PRINCIPALES OBSERVATIONS
1. La professionnalisation des armées : un « accomplissement » globalement réussi
Objectif
premier de la loi de programmation qui s'achève, la
« professionnalisation » des armées s'est accomplie
de manière « globalement » satisfaisante.
Il convient de saluer l'ampleur de cette réforme, assise sur des
suppressions massives d'emplois et des mesures conséquentes de
reconversion et d'incitation au départ. Aucun ministère civil
n'a, à ce jour, été en mesure de réussir une telle
démarche.
A nouveau d'ailleurs, le ministère de la Défense donne l'exemple
en étant le premier à achever les négociations syndicales
relatives à l'application des 35 heures pour les effectifs civils,
et le premier à mettre en oeuvre, enfin, la jurisprudence Berkani visant
à intégrer, sauf décision contraire, les personnels
contractuels dans les effectifs de la fonction publique.
A moins de 1 % près, l'objectif global des effectifs
budgétaires est donc respecté : la Défense emploiera
en 2002 un effectif budgétaire de 436.221 personnes, soit le
cinquième des effectifs civils.
Quelques ajustements doivent toutefois être soulignés au regard
des effectifs réels et des objectifs plus détaillés, qui,
s'ils perdurent, pourraient constituer des facteurs de perturbation, au regard
du « modèle d'armée 2015 » : un peu plus
de militaires du rang que prévu, beaucoup plus de gendarmes, et beaucoup
moins de personnels civils. Certains secteurs spécifiques, comme les
médecins, les informaticiens, les atomiciens ou les
plongeurs-démineurs apparaissent d'ores et déjà
vulnérables, voire franchement déficitaires.
2. Mais une consolidation qui reste entièrement à faire
Les
motifs d'inquiétude concernent les perspectives. Certes, la
professionnalisation est « accomplie ». Mais elle n'est pas
consolidée pour autant.
Pour seulement préserver l'acquis, il faudra vraisemblablement consentir
un effort budgétaire supplémentaire considérable. En
d'autres termes, pour avoir la même chose, et donner donc le sentiment
qu'on ne fait pas mieux, il faudra payer davantage.
Au-delà des soucis ponctuels, mais réels, de recrutement,
apparaissent surtout des difficultés de fidélisation. Celle-ci se
heurte en effet à la concurrence forte d'un marché de l'emploi
civil conjoncturellement à la hausse, mais aussi, de façon plus
structurelle, à une moindre attractivité du métier,
s'agissant des conditions de vie et de rémunération. La
comparaison est renforcée par la mixité désormais
fonctionnelle des effectifs civils et militaires, parfois au sein d'un
même bureau. A cet égard, la loi des 35 heures constitue un
écueil redoutable.
La comparaison avec les « collègues » des
armées de l'OTAN n'est pas davantage enviable. La dépense de
fonctionnement (rémunération et charges sociales comprises)
consentie sur la tête du soldat français est du même ordre
que celle du soldat allemand, près de deux fois moins
élevée que celle du soldat britannique, et près de trois
fois moins élevée que celle du soldat américain. De fait,
au cours des derniers exercices, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont
augmenté de 2 % en termes réels leurs dépenses
annuelles de rémunérations et de fonctionnement.
En réalité, il est illusoire de penser que le pouvoir d'achat du
titre III pourra rester constant dans la durée. Les personnels ayant
fait le choix de servir dans une armée professionnelle ont le droit
d'être plus exigeants à l'égard du fonctionnement et de
l'équipement des forces, et ce niveau d'exigence ne cessera
vraisemblablement de monter à l'avenir.
3. Le dérapage structurel du titre III ne pourra plus être financé par prélèvement sur le titre V
L'analyse de l'évolution du titre III au cours de
l'exécution de la programmation fait apparaître un dérapage
des dépenses, systématiquement financé, en loi de finances
initiale comme en exécution, par un prélèvement sur les
crédits d'équipement du titre V.
Or les facteurs de ce dérapage ne pourront que se maintenir, voire se
renforcer, au cours de la prochaine législature et de la prochaine loi
de programmation.
Sur l'ensemble de l'actuelle programmation, la mise en oeuvre de la
professionnalisation a représenté un coût d'accompagnement,
sans doute plus lourd que prévu, de l'ordre de 17 milliards de
francs. La consolidation de la professionnalisation imposera des mesures au
moins équivalentes.
Mais le dérapage du titre III est également lié à
la non-prise en compte d'un élément pourtant
incontournable : les mesures globales touchant l'ensemble de la fonction
publique, qui ont pesé de manière conséquente sur le poste
rémunérations et charges sociales et continueront de le faire,
sans doute de façon croissante.
