II. MIEUX DÉTECTER ET SANCTIONNER LES DYSFONCTION-NEMENTS DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE
A. PAR UNE DIFFUSION PLUS LARGE DES RÈGLES DÉONTOLOGIQUES
La commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature définit la déontologie comme « l'étude de l'ensemble des devoirs liés à l'exercice d'une profession » 37 ( * ) .
1. La diffusion des règles déontologiques, des progrès récents, des attentes fortes
A la différence de l'Italie qui fait figure d'exception en Europe 38 ( * ) , il n'existe pas en France un document formalisé regroupant précisément les règles de conduite qui s'imposent aux magistrats. Pour autant, des exigences déontologiques résultent du statut de la magistrature.
Les magistrats judiciaires , avant d'être installés à leur premier poste, sont soumis à l'obligation de prêter serment 39 ( * ) , ce qui implique une adhésion sans faille aux principes qui y sont affirmés. Ainsi, le serment constitue une expression de l'éthique qui doit guider les pratiques professionnelles des magistrats. Toutefois, les obligations qui en découlent, à l'exception du secret des délibérations, renvoient à des engagements très généraux et essentiellement moraux.
Plusieurs dispositions de portée ciblée prévues par le statut apportent d'utiles précisions sur l'orientation du comportement des magistrats -en matière d'incompatibilité 40 ( * ) ou s'agissant du devoir de réserve 41 ( * ) - qui ne sauraient toutefois tenir lieu de guide général.
La faute disciplinaire définie dans le statut de la magistrature complète ce dispositif, exigeant certaines qualités indissociables de la fonction de juger -l'honneur, la délicatesse, la dignité, les devoirs de l'état de magistrat- qui lorsqu'elles font défaut peuvent donner lieu à une sanction disciplinaire 42 ( * ) .
La contribution du Conseil supérieur de la magistrature à la définition d'un corpus de règles déontologiques applicables aux magistrats a été déterminante ces dernières années. Comme l'a relevé cette instance dans sa contribution sur la déontologie des magistrats communiquée à la commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature : « nombre de décisions et avis [...] contiennent ainsi de véritables attendus de principe établissant des principes directeurs et des règles de caractère déontologique, en s'attachant à placer les comportements fautifs des magistrats dans la perspective plus générale de la place de l'institution judiciaire dans la société, de sa crédibilité et de son autorité » 43 ( * ) .
La discipline n'est cependant pas réductible à la déontologie, par essence plus large . En outre, ces deux domaines très imbriqués ne se recoupent pas forcément, la violation d'un principe déontologique n'a pas forcément de traduction sur le plan disciplinaire et une faute disciplinaire n'est pas systématiquement l'expression d'une violation de la déontologie.
Soucieux de rendre le contenu de ses décisions et avis disciplinaires plus accessibles et plus didactiques, le CSM a publié pour la première fois au deuxième semestre 2006 un recueil de sa jurisprudence disciplinaire présentée dans l'ordre chronologique de 1959 à 2005, dans le double objectif de : « permettre aux magistrats de connaître les exigences pratiques de leur état, permettre aux justiciables de connaître les conditions d'un exercice impartial de la justice » 44 ( * ) .
Cette démarche constitue un premier pas vers la formulation expresse de normes de conduite. Une telle évolution apparaît nécessaire pour remédier à l'éparpillement des règles déontologiques légales, jurisprudentielles voire non écrites , favoriser leur diffusion, leur enseignement et ainsi leur connaissance . En outre, la diffusion de règles communes est la contrepartie de l'individualisation parfois excessive constatée dans la magistrature .
Plusieurs instances se sont exprimées en ce sens.
La commission de réflexion sur l'éthique a estimé en novembre 2003 que les magistrats confrontés à des difficultés professionnelles non résolues par des principes explicites, à des questionnements relatifs aux incidences de leurs activités privées sur leur neutralité professionnelle devaient prendre appui sur des références précises en cas de doute sur le comportement à adopter. Elle a ainsi conclu à la « nécessité d'un document pragmatique en forme de recueil des principes déontologiques comprenant, outre les textes législatifs et réglementaires régissant la matière, la présentation analytique et le commentaire dans l'ordre des principes énoncés par le serment exprimé [sous une forme modernisée] des décisions rendues par le Conseil supérieur de la magistrature... » 45 ( * ) .
Cette position s'inscrit dans une réflexion plus large et plus ancienne conduite à l'échelle européenne. En effet, dans un avis de novembre 2002, le Conseil consultatif des juges européens chargé de réfléchir au sein du Conseil de l'Europe sur l'organisation et le fonctionnement de la justice des pays membres a jugé souhaitable de regrouper les règles de conduite des juges communes à l'Europe.
* 37 Page 10 du rapport de cette commission.
* 38 Premier pays à s'être doté d'un code de déontologie, adopté par l'association nationale des magistrats le 7 mai 1994.
* 39 Article 6 de l'ordonnance statutaire : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
* 40 Interdiction du cumul des fonctions judiciaires avec l'exercice de toute fonction publique ou de toute autre activité professionnelle ou salariée (article 8), interdiction d'exercice concomitant d'un mandat parlementaire ou d'élu local (article 9).
* 41 Article 10.
* 42 Article 43 de l'ordonnance statutaire.
* 43 Datée du 2 octobre 2003 et annexée au rapport d'activité pour 2002-2003, page 167.
* 44 Avant-propos du recueil de la jurisprudence disciplinaire du CSM, page 1.
* 45 Page 26 du rapport de cette commission. Proposition n° 2.