Rapport n° 15 (2005-2006) de M. Daniel GOULET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 12 octobre 2005
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INTRODUCTION
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I. ORIGINE ET OBJECTIFS DE LA CHARTE
EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE
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II. LES PRINCIPES PRESCRITS PAR LA CHARTE
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A. DES PRINCIPES RESPECTUEUX DE LA DIVERSITÉ
DES ETATS
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1. Les garanties législatives et
constitutionnelles de l'autonomie locale (article 2)
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2. L'élection des conseils locaux (article
3)
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3. Des compétences préservées
et adaptables (articles 4, 8 et 11)
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4. Des moyens en adéquation avec les
compétences (articles 6, 7 et 9)
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5. La coopération entre collectivités
(article 10)
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1. Les garanties législatives et
constitutionnelles de l'autonomie locale (article 2)
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B. UNE POSSIBILITÉ D'ACCEPTATION
PROGRESSIVE
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C. UN SYSTÈME DE CONTRÔLE NON
JURIDICTIONNEL
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A. DES PRINCIPES RESPECTUEUX DE LA DIVERSITÉ
DES ETATS
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III. LE LONG PARCOURS DE LA RATIFICATION
FRANÇAISE
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I. ORIGINE ET OBJECTIFS DE LA CHARTE
EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE
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CONCLUSION
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PROJET DE LOI
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EXAMEN EN COMMISSION
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ANNEXE I - ETAT DES RATIFICATIONS
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ANNEXE II - ETUDE D'IMPACT
N° 15
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 octobre 2005 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de la Charte européenne de l' autonomie locale , adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985,
Par M. Daniel GOULET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.
Voir le numéro :
Sénat : 92 (2004-2005)
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le 15 octobre 1985 à Strasbourg, notre pays figurait au nombre des premiers Etats signataires de la Charte européenne de l'autonomie locale, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe, à l'initiative de la Conférence des pouvoirs locaux et régionaux en Europe. Seules quatre ratifications étaient nécessaires à l'entrée en vigueur de ce texte, effective le 1 er septembre 1988.
Près de 20 ans plus tard, la France est cependant le seul Etat signataire à ne pas avoir ratifié ce texte, avec la Serbie Monténégro, dont la signature est intervenue le 26 juin 2005.
L'organisation administrative française, après les réformes de décentralisation menées à partir de 1982, semblait globalement conforme à l'esprit de la Charte et à ses prescriptions, définissant à grands traits les conditions d'une « démocratie de proximité ».
Interrogé en 1991 par le Gouvernement, le Conseil d'Etat concluait cependant à une incompatibilité de la ratification du texte avec l'ordre juridique interne.
L'approfondissement de la décentralisation, réalisé par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République, puis par la loi du 13 août 2004 relative aux responsabilités locales, met désormais notre pays en totale conformité avec les prescriptions de la Charte, le plaçant même sur certains points à l'avant-garde en matière de décentralisation.
Aucun obstacle - si l'on considère qu'il y en avait de véritables - ne s'élève donc plus pour la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale que le projet de loi, soumis à l'approbation du Sénat, tend à autoriser.
I. ORIGINE ET OBJECTIFS DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE
La Charte européenne de l'autonomie locale tire ses origines dans les travaux de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d'Europe, organe consultatif du Conseil de l'Europe, composé de représentants des collectivités territoriales des Etats membres et devenu, en 1994, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
Elle a été ouverte à la signature le 15 octobre 1985, à l'issue de cinq ans de travaux préparatoires.
La Charte est fondée sur deux considérations principales : l'action publique est plus efficace quand les décisions sont prises au niveau pertinent, selon un principe de « subsidiarité infra étatique », et elle est aussi plus légitime lorsque la responsabilité des élus s'exerce au plus près des citoyens.
Ainsi que l'affirme le préambule de la Charte, la participation des citoyens aux affaires publiques « suppose l'existence de collectivités locales dotées d'organes de décision démocratiquement constitués et bénéficiant d'une large autonomie quant aux compétences, aux modalités d'exercice de ces dernières et aux moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission ». Le texte de la Charte décline cette série de conditions en formulant des grands principes sans toutefois prescrire de solutions imposées en matière d'organisation administrative.
Les collectivités territoriales des différents Etats signataires disposent ainsi de degrés d'autonomie variés et de compétences plus ou moins élargies.
