C. DÉVELOPPER LA RECHERCHE ET LA TECHNOLOGIE DE DÉFENSE
La maîtrise des capacités technologiques est un enjeu économique et stratégique qui ne peut être sacrifié aux difficultés budgétaires à court terme.
Il apparaît que si l'Union européenne serait sans doute le bon échelon de définition d'une politique de recherche optimale, des obstacles encore nombreux s'y opposent :
- les réticences de nombreux Etats membres, qui rendent illusoire une mutualisation significative des charges ;
- la faiblesse des moyens mis en oeuvre. Sur la période 2004-2006, le budget communautaire consacré à l'agrégat R&T s'est élevé à 65 millions d'euros seulement ;
- les difficultés à coordonner l'action de l'OCCAR et de l'Agence européenne de défense (AED) notamment.
Dans ce contexte, la France doit valoriser ses atouts et soutenir son effort financier dans ce domaine.
Définition et évolution de l'agrégat recherche et technologie
En France, dans le domaine de la défense, on admet fréquemment d'identifier l'agrégat recherche et technologie (R&T) aux études amont , soit les études non dédiées à un programme d'armement spécifique, réalisées en amont des programmes, excluant la recherche fondamentale, les développements et les essais associés, ainsi que les phases ultérieures (industrialisation, production).
La recherche amont comprend ainsi les étapes qui vont de la découverte d'une technologie à sa validation :
- la partie recherche inclut les études technico-opérationnelles, de prospective ou de concept ;
- la partie technologie inclut les démonstrateurs qui permettent de lever les doutes et de valider les technologies étudiées.
Selon cette convention de langage, l'agrégat R&T comprend donc :
- le budget des études amont ;
- le budget des études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel (EOTO) et des études à caractère politico-militaire, économique et social (EPMES) ;
- les subventions versées aux organismes de recherche sous tutelle du ministre de la défense (office national d'études et des recherches aéronautiques - ONERA - et institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis - ISL) ;
- le financement des travaux de recherche fondamentale et relatifs aux nouveaux moyens d'expérimentation et de simulation du commissariat à l'énergie atomique (CEA) ;
- la participation du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement (BCRD) ;
- soit 1.384,3 millions d'euros en 2005.
Le tableau suivant présente l'évolution de l'agrégat entre 1998 et 2005.
L'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) 1997-2002 s'était traduite par un retard important en matière de recherche militaire. Si un montant annuel moyen de 702 millions d'euros était un effet prévu pour la R&T, les crédits de paiement votés en loi de finances initiale se sont élevés en moyenne à 600 millions d'euros et les crédits de paiement consommés ont atteint seulement 526 millions d'euros par an .
Les objectifs de la LPM 2003-2008 en R&T sont plus réduits que lors de la précédente programmation, avec une moyenne annuelle de 647 millions d'euros . La relative modestie des ambitions de l'actuelle loi de programmation militaire s'explique largement par son caractère marqué de « loi de fabrication » . L'exécution pour les deux premiers exercices est en deçà de cet objectif, avec une moyenne de 518 millions d'euros votés par an. Toutefois, la consommation des crédits s'est significativement améliorée, au point que la loi de finances rectificative pour 2003 a ouvert 90 millions d'euros de crédits de paiement pour l'ajustement au besoin, opération renouvelée en 2004 avec 95 millions d'euros de crédits de paiement votés en collectif de fin d'année soit, finalement, 613 millions d'euros consommés .
En 2006, les crédits inscrits en loi de finances initiale ont atteint 601 millions d'euros , et 638 millions d'euros sont prévus en 2007, puis 700 millions d'euros en 2008.
Dans cette perspective, la DGA a intensifié sa politique de démonstrateurs technologiques, avec pour objectif à terme d'en lancer au moins vingt par an . Le démonstrateur technologique est un objet dont la réalisation implique la maîtrise des technologies ou des interactions entre technologies critiques pour l'obtention de certaines performances techniques d'un éventuel système futur. Il permet de valider l'obtention de ces performances par des essais dans un environnement physique représentatif des conditions d'emploi envisagées. Le démonstrateur technologique joue donc un rôle de précurseur de programmes et permet de lever tout ou partie des risques.
Enfin, les démonstrateurs offrent deux avantages considérables :
- ils permettent de mobiliser les industriels et les acteurs publics autour d'un projet fédérateur, tout en offrant des perspectives significatives de coopération à l'échelle européenne ;
- en l'absence de programme d'armement, ils offrent une possibilité d' entretien des compétences à moindre frais dans des secteurs stratégiques.
