II. L'ÉCHEC DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE ET LA NOUVELLE LECTURE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La commission mixte paritaire réunie le 17 janvier dernier a échoué, ses membres n'étant pas parvenus à un accord sur le texte de l'article 2 relatif aux missions de la nouvelle Agence. Avant de revenir sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée cette réunion, votre rapporteur souhaite présenter brièvement le contenu de la nouvelle lecture.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli intégralement le texte qu'elle avait déjà transmis au Sénat en deuxième lecture à deux réserves près.

Tout d'abord, le titre fait l'objet d'une modification rédactionnelle, il s'agit de la proposition de loi " créant " une AFSSE et non plus de la proposition de loi " tendant à la création " d'une AFSSE. L'IRSN dont le poids budgétaire et humain pèsera singulièrement plus lourd que la nouvelle Agence n'est toujours pas mentionné dans l'intitulé du titre.

Ensuite, l'article 5 -qui avait été adopté conforme par les deux Assemblées- est remis en navette à la suite d'un amendement formel du rapporteur à l'Assemblée nationale visant à rectifier les références faites à la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie devenues caduques depuis la publication du code de l'environnement en annexe à l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000.

On notera que l'Assemblée nationale a tenu à revenir intégralement à son texte de deuxième lecture, y compris en rejetant les amendements sénatoriaux qui avaient fait l'objet d'avis favorables ou de sagesse de la part du Gouvernement.

Deux amendements sont ainsi concernés :

- l'amendement précisant de manière exhaustive la définition des missions de l'Agence qui résulte d'un travail commun de votre rapporteur et de notre collègue M. François Autain et qui a été adopté à l'unanimité en deuxième lecture au Sénat (deuxième alinéa de l'article L. 1335-3-1 du code de la santé publique) ;

- l'amendement précisant que l'Agence fournissait une expertise, un appui technique et scientifique pour la mise en oeuvre de certaines dispositions du code de l'environnement relatives à la prévention des risques industriels et chimiques (troisième alinéa de l'article L. 1335-3-1 du code précité).

Concernant l'IRSN, la position de l'Assemblée nationale apparaît particulièrement paradoxale en ce qui concerne la définition des tutelles.

En effet, dès le 11 janvier au Sénat, Mme Dominique Voynet indiquait lors de la discussion générale : " Il a ainsi été décidé que la tutelle du futur IRSN sera assurée par les ministres chargés de la recherche et de l'industrie et, bien sûr, par ceux de la santé et de l'environnement " . Cette position de principe a été réaffirmée à nouveau le 6 février dernier en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

Pourtant le Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale refusent toujours de définir dans la loi la liste des ministères de tutelle, comme ils pourraient le faire en s'appuyant, le cas échéant, sur la liste adoptée en deuxième lecture par le Sénat.

L'absence d'avancées au cours de la nouvelle lecture n'a fait que prolonger les tensions de la commission mixte paritaire.

Votre rapporteur tient à souligner en effet la différence entre le climat consensuel de travail en commun qui avait présidé à l'élaboration de la loi du 1 er juillet 1998 et les tensions qui ont empêché l'adoption d'un texte commun à l'issue de la discussion du présent texte.

Il importe de souligner qu'aussi bien au niveau du Gouvernement que de l'Assemblée nationale, il a été indiqué dans de nombreuses déclarations que l'alternative visant à constituer la nouvelle Agence à partir d'établissements existants, notamment de l'INERIS, n'était pas impraticable mais prématurée.

Dans ce contexte, la discussion de la présente proposition de loi, annoncée en quelque sorte depuis trois ans par l'article 13 de la loi du 1 er juillet 1998, offrait une occasion de franchir une étape importante en bâtissant une agence de sécurité sanitaire digne de ce nom et non pas seulement une " coquille vide ".

A l'instar de la démarche qui a permis au CNEVA de constituer avec succès le " socle " de l'AFSSA, il devait être possible de surmonter les réticences des structures administratives pour bâtir un instrument d'évaluation plus efficace au service des pouvoirs publics.

LE RAPPROCHEMENT DES POSITIONS DE FOND

Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

" J'espère de tout coeur que l'on arrivera à dégager une solution qui, quelle qu'elle soit, permettra cette mise en place de l'Agence dans les meilleurs délais. "

Sénat, 11 janvier 2001, JO Débats p. 97.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales à l'Assemblée nationale

Il a observé que " si les deux Assemblées étaient d'accord sur les principes, elles divergeaient sur l'organisation et la montée en charge des moyens de l'Agence et donc sur l'article 2 ".

