2. La naissance d'une problématique spécifique aux déchets de métaux lourds
La problématique déchets est très différente de la problématique liée aux usages ou aux émissions de métaux lourds. Différentes raisons en font un dossier difficile à appréhender.
a) La transformation de la nature du produit
Un métal lourd peut être parfaitement inoffensif pendant son usage et poser un problème en fin de vie, lorsqu'il devient déchet. Le cas est très fréquent. L'usage du mercure dans les thermomètres ou baromètres est absolument sans danger. Le produit ne devient dangereux -en l'espèce moins pour l'environnement que pour l'utilisateur- qu'en cas de bris (voir supra).
C'est aussi le cas des batteries au plomb qui sont sans grand risque au moment de leur utilisation, mais qui représentent un déchet annuel de 75.000 tonnes de plomb qui supposent un minimum de précautions.
C'est aussi le cas pour la protection des bois aux CCA. A l'exception du cas très spécifique des aires de jeux pour enfants, qui doivent être surveillés, les CCA utilisés sur les panneaux et les plateaux de France Telecom ne posent pas de problème d'environnement ou de santé publique, sauf, comme l'ironisait l'une des personnes auditionnées, « le cas d'une personne qui passerait sa journée à lécher les poteaux de France Telecom...». En revanche, l'élimination de dizaines de milliers de poteaux, souvent brûlés, donc dégageant de l'arsenic, est un vrai problème environnemental.
La nature du produit, et surtout sa dangerosité, peut changer au cours de sa vie : inerte ou inoffensif pendant son utilisation, sa toxicité peut réapparaître en fin de vie, lors du stade de l'élimination.
b) Le décalage entre l'interdiction d'usage et le déchet
Un métal lourd peut être interdit dans un produit et se retrouver dans les déchets. Car il y a un décalage dans le temps entre la décision et ses effets, et un décalage encore plus long entre la décision et ses effets sur les déchets. Les thermomètres à mercure sont bannis depuis deux ans. Mais il y en a toujours dans les déchets. Cependant l'exemple typique est celui des piles.
c) Le risque de délocalisation et d'exportation des pollutions
La problématique métaux lourds est évidemment une problématique planétaire. Les techniques sont bien encadrées en Europe même si l'on ne peut garantir que toutes les règles soient partout appliquées et contrôlées avec la même vigilance, faisant naître alors des compétitions internes à l'Europe où le moins disant environnemental peut offrir des conditions de prix attractives. (voir notamment les problèmes liés au recyclage des batteries au plomb, dont une large part est déviée vers l`Espagne, pays dans lequel les contraintes environnementales sont, au moins sur ce point, apparemment moins respectées qu'en France).
Mais il existe aussi des difficultés pour contrôler les produits entrants, fabriqués avec des méthodes de production très éloignées des normes de européennes, outre le nécessaire renforcement des contrôles.
Deux hypothèses doivent être envisagées.
• La première concerne le risque de délocalisation des productions . Une tentation de faire produire ailleurs des produits devenus trop coûteux à produire en Europe en raison des contraintes environnementales. Cette hypothèse est réfutée par les professionnels du chlore par exemple : « il y a bien des risques de délocalisation, mais les facteurs environnementaux interviennent peu. Une crise liée à la pollution a des effets redoutables pour un producteur. La crise de Bhopal, il y a 15 ans, a été fatale à la Société Union Carbide, alors très gros producteur. Quand les sociétés délocalisent, les nouvelles usines respectent les normes environnementales courantes. D'ailleurs, les principaux coûts de production sont la main d'oeuvre et l'énergie, et non les normes ».
• La seconde hypothèse est celle de la délocalisation des pollutions . M. Van der Heyden, président de la chambre syndicale du zinc et du cadmium a, sur ce sujet, des propos peu rassurants
« La situation de la Chine est intéressante parce que c'est un très gros producteur de zinc (1,4 million de tonnes). Mais la moitié de cette production est réalisée par des petites usines de moins de 20.000 tonnes et même de moins de 5.000 tonnes. Quand un producteur fabrique, comme en Europe, 200.000 ou 300.000 tonnes de zinc, il ne peut se permettre de rejeter 1.000 ou 1.500 tonnes de cadmium dans l'atmosphère. Quand un producteur fabrique 3 ou 4.000 tonnes, il laisse 20 à 50 tonnes de cadmium s'évaporer. L'effet seuil joue pleinement. La concentration permet de respecter des normes, et d'avoir des exigences que les petits producteurs n'ont pas .
On sait qu'il y a, en Chine, des lésions énormes liées à l'absence de normes environnementales, mais rien n'indique qu'il y aura une amélioration à court terme. On peut aussi mettre des normes sur les phosphates. Mais, là encore, on reporte la pollution sur les pays tiers. Les pays en voie de développement n'ont pas les moyens d'enlever le cadmium des phosphates. L'engrais produit avec cadmium dans ces conditions sera alors moins cher. Si on interdit la production, mais qu'on continue d'importer des phosphates chargés en métaux lourds, il n'y a aucun avantage. Au contraire, tout le monde est perdant. Les pollutions reportées ailleurs sont beaucoup plus importantes que les pollutions évitées en Europe... »