B. QUELQUES PISTES DE RÉFORME
Deux
propositions de loi, enregistrées à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 16 juillet 2001 et présentées,
respectivement, par notre collègue député M. Philippe de
Villiers, et par nos collègues députés MM. Jean-Louis
Debré, Philippe Douste-Blazy et Jean-François Mattei, proposent
une réforme des fonds spéciaux.
Par ailleurs, le Premier président de la Cour des comptes,
M. François Logerot, a remis au Premier ministre, au mois d'octobre
de l'année 2001, une note relative au régime des fonds
spéciaux
10(
*
)
.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté, en première
lecture, plusieurs amendements du gouvernement à la loi de finances pour
2002.
Le projet gouvernemental de réforme des fonds spéciaux
n'étant connu que depuis peu, votre commission des finances, lors de sa
réunion du 22 novembre 2001, a donné mandat à votre
rapporteur spécial pour approfondir la question de la réforme des
fonds spéciaux. Les développements qui suivent se contentent donc
d'indiquer quelques pistes, ce travail devant être ultérieurement
approfondi, avant la discussion du sujet en séance publique,
prévue pour le vendredi 30 novembre 2001.
Il semble exister un certain consensus sur les grandes lignes que devrait
suivre une éventuelle réforme des fonds spéciaux :
réduire le périmètre des fonds spéciaux et
améliorer leur contrôle.
1. Restreindre le périmètre des fonds spéciaux
Tout
d'abord, il semble nécessaire de réduire le
périmètre des fonds spéciaux.
En effet, comme le souligne M. Logerot dans son rapport au Premier ministre,
environ 19,8 millions d'euros, soit près du tiers de la dotation
globale, «
sont affectés à des dépenses de
rémunération ou de fonctionnement qui ne se rattachent pas - au
moins a priori - à des impératifs de sécurité
extérieure ou intérieure de l'Etat, ni même à des
interventions particulières assimilables à des « actes de
Gouvernement » et pouvant de ce fait relever de procédures
particulières et échappant à tout
contrôle
». De même, on peut s'interroger, par
exemple, sur la nature des opérations que recouvre la
dénomination d'« actions humanitaires ou en faveur des droits
de l'homme ». Selon M. Logerot, «
Cette affectation peu
explicite recouvre sans doute, pour partie, des subventions à des
organismes divers qui - sauf nécessités particulières de
confidentialité - pourraient être réimputées sur
crédits budgétaires ordinaires du titre IV
».
a) Les propositions de M. Logerot en matière de délimitation du périmètre des fonds spéciaux
-
• Dans sa note remise au Premier ministre, M. François Logerot
estime que le régime des fonds spéciaux devrait concerner
«
le financement d'actions liées à la
sécurité intérieure et extérieure de la Nation ou
à d'autres interventions exceptionnelles que le Premier ministre
estimerait nécessaires à la sauvegarde des intérêts
supérieurs du pays
».
• On peut s'interroger sur la manière de réaliser en pratique cette réduction de périmètre. M. Logerot avance à cet égard quelques propositions intéressantes qui devraient être suivies, dans leurs grandes lignes, par le gouvernement.
La seconde mesure complémentaire envisagée par M. Logerot serait d'harmoniser les « rémunérations accessoires « officielles » » des membres des cabinets ministériels, la plupart du temps affectés par le ministre parmi les fonctionnaires relevant de son autorité ou mis à sa disposition par des administrations ou des corps extérieurs au ministère 12( * ) : « ou bien la totalité des indemnités serait prise en charge sur les crédits mis à la disposition des ministres, ou bien une règle claire serait fixée par le Premier ministre - par exemple le maintien au niveau moyen applicable aux fonctionnaires du grade et de l'échelon considéré ». M. Logerot envisage également de rendre plus transparente la rémunération des ministres et secrétaires d'Etat 13( * ) (par exemple, par une réévaluation de la rémunération globale, assortie de la suppression de l'avantage fiscal qui porte actuellement sur l'indemnité représentative de frais 14( * ) ).
M. Logerot estime que le financement sur les fonds secrets des moyens de fonctionnement courants devrait également être progressivement abandonné. Les sommes correspondantes seraient inscrites à un chapitre ou à un article budgétaire sous forme d'une dotation globale, qui pourrait d'ailleurs être abondée par des crédits en provenance du même budget et actuellement affectés de fait au fonctionnement du cabinet sans pour autant être identifiés.