Rapport n° 2872 (AN, XI e législature) sur la CMP

Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

" La question de l'intégration de tel ou tel organisme pourra être discutée sur la base du rapport prévu à l'article 3. Mais je suis convaincue qu'il est temps maintenant, après presque un an de débats parlementaires, de rassembler nos volontés pour oeuvrer de concert à combler les carences constatées. Il faut créer l'Agence sans délai, la doter des moyens lui permettant de se mettre en place et procéder aux recrutements de qualité lui permettant de répondre aux questions qui lui seront posées très rapidement. "

Assemblée nationale, 6 février 2001, JO Débats, p. 1154.

M. André Aschieri, rapporteur à l'Assemblée nationale

" L'intégration immédiate de l'INERIS dans l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale est donc une idée très séduisante que j'avais défendue en deuxième lecture. Eu égard aux difficultés que cela représentait pour le personnel et les syndicats de l'INERIS, que j'ai rencontrés, j'y ai renoncé. Cette idée était peut-être aujourd'hui prématurée. "

Assemblée nationale, 6 février 2001, JO Débats, p. 1155.

Sur la forme, votre rapporteur ne peut que regretter qu'à deux reprises au cours de la commission mixte paritaire, lorsque des voix soutenant la majorité gouvernementale exprimaient une divergence à propos d'un refus du compromis, des suspensions de séance aient été demandées, chacune de ces suspensions aboutissant à un retour strict à la " discipline de groupe ".

Ainsi, votre rapporteur a-t-il proposé que l'appellation d'Institut soit substituée dans un premier temps à celle d'Agence , ceci dans l'attente du rapport déjà prévu dans la proposition de loi elle-même qui doit déterminer de manière définitive le contour des futurs transferts d'organismes et de laboratoires.

Cette position raisonnable, à laquelle votre Assemblée aurait pu aisément se rallier, a finalement été refusée : lors de la commission mixte paritaire, l'amendement a bien été adopté dans un premier temps ; toutefois, après une suspension de séance demandée par M. Jean Le Garrec, le vote définitif sur le texte modifié de l'article 2 n'a pas recueilli de majorité, témoignant ainsi de la volonté de faire échouer la CMP.

Le refus du compromis est d'autant plus flagrant que la proposition de loi inclut un nouvel organisme en matière de radioprotection et de sûreté nucléaire qualifié lui-même d'Institut : M. André Aschieri, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, admet au demeurant que la création de l'IRSN préfigure bien celle d'une " quatrième agence " de sécurité sanitaire chargée du nucléaire et dotée de la même indépendance.

La démarche " en deux étapes " ne s'applique donc pas dans tous les cas : la majorité gouvernementale refuse pour l'AFSSE ce qu'elle applique fort logiquement à l'IRSN.

Par ailleurs, on ne peut que regretter que nos collègues à l'Assemblée nationale aient confirmé que la future " Agence " de sécurité sanitaire environnementale ne prendrait pas en considération le risque lié aux ondes électromagnétiques alors que l'on connaît l'importance que revêt cette question aux yeux de nos concitoyens.

Ce comportement contraste avec le climat constructif dans lequel avait été préparée la loi du 1 er juillet 1998.

Il convient de rappeler qu'en septembre 1997, le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait accepté l'inscription à l'ordre du jour prioritaire des deux Assemblées de la proposition de loi (n°  329, 1996-1997) relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, issue des travaux de notre commission menés par M. Charles Descours et votre rapporteur, et déposée le 22 avril 1997 au moment où le Gouvernement de M. Alain Juppé était en fonction.

A l'époque, M. Hervé Gaymard, alors secrétaire d'Etat à la Sécurité sociale, avait approuvé les propositions sénatoriales ; cela ne devait pas empêcher M. Bernard Kouchner, devenu secrétaire d'Etat à la Santé, de les reprendre pour en faire la base de discussion entre le Sénat et l'Assemblée nationale.

S'agissant de la discussion elle-même, malgré des divergences parfois fortes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment sur la nature des pouvoirs de contrôle et d'inspection qui devaient être attribuées à l'AFSSA, la commission mixte paritaire réunie le 12 mai 1998 devait finalement réussir dans un esprit très constructif.

Trois ans après, force est de constater que le climat a changé. Le Gouvernement se montre plus soucieux d'afficher la création d'une nouvelle agence que de lui donner les moyens d'avoir une réelle autorité.

Faute d'une volonté de répondre en profondeur à la réalité des enjeux, le nouveau dispositif apparaît pour ce qu'il est : un collège d'experts supplémentaire qui alourdira les structures administratives sans les améliorer. En matière d'environnement, la réforme de la sécurité sanitaire sera une réforme en trompe l'oeil !

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