Il résulte surtout du refus constant d'inscrire en loi de finances
initiale les dépenses de fonctionnement correspondant à la
participation de la France à des opérations extérieures
(notamment sur le théâtre des Balkans). Prévues et
répertoriées, ces opérations, dont le coût annuel a
été constamment supérieur à 3 milliards de
francs, n'en ont pas moins pour autant constamment été
financées en cours d'exécution seulement, par
prélèvement sur les crédits d'équipement du titre
V : soit, sur la durée de la programmation, l'équivalent du
coût d'un deuxième porte-avions nucléaire.
Non conforme à l'esprit du droit budgétaire, ce
procédé a largement contribué au non respect de la loi de
programmation, s'agissant des crédits d'équipement.
En tout état de cause, pour la prochaine législature,
nécessité au moins fera loi, car les reports du titre V,
largement utilisés au cours de l'actuelle législature, seront
alors totalement asséchés, pour faire vraisemblablement place
à une crise des paiements.
4. Le budget 2002 traduit « une attention toute particulière » à l'égard de la condition militaire
Le
projet de budget 2002 comporte un incontestable effort en faveur de la
« condition militaire ». Mais intervenant bien tardivement,
certes à la veille d'échéances électorales
importantes, cet effort ne saurait être suffisant pour répondre
à des demandes qui peuvent être qualifiées de
légitimes. Il reste en tout cas globalement inférieur de
moitié à celui qui est consenti pour les budgets civils : le
titre III de la Défense progresse en effet de 2,3 %, alors que ceux
des budgets civils augmentent en moyenne de 5,1 %.
Il comprend en outre pour partie l'incontournable prise en compte des mesures
Sapin relatives au point d'indice et à la revalorisation des bas
salaires, qui représentent un total de 1,3 milliard de francs, soit
la moitié de la totalité des moyens nouveaux du titre III.
Certes élargi cette année à l'ensemble des forces
armées, et non plus seulement, comme en 2001, à la Gendarmerie,
au Service de Santé et à la Délégation
générale pour l'Armement, il ne concerne toutefois que les
sous-officiers, et laisse de côté totalement les officiers.
5. De fait, la progression des moyens consacrés à l'activité des forces demeure limitée et ne permet pas d'atteindre les normes de la programmation
L'alourdissement sensible du poste rémunérations
et
charges sociales a fortement pesé sur les crédits d'entretien
programmé et de fonctionnement courant, soumis à la portion
congrue au sein du titre III pendant toute la durée de la programmation,
alors même que celui-ci prélevait par ailleurs une dîme
croissante sur les crédits d'équipement militaire.
La baisse la plus sensible concerne les moyens liés à
l'activité des forces, amputées de plus de un milliard de francs
sur la période de programmation, soit 10 % du montant initial de
1997.
De fait, les taux d'activité des armées françaises sont
aujourd'hui inférieurs aux normes arrêtées par la loi de
programmation.
Le budget 2002 prévoit bien une majoration des crédits de
fonctionnement hors rémunérations et charges sociales. Mais les
deux tiers de cet effort sont en réalité financés par des
mesures d'économies et de transfert, et ne correspond donc pas
véritablement à des moyens nouveaux. Et le tiers du montant ainsi
globalement disponible bénéficiera à la Gendarmerie.
Au total, les taux d'activité de nos forces armées seront
légèrement améliorés, certes, mais pas dans une
proportion de nature à leur permettre d'atteindre l'objectif OTAN, et
moins encore celui des forces britanniques.
6. La Gendarmerie prélève une part croissante des moyens de fonctionnement affectés à la Défense, sans pour autant qu'un terme soit mis à la dégradation de sa situation
Au
total, sur l'ensemble de la période de programmation, les coûts de
fonctionnement de la Gendarmerie (y compris RCS), qui auront connu la
croissance la plus forte, auront représenté un cinquième
du total de l'enveloppe globale du titre III, soit l'équivalent des
dépenses de l'armée de l'Air et de la Marine réunies.
En 2002, la Gendarmerie est la seule à bénéficier de la
création de postes de sous-officiers -au-delà de la cible de
programmation, qui aura été majorée en définitive
de 700 postes. C'est elle qui bénéficiera au premier chef
des primes de qualification pour les sous-officiers confirmés
(4.200 sur le total de 6.000). Le tiers enfin des moyens nouveaux
dégagés pour le fonctionnement, soit 460 millions de francs,
sera attribué à la Gendarmerie (la moitié étant
affectée au financement du surcoût des loyers lié à
l'installation en zones sensibles).
Pour autant, la situation de la Gendarmerie semble avoir atteint un seuil
critique.
La détérioration de la situation sécuritaire, et
l'élévation du niveau d'exigence en matière de
sécurité publique, vont au-delà d'une simple
évolution conjoncturelle. Il faudra inévitablement en tenir
compte, comme il faudra également trouver une réponse aux
demandes relatives à l'application des 35 heures. La Gendarmerie,
à cet égard au moins, se sent nécessairement plus proche
de la Police que de l'Armée.