Afin de préserver la souplesse et la rapidité d'emploi du dispositif actuel, il serait envisageable d'instaurer auprès de chaque cabinet une régie d'avances 15( * ) , permettant au régisseur (en l'occurrence, un fonctionnaire agissant sous l'autorité du chef de cabinet) d'effectuer le paiement par virement, chèque, carte de paiement ou même numéraire de certaines catégories de dépenses courantes (matériel et fonctionnement, frais de mission ou de stage, rémunérations de personnels payés sur une base horaire ou à la vacation), dans la limite de l'avance qui lui est accordée par le comptable public et égale au maximum à 1/6 ème du montant prévisible des dépenses annuelles. L'avance est reconstituée après production des pièces justificatives des dépenses exposées. La secrétaire d'Etat au budget a indiqué au président de votre commission des finances et à votre rapporteur spécial que le gouvernement envisageait de suivre les recommandations du rapport Logerot sur le recours systématisé à des régies d'avances.
b) Les propositions du gouvernement en matière de délimitation du périmètre des fonds spéciaux
L'article 77 (nouveau) du projet de loi de finances pour 2002,
résultant d'un amendement du gouvernement adopté par
l'Assemblée nationale en première lecture, prévoit que
«
les dépenses faites sur les crédits inscrits au
chapitre 37-91 du budget des services généraux du Premier
ministre sont examinées chaque année par une commission de
vérification, chargée de s'assurer que les crédits sont
utilisés conformément à la destination qui leur a
été assignée par la loi de finances
».
Ainsi, il ne définit pas directement le domaine des fonds
spéciaux, mais renvoie seulement à celui défini par la loi
de finances.
Par un amendement du gouvernement, la dotation du chapitre 37-91
« fonds spéciaux » a été
réduite de 22.557.302 euros, montant présenté comme
correspondant aux crédits qui ne sont pas liés à des
actions de sécurité. Les crédits des fonds spéciaux
s'élèvent donc désormais à 37.473.672 euros.
Parallèlement, la nomenclature du chapitre 37-91 a été
modifiée. Elle est désormais composée des deux articles
« Direction générale de la sécurité
extérieure » et « Autres actions liées
à la sécurité », pour un montant de
respectivement 33.165.352 euros et 4.308.320 euros.
Trois chapitres des services généraux du Premier ministre ont
été abondés, pour un montant total de 12.990.333
euros :
- chapitre 31-02 « indemnités et allocations
diverses », article 10 « Premier ministre, ministres et
secrétaire d'Etat » : 5.772.025 euros ;
- chapitre 34-98 « moyens de fonctionnement des
services », article 10 « Premier ministre, ministres et
secrétaire d'Etat » : 5.693.818 euros ;
- chapitre 37-06 « actions en faveur des droits de l'homme et du
développement de la citoyenneté », article 10
« action humanitaire » : 1.524.490 euros.
La réforme des fonds spéciaux a donc entraîné une
diminution nette des crédits du budget des services
généraux du Premier ministre de 9.566.969 euros (titre III).
Schéma des modifications de crédits relatives aux
fonds secrets
60 M € 10 M€ sont redéployés
(crédits de l'article 37-91 vers d'autres budgets
avant réforme)
50 M€ restent dans le
budget des SGPM
37 M€ restent dans 13 M€ abondent trois
l'article 37-91 autres chapitres du
budget des SGPM
Votre rapporteur spécial se demande s'il ne serait pas souhaitable de préciser le périmètre des fonds spéciaux directement dans l'article 77 du projet de loi de finances pour 2002.
2. Améliorer le contrôle des fonds spéciaux
Il existe également un consensus sur la nécessité de renforcer le contrôle des fonds spéciaux.
a) Les observations de M. François Logerot au sujet du contrôle des fonds spéciaux
En
particulier, M. Logerot estime que «
c'est l'ensemble de
l'utilisation des fonds spéciaux qui devrait faire l'objet d'un
contrôle externe particulier, inspiré de celui qui s'exerce
actuellement sur les seules dotations affectées à la DGSE, et
associant la Cour des comptes, d'autres corps de contrôle et des
représentants du Parlement
».
Il souligne la nécessité que les fonds spéciaux ne servent
pas à compléter, par simple facilité d'emploi, les
dotations ordinaires du budget consacrées à des dépenses
qui ne nécessitent pas une protection particulière. Il estime que
«
L'un des objets du contrôle externe exercé sur les
fonds spéciaux doit être précisément de
vérifier la spécificité des imputations dont ils font
l'objet et d'en rendre compte au Gouvernement
». Remarquant
l'existence d'autres dépenses discrétionnaires de nature
secrète (comme les « actions humanitaires ou en faveur des
droits de l'homme » indiquées par le Premier ministre dans son
communiqué du 18 juillet 2001), il considère que le
contrôle de ce type de dépenses devrait également
être renforcé, afin de vérifier le bien-fondé de
leur financement sur les fonds spéciaux.
b) L'article 77 (nouveau) du projet de loi de finances pour 2002
L'Assemblée nationale a adopté en première
lecture un amendement du gouvernement tendant à insérer au projet
de loi de finances pour 2002 un article 77.
