C. UNE NOUVELLE PROCÉDURE DE DESTITUTION POUR PRÉSERVER L'INSTITUTION DES MANQUEMENTS DE CELUI QUI L'INCARNE (ARTICLE 68)

S'il convient de protéger la fonction, il paraît cependant indispensable qu'une procédure permette de sanctionner les atteintes que pourrait porter à l'institution le comportement même du Président de la République.

A cette fin, le rapport Avril a proposé qu'en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions, la représentation nationale puisse mettre fin au mandat du chef de l'Etat. Suivant ces recommandations, le projet de loi constitutionnelle définit, à l'article 68 de la Constitution, une nouvelle procédure de destitution du Président de la République.

L'atteinte à une institution issue du suffrage universel ne pouvant être appréciée que par le représentant du peuple souverain, il revient au Parlement de prendre une telle décision. Constitué en Haute Cour, le Parlement ne se prononce pas sur la nature ou la qualification pénale des manquements commis par le chef de l'État, mais sur la compatibilité de ces manquements avec la fonction. Le Président destitué redevient un citoyen ordinaire et peut alors, si ce manquement constituait par ailleurs une infraction, être poursuivi devant les juridictions de droit commun .

Aussi ne s'agit-il pas pour la Haute Cour de se substituer à la justice afin de juger le chef de l'État, mais de se prononcer sur sa capacité à poursuivre son mandat, compte tenu des manquements qui lui sont reprochés.

La destitution est donc conçue comme « une «soupape de sûreté» qui, dans des cas exceptionnels et graves, préserve la continuité de l'État en mettant fin, par des mécanismes présentant toutes garanties, à une situation devenue intenable » 52 ( * ) .

L'Assemblée nationale a apporté des modifications substantielles à ce dispositif, afin d'assurer qu'il ne puisse être utilisé que pour éviter les atteintes à la fonction présidentielle de la part de son titulaire.

1. Le dispositif initial : une procédure de destitution soumise à une majorité simple et assortie d'un empêchement

Dans sa version initiale, le projet de loi constitutionnelle proposait d'inscrire à l'article 68 de la Constitution une procédure de destitution mise en oeuvre par une majorité des membres des deux assemblées et assortie d'une période d'empêchement de deux mois.

a) Une sanction politique prononcée par la représentation nationale

Le premier alinéa de l'article 68 définit en effet une possibilité de destitution du Président de la République, qui ne pourrait intervenir que dans une seule hypothèse.

La dépénalisation de la procédure

S'agissant des faits susceptibles d'entraîner la destitution, le projet de loi constitutionnelle abandonne en effet la notion de haute trahison, que la commission Avril juge « trop incertaine, voire trompeuse puisqu'elle peut donner à penser qu'elle ne vise que le cas d'intelligence avec une puissance étrangère ».

Seul pourrait donc entraîner la destitution du Président de la République un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Ce manquement n'est pas défini par sa nature ou par sa gravité, mais par son caractère inconciliable avec la poursuite du mandat, c'est-à-dire avec la dignité de la fonction.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Didier Maus a souligné que la formulation retenue visait à marquer sans ambiguïté que la destitution n'avait pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République.

De nature non juridictionnelle, la procédure de destitution n'est donc pas liée par le principe de légalité des délits et des peines. Elle ne relève pas non plus des règles du procès équitable définies à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En outre, le manquement peut renvoyer au comportement privé du Président de la République, comme à son comportement politique . La destitution permet en conséquence de dépasser, pour l'appréciation du motif de la sanction, la question de son caractère détachable ou non de l'exercice du mandat.

Aussi l'expression retenue peut-elle paraître imprécise. Comme l'explique M. Guy Carcassonne, « elle l'est effectivement, mais parce qu'elle use du seul critère pertinent - l'incompatibilité avec les devoirs de la charge - qui couvre une variété d'hypothèses telle qu'il serait vain de vouloir en dresser la liste a priori. Sa définition, de plus, ne saurait se réduire au champ du code pénal : un président peut très bien avoir, dans le passé, commis une infraction qui n'emporte pas automatiquement la nécessité de le destituer. En sens inverse, cette nécessité peut surgir alors qu'aucun juge pénal ne serait compétent » 53 ( * ) .

La destitution pourrait ainsi, par exemple, être déclenchée parce que le Président de la République a souhaité mettre en oeuvre l'article 16 de la Constitution alors que les conditions n'étaient pas réunies pour ce faire, ou parce qu'il a refusé de promulguer des lois adoptées par le Parlement, ce qui ne constitue pas une infraction pénale. Le chef de l'État pourrait également être destitué après avoir commis un délit ou un crime, que ce soit avant ou après le début de son mandat.

