Annexe 38 - LE RÔLE DU PHOSPHORE DANS L'EUTROPHISATION DES EAUX STAGNANTES
Source : audition de M.Guy BARROUIN, Chercheur INRA Thonon
La France compte environ trois mille lacs. Les lacs ainsi que les eaux stagnantes sont des eaux très vulnérables aux pollutions.
Une eau de rivière est homogène (le brassage du courant assure l'homogénéité), elle bénéficie d'une réoxygénation permanente, elle accueille une biocénose (ensemble du monde vivant) relativement pauvre (plus le courant est rapide, plus il freine la formation des végétaux), et elle n'a pas de mémoire : les traces d'une pollution disparaissent assez vite (à l'exception des sédiments).
Une eau stagnante présente des caractéristiques opposées. Elle n'est pas homogène et se présente par couches thermiques superposées avec une surface chaude et un fond froid, le fond se comble en permanence par des dépôts divers à un rythme compris entre un millimètre et un centimètre par an, le végétal est abondant, et toute pollution reste. Les eaux stagnantes sont donc particulièrement vulnérables aux pollutions occasionnelles ou régulières.
Les lacs sont en particulier vulnérables aux apports de phosphores. Le phosphore. Il forme avec l'azote ce que les agronomes appellent un « facteur limitant », ce qui signifie que la croissance d'une plante va dépendre à la fois de la quantité d'azote et de la quantité de phosphore qu'elle va recevoir. Le phosphore utilisé dans les engrais agricoles se fixe dans la plante et dans les sols et n'est que peu transporté dans les eaux. Près de la moitié du phosphore dans les eaux a pour origine les rejets domestiques liés à l'utilisation des dérivés de phosphore utilisés dans les lessives pour réduire la dureté de l'eau, c'est-à-dire la teneur de l'eau en calcium, qui perturbe le nettoyage en réagissant avec les tensioactifs pour donner des produits insolubles. Tous ces apports sont évacués dans l'eau qui devient vecteur de pollution.
L'apport de phosphore est particulièrement dommageable dans les eaux stagnantes. Dans celles-ci comme dans l'agriculture, le phosphore et l'azote constituent les deux facteurs limitant de la croissance de la végétation. Cependant, l'azote et le phosphore ne se présentent pas dans l'eau dans les mêmes quantités et ont, dans l'eau, deux comportements différents. D'une part, l'azote se trouve en quantité illimitée dans l'air et peut être fixé directement par certains microorganismes lacustres, les cyanobactéries abondantes dans les milieux eutrophes, de telle sorte que, dans l'eau, le phosphore est le premier facteur limitant. Or, les eaux sont naturellement pauvres en phosphore, qui provient donc pour l'essentiel des apports extérieurs, notamment issus des rejets des eaux usées.
On distingue deux types de végétaux aquatiques : les plantes aquatiques, également appelées macrophytes, qui sont visibles à l'oeil nu, qui comprennent des racines, des feuilles, parfois des fleurs, se développent en herbiers ; et les algues, également appelées microphytes, invisibles à l'oeil nu, qui n'ont ni racine, ni feuille, qui sont fixées ou flottent librement dans l'eau. Dans ce dernier cas, elles portent le nom de phytoplancton, qui donne une couleur à l'eau et parmi lequel on distingue les cyanobactéries qui ont la particularité de fixer l'azote.
Ainsi, dans les eaux, le principal facteur limitant est le phosphore. Après un déversement de phosphore, les algues qui n'ont plus de facteur limitant peuvent donc se multiplier. Dans certains cas, le phytoplancton croît de façon explosive produisant des floraisons algales (le « bloom »).
Trois processus interviennent alors. D'une part, la croissance et la destruction des algues consomment de l'oxygène, ce qui entraîne une acidification de l'eau et par voie de conséquence le relargage des matériaux piégés dans les sédiments du lac tels que le fer, le manganèse et le phosphore. D'autre part, la prolifération du phytoplancton va augmenter la consommation d'oxygène et la turbidité de l'eau. Les poissons vont dépérir faute d'oxygène entraînant une décomposition accélérée. Enfin, dans le même temps, l'azote n'est pas un facteur limitant qui limite la croissance des algues car cet obstacle est contourné par le développement du phytoplancton capable de fixer l'azote gazeux de l'atmosphère.
Ainsi le phosphore entraîne l'eutrophisation, c'est à dire une évolution de l'eau marquée par la prolifération végétale et l'apparition des nuisances qui en découlent (disparition de la faune, turbidité, odeurs). L'eutrophisation engendre une diminution des usages des plans d'eau (pêche, loisirs, eau potable), et la diminution de l'efficacité des traitements d'eau potable liée à la multiplication des matières en suspension et à la transformation des caractéristiques de l'eau (odeurs, goût).
C'est pourquoi les fabricants de lessives s'étaient engagés, en 1990, à créer au moins une lessive sans phosphates par marque et à réduire la teneur des nouveaux produits à un maximum de 20 % de phosphates. Tous les consommateurs avertis peuvent voir que certaines marques ne respectent pas cet engagement. Certains pays (Allemagne, Suisse) ont été plus vigilants que la France à réduire les détergents phosphatés. Même moins nombreuses qu'avant, des quantités de phosphates continuent de se déverser dans les rivières. Très peu d'usines de traitement des eaux usées possèdent des installations de déphosphatation.