EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'amnistie est une institution très ancienne puisque la première loi d'amnistie fut adoptée en l'an 403 avant notre ère par les athéniens, à l'initiative de Thrasybule, afin d'oublier les querelles nées de l'expulsion décidée contre les Trente.
En France, l'amnistie est connue depuis l'ancien droit. Elle a, selon les régimes, été à la disposition tantôt du roi tantôt du Parlement. Si l'on excepte le régime de Vichy, l'amnistie est devenue définitivement une matière législative depuis l'adoption de la Constitution de 1875.
Depuis le début de la cinquième République, chaque élection présidentielle est suivie du vote, par le Parlement, d'une loi d'amnistie.
Par ailleurs, le législateur a adopté des lois d'amnistie liées à des événements exceptionnels tels que la guerre d'Algérie ou les troubles en Nouvelle-Calédonie.
La Cour de cassation a défini en 1839 l'amnistie comme ayant pour objet « de couvrir du voile de l'oubli et d'effacer le souvenir et l'effet des condamnations et des poursuites ».
Dans l'exposé des motifs du présent projet de loi, le Gouvernement souligne qu' « elle a pour but, dans un esprit de réconciliation, d'accorder à ses bénéficiaires l'oubli des fautes du passé pour mieux se tourner vers l'avenir dans le respect de la loi républicaine ».
L'amnistie est aujourd'hui critiquée, notamment parce que son caractère prévisible suscite des comportements inacceptables de la part de certains de nos concitoyens en matière de conduite automobile.
La réduction de sept à cinq ans de la durée du mandat présidentiel suscite par ailleurs des interrogations sur l'opportunité pour le législateur de continuer à adopter des lois d'amnistie après chaque élection présidentielle.
Le présent projet de loi apporte des réponses à ces interrogations. Alors que la loi du 3 août 1995 avait déjà marqué une sensible réduction du champ de l'amnistie, le projet de loi étend encore la liste des infractions insusceptibles d'être amnistiées.
Comme le précise l'exposé des motifs, « L'oubli consenti par le législateur ne peut être cependant sans limite. Certains actes, par leur nature ou par leur gravité, ne peuvent échapper à la mémoire de la justice et à la réprobation de la société ».
Après avoir présenté le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, votre rapporteur exposera la position de votre commission des Lois.
I. LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE AMNISTIE MOINS ÉTENDUE QUE DANS LE PASSÉ
Si l'article 34 de la Constitution précise que « la loi fixe les règles concernant (...) l'amnistie », il n'existe que fort peu de règles générales relatives au régime juridique de l'amnistie. Trois articles du code pénal sont consacrés à l'amnistie. L'article 133-9 dispose que l'amnistie efface les condamnations prononcées et qu'elle entraîne, sans qu'elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. L'article 133-10 précise que l'amnistie ne préjudicie pas aux tiers. Enfin, l'article 133-11 interdit à toute personne ayant connaissance de condamnations amnistiées d'en rappeler l'existence.
En pratique, chaque loi d'amnistie comporte des caractéristiques propres, qui parfois dérogent aux règles posées par le code pénal.
Le projet de loi soumis au Sénat diffère des précédents par une présentation nouvelle, destinée à faciliter l'accès à la loi des justiciables. Il comporte six chapitres respectivement consacrés à :
- l'amnistie de droit ;
- l'amnistie par mesure individuelle ;
- l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles ;
- les exclusions de l'amnistie ;
- les effets de l'amnistie ;
- les dispositions relatives à l'outre-mer.
Le présent projet de loi d'amnistie est le plus restrictif de tous ceux qui ont été adoptés depuis le début de la cinquième République. Ses conséquences sur les condamnations prononcées resteront substantielles.
A. UN CHAMP D'APPLICATION RESTREINT
Traditionnellement, les lois d'amnistie suivant une élection présidentielle distinguent trois formes d'amnistie :
- l'amnistie réelle , qui consiste à amnistier des infractions en raison de leur nature ou des circonstances de leur commission ;
- l'amnistie en raison du quantum ou de la nature de la peine qui a été ou sera prononcée ;
- l'amnistie par mesure individuelle , souvent dénommée « grâce amnistiante ».
1. L'amnistie réelle
Comme les précédentes lois d'amnistie, le projet de loi prévoit dans son article 2 l'amnistie de certaines infractions en raison de leur nature.
Il s'agit :
- des contraventions de police et de grande voirie ;
- des délits punis uniquement d'une peine d'amende ;
- des délits de presse ;
- de certaines infractions au code de justice militaire et au code du service national, sous réserve de la régularisation de la situation des intéressés lorsqu'il s'agit de militaires engagés.
Par ailleurs, certains délits seraient amnistiés en raison des circonstances de leur commission, à condition qu'ils soient punis d'une peine inférieure à dix ans d'emprisonnement ( article 3 ).
Il s'agit :
- des délits commis à l'occasion de conflits du travail ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés, d'agents publics ou de membres de professions libérales ;
- des délits commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de l'enseignement ou des délits relatifs à la reproduction d'oeuvres ou à l'usage de logiciels à des fins pédagogiques et sans but lucratif ;
- des délits en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial ;
- des délits commis en relation avec des élections de toute nature, à l'exception de ceux en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis politiques ;
- des délits en relation avec la défense des droits et intérêts des Français d'outre-mer.
Cette liste d'infractions amnistiées par leur nature ou les circonstances de leur commission est la même que celle qui avait été retenue par la loi du 3 août 1995, à cette réserve près que l'amnistie des délits commis à l'occasion d'activités revendicatives ou de conflits du travail s'appliquerait aux membres des professions libérales comme aux salariés et agents publics.