B. UN RÉGIME PARTIELLEMENT DÉROGATOIRE AUX PRINCIPES CLASSIQUES DU DROIT BUDGÉTAIRE
1. L'utilisation des fonds spéciaux par le pouvoir exécutif
Les crédits sont consommés sous l'autorité exclusive du Premier ministre.
-
• Ils dérogent à certaines règles budgétaires.
Tout d'abord, il n'y a pas de séparation de l'ordonnateur et du comptable. Comme le souligne M. Logerot dans sa note au Premier ministre, « les délégataires du Premier ministre [c'est-à-dire « le directeur et le chef du cabinet, le secrétaire général du Gouvernement et deux de ses collaborateurs » ] (ou des ministres pour la part qui leur est allouée) cumulent en fait les fonctions d'ordonnateur et de comptable comme le permet une gestion purement privée ».
De même, M. Logerot estime que « donnant lieu à des ordonnancements fractionnés, mais globaux, à destination de comptes de dépôts, les crédits dérogent à la règle de la spécialité budgétaire ».
En revanche, le non-respect de la règle d'annualité, traduit par la constitution de « réserves » de crédits non utilisés, n'est on l'a vu pas autorisé par la loi de 1946.
• En pratique, les crédits du chapitre 37-91 font l'objet d'ordonnancements, en principe mensuels, du secrétariat général du Gouvernement, visés par le contrôleur financier. Cependant, dans le cas des dépenses de la DGSE, le nombre d'ordonnances serait en général supérieur, et variable selon les années (17 en 1999 par exemple), du fait des ouvertures de crédits supplémentaires ou des « avances » consenties à partir des autres lignes (comme en l'an 2001).
Selon le communiqué du Premier ministre du 18 juillet 2001, l'essentiel de ces opérations serait effectué par virement bancaire ou par chèque à partir de comptes à la paierie générale du Trésor et à la Banque de France. Ainsi, seules les rémunérations complémentaires du cabinet du Premier ministre et des ministères (respectivement 3,7 et 7,9 millions d'euros) seraient versées en espèces (soit 20 % des fonds spéciaux).
2. L'absence de contrôle juridictionnel
De
même, les dépenses engagées sur les fonds spéciaux
échappent au contrôle juridictionnel de la Cour des comptes.
En prévoyant qu'«
un décret de quitus sera établi
chaque année au 31 décembre pour chacun des ministres
attributaires
», la loi de 1946 crée une procédure
particulière d'apurement des dépenses dans laquelle la
juridiction financière n'intervient pas.
Comme le soulignait l'année dernière notre collègue
député M. Georges Tron
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)
, s'agissant des fonds
destinés à la sécurité extérieure, la
commission prévue par le décret de 1947 et présidée
par un magistrat de la Cour des comptes n'a pas de compétence
juridictionnelle, puisqu'elle ne délivre pas de quitus mais rend compte
de l'utilisation des fonds, d'une part, au Premier ministre par la transmission
d'un rapport, d'autre part, à la Cour par la remise d'un
procès-verbal. Ce dernier est destiné à permettre à
la juridiction financière de « constater », et non de
certifier, que le montant des dépenses porté dans le compte
général de l'administration des finances correspond au montant
établi par la commission.
Comme le souligne M. Logerot dans sa note au Premier ministre,
«
on notera le paradoxe d'une situation où les fonds
publics consacrés à des opérations légitimement
couvertes par le secret défense sont l'objet d'un contrôle
externe, alors que ceux qui sont, pour une grande partie au moins,
dévolus au fonctionnement courant de l'appareil gouvernemental,
échappent à toute vérification a
posteriori
».
Il convient en outre de souligner que, selon le communiqué du Premier
ministre du 18 juillet 2001, il arrive que les services secrets autres que la
DGSE reçoivent des versements en provenance des fonds spéciaux.
Comme l'indique M. Logerot, «
ces dotations ne sont pas soumises
aux vérifications de la commission instituée par le décret
du 19 novembre 1947 puisque sa compétence est limitée aux
crédits inscrits à l'article 20 § 10
(DGSE)
».
3. Quels pouvoirs pour le rapporteur spécial, le rapporteur général et le président de la commission des finances des deux assemblées ?
Le droit
en vigueur sous la Vème République résulte du 6ème
alinéa de l'article 164-IV de l'ordonnance n° 58-1374 du 30
décembre 1958 portant loi de finances pour 1959. Une
interprétation restrictive de ces textes laissait penser que seuls les
rapporteurs spéciaux pouvaient exercer un contrôle sur
pièces et sur place, portant sur les seules réponses relevant du
département ministériel qu'ils avaient la charge de rapporter.
Ainsi, depuis la première loi de finances rectificative pour 2000, la
législation reconnaît que les présidents et rapporteurs
généraux des commissions des finances ont un pouvoir
général de contrôle des recettes et dépenses
publiques.
La loi précise cependant que ces pouvoirs s'entendent
«
réserve faite (...) des sujets de caractère secret
concernant la défense nationale, les affaires étrangères,
la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat
».
Ce droit est confirmé, avec la même limitation, par l'article 57
de la loi organique du 1
er
août 2001, relative aux lois de
finances. Cet article, applicable à compter du 1
er
janvier
2002, prévoit en effet que «
Tous les renseignements et
documents d'ordre financier et administratif qu'ils
[le rapporteur
spécial, le rapporteur général et le président de
la commission des finances]
demandent, y compris tout rapport établi
par les organismes et services chargés du contrôle de
l'administration, réserve faite des sujets à caractère
secret concernant la défense nationale et la sécurité
intérieure ou extérieure de l'Etat (...) doivent leur être
fournis
».
- • En pratique, le gouvernement refuse de transmettre des informations détaillées au Parlement.
La réponse donnée cette année à votre rapporteur spécial n'est pas plus détaillée.
Les tentatives récentes de contrôle sur pièces et sur place semblent en outre impossibles en pratique.