4. Conclusion : appréciation générale sur les traitements d'eau
La France comme de nombreux pays développés
connaît une nouvelle révolution de l'eau. Cette révolution
issue de la crise américaine de Milwaukee de 1993 est technique mais
aussi politique.
a) Les erreurs d'analyse
Quelques erreurs sont fréquemment commises.
La confiance excessive dans les traitements d'eau. Il existe une large panoplie des traitements visant à assurer une distribution d'eau de qualité. Ces procédés existent. Les différentes crises et problèmes soulevés montrent que le risque zéro n'existe pas.
§ L'absence de surveillance . En pratique, les petites unités ne sont pas surveillées. Le risque microbiologique est alors considérablement accru. Le nettoyage des filtres est indispensable mais suppose une compétence, un vrai savoir-faire. La remise en fonctionnement d'un filtre à sable dans des conditions de sécurité optimale est assurément plus exigeant que le nettoyage des cuves et le versement d'un flacon de chlore dans un réservoir.
§ La confiance excessive dans la chloration . Dans de nombreux cas, le gestionnaire se prémunit contre les risques par la chloration, parfois jusqu'au « matraquage ». Ces comportements n'ont que des inconvénients. Ajouter du chlore à une eau non filtrée est en pratique inutile. L'excès de chlore détourne l'usager qui se plaint du goût, et ne garantit nullement la qualité microbiologique de l'eau, puisqu'une partie des agents pathogènes échappe au chlore et qu'une fraction parvient même à s'adapter à la chloration.
§ L'absence de connaissance. On note un traitement insuffisant de la turbidité . L'Institut de veille sanitaire estime qu'au moins 10 % des installations de production d'eau potable sont mal gérées et de fait inutiles.
§ L'absence d'investissement . Les gestionnaires d'UDI sont confrontés régulièrement à des risques sanitaires, souvent liés à une turbidité excessive non maîtrisée. Mais « les préfets ne veulent pas aller à l'épreuve de force. Ils interdisent provisoirement la consommation, jusqu'au retour à la normale. Il s'agit en fait d'une solution hypocrite. Tout le monde est complice. L'Etat, qui fait acte d'autorité mais qui en fait accepte le statu quo, les maires qui préfèrent une mesure d'interdiction provisoire plutôt qu'investir dans un système de filtration coûteux » .
Ainsi, par petites touches, on assiste à une
dégradation de la qualité du service. Il paraît
nécessaire de procéder à une évaluation du risque
hydrique, en fonction des UDI et leur mode de gestion, recenser les
comportements à risques, et établir alors un guide à
l'usage des élus, leur permettant d'assurer de meilleurs
contrôles.
b) Les nouveaux clivages
La technologie a répondu aux différents défis. Les nouvelles techniques de filtration et de traitements arrêtent tout ce qui est connu aujourd'hui. Ce perfectionnement technologique est-il inéluctable ? Beaucoup le pensent. « Dans 15 ans, il faudra choisir : soit on ira vers le tout membrane, soit vers le tout eau minérale ». Cette évolution semble irréversible mais ses conséquences n'ont pas toutes été appréhendées.
Cette évolution technique n'est pas neutre sur la cohésion sociale. Les risques hydriques sont essentiellement des risques liés à la ruralité. A travers l'eau, c'est une partie de la société qui est menacée.
En premier lieu, l'aspect financier doit être évoqué. Ces techniques ont un coût qui ne peut être supporté par toutes les collectivités. Ainsi se dessine peu à peu un clivage entre les grandes unités de distribution suffisamment riches pour se doter des meilleures techniques de prévention des pollutions et les autres unités pour lesquelles ces investissements seront inaccessibles. La France rurale est la première concernée. Elle est non seulement la première touchée par les risques, mais sera la dernière à pouvoir les surmonter.
Cet investissement n'aurait cependant qu'une incidence relativement modérée pour l'usager, compte tenu des débits partagés entre des millions d'abonnés, le coût pour l'usager dans ces grandes unités est de l'ordre de 15 à 50 centimes d'euros.