A titre d'illustration, M. Guy Carcassonne évoque l'hypothèse de la découverte que le Président « a été un ignoble tortionnaire en Algérie. Même s'il y a eu toutes les prescriptions que l'on veut, ou toutes les amnisties, il n'en demeure pas moins que cela pourrait provoquer un émoi tel que l'on pourrait considérer que le Président de la République, ne serait-ce que pour avoir caché un élément aussi important de son passé, a perdu le crédit nécessaire à l'exercice normal des devoirs de sa charge » 54 ( * ) .

Toutefois, l'adverbe « manifestement » vise à « souligner que la reconnaissance de cette incompatibilité doit transcender les clivages partisans habituels, s'imposer pratiquement à tous comme une évidence objective et non à quelques-uns comme une appréciation uniquement politique. Bref, il s'agit bien de ménager une issue à une situation exceptionnelle, et à cela seulement » 55 ( * ) . M. Pascal Clément, garde des sceaux, a également insisté devant votre commission sur la nécessité que le manquement à l'origine de la procédure de destitution ait un caractère scandaleux et flagrant 56 ( * ) .

La destitution s'impose logiquement comme la sanction institutionnelle ou politique d'un manquement portant atteinte à la fonction présidentielle. Le projet de loi constitutionnelle rompt par conséquent avec l'ambiguïté du régime initialement défini par la Constitution de 1958, qui laissait la Haute Cour de justice déterminer souverainement la sanction du Président de la République coupable de haute trahison.

Il établit ainsi une nette distinction entre les champs institutionnel et juridictionnel : après avoir sanctionné l'incompatibilité entre un acte ou un comportement et la poursuite du mandat, la destitution rend le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible des juridictions de droit commun .

La destitution serait par ailleurs un cas de vacance de la présidence de la République, entraînant l'organisation d'une élection dans les conditions définies à l'article 7, cinquième alinéa, de la Constitution. Comme l'indique la commission Avril, cette issue « diminue encore l'hypothèse d'une utilisation partisane de la destitution, car celui qui en serait alors injustement frappé pourrait être candidat à sa propre succession ce qui, en cas de réélection, infligerait à ses censeurs un désaveu qui ne resterait peut-être pas sans conséquence pour eux » 57 ( * ) .

Une sanction prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour

La destitution répondant à une logique politique, elle ne peut être prononcée que par un organe suffisamment légitime pour sanctionner le représentant de la nation. Il s'agit en effet de retirer son mandat à celui qui l'a reçu du peuple français.

Aussi le projet de loi constitutionnelle prévoit-il que « la destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ». Cette option apporte une indéniable cohérence au dispositif, en éliminant l'équivoque d'une Haute Cour de justice dont l'organisation et le fonctionnement s'inspiraient d'une juridiction. Siégeant en Haute Cour, les parlementaires ne seront pas des juges politiques, mais des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

La nouvelle dénomination de « Haute Cour » marque cette volonté de clarification et distingue cet organe du Congrès défini à l'article 89 de la Constitution comme la réunion des deux assemblées statuant en matière de révision.

La commission Avril indique « avoir envisagé, par une référence à la IIIe République et au système américain, que la Haute Cour soit le Sénat [...]. Il lui est apparu que la représentation nationale dans son ensemble devait être associée à une procédure qui la concerne tout entière. Comme, en outre, cet organe ne serait appelé qu'à émettre un seul vote, sur la destitution, un nombre élevé de membres ne présente aucun inconvénient. Ainsi s'est imposée la formule consistant à faire statuer le Parlement tout entier » 58 ( * ) .

b) De la proposition de réunion de la Haute Cour à l'empêchement du Président de la République

La procédure de destitution pourra être indifféremment déclenchée par l'Assemblée nationale et par le Sénat.

Le deuxième alinéa de l'article 68 prévoit en effet que « la proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours ».

Les conditions de dépôt et d'inscription à l'ordre du jour de la proposition de réunion de la Haute Cour sont renvoyées à une loi organique (dernier alinéa de l'article 68). Les conditions d'adoption de la proposition sont définies à l'avant-dernier alinéa de l'article 68, qui prévoit qu'elle devra recueillir l'assentiment de la majorité des membres composant l'assemblée concernée, seuls étant recensés les votes favorables.

A la différence du vote de la Haute Cour sur la destitution 59 ( * ) , le vote des assemblées sur la proposition de réunion de la Haute Cour devra faire l'objet, en l'absence d'indication contraire, d'un scrutin public. Il paraît en effet nécessaire que les parlementaires souhaitant provoquer la saisine de la Haute Cour assument publiquement leur responsabilité 60 ( * ) .

Chacune des deux assemblées est ainsi appelée à se prononcer sur la question de la réunion de la Haute Cour avant de statuer, le cas échéant, sur le principe de la destitution. Dès lors, une assemblée qui n'adopterait pas la proposition transmise par l'autre mettrait un terme à la procédure.

En outre, le délai de quinze jours paraît suffisant pour que la seconde assemblée saisie de la proposition de réunion de la Haute Cour apprécie le caractère manifeste du manquement allégué aux devoirs des Présidents de la République. Il est également assez bref pour que la procédure puisse avancer rapidement en cas d'urgence liée à la nature du manquement invoqué et à la situation qu'il a pu faire naître.