Le terme « d'autonomie » présent dans le titre de la Charte et défini par le « Robert », de façon fidèle à l'étymologie, comme « le droit de se gouverner par ses propres lois » ne doit pas tromper, la Charte le définit, dans son article 3, comme « le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi , sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». La Charte ne vise donc pas à l'attribution d'une délégation de pouvoir législatif aux collectivités territoriales, mais à garantir, selon l'expression privilégiée par le droit français « la libre administration des collectivités locales », à protéger les collectivités locales dans leurs compétences et dans leurs moyens.
Il convient également de préciser que la Charte ne vise pas à la reconnaissance de collectivités sur un mode communautaire mais bien sur un fondement territorial, en pleine conformité avec la conception française de l'organisation de l'Etat.
II. LES PRINCIPES PRESCRITS PAR LA CHARTE
A. DES PRINCIPES RESPECTUEUX DE LA DIVERSITÉ DES ETATS
Il revient au législateur de chaque Etat signataire de mettre en oeuvre les principes de la Charte, ce qui assure sa compatibilité avec la diversité des organisations administratives décentralisées en Europe.
La première partie décline une série de principes.
1. Les garanties législatives et constitutionnelles de l'autonomie locale (article 2)
Dans son article 2, la Charte prévoit la reconnaissance du principe de l'autonomie locale par la loi et « autant que possible » au niveau constitutionnel.
Evoquée en termes laconiques par la Constitution française avant la révision de mars 2003, la décentralisation est désormais consacrée par l'article 1 er et fait l'objet d'un titre XII, « des collectivités territoriales » particulièrement développé.
D'une façon plus générale, la Charte prévoit que les restrictions apportées à la libre administration des collectivités locales doivent être prévues par la loi.
C'est le cas de la définition des compétences de base des collectivités locales (article 4), de la limitation par une autre autorité des compétences confiées aux collectivités locales (article 4), des conditions d'incompatibilité avec les mandats locaux (article 7), du contrôle administratif des actes des collectivités locales (article 8), de l'encadrement du pouvoir le fixer le taux des impôts locaux (article 9) ou encore des conditions de la coopération entre collectivités (article 10).
2. L'élection des conseils locaux (article 3)
L'élection des conseils locaux au suffrage universel direct pour la gestion des affaires publiques au niveau local est l'une des stipulations les plus précises de la Charte.
La responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales est évoquée par le texte mais son caractère obligatoire peut faire débat. La formulation « pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux » invite à considérer le principe de la responsabilité comme une faculté. Notre pays a souhaité préciser, par une déclaration interprétative, que c'est bien ainsi qu'il entendait cette stipulation. La responsabilité de l'exécutif devant l'assemblée locale est en effet l'exception au sein des collectivités territoriales françaises et ne concerne, en métropole, que la collectivité territoriale de Corse, dont le conseil exécutif est responsable devant l'Assemblée, selon le dispositif de la motion de défiance constructive.
3. Des compétences préservées et adaptables (articles 4, 8 et 11)
L'article 4 de la Charte définit les principes applicables aux compétences des collectivités locales.
Il prévoit que ces dernières, si elles jouissent de compétences d'attribution, doivent pouvoir développer des initiatives dans les domaines qui ne sont pas explicitement exclus de leur compétence ou attribués à une autre collectivité.
Il établit un principe de subsidiarité (« l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens » ) dans l'attribution des compétences qui doivent être « pleines et entières », en écho à l'article 3, alinéa 1, qui prévoit que les collectivités locales doivent régler et gérer une « part importante » des affaires publiques. Il prévoit que toute limitation de compétence doit être prévue par la loi.
De même, sont évoqués les cas de délégation de pouvoir par une autorité centrale ou régionale, en précisant que les collectivités territoriales doivent, dans ce cas, pouvoir adapter l'exercice des délégations aux conditions locales.
L`article 8 de la Charte relatif au contrôle administratif des actes des collectivités locales, prévoit qu'il doit se borner au strict contrôle de légalité, réservant le contrôle éventuel de l'opportunité aux seuls actes pris pour l'exécution de tâches déléguées par d'autres autorités.
Pour apporter une garantie juridictionnelle au libre exercice des compétences des collectivités locales, l'article 11 de la Charte prévoit un droit de recours pour assurer le respect des principes d'autonomie locale.
