué la disparition des contrats saisonniers ou de l'intérim. L'ANI répond, pour le reste, aux objectifs essentiels fixés dans le document d'orientation, sous réserve des compléments qui figureront dans la prochaine convention d'assurance chômage.
En ce qui concerne les moyens des directions départementales du travail, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a rappelé que le plan de modernisation de l'inspection du travail, engagé par le précédent ministre Gérard Larcher, s'accompagne d'un renforcement des moyens de l'inspection du travail, sept cents créations de postes étant prévues en quatre ans. Il a souligné, non sans ironie, que la décision des partenaires sociaux de confier l'homologation à la direction départementale du travail témoigne de leur part d'une confiance retrouvée dans l'administration.
Au sujet du portage salarial, il a rappelé avoir fait état à l'Assemblée nationale d'un échange de courriers avec Prisme, qui est le syndicat des entreprises du travail temporaire. Prisme s'est engagé à négocier un cadre conventionnel qui permette aux sociétés de portage actuelles de poursuivre leur activité.
En réponse à la dernière question du rapporteur, il a souligné que la plupart des négociations celles consacrées, par exemple, à l'assurance chômage ou à la formation professionnelle sont menées sous l'impulsion de Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Sur la question de la représentativité syndicale, il a précisé qu'il souhaite transposer rapidement dans la loi la position commune, mais qu'il faudra au préalable résoudre la question laissée en suspens de la prise en compte des salariés des petites entreprises dépourvues d'élus du personnel.
M. Bernard Seillier a lui aussi estimé que les changements en cours en matière de dialogue social sont de toute première importance. Puis il s'est fait l'écho d'un regret exprimé par le barreau de Paris, qui aurait souhaité qu'un avocat puisse être présent lors de l'entretien au cours duquel la rupture conventionnelle est négociée. Cette suggestion ne présenterait-elle pas cependant l'inconvénient de « judiciariser » cette négociation ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a dit partager cette crainte et a rappelé qu'un avocat pourra intervenir avant l'entretien ou à sa suite, mais non pendant l'entretien lui-même, conformément à la solution dégagée par la jurisprudence en matière d'entretien préalable au licenciement.
Après avoir indiqué que ce projet de loi pose, en toile de fond, la question de la place du Parlement par rapport à la démocratie sociale, Mme Christiane Demontès a souligné que le groupe socialiste veillera à ce que l'accord des partenaires sociaux ne soit pas dénaturé. Elle a regretté que le projet de loi, qui ne reprend pas toutes les dispositions de l'ANI, contienne davantage de mesures de flexibilité que de garanties nouvelles pour les salariés, les changements annoncés par le ministère de l'économie en matière de formation ou d'assurance chômage se faisant pour l'instant attendre. Elle a estimé que les syndicats ont négocié sous la pression et qu'ils ont donné leur accord sur certains points par crainte que des mesures plus défavorables soient adoptées en l'absence d'accord. Sur la rupture conventionnelle, elle a considéré que salariés et employeurs ne sont pas sur un pied d'égalité et s'est interrogée sur le rôle que pourraient jouer les délégués du personnel dans cette procédure.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a répondu que les délégués du personnel pourront tout à fait assister les salariés lors de l'entretien préalable à la rupture conventionnelle et souligné que la procédure définie par l'ANI vise précisément à rétablir une certaine égalité entre employeur et salarié.
Il est exact que toutes les stipulations de l'ANI ne figurent pas nécessairement dans la loi puisque certaines d'entre elles sont d'application directe tandis que d'autres seront mises en oeuvre par des négociations ultérieures ou par décret. Une fois que ces négociations auront abouti et que les décrets seront publiés, il sera possible de porter un jugement d'ensemble sur les progrès accomplis en matière de flexisécurité.
Enfin, le ministre s'est réjoui que le groupe socialiste se déclare prêt à veiller à ce que l'accord ne soit pas dénaturé.
Mme Annie David a jugé la transposition de l'ANI dans le projet de loi incomplète et déséquilibrée puis s'est étonnée que la négociation de cet accord ait été si rapide, alors que la négociation relative à la pénibilité se poursuit depuis trois ans sans que le Gouvernement ait menacé d'intervenir. Revenant sur la question de l'assistance du salarié par un avocat pendant l'entretien, elle s'y est déclarée favorable afin que le salarié puisse bénéficier des mêmes conseils que l'employeur. Elle a ensuite fait part de son inquiétude au sujet du décret que le Gouvernement prévoit de prendre pour réviser le montant des indemnités de licenciement, dans la mesure où il existe, selon elle, un risque qu'il pénalise les licenciés pour motif économique, ayant plus de dix ans d'ancienneté dans l'entreprise. Enfin, elle a estimé contradictoire de réaffirmer dans le texte le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé et de créer, dans le même temps, une procédure de rupture conventionnelle qui ne prévoit aucune obligation de motivation.
Sur la question du montant des indemnités de licenciement, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a expliqué que cette question a été soulevée lors des débats à l'Assemblée nationale, à l'initiative de la députée Martine Billard, et qu'il s'est alors engagé à ce que la nouvelle rédaction du décret ne lèse en aucun cas les intérêts des salariés ayant plus de dix ans d'ancienneté.
Il a ensuite insisté sur sa détermination à faire aboutir un certain nombre de négociations en cours, citant notamment celles sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes et sur la pénibilité au travail. Concernant l'égalité salariale, il a rappelé avoir convoqué une conférence sur ce sujet et a indiqué que des sanctions financières seront appliquées après 2009 si le principe d'égalité n'est pas respecté. La pénibilité au travail est également un problème auquel il est très attentif puisqu'il est à l'origine, en tant que rapporteur du projet de loi sur la réforme des retraites de 2003, de l'amendement qui a conduit les partenaires sociaux à ouvrir une négociation sur cette question. La négociation a pris du retard, en partie parce que les partenaires sociaux ont souhaité d'abord traiter la question de l'emploi des seniors, mais aussi en raison de la complexité intrinsèque du sujet : comment définir les métiers pénibles ? Faut-il laisser les salariés qui occupent des emplois pénibles partir plus tôt en retraite ou faut-il faire porter l'effort sur l'amélioration des conditions de travail ? Il est vrai, cependant, que le dossier s'est enlisé dans la période récente et qu'il convient d'y remédier : si la prochaine réunion entre patronat et syndicats, prévue le mois prochain, n'aboutit pas à un accord, l'Etat prendra alors ses responsabilités.
M. Nicolas About, président, a demandé au ministre de préciser sa position sur l'assistance du salarié par un avocat.
Mme Annie David a estimé que le projet de loi, en ne précisant pas qui peut assister l'employeur, autorise de facto celui-ci à faire appel à la personne de son choix, donc éventuellement à un avocat, ce qui n'est pas le cas pour le salarié.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a estimé que la disposition relative à la possibilité pour l'employeur de se faire assister doit être interprétée à la lumière de celle relative à l'assistance du salarié : dès lors que le salarié ne peut faire appel à un avocat, l'employeur n'a pas non plus cette faculté.
Mme Marie-Thérèse Hermange est revenue sur la question du rôle du Parlement dans ce contexte de renouveau de la démocratie sociale, pour estimer qu'il lui appartient désormais de développer sa fonction de contrôle, comme la commission l'a fait récemment sur la question de la mise en oeuvre de la convention Aeras (s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé).