PRINCIPALES OBSERVATIONS
A
titre liminaire
, votre rapporteur spécial souhaite rappeler quatre
séries de chiffres :
- le budget de l'enseignement scolaire a augmenté de
8,3 milliards d'euros (soit plus de 54 milliards de francs)
entre 1997 et 2001, et le projet de loi de finances pour 2002 propose de
l'augmenter de 2,1 milliards d'euros
(soit 13,5 milliards de francs) supplémentaires. Au total, le
budget de l'enseignement scolaire aura donc absorbé entre 1997 et 2002
près de
10,4 milliards d'euros
(soit près de 68
milliards de francs)
supplémentaires
;
- en francs courants, la progression du budget de l'enseignement scolaire entre
1997 et 2002 à structure constante représente ainsi près
de 40 % de celle du budget général de l'Etat à structure
constante ;
- en francs constants, la progression du budget de l'enseignement scolaire
entre 1997 et 2002 à structure constante équivaut à plus
de 85 % de celle du budget général de l'Etat à structure
constante
1(
*
)
;
- durant le même laps de temps, le
nombre d'élèves
de l'enseignement scolaire s'est
réduit
de plus de 300.000, de
sorte que le coût annuel d'un élève se sera accru de 18 %
à prix constants.
Ces rappels ne visent aucunement à « diaboliser »
les dépenses publiques en matière d'enseignement scolaire, mais
à souligner l'enjeu que constitue leur bonne utilisation.
En effet, contrairement à certaines idée reçues, la
progression du budget de l'Education nationale ne peut s'expliquer par
l'amélioration de la
qualité
du service rendu.
Certes, les locaux d'enseignement ont été largement
rénovés, mais cela résulte de l'action des
collectivités locales.
Pour le reste, on peut s'inquiéter :
- de la «
déscolarisation »
croissante
d'élèves de plus en plus en plus jeunes (théoriquement
soumis à l'obligation de scolarité, mais de fait en situation de
rupture vis-à-vis du système éducatif), qui se traduit
notamment par la remontée
2(
*
)
depuis 1996 du nombre de jeunes qui
sortent chaque année du système éducatif sans aucune
qualification, c'est à dire dont le niveau est en deçà du
CAP (au nombre de 60.000 en 1999), comme du nombre de jeunes qui sortent du
système sans aucun diplôme (au nombre de 109.000 en 1999),
alors que ces chiffres avaient tendance à baisser ;
- de l'augmentation préoccupante du nombre d'établissements
minés par la
violence
et les incivilités, comme le
soulignait l'inspection générale de l'administration de
l'Education nationale (IGAEN) dans son rapport général pour
1999 ;
- enfin, de la persistance des
inégalités
, de
récents travaux de l'INSEE
3(
*
)
démontrant que les
réformes mises en place au début des années
quatre-vingt-dix n'ont pas réduit les inégalités sociales
devant l'échec scolaire entre 1990 et 1999.
Les crédits supplémentaires affectés à
l'enseignement scolaire dans le projet de loi de finances pour 2002 appellent
ainsi
quatre
séries d'observations, relatives respectivement aux
réformes pédagogiques, à la gestion des personnels,
à la définition des tâches des enseignants, enfin à
l'allocation générale des ressources entre l'enseignement
scolaire et l'enseignement supérieur.
Votre rapporteur spécial
approuve
certaines mesures inscrites
dans le projet de budget de l'enseignement scolaire pour 2002, notamment la
relance de
l'internat
pour aider les élèves et les
familles en difficulté, le renforcement du dispositif
médico
-
social
en faveur des élèves ou le
développement des
bourses
de mérite.
Votre rapporteur spécial se félicite tout particulièrement
de la poursuite du plan « Handiscol », qui vise à
promouvoir l'intégration scolaire des élèves
handicapés
.
Il convient d'ailleurs que ce dispositif soit conforté et
pérennisé au-delà des trois années initialement
prévues.
On peut aussi souhaiter que l'ambition du ministère de l'Education
nationale en matière d'intégration des personnes
handicapées s'étende enfin aux
personnels
. En effet, les
rapports du Médiateur de l'Education nationale
4(
*
)
ont montré que
l'administration ne se souciait jusqu'ici guère d'appliquer
effectivement et loyalement la législation en vigueur.
On peut également se féliciter du renforcement des
évaluations
nationales, à la fois comme appui au
diagnostic et au traitement personnalisé des difficultés des
élèves, et comme élément de bilan pour la
communauté pédagogique dans son ensemble.
Enfin, votre rapporteur spécial se réjouit de la
rénovation de la
formation
initiale
des enseignants. Les
études effectuées par le Conseil national
d'évaluation
5(
*
)
avaient en effet montré que les Instituts universitaires de formation
des maîtres (IUFM) «
remplissaient pour l'essentiel les
missions pour lesquels ils avaient été
créés
», mais demeuraient insuffisamment ouverts
sur leur environnement et n'accompagnaient pas assez les jeunes enseignants
dans leurs premières années. Dans ces conditions, la restriction
de l'accès aux postes de formateurs en IUFM aux enseignants ayant
effectivement une expérience récente de l'enseignement,
l'introduction de stages de sensibilisation à l'enseignement en
première année d'IUFM (c'est à dire avant les concours),
la création d'une véritable épreuve d'entretien à
l'oral des concours, la professionnalisation de la seconde année d'IUFM
(pour les candidats reçus aux concours) et surtout l'introduction de
périodes de formation continue pendant les premières
années de la carrière, constituent autant d'avancées.
Cependant, à l'instar du rapport général pour 1999 de
l'inspection générale de l'administration de l'Education
nationale (IGAEN), on peut s'inquiéter de l'absence de politique
générale
d'orientation
, qui constitue pourtant une
modalité essentielle de lutte contre l'échec scolaire et
universitaire.
On peut également s'inquiéter du flou des nouvelles orientations
du ministre en faveur du
collège
, notamment de l'absence
d'indications claires sur l'avenir de leurs sections d'enseignement
général et professionnel adapté (SEGPA), pourtant
caractérisées par des dysfonctionnements administratifs et des
pratiques pédagogiques très inégales
6(
*
)
.
Au demeurant, on peut s'interroger sur l'effectivité d'une
nouvelle
réforme
des collèges, alors que les
réformes de 1994 commençaient tout juste à s'appliquer et
que les réformes les plus récentes embrayaient toujours
inégalement sur les pratiques locales. Les raisons de ces retards sont
d'ailleurs connues : information tardive des établissements,
circulaires difficiles à décrypter, défaut de pilotage
académique, absence de formation des enseignants, multiplicité
déconcertante des objectifs etc.
Plutôt que de nouvelles rafales de réformes pédagogiques
concoctées par l'administration centrale, il semble que l'Education
nationale ait aujourd'hui davantage besoin de
souplesse
pour s'adapter
au changement, pour favoriser les innovations et surtout pour faire face
à l'hétérogénéité croissante des
élèves.
On peut donc regretter que les mesures annoncées en faveur de
l'autonomie
des établissements et de la
responsabilisation
des personnels de direction demeurent extrêmement timides.
S'agissant enfin de
l'école primaire
, on peut s'étonner de
la
multiplicité des objectifs
qui ont été
énoncés par le ministre : d'un côté,
«
gagner la bataille de la lecture et de
l'écriture
»
7(
*
)
, c'est à dire
recentrer l'école sur les
savoirs fondamentaux
; de l'autre
promouvoir à la fois l'apprentissage d'une langue
étrangère, l'expérimentation scientifique, l'initiation
aux nouvelles technologies de la communication et de l'information,
l'éveil artistique et culturel et l'apprentissage de la
citoyenneté.
Votre rapporteur spécial relève d'ailleurs une surprenante
discordance entre les
objectifs
énoncés dans le nouveau
« plan national pour l'école primaire »
(«
tous les élèves doivent accéder à
une maîtrise suffisante de la langue orale et
écrite
») et ceux qui sont désormais
associés à l'agrégat « enseignement
primaire » dans le projet de loi de finances pour 2002 (mettre en
place l'enseignement d'une langue vivante à l'école primaire,
rénover l'enseignement des sciences et développer
l'éducation artistique ).
Et votre rapporteur spécial regrette à cet égard que
l'objectif consistant à améliorer les
connaissances
fondamentales
en mathématiques et en Français ait disparu,
alors qu'il avait été retenu dans le projet de loi de finances
pour 2001.
On peut pourtant rappeler qu'une bonne politique éducative ne repose pas
seulement sur des discours regrettant qu'il n'y ait pas deux semaines de
vacances à la Toussaint
8(
*
)
ou sur des mesures
d'animation
sympathiques, comme la création d'une semaine de la
solidarité internationale ou un plan d'éveil au goût.
On peut ainsi s'interroger sur les conditions de mise en oeuvre de la
généralisation de
l'enseignement des langues vivantes à
l'école primaire
. Certes, cette mesure répond à la
demande sociale exprimée par les familles et plaît aux
élèves. Elle se traduit toutefois par le recours
désordonné à une multiplicité d'intervenants
extérieurs (assistants étrangers, locuteurs natifs,
étudiants, etc.) très mal préparés à ce type
d'enseignement et très difficiles à recruter dans certaines zones
rurales.
En outre, les premières
évaluations
pédagogiques de
l'initiation aux langues vivantes en classe de CE2 n'en démontrent
guère l'intérêt : la différence entre les
élèves ayant bénéficié de cet enseignement
et les autres est très rapidement gommée en
6
ème
, et l'absence d'évaluation, de travail personnel
voire parfois de structuration des enseignements de langue à
l'école primaire ne permet pas aux élèves de prendre la
mesure des efforts nécessaires à l'apprentissage d'une langue
étrangère. Or on peut se demander si l'introduction de cet
enseignement ne conduit pas, pour certains élèves, à un
effet d'éviction au détriment des autres matières.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble des réformes pédagogiques
précédentes n'expliquent que quelques pourcents (de 3 à 5
% tout au plus) de l'augmentation des crédits de l'enseignement scolaire
en 2002, tandis que les créations d'emplois comptent pour environ 10 %
et la progression des dépenses de retraite et les mesures de
revalorisation des personnels pour plus de 85 %.
Ce constat conduit votre rapporteur à sa seconde série
d'observations, relatives aux créations d'emplois budgétaires.
Le projet de loi de finances pour 2002 prévoit la création de
près de 10.942 emplois budgétaires et la progression des
effectifs rémunérés sur les crédits de
l'enseignement scolaire à la rentrée 2001 et à la
rentrée 2002 explique environ 10 % de la hausse des crédits de
l'enseignement scolaire.
A quoi sert cette hausse ?
A priori
, on peut penser que la progression du nombre d'enseignants,
dans un contexte caractérisé par la baisse du nombres
d'élèves, permet une réduction significative du nombre
d'élèves par classe.
Cependant, le lien entre d'un côté le taux apparent d'encadrement,
c'est à dire le ratio nombre d'élèves / nombre
d'enseignants et de l'autre côté le nombre d'élèves
par classe est parfois ténu.
En effet, selon la Cour des Comptes
9(
*
)
, 12 % des enseignants du second
degré n'enseignent pas et le « rendement moyen » des
enseignants des enseignants du second degré, c'est à dire leur
nombre d'heures de cours moyen tend à se réduire en raison de la
multiplication des décharges comme d'un effet de structure
(l'augmentation de la proportion des agrégés, dont l'horaire
d'enseignement est moindre, et la baisse de celle des PEGC, dont l'horaire
d'enseignement est plus élevé). A titre d'exemple, la Cour des
Comptes a calculé que la diminution du rendement moyens des emplois
d'enseignants équivalait, pour la seule académie de Nantes,
à la perte de 1.180 emplois entre 1994 et 1998.
De même, le rapport général de l'IGAENR pour 1999 observait
dans les écoles primaires «
une diminution des moyens
consacrés à l'enseignement dans les classes
», au
profit notamment du remplacement, des décharges et des fonctions
d'animation et de soutien.
Ceci explique que le repli du nombre moyen des élèves par classe
soit très modeste, en dépit de la baisse du nombre total des
élèves.
Or le Haut Conseil de l'évaluation de l'école créé
en l'an 2000 par le ministre de l'Education nationale, a conclu dans son
premier avis en date de mars 2001, relatif aux effets de la réduction de
la taille des classes sur les progrès des élèves :
«
il semble exister un effet positif - mais faible - sur les
progrès des élèves, effet observé presque
uniquement dans les petites classes de l'enseignement primaire, qui semble ne
se produire que si l'on procède à une forte réduction de
la taille des classes, et qui n'est vraiment visible que pour les enfants de
familles défavorisées...
ce qui invalide la pratique de
réduction de la taille des classes au fil de l'eau ou
délibérée telle qu'elle a été
réalisée ces dernières années en mettant à
profit la baisse démographique
... d'autant plus que certaines
politiques peuvent être plus efficientes que la réduction de la
taille des classes
».
Le ministère de l'Education nationale en est d'ailleurs bien conscient,
puisqu'il a
supprimé
cette année dans le bleu
budgétaire toute référence à la baisse du nombre
d'élèves par classe dans les objectifs assignés aux grands
agrégats, sauf pour les élèves de ZEP.
Dans ces conditions, on pourrait
s'étonner
que le ministre de
l'Education nationale mette toujours en avant l'amélioration des taux
apparents d'encadrement dans ses discours de présentation du budget de
l'enseignement scolaire pour 2002.
En fait, la réponse à cette question peut être
trouvée dans le rapport général de l'IGAENR pour l'an
2000 : les créations d'emplois d'enseignants servent à
limiter les dysfonctionnements de la rentrée au prix d'une
surconsommation de moyens
(augmentation artificielle des fonctions
support de l'enseignement, surdimensionnement des effectifs de
remplaçants, enseignants sans élèves dans certaines
académies, etc.)
Ceci résulte de ce que le ministère de l'Education nationale est
incapable de gérer quantitativement ses personnels.
Certes, on doit saluer une prise de conscience et de réels
progrès
. La pratique dite du « surcalibrage »
des concours tend à se réduire. Les systèmes de suivi et
d'analyse de la consommation des emplois du ministère s'affinent. Le
contrôle local de l'emploi s'améliore. La présentation des
documents budgétaires gagne en clarté. La refonte de la
nomenclature budgétaire accroît la lisibilité du projet de
loi de finances. Le bleu budgétaire propose désormais une
esquisse de comptabilité analytique.
Malheureusement, le diagnostic formulé en 1999 par la
commission
d'enquête du Sénat
sur la gestion des personnels enseignants
demeure d'actualité, comme le soulignent à la fois la Cour des
Comptes (dans son rapport particulier sur la fonction publique de l'Etat
d'avril 2001) et l'IGAENR (dans son rapport général pour 2000).
La Cour des Comptes observe ainsi qu'«
aucune des académies
contrôlées n'est en mesure de fournir à une date
donnée le nombre exact des enseignants qu'elle est chargée de
gérer et leur répartition en fonction de leur affectation et de
leur discipline.
Cette méconnaissance
- qui fait écho
à celle existant au niveau central - est révélatrice d'un
système qui n'est ni maîtrisé, ni
contrôlé
».
Il en résulte une «
mécanique
inflationnniste
» où l'ensemble des acteurs cherchent
à se donner de la souplesse en utilisant diverses manipulations pour
«
créer artificiellement des postes
» et pour
«
utiliser le volant disponible d'enseignants recrutés par
excès au niveau central
».
Selon la Cour des Comptes, les
sureffectifs
et les
surnombres
ont
ainsi atteint des niveaux records dans les académies en l'an 2000.
L'IGAENR ajoute que cette «
surconsommation de
moyens
» pour «
maîtriser techniquement la
rentrée
» résulte notamment «
d'un
excès de centralisme [des décisions] au coeur de la
déconcentration
».
La Cour des Comptes remarque d'ailleurs à cet égard que
«
la gestion des enseignants du secteur privé est plus
simple car elle est plus décentralisée... Cette disposition a
pour principal mérite d'assurer localement une adéquation presque
totale entre les besoins d'enseignement et le corps professoral d'un
établissement. Contrairement au secteur public, il n'y a pas de
sureffectifs dans
l'enseignement privé
».
Cette
gabegie
de moyens s'étend d'ailleurs aux
établissements sous tutelle
du ministère de l'Education
nationale : des contrôles effectués par l'IGAENR sur le
Muséum national d'histoire naturelle et sur l'Institut national de
recherche pédagogique (INRP) y ont en effet trouvé une
«
gestion fort éloignée de l'optimum
».
Dans ces conditions, votre rapporteur spécial
regrette
que le
ministre de l'Education nationale s'investisse si peu dans la modernisation de
la
gestion
de son administration.
Dans ces conditions, on peut aussi s'interroger sur les
hypothèses
sous-jacentes aux
plans pluriannuels
de
recrutement et de création d'emplois. On peut en effet rappeler que le
ministère avait chiffré l'an passé ses besoins annuels de
recrutement d'ici à 2005 à 14.500 personnes par an pour le
premier degré et à 13.833 pour le second degré dans les
réponses aux questionnaires budgétaires de la commission des
finances, tout en annonçant quelques semaines plus tard dans le cadre du
plan pluriannuel des « besoins » annuels de recrutement de
12.500 personnes par an pour le premier degré et de 17.600 pour le
second degré, soit respectivement - 15 % et + 27 %. Or le
ministre de l'Education nationale n'a toujours pas transmis d'explication
convaincante à ces écarts.
On peut en outre s'étonner du contraste entre le discours relatif
à la « pénurie » d'enseignants et le
prolongement de dispositifs coûteux (comme de congé de fin
d'activité) permettant aux enseignants de
cesser
leur
activité
de manière anticipée.
Incapable de gérer qualitativement ses personnels, le ministère
de l'Education nationale par ailleurs également bien en peine de les
gérer
qualitativement
.
A titre d'exemple, l'IGAENR
10(
*
)
souligne ainsi que la
décision «
prometteuse
» arrêtée
en 1994 de créer des directions académiques des ressources
humaines connaît à ce jour «
une incarnation
incertaine
»
Dès lors votre rapporteur spécial s'inquiète des
conséquences pour le fonctionnement des établissements de la
réduction du temps de travail
annuel des personnels
administratifs et techniques à partir de 2002.
On peut aussi s'inquiéter des perspectives ouvertes aux
aides
éducateurs :
nombre d'entre eux n'ont toujours pas reçu
de formation et le retournement du marché du travail pourrait rendre
particulièrement difficile la réinsertion professionnelle de ceux
dont le contrat de cinq ans arrivera prochainement à
échéance, même si le gouvernement a d'ores et
déjà annoncé qu'ils pourront prolonger leur contrat
jusqu'à la fin de l'année scolaire 2003. En effet, une
étude publiée en septembre 2000 par le Centre d'études et
de recherches sur les qualifications (CEREQ) suggérait qu'il n'avaient
guère acquis de compétences précises à faire valoir
auprès d'un employeur extérieur.
En outre, votre rapporteur spécial rappelle que les
précédents de l'Education nationale en matière d'emplois
précaires n'invitent guère à l'optimisme. D'un
côté, les
maîtres auxiliaires
, en moyenne beaucoup
plus qualifiés que les aides éducateurs, auront été
progressivement et difficilement intégrés. De l'autre, un rapport
réalisé en mai 1999 par l'Inspection générale de
l'administration de l'éducation nationale (IGAENR) estimait
« sombre » le bilan de l'insertion professionnelle des
maîtres d'internats et surveillants d'internat (MI-SE), c'est à
dire des « pions », en principe recrutés sur
critères sociaux parmi les jeunes
« méritants » souhaitant poursuivre des
études supérieures, et plus particulièrement parmi les
jeunes souhaitant préparer les concours d'accès aux fonctions
d'enseignement. En effet, la conciliation de leur service et de leur formation
est difficile, de sorte que leurs chances de réussite aux concours sont
faibles et leur insertion professionnelle problématique.
L'exemple des aides éducateurs est d'ailleurs emblématique des
dysfonctionnements de la
formation continue
des personnels de
l'Education nationale.
Les
crédits
de formation continue inscrits en loi de finances
initiale n'atteindront en 2002 que le tiers de leur niveau de 1993 et,
même si l'on prend en compte le coût des remplacements, l'Education
nationale dépense beaucoup moins que les grandes entreprises pour la
formation de ses personnels. En outre, les rapports de l'IGAEN
11(
*
)
soulignent chaque année que
l'opportunité
des actions de formation conduites reste
«
difficile à appréhender
», et que
les programmes de formation, mal suivis et pilotés
«
généralement sans conviction
», se
caractérisent par un «
décalage croissant entre les
objectifs affichés et les réalisations
».
Or l'enjeu de la formation continue des personnels de l'Education nationale se
fait de plus en plus pressant, en raison notamment de la diffusion de nouveaux
outils (comme les NTIC) comme de la nécessité d'enseigner des
savoirs plus étendus (comme les langues étrangères pour
les enseignants du primaire).
Cet enjeu rejoint d'ailleurs celui de la
rénovation des charges de
service
des enseignants.
On peut rappeler que la hausse de la
masse salariale
directe du budget
de l'enseignement scolaire aura absorbé à elle seule plus de 95 %
de la progression de ce budget entre 1997 et 2002.
Or la progression de la masse salariale ne résulte guère de celle
des effectifs occupés. Elle s'explique pour l'essentiel par
l'augmentation de la valeur du point de la fonction publique, par la
progression des pensions, et surtout par la mise en oeuvre des plans successifs
de revalorisation des corps du ministère. De ce point de vue, le projet
de loi de finances pour 2002 ne fait pas exception puisque 85 % de la hausse du
budget de l'enseignement scolaire s'explique par l'augmentation du coût
des pensions et par les mesures de revalorisation des personnels.
Selon les calculs réalisés pour la période 1990-1999 par
la Cour des Comptes, dans le cadre de son rapport sur l'exécution des
lois de finances pour 1999, et prolongés par votre rapporteur
spécial pour les années 2000-2001,
la seule application du
plan Jospin et du protocole Durafour
générera ainsi
2,4 milliards d'euros
(16 milliards de francs) de
dépenses annuelles supplémentaires en 2001.
Or, si la progression du pouvoir d'achat des fonctionnaires au travers de la
revalorisation du point de la fonction publique est légitime, la
revalorisation
inconditionnelle et systématique des corps de
l'Education nationale ne saurait être une fin en soi et votre rapporteur
regrette que les mesures de revalorisation des corps d'enseignant ne
s'accompagnent pas d'une réflexion sur la
redéfinition
et
sur la
modernisation
de leurs
charges de service
.
En effet, le
métier
d'enseignant a d'ores et déjà
beaucoup
changé
avec le développement de pratiques
pédagogiques comme les travaux pratiques encadrés, qui reposent
sur la pluridisciplinarité, la constitution d'équipes
pédagogiques, le travail en petits groupes et l'encadrement
personnalisé des élèves.
Ces évolutions devraient se
prolonger
grâce à la
diffusion des NTIC : le ministre de l'Education nationale souligne ainsi
que «
les professeurs utiliseront Internet pour l'enseignement ou
le suivi à distance, grâce par exemple au courrier
électronique, ce qui permettra une plus grande proximité avec les
élèves ou les parents
»
12(
*
)
.
Ces évolutions devraient également se poursuivre en raison de
l'importance croissante accordée aux projets d'établissements et
à
la vie des établissements
, notamment dans le cadre des
politiques de lutte contre la violence : comme le rappelle d'ailleurs le
bleu budgétaire, la seule présence d'adulte favorise la
diminution de la violence dans les établissements du second degré.
Dans ces conditions l'image de l'enseignant comme celui qui professe son cours,
puis rentre chez lui corriger ses copies, est datée.
Or la définition du service des enseignants à partir d'heures de
cours repose sur cette image.
On peut d'ailleurs remarquer que cette définition est
particulière à certains pays de l'OCDE, comme l'Allemagne, la
Belgique, la Finlande, la France et le Portugal, la plupart des autres pays
combinant dans les obligations de service des enseignants des heures de cours
et d'autres activités.
En France, le contraste entre l'évolution du métier des
enseignant et l'archaïsme de leurs obligations de service conduit ainsi
à des
ajustements
de moins en moins maîtrisés
(multiplication des types de décharge, dérive des heures
supplémentaires, etc.).
L'ampleur du
renouvellement
des enseignants liés aux
départs en retraite prévus au cours de la prochaine
décennie constitue pourtant une
occasion
historique pour la
rénovation du statut et de la gestion des enseignants, en même
temps qu'elle la rend urgente, comme le soulignait M. Eric Espéret
dans un rapport relatif aux enseignants-chercheurs du supérieur.
Enfin, comme son homologue pour l'enseignement supérieur, votre
rapporteur spécial s'étonne de l'allocation des moyens au sein du
ministère de l'Education nationale entre l'enseignement scolaire et
l'enseignement supérieur. On peut en effet rappeler trois séries
de chiffres :
- en premier lieu, entre 1975 et l'an 2000, la dépense intérieure
d'éducation par élève à augmenté, à
prix constants, de 91 % pour le premier degré et de 72 % pour le second
degré, contre seulement 27 % pour l'enseignement supérieur. En
d'autres termes, la progression des moyens accordés à
l'enseignement supérieur n'a pas suivi la démographie
étudiante ;
- en second lieu, la France est l'un des pays de l'OCDE qui dépensent le
moins pour l'enseignement supérieur, alors qu'elle dépense
déjà plus que la moyenne pour l'enseignement scolaire : en
1998, la dépense intérieure d'éducation en faveur de
l'enseignement supérieur représentait 1,9 % du PIB en
France, contre 2,2 % en moyenne dans les pays de l'OCDE, tandis que la
dépense intérieure d'éducation en faveur de l'enseignement
scolaire représentait 4,4 % du PIB en France, contre 3,7 % en moyenne
dans les pays de l'OCDE ;
- rapportés aux effectifs d'élèves et d'étudiants,
ces écarts sont encore plus importants. Comparées à la
moyenne des pays de l'OCDE
13(
*
)
, les dépenses par
élève ou étudiant exprimées en parité des
pouvoir d'achat sont en effet en France inférieures de 9 % pour
l'école maternelle et de 4 % pour l'école primaire, mais elles
sont supérieures de 46 % pour le collège et de 35 % pour le
lycée, alors qu'elles sont inférieures de 35 % pour
l'enseignement supérieur. La France dépense ainsi
proportionnellement deux fois plus pour ses lycéens que pour ses
étudiants.
Ces écarts résultent, pour une faible part, de ce que le nombre
d'enseignants par lycéen est de 10 % plus élevé en France
qu'en moyenne dans les autres pays de l'OCDE, alors que le nombre d'enseignant
par étudiant est plus faible. Ces écarts résultent
surtout, selon les analyses transmises à votre rapporteur par le
ministère de l'Education nationale, de ce que le salaire des enseignants
du secondaire en fin de carrière est plus élevé.
Dans ces conditions, il semblerait ainsi logique d'accorder une priorité
budgétaire aux dépenses visant à faciliter la
démocratisation de
l'enseignement supérieur
.
Tel fut d'ailleurs le cas sur la période 1990-1999 : les
crédits de l'enseignement supérieur ont progressé de 86 %
en francs courants, contre 49 % pour les crédits de l'enseignement
scolaire.
Cependant, le projet de budget pour 2002 et le budget pour 2001 se
caractérisent par une surprenante
inflexion
en faveur de
l'enseignement scolaire.
Le projet de loi de finances pour 2002 propose ainsi d'accroître
respectivement les crédits de l'enseignement scolaire de 4,5% par
élève
14(
*
)
et
les crédits de l'enseignement supérieur de 1,8 % par
étudiant en prix constants, soit de respectivement + 2,8 % par
élève et + 0,1 % par étudiant.
Cet écart ne répond à aucune préoccupation de bonne
allocation des ressources publiques.