4. Des moyens en adéquation avec les compétences (articles 6, 7 et 9)
La Charte aborde la question des moyens des collectivités locales sous trois angles : l'organisation et les ressources humaines, le statut des élus locaux et les ressources financières.
Elle prévoit dans son article 6 la possibilité pour les collectivités locales de décider de l'organisation de leurs structures administratives internes et de bénéficier de ressources humaines de qualité.
L'article 7 est relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux ; il stipule que « le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat » et prévoit l'indemnisation des frais liés à l'exercice du mandat ainsi qu'une couverture sociale correspondante.
La Charte consacre des développements importants, dans son article 9, au sujet crucial des ressources financières des collectivités locales.
Elle prévoit que les collectivités locales doivent pouvoir disposer librement de leurs ressources et que les subventions ne doivent pas être attribuées à des projets précis.
L'article 9 pose le principe de ressources propres, proportionnées aux compétences et provenant pour partie de redevances ou d'impôts dont les collectivités locales ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites prévues par la loi.
Sur ce dernier point, la Constitution française va au delà des prescriptions de la Charte en précisant, dans son article 72-2, que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».
La Charte recommande également le caractère diversifié et évolutif de la provenance des ressources financières afin de garantir l'adaptation des ressources à l'évolution réelle des coûts liés à l'exercice des compétences. Le transfert de ressources fiscales relativement rigides ou peu dynamiques peut constituer un handicap pour le financement des collectivités territoriales, l'évolution des ressources propres ne suivant pas toujours celle des coûts.
L'article 9 introduit dans la Charte le principe de la péréquation financière au bénéfice des collectivités défavorisées par l'inégale répartition des financements.
Il prévoit enfin l'accès des collectivités locales au marché national des capitaux, pour le financement de leurs dépenses d'investissement.
5. La coopération entre collectivités (article 10)
L'article 10 traite de la coopération entre collectivités territoriales sous ses trois aspects :
- la coopération entre collectivités pour « la réalisation de tâches d'intérêt commun » qui se traduit notamment en France par la coopération intercommunale ;
- l'association avec d'autres collectivités, au niveau national ou international, pour la promotion d'intérêts communs ;
- la coopération avec les collectivités d'autres Etats qui se traduit, dans notre pays par la coopération transfrontalière avec des collectivités voisines et par la coopération dite « décentralisée » dans les Etats en développement.
B. UNE POSSIBILITÉ D'ACCEPTATION PROGRESSIVE
La première partie de la Charte comporte onze articles et trente paragraphes.
Aux termes de l'article 12, faculté est laissée aux Parties de ne se considérer comme liées par un minimum de vingt paragraphes dont la moitié doit être choisie parmi une sélection de quatorze paragraphes.
Les articles de la Charte peuvent ainsi faire l'objet d'une acceptation progressive.
La France n'assortit pas sa ratification de telles options dans la mesure où aucune des stipulations de la Charte n'a été jugée incompatible avec son droit positif.
C. UN SYSTÈME DE CONTRÔLE NON JURIDICTIONNEL
A la différence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Charte européenne de l'autonomie locale n'est pas assortie d'un dispositif de contrôle juridictionnel.
Le mécanisme de suivi de la Charte repose sur un contrôle politique, réalisé par des élus locaux, et sur un dialogue avec les Etats membres pour améliorer la mise en oeuvre du texte.
Le dispositif de suivi s'appuie sur l'article 14 qui prévoit que chaque partie doit transmettre au secrétariat général du Conseil « toute information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prise dans le but de se conformer aux termes de la Charte »
Sur le fondement de l'article 14, l'application de la Charte est suivie par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, organe composé d'élus locaux et régionaux nommés par les gouvernements des Etats membres, et en particulier par un groupe de travail, assisté dans cette tâche par un groupe d`experts indépendants.
Ce suivi donne lieu à la publication de plusieurs types de rapports.
Des rapports généraux, issus de travaux décidés par le Congrès, traitent de questions transversales : les premiers ont ainsi été consacrés à l'applicabilité de la Charte, aux relations entre les autorités centrales et les collectivités locales ou régionales, ou encore à la question des ressources financières.
Des rapports particuliers portant sur des « réclamations » spécifiques peuvent également être réalisés.