(1) L'instauration d'une commission de vérification
Cet article 77 tend à instaurer une « commission de
vérification » chargée de contrôler l'utilisation des
fonds spéciaux.
-
• Cette commission serait composée de deux députés,
dont son président, désignés par le président de
l'Assemblée nationale, deux sénateurs désignés par
le président du Sénat, et deux membres nommés pour cinq
ans, par décret, parmi les membres de la Cour des comptes, sur
proposition de son Premier président.
Cette commission disposerait de pouvoirs d'investigation étendus, puisqu'elle pourrait prendre connaissance de tous les documents, pièces et rapports susceptibles de justifier les dépenses considérées et l'emploi des fonds correspondants. L'article 77 donne une liste de documents devant obligatoirement lui être transmis : registres, états, journaux, décisions, état des dépenses se rattachant à des opérations en cours. Il est précisé qu'elle peut déléguer un de ses membres pour procéder à toutes enquêtes et investigations en vue de contrôler les faits retracés dans les documents comptables soumis à sa vérification. Il convient cependant de souligner qu'aucune sanction n'est prévue en cas de refus de communication d'un document.
Il est précisé que la commission doit avoir terminé ses travaux avant le 31 mars de l'année qui suit celle de l'exercice soumis à son contrôle.
• La commission produirait chaque année deux documents.
Le premier serait un rapport, non public, sur les conditions d'emploi des crédits. Ce document serait remis par le président de la commission au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances.
La commission dresserait par ailleurs un procès-verbal de ses opérations, dans lequel elle constaterait que les dépenses réalisées sur les crédits sont couverts par des pièces justificatives pour un montant égal. Le procès-verbal serait remis par le président de la commission au Premier ministre et au ministre chargé du budget, qui le transmettrait à la Cour des comptes.
• Diverses dispositions sont prévues afin de préserver la confidentialité des informations auxquelles auraient accès les membres de la commission.
Ensuite, les travaux de la commission proprement dits sont soumis à un régime particulier. L'article 77 prévoit qu'ils sont secrets. Il précise qu'est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal le fait de divulguer ou publier, dans un délai de trente ans, une information relative aux travaux de la commission. Ce dernier article prévoit que la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende.
(2) La suppression du dispositif existant
Le dernier alinéa du présent article prévoit que l'article 42 de la loi n° 46-854 du 27 avril 1946 portant ouverture et annulation de crédits sur l'exercice 1946, l'article 6 de la loi n° 47-1496 du 13 août 1947 portant fixation des crédits applicables aux dépenses du budget ordinaire de l'exercice 1947 et le décret n° 47-2234 du 19 novembre 1947 portant création d'une commission de vérification des dépenses faites sur les crédits affectés au service de documentation extérieure et de contre espionnage, sont abrogés.
c) Observations de votre rapporteur spécial
(1)
Préciser les règles relatives à la constitution de la
commission
On peut s'interroger sur les règles relatives à la
désignation des membres de la commission de vérification.
Une première interrogation concerne la durée du mandat des
membres de la commission de vérification. Si l'article 77 la fixe
à cinq ans dans le cas des deux membres de la Cour des comptes, il est
muet dans celui des parlementaires siégeant dans cette commission. Il
pourrait être utile de préciser ce point.
On peut également s'interroger sur la manière dont est
désigné le président. L'article 77 prévoit que le
président de l'Assemblée nationale désigne le
président de la commission. On peut se demander s'il serait souhaitable
de donner la prépondérance à l'une des deux chambres au
sein d'un organisme chargé d'assurer un contrôle, mission pour
laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat sont à
parité constitutionnelle. Il pourrait être
préférable de prévoir que la commission de
vérification élit elle-même, en son sein, son
président.
(2) Préciser le fonctionnement de la commission
On peut également s'interroger sur le mode de fonctionnement de la
commission. En particulier, l'article 77 n'indique pas comment le rapport et le
procès-verbal sont adoptés.
On pourrait envisager de préciser que la commission de
vérification adopte son rapport et son procès-verbal à la
majorité, son président ayant voix prépondérante.
(3) Mieux protéger le secret de la défense nationale
On peut également se demander dans quelle mesure la protection du secret
de la défense nationale pourrait être renforcée, sans
remettre en cause les exigences de transparence.
En particulier, on pourrait envisager que ne puissent être nommées
au sein de la commission de vérification que des personnes
habilitées à accéder à des documents classés
secret-défense ou très secret-défense.
(4) Faciliter, pour les parlementaires, le recours à un collaborateur
On peut enfin souligner que l'article 77 ne prévoit pas que les membres
de la commission de vérification se fassent assister de collaborateurs.
Ainsi, un parlementaire membre de la commission qui transmettrait à un
collaborateur une information dont il aurait eu connaissance en raison de son
mandat pourrait semble-t-il être passible de sanctions pénales
16(
*
)
.