Si l'on se place du point de vue des quarante capacités technologiques nécessaires retenues par le modèle des capacités technologiques, associé au plan prospectif à trente ans, l'analyse menée par la DGA a permis d'identifier des retards principalement dans les domaines suivants :
- l'observation et les télécommunications spatiales ;
- le guidage et la navigation de précision, en particulier assistés par satellite ;
- la défense antimissile balistique à longue portée (interception exo-atmosphérique) ;
- les aéronefs de combat ;
- l'architecture et la sécurité des systèmes d'information.
Une étude plus fine a ensuite été effectuée à partir de 500 à 600 lignes technologiques sous-tendant les quarante capacités technologiques précitées.
Dans 24 % des cas, la France occupe une position égale ou supérieure aux Etats-Unis et dans 35 % des cas son retard n'excède pas deux à trois ans, soit un niveau limité. Il reste que, dans 41 % des cas, le retard dépasse cinq ans et un éventuel rattrapage devient problématique . Les domaines concernés sont notamment les composants hyperfréquences de puissance, les micro-systèmes électro-mécaniques, les technologies radars à dominante numérique, les sources laser embarquées de moyenne et haute énergie, certains aspects des biotechnologies et la lutte informatique défensive. Il doit être parfaitement clair que la France (voire l'Europe) ne peut être présente sur tous les créneaux, ce qui conduirait à un saupoudrage totalement inefficace des crédits.
La France doit donc valoriser ses atouts :
- en rénovant ses outils de prospective, notamment le PP30, qui doit s'écarter des programmes d'armement en cours et de la tentation de se focaliser sur la réalisation de produits pour mieux anticiper les enjeux de la R&T fondamentale. Il faut que les ruptures technologiques soient mieux appréhendées. Le PP30 doit être plus prospectif qu'il ne l'est actuellement ;
- en soutenant le tissu d'établissements publics créés pour les besoins militaires (ONERA, DAM du CEA, etc.) dans leur politique de réforme qui les conduit à mieux s'associer avec le monde industriel, pour des raisons budgétaires (60 % des ressources de l'ONERA viennent de contrats de recherche et 40 % de subventions) et pour favoriser les synergies entre recherche privée et recherche publique, notamment dans les secteurs des télécommunications, ou du secteur spatial ou la dualité de la R&T est avérée ;
- en accélérant la réforme de la DGA , qui a perdu, depuis 1997, une bonne part de sa capacité d'impulsion et d'expertise en R&T. La mise en place de la mission pour la recherche et l'innovation scientifique au sein de la DGA doit être soutenue, ainsi que l'élaboration du document de « politique et d'objectifs scientifiques », essentiel à la définition stratégique de R&T en France. La DGA ne peut être un simple gestionnaire des contrats militaires en cours, elle doit renforcer son rôle d'expertise scientifique et technologique car l'Etat a besoin, face à des groupes industriels internationaux, d'une réelle capacité d'évaluation des propositions, marchés et produits dans ce secteur ;
- en favorisant l'innovation technologique , ce qui implique trois choses :
• ne pas
réduire le niveau de financement public de la R&T. Les grandes
entreprises qui se sont vu confier 63 % des études amont en 2003
ont un rôle majeur en matière de recherche, elles sont
paradoxalement dans une position relativement fragile et les estimations
économiques dans ce secteur démontrent que la manne publique leur
est indispensable ;
•
favoriser
l'accès direct des PME-PMI à la R&T
. Les
procédures des propositions non sollicitées et des appels
à projet mises en place par la DGA ont montré leur limite.
Alors qu'aux Etats-Unis
les
PME-PMI
représentent 40 % des contrats de recherche de défense et
sécurité, elles n'en sont qu'à 5 à 10 % en
France
(selon que l'on intègre ou non les filiales des grands
groupes d'armement). La procédure de « recherche exploratoire
et d'innovation mise en place par la DGA pour faciliter l'accès des PME
aux recherches de défense, va dans le sens d'une plus grande souplesse.
Toutefois, il est essentiel, dans ce domaine, que l'Etat tienne ses engagements
en temps et en heure, les PME-PMI n'ayant pas la surface financière
suffisante pour attendre le terme de longues procédures. La perspective
d'encadrement des délais de réponse et de contractualisation de
la DGA (3 et 6 mois) semble aller dans le bon sens ;
- développer la complémentarité des acteurs de R&T. Il faut inciter les industriels de l'armement à s'associer aux PME-PMI innovantes afin de faciliter l'accès indirect de ces dernières aux marchés de défense. Il faut également renforcer les partenariats entre la DGA et les établissements publics de R&T qui disposent d'une expertise et d'un partenariat qu'elle n'a pas. Ce type de partenariat doit être encouragé à l'image de celui passé entre la DGA et l'ONERA pour la gestion de concours de drone miniature.