L'examen de la situation locale d'Etats signataires fait également l'objet de rapports particuliers, l'objectif étant que la situation de chaque Etat puisse faire l'objet d'un tel rapport.
Ces rapports peuvent déboucher sur des recommandations adoptées par le Congrès et donnant lieu à un échange avec le conseil des ministres
Dans le cadre de la préparation du premier rapport transversal, un document de travail analysait la situation française. Tout en relevant les points de divergence entre le droit français et les stipulations de la Charte et en reconnaissant que certaines de ses dispositions comportaient des ambiguïtés ou des incertitudes sur leur portée effective, les analyses relatives à la France notaient : « ce ne sont pas ces divergences, qui relèvent pour la plupart du détail et qui ne sont au demeurant pas insurmontables qui peuvent justifier une position défavorable à la ratification de la Charte ».
Un rapport particulier sur la situation locale en France, réalisé en 2000 1 ( * ) dresse un bilan du processus de décentralisation français avant d'évoquer, en deuxième partie, « une décentralisation inachevée dans un climat d'incertitudes perçu comme recentralisateur ». Il souligne ainsi un certain enchevêtrement des compétences, s'interroge sur les conséquences du développement des structures de coopération intercommunale et, surtout, sur l'érosion de la fiscalité locale. Sur ce dernier point, citant le quatrième rapport de contrôle de l'application de la Charte sur les ressources financières des autorités locales par rapport à leurs compétences 2 ( * ) , le rapport souligne que la France se situe largement au dessus de la moyenne des Etats du Conseil de l'Europe pour ce qui concerne la fiscalité propre (42 % des ressources contre 25,7 %) mais que la tendance est à « l'étatisation de la fiscalité locale » par le biais de la multiplication de mesures, « réduction de l'assiette fiscale, dégrèvement d'impôt, exonération de certains contribuables, plafonnement des taux », dont la compensation représente plus de 25 % de la fiscalité locale directe et font de l'Etat « le premier contribuable local ». Le rapport évoque en conclusion les débats en cours sur l'approfondissement de la décentralisation, qui ont donné lieu, depuis, à des réformes de nature à répondre aux observations formulées.
III. LE LONG PARCOURS DE LA RATIFICATION FRANÇAISE
A. L'AVIS NÉGATIF DU CONSEIL D'ETAT EN 1991
Saisi du projet de loi d'approbation de la Charte, le Conseil d'Etat a rendu un avis négatif, le 15 décembre 1991, pour deux motifs principaux : l'ambiguïté de certaines stipulations ou leur incompatibilité avec le droit français.
La portée de certains paragraphes des articles 4 (portée de l'autonomie locale), 7 (compensation des frais entraînés par l'exercice des mandats), 9 (ressources financières propres des collectivités locales) et 10 (droit d'association des collectivités locales) est ainsi considérée comme étant de nature à susciter des contentieux. « L'examen attentif des stipulations de la charte fait, en effet, apparaître que celle-ci comporte en réalité soit des ambiguïtés qui seront source de revendications inutiles, voire de contentieux avec tous les aléas que celui-ci suscite en longue période, soit des règles différentes de celles qui régissent actuellement les collectivités locales, ce qui implique des modifications aux textes en vigueur, alors qu'aucune nécessité ne justifie ces modifications ».
Le paragraphe 2 de l'article 3, relatif aux conseils locaux, à leur mode d'élection et à la possibilité de la responsabilité des exécutifs locaux, interprété au sens strict, est en contradiction avec la pratique française où la responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales est l'exception, concernant des collectivités à statut spécifique.
Plus généralement, le Conseil d'Etat a considéré que les différentes réformes menées en France en matière de décentralisation avaient permis de parvenir à un équilibre et à un consensus qu'il convenait de préserver.
Le souci de ne pas porter atteinte à la marge de manoeuvre de notre pays dans ses choix d'organisation interne suscitait enfin, la réticence de la juridiction administrative : « s'agissant d'un domaine qui touche, de manière essentielle et durable aux institutions de la République, il n'y a lieu de limiter les pouvoirs du Parlement, par la voie d'engagements internationaux qu'avec une très grande prudence et pour des motifs impérieux ».
Cette volonté d'indépendance s'appuie, selon les termes du Conseil d'Etat, sur une « longue tradition » en matière d'autonomie locale. Ainsi que le soulignent les documents préparatoires du conseil de l'Europe précédemment évoqués : « il reste que la voie française vers la décentralisation est marquée par des facteurs politiques et sociaux essentiellement nationaux, sans que les influences extérieures aient joué un grand rôle » .
Les évolutions françaises en matière de décentralisation répondent à des logiques propres et ont notamment conduit à une formulation différente de certaines notions. On peut ainsi considérer que le droit français était conforme, sinon à la lettre, du moins à l'esprit de la Charte.
B. LES RÉFORMES LÉGISLATIVES ET CONSTITUTIONNELLE
Les réserves suscitées par la Charte ont été progressivement levées par les nombreux textes relatifs aux collectivités locales adoptés depuis 1991, par l'évolution des pratiques et de la jurisprudence.
Il en va ainsi du principe de consultation des collectivités territoriales pour toutes les questions les concernant, des garanties apportées dans le domaine du statut de l'élu, du développement de la coopération intercommunale et de la coopération décentralisée.
Dans son rapport de 2000, le Congrès des pouvoirs locaux notait : « Le droit français répond à la plupart des exigences de la Charte et sa ratification ne supposerait aucun bouleversement du régime actuel des collectivités territoriales. Certaines de ses dispositions sont même parfois plus protectrices que les dispositions de la Charte ou s'harmonisent parfaitement avec elles depuis les lois de décentralisation ».
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre le caractère décentralisé de l'organisation de la République française et apporte des garanties en matière financière.
En conformité avec les principes de la charte, la réforme a développé et précisé les dispositions constitutionnelles relatives aux collectivités territoriales en inscrivant dans la constitution, le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation, le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre et celui de l'autonomie financière.
C'est en matière financière que le risque d'atteinte à l'autonomie locale se manifeste le plus concrètement sous la forme de modifications de la fiscalité locale qui peuvent conduire à la diminution de la part des ressources fiscales dans les ressources des collectivités territoriales ou à des transferts de compétences insuffisamment compensés par des transferts financiers. En matière financière, les notions de ressources propres, et de compensation des charges sont présentes dans la Constitution de façon suffisamment précise pour offrir de véritables garanties. La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales complète et détaille les dispositions constitutionnelles.
La décentralisation française se situe désormais bien au delà des prescriptions de la charte, comme en témoigne le caractère succinct de l'étude d'impact transmise par le Gouvernement, qui souligne que « l'entrée en vigueur en France de la Charte européenne ne nécessitera aucune modification du droit existant » et qui précise que le recours au droit d'option entre différentes obligations prévues par la Charte est inutile.
C. LES DÉCLARATIONS INTERPRÉTATIVES
Notre pays a cependant assorti sa ratification de déclarations interprétatives qui visent à préciser le sens que la France entend donner à des formulations de la Charte qui laissent place à l'ambiguïté.
Pour ce qui concerne le champ d'application de la Charte, qui
concerne au premier chef les communes mais peut être étendue
à d'autres collectivités, la France a choisi d'appliquer le texte
à toutes ses collectivités et vise les articles de la
Constitution qui y font précisément
référence : «
Conformément à
l'article 13, les collectivités locales et régionales auxquelles
s'appliquent la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent
aux articles 72,73,74 et au titre XIII de la Constitution ou qui sont
créées sur leur fondement.
La République
française considère en conséquence que les
établissements publics de coopération intercommunale, qui ne
constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son
champ d'application
».
Cette formulation permet de ménager de possibles évolutions du statut des collectivités d'outre mer ou des établissements publics de coopération intercommunale dont l'évolution vers le statut de collectivités territoriales a été envisagé à plusieurs reprises.
La deuxième déclaration interprétative a trait à une des stipulations de la Charte jugée problématique dès l'origine, la responsabilité des exécutifs devant les conseils locaux. Elle précise que le mot « pouvant » doit être entendu comme une faculté et non comme une obligation.
La troisième déclaration interprétative a pour objet de préciser la conception française de la notion de péréquation évoquée à l'article 9 de la Charte. La Charte précise, au dernier alinéa de l'article 9 : « de telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur domaine de responsabilité ». L'article 72 - 2 de la Constitution dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». La déclaration interprétative précise : « en ce qui concerne la deuxième phrase du paragraphe 5 de l'article 9, la République française considère que les mesures de péréquation des ressources fiscales inégalement réparties entre les collectivités locales peuvent être mises en place, dès lors que lesdites mesures sont définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et n'ont pas pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».