Pourtant, l'argument financier ne paraît pas constituer le bon critère de choix. D'une part, le coût de traitement peut être évalué mais personne n'a évalué le coût du non traitement, probablement très supérieur. D'autre part, l'analyse strictement financière risque d'entraîner la collectivité vers de mauvais choix. Le coût de la reconquête de la qualité de la ressource est certainement très supérieur au coût du traitement de l'eau, même le plus sophistiqué. Il est beaucoup plus coûteux de prévenir les pollutions que de traiter une eau polluée. Ainsi, si l'argument financier devait prévaloir, il n'y aurait pas d'action de reconquête de la qualité de la ressource. Le choix de la préservation de la ressource est un choix de société avant d'être un choix financier.
En second lieu, cette évolution technologique pose surtout un problème de solidarité sociale, ou, en l'espèce, ce qui est plus grave, un choix entre différentes solidarités.
La médiatisation des risques chimiques, l'application trop systématique du principe de précaution faute d'avoir fixé des limites claires dans l'acceptation des risques, l'inquiétude, dont profitent certains professionnels de la peur (annonçant « la vache folle de l'eau » ou « le génocide hydrique »), ont mobilisé la recherche technologique. Le défi a été relevé. On observera d'ailleurs que s'il existe une « école française de l'eau », la technologie elle, est plutôt américaine.
Ce choix technique, qui consiste à ne rien laisser passer, ni bactérie, ni virus, et bien sûr ni nitrate, ni pesticide, correspond à un choix implicite de solidarité envers les populations à risques, dites aux Etats-Unis les « Yopis » (young, old, pregnant, immunodeficients - jeunes, vieux, femmes enceintes et immunodéficients), plus vulnérables aux risques hydriques. Si tout le monde peut souffrir de diarrhée bénigne d'origine hydrique, les conséquences peuvent être beaucoup plus graves chez cette fraction de population (la quasi totalité des décès de l'épidémie de Milwaukee concernait des personnes atteintes de SIDA). La société, par l'allongement de la durée de vie et les soins sophistiqués, a produit une catégorie de population plus sensible aux risques hydriques. La société, par solidarité envers ces catégories, a choisi des seuils de qualité d'eau extrêmement rigoureux et des technologies adaptées.
Mais il est clair que cette technologie est inaccessible et d'ailleurs inadaptée aux petites stations rurales au moins pour des raisons de taille, et même aux stations moyennes. Ainsi, sans qu'on s'en rende compte, se creuse par petites touches, mais de façon irréversible, un clivage entre la France urbaine et la France rurale, entre l'eau des villes, bientôt nanofiltrée, et l'eau des champs, toujours tamisée au filtre à sable...
Ainsi, la solidarité entre générations s'effectue aussi au détriment d'une solidarité entre régions. Cette évolution est probablement irréversible. Il est très regrettable qu'elle se déroule de façon insidieuse, sans débat clair, sans vision stratégique, en générant de nouveaux exclus de progrès. La nouvelle loi et la prochaine charte de l'environnement sont des occasions d'une réflexion à ce sujet.
Pour en savoir plus sur cette partie, voir aussi les annexes suivantes consultables à l'adresse ( http://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-2.html ) :
Annexe 59 - Le décret 2001-1220
Annexe 60 - La fixation des normes de la qualité de l'eau
Annexe 61 - Les risques microbiologiques et l'eau
Annexe 62 - Les caractéristiques de l'eau prélevée
Annexe 63 - L'arsenic dans les eaux de boisson
Annexe 64 - La réglementation des teneurs en pesticides dans l'eau
Annexe 65 -Les pesticides dans l'eau et les fruits
Annexe 66 - L'organisation du service de l'eau
Annexe 67 - Le prix de l'eau
Annexe 68 - Les procédés de traitements de l'eau destinée à la consommation humaine
Annexe 69 - Les membranes et l'eau potable
Annexe 70 - Intérêt et limites de la chloration pour maîtriser la qualité biologique de l'eau distribuée