Selon le troisième alinéa de l'article 68 prévu par le texte initial, la décision de réunir la Haute Cour -soit l'adoption de la proposition successivement par les deux assemblées- entraînait l'empêchement du Président de la République.

Il reviendrait alors au Président du Sénat et, s'il était à son tour empêché, au Gouvernement, d'exercer provisoirement les fonctions du Président, conformément à l'article 7, quatrième alinéa, de la Constitution.

Aux termes de cet article, l'autorité chargée de l'intérim des fonctions ne peut cependant prendre l'initiative d'un référendum au titre de l'article 11, ni dissoudre l'Assemblée nationale (article 12).

La Constitution ne prévoit actuellement qu'un cas d'empêchement du Président de la République, qu'il appartient au Conseil constitutionnel de constater, voire de déclarer définitif (article 7, quatrième et cinquième alinéas).

L'empêchement résultant de la décision de réunir la Haute Cour devrait prendre fin au plus tard à l'expiration du délai de deux mois dont dispose cette dernière pour statuer. Pour la commission Avril, la décision de réunir la Haute Cour suffit à porter à l'autorité du Président de la République une atteinte telle que l'empêchement paraît nécessaire.

Ainsi, l'intérim se poursuit jusqu'à l'élection d'un nouveau Président de la République, si la destitution est prononcée, ou, si elle rejetée, le titulaire de la fonction recouvre ses pouvoirs.

c) Les règles d'adoption de la destitution : la majorité absolue des membres du Parlement

Le quatrième alinéa de l'article 68 proposé par le projet initial prévoit que le Président de l'Assemblée nationale assure la présidence de la Haute Cour. Cette solution s'impose compte tenu de l'ensemble du dispositif, qui confie au Président du Sénat l'intérim des fonctions présidentielles. Elle est en outre identique à ce que prévoit l'article 89 de la Constitution pour la présidence du Congrès.

La Haute Cour doit statuer sur la destitution dans les deux mois, à bulletins secrets , sa décision étant d'effet immédiat. Ce délai vise à permettre « à l'intéressé de se faire entendre et de se préparer à cela, tout en évitant que se prolonge l'incertitude sur les institutions » 61 ( * ) .

Le vote à bulletins secrets 62 ( * ) paraît en outre adapté à une décision engageant le fonctionnement des institutions et susceptible de mettre un terme au mandat de la seule autorité politique personnelle émanant du corps électoral national.

Le cinquième alinéa de l'article 68 précise que la décision de réunir la Haute Cour comme la décision de destituer le Président de la République sont prises à la majorité des membres composant l'organe concerné. Dans tous les cas, ne seraient recensés que les votes favorables.

Il s'agit d'éviter ainsi la situation où la majorité absolue ne serait pas atteinte, mais où le résultat du vote montrerait des partisans de la réunion de la Haute Cour ou de la destitution plus nombreux que leurs adversaires, en raison d'un nombre élevé d'abstentions. Comme l'indique le rapport de la commission Avril, « dans une telle situation, certes la procédure prendrait aussitôt fin et le chef de l'Etat ne serait pas destitué, mais son autorité serait à ce point entamée qu'il risquerait de ne plus pouvoir l'imposer normalement ».

A cet égard, le projet de loi constitutionnelle prévoit une condition identique à celle prévue à l'article 49, deuxième alinéa, pour l'adoption d'une motion de censure.

Le dernier alinéa de l'article 68 renvoie à une loi organique la définition des conditions d'application de la procédure de destitution. La commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République avance à cet égard plusieurs propositions. Il s'agirait notamment de prévoir dans la loi organique les modalités de dépôt et de discussion d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour et de déterminer la procédure d'examen, de débat et de vote de la proposition de destitution devant cette dernière.

En partie relative au Sénat, cette loi organique devrait par conséquent, conformément à l'article 46, avant-dernier alinéa, de la Constitution, être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

* 52 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'État, p. 35.

* 53 Guy Carcassonne, Statut présidentiel : la nécessaire réforme, Le Monde, 17 janvier 2007, p. 20.

* 54 Guy Carcassonne, Le statut pénal du chef de l'État, le point de vue du constitutionnaliste, Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 1, mars 2004, p. 144.

* 55 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'Etat, p. 34.

* 56 Cf bulletin des commissions du Sénat, n° 13, 20 janvier 2007, p. 3515.

* 57 Rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, p. 34.

* 58 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, p. 34.

* 59 Article 68, quatrième alinéa, tel qu'il est prévu par le projet de loi constitutionnelle.

* 60 Par ailleurs, le scrutin public facilitera un décompte précis des votes, permettant de constater si la majorité requise, définie par rapport au nombre de membres de l'assemblée, est atteinte.

* 61 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'Etat, p. 36.

* 62 La procédure de vote devra permettre à la fois le recensement des votes favorables et le respect du secret.

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