CONCLUSION
Le long parcours de la ratification française de la Charte européenne de l'autonomie locale traduit une certaine réticence de notre pays à modifier son organisation politique interne sous l'influence d'engagements internationaux, en vue d'objectifs qui, bien qu'acceptés sur le fond, sont perçus, dans la forme, comme imposés.
L'approfondissement récent de la décentralisation française lève tout obstacle à la ratification d'un engagement souscrit il y a plus de vingt ans et soutenu de longue date par le Sénat. Les travaux du colloque de juin 2001 organisé avec le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe « la décentralisation française vue d'Europe » ont ainsi marqué, dès juin 2001, l'engagement du Sénat, et singulièrement de son président Christian Poncelet, en faveur de la ratification de ce texte qui constitue le seul instrument juridique international relatif à l'autonomie locale.
Cette ratification devrait mettre fin à des situations paradoxales. Notre pays participe activement au renforcement des capacités institutionnelles de pays partenaires, en recommandant notamment la mise en oeuvre des principes présents dans la Charte, tout en paraissant vouloir s'affranchir de ces obligations pour lui-même.
C'est pourquoi votre commission vous demande de bien vouloir approuver le présent projet de loi.
PROJET DE LOI
(Texte proposé par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, et dont le texte est annexé à la présente loi. 3 ( * )
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 12 octobre 2005.
A la suite de l'exposé du rapporteur, Mme Maryse Bergé-Lavigne a fait part de sa profonde réticence devant le terme d' « autonomie », figurant dans le titre de la Charte. Evoquant les communautés autonomes espagnoles, où l'autonomie se traduit parfois par le développement de particularismes, elle s'est déclarée profondément attachée à l'idée de service public et d'égalité territoriale.
M. Daniel Goulet, rapporteur, a reconnu que la Charte pouvait soulever des questions de vocabulaire, le terme d' « autonomie » évoquant souvent en français la délégation de capacité législative. Ce terme désigne en fait ce qu'il est convenu d'appeler en France « la libre administration des collectivités territoriales » et ne prescrit en rien l'adoption d'un modèle de type espagnol.
M. Robert Bret a considéré que la situation des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) était paradoxale au regard de la Charte. Si les compétences des communes doivent être pleines et entières, comment qualifier une situation où leurs compétences et leurs finances ont été transférées à d'autres entités, avec une intégration quasi forcée de certains maires ? Il a estimé qu'il s'agissait là d'une question de fond sur l'organisation administrative française.
M. Daniel Goulet, rapporteur, a considéré que cette question ne se posait pas dans les mêmes termes dans d'autres pays, et que la Charte était particulièrement protectrice à l'égard des communes.
La commission a alors adopté le projet de loi, Mme Maryse Bergé-Lavigne s'abstenant, et les commissaires membres du groupe communiste républicain et citoyen réservant leur vote.
ANNEXE I - ETAT DES RATIFICATIONS
Situation au 7/10/2005 Etats membres du Conseil de l'Europe
Renvois
:a.: Adhésion - s.: Signature
sans réserve de ratification - su.: Succession - r.: signature "ad
referendum".
Source : Bureau des Traités sur http://conventions.coe.int |
ANNEXE II - ETUDE D'IMPACT4 ( * )
L'entrée en vigueur en France de la Charte européenne de l'autonomie locale ne nécessitera aucune modification du droit existant.
En effet, la Charte, tant dans sa lettre que dans son esprit, s'emploie à rappeler le respect des cultures politiques et juridiques nationales pour les articuler avec un corpus de dispositions minimales dont certaines étaient déjà appliquées en droit français en 1985 et d'autres le sont devenues depuis lors, rendant inutile le recours au droit d'option prévu à l'article 12.
Désormais, le détail des articles de la Charte, auxquels font écho les dispositions de l'article 72 de la Constitution, largement enrichi par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, correspond au droit des collectivités territoriales françaises.
Ainsi en est-il de l'article 4 et singulièrement de ses paragraphes 3, 4 et 6.
Le principe de subsidiarité a été introduit à l'article 72 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, et quand bien même le paragraphe 3 comporte des critères plus précis que le texte constitutionnel, les termes « de façon générale » et « de préférence », sont de nature à atténuer considérablement la portée normative de ces prescriptions.
