II. LE CHOIX PRAGMATIQUE DU PRÉSENT PROJET DE LOI : UN MEILLEUR GOUVERNEMENT D'ENTREPRISE ET LA PRÉSERVATION DES MOYENS DE DÉFENSE
A. LA QUESTION DÉTERMINANTE DE LA CONTESTABILITÉ DU CONTRÔLE
Les débats sur la légitimité et les modalités de mise en oeuvre des mesures de défense comme sur l'égalité des conditions de jeu posent la question centrale de la prise de contrôle de sociétés cotées, dont le capital est soumis au libre jeu du marché.
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte , tels que le principe de libre jeu des offres et des surenchères, les liens entre l'intérêt social et l'intérêt des actionnaires, l'équilibre des pouvoirs au sein de l'entreprise, la liberté statutaire ou la transparence des opérations financières, destinée notamment à prévenir les délits d'initié et les manipulations de cours.
On peut en tout état de cause considérer que le changement de contrôle et le caractère agressif d'une OPA n'ont pas nécessairement des effets négatifs pour l'actionnaire 20 ( * ) , car ils peuvent remettre en cause une mauvaise gestion de la société, et in fine accroître la valeur de la cible.
Les réglementations américaine et britannique apportent deux réponses différentes alors que la structure du capital y est similaire , c'est-à-dire en général dispersée. Le droit américain octroie ainsi de réelles marges de manoeuvre aux dirigeants pour prendre des mesures anti OPA (cf. encadré ci-dessous), tandis que le droit britannique et la Financial Services Authority se montrent plus stricts. La souveraineté de l'organe de direction aux Etats-Unis est néanmoins contre-balancée par une responsabilité plus élevée des dirigeants, susceptibles d'être mise en cause tant sur le plan pénal (en application notamment des récentes dispositions de la Section 302 21 ( * ) et du titre IX de la loi « Sarbanes-Oxley ») que par une action collective aux conséquences financières potentiellement importantes.
Les défenses anti OPA aux Etats-Unis La liberté laissée aux Etats-Unis aux organes d'administration et de direction permet à ceux-ci d'organiser des systèmes de défense élaborés et variés. On peut ainsi trouver les mesures suivantes : - le « chevalier blanc » (« white knight ») : il s'agit du « sauveur » de l'entreprise attaquée, qui contribue à sa défense et au besoin procède à une offre concurrente ; - la défense « Pacman » : dans un retournement de situation, la cible lance à son tour une OPA sur l'initiateur. Ce mode de défense avait été utilisé sans succès par Elf à l'encontre de TotalFina en 1999 ; - l'option sur les « joyaux de la couronne » (« crown jewels option ») : la cible cède à un tiers, pendant l'offre, ses actifs stratégiques, afin de rendre l'offre initiale sans intérêt pour l'initiateur ; - les « conseils d'administration échelonnés » (« staggered board ») : les statuts organisent le rythme du renouvellement du conseil d'administration, par exemple un tiers des membres par an, de façon à retarder la prise de contrôle du conseil par un tiers ; - le vote à la supermajorité : les statuts de la cible stipulent que certaines opérations, notamment de rapprochement avec un actionnaire important de la société, exigent une majorité qualifiée du conseil d'administration. Les statuts prévoient parfois que seuls les administrateurs anciens, c'est-à-dire nommés avant la montée en puissance de l'actionnaire considéré, peuvent participer à ce vote. Les règles de majorité qualifiée peuvent également s'appliquer à l'assemblée générale des actionnaires ; - le « droit de vote de seconde classe » (« dual class capitalization ») : certaines sociétés ont prévu que l'exercice des droits de vote attachés aux actions détenues par un actionnaire ayant franchi un seuil déterminé est conditionné par un vote des autres actionnaires. Une variété consiste à prévoir un droit de vote dégressif en fonction de l'importance de la participation détenue (« scale voting provisions ») ; - les droits de souscription à prix préférentiel (« rights plans ») : figurant au rang des « pilules empoisonnées » et fréquemment utilisés, ils comportent l'attribution de droits de souscription à tous les actionnaires de la société. Ces droits ont une durée de cinq à dix ans et peuvent être exercés à des conditions prohibitives (par exemple deux fois le cours de bourse), impliquant qu'ils ne soient pas exercés en temps normal. Si un actionnaire franchit, pendant la durée de vie du plan, un seuil de participation déterminé, les droits qu'ils détenaient éventuellement sont annulés, et les droits des autres actionnaires peuvent devenir exerçables à des conditions de prix très avantageuses, différentes de celles initialement prévues. L'attaquant, s'il souhaite éviter le risque d'une dilution considérable de sa participation et donc un renchérissement de l'offre, ne trouve dès lors une issue qu'en tentant de négocier avec le conseil d'administration le désamorçage des plans. Source : Droit des sociétés - MM. Maurice Cozian, Alain Viandier et Mme Florence Deboissy - Editions Litec août 2003 |
* 20 Cf. Mme Joëlle Simon, op. cit.
* 21 Sur la responsabilité du directeur général et du directeur financier au regard de la certification des états financiers.