La notion de « blocs de compétences » figure au deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution et constitue un principe fondamental du projet de loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, qui sera prochainement examiné en deuxième lecture au Sénat. En outre, les quatrième et cinquième alinéas du même article 72 fixent le principe de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre tout en réservant à la loi la possibilité de prévoir par voie d'expérimentation encadrée dans son objet et sa durée (ayant fait l'objet de la loi organique du 1 er août 2003 relative à l'expérimentation), des modulations dans l'exercice des compétences respectives des collectivités, ainsi que la possibilité de prévoir la coordination par une collectivité territoriale d'actions communes à plusieurs niveaux de collectivité.
Le principe de consultation des collectivités territoriales pour toutes les questions les concernant directement correspond, quant à lui, à une pratique désormais ancrée dans les processus législatifs, notamment sous l'influence du droit communautaire. Ainsi, l'élaboration du projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales a été précédée d'une large concertation, organisée sous la forme d'assises régionales, des collectivités territoriales et des associations d'élus locaux.
Il en est de même concernant l'article 7 de la Charte auquel font écho les dispositions relatives au statut de l'élu et aux garanties relatives à l'exercice de son mandat, figurant notamment dans la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.
L'article 9 de la Charte est désormais vidé des risques de contentieux évoqués par le Conseil d'Etat en 1991, notamment par les dispositions du nouvel article 72-2 de la Constitution, qui consacre le principe de péréquation fiscale, ainsi que par les dispositions financières prévues dans le projet de loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, une prochaine loi organique sur les finances locales devant achever de consolider le dispositif légal relatif aux ressources financières des collectivités territoriales.
Enfin, l'article 10 de la Charte envoie à d'importantes réformes législatives intervenues dan les années 1990, tant en matière de promotion de l'intercommunalité qu'en matière de coopération décentralisée (consacrées par la loi relative à l'administration territoriale du 6 février 1992 et sans cesse enrichies depuis lors).
Dans ces conditions, les trois déclarations interprétatives portant sur le fond de la convention constituent des éléments de précision, non de restriction.
La première est relative au champ d'application territoriale de la Charte, qui couvre l'ensemble des collectivités territoriales définies par la Constitution. Le choix fait de citer les articles de la Constitution plutôt que d'énumérer les collectivités concernées, permet de ménager l'avenir, notamment concernant les évolutions institutionnelles de l'outre-mer ou du régime des établissements publics de coopération intercommunale.
La deuxième déclaration interprétative précise la lecture qu'il convient e donner au second paragraphe de l'article 3, réservant aux Etats la faculté e prévoir un régime de responsabilité des exécutifs locaux devant les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, et non, comme une lecture rapide du texte pourrait interpréter le mot « pouvant », préjugeant de l'organisation des exécutifs locaux et de leurs rapports avec les assemblées délibérantes. Concernant la question de l'interdiction du recours au suffrage indirect, elle semble dépourvue de portée, la probabilité de prévoir dans l'avenir l'élection d'une assemblée territoriale française au suffrage indirect ne correspondant à aucun besoin identifié ni à la pratique en vigueur, ni, surtout, à l'esprit de la démocratie de proximité.
La troisième déclaration interprétative n'a vocation qu'à articuler les dispositions du nouvel article 72-2 de la Constitution, qui répondent aux prescriptions de l'article 9 paragraphe 5 de la Charte, avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux critères devant présider à la mise en oeuvre du principe de péréquation des ressources fiscales des collectivités territoriales (décisions n° 91-291 DC du 6 mai 1991 et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998).
La libre administration des collectivités locales ayant fait l'objet d'avancées constitutionnelles et législatives déterminantes depuis 1991, les éléments de la Charte qui avaient été jugés source de confusion, de difficulté ou de contentieux en 1991 sont aujourd'hui en étroite adéquation avec le droit français des collectivités territoriales.
* 1 La démocratie locale et régionale en France - Moreno Bucci (Italie) et Jean-Claude Cauwenberghe (Belgique) - Conseil de l'Europe, Strasbourg, 10 mai 2000.
* 2 Dont le rapporteur était notre collègue Jean-Claude Frécon, président de la délégation française.
* 3 Voir le texte annexé au document Sénat n°92 (2004-2005)
* 4 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.