DEUXIÈME PARTIE - LES MISSIONS DE LA GENDARMERIE

Les missions de la gendarmerie, mais plus encore la façon dont elle les exerce, assigne à l'arme une place particulière au sein des forces de sécurité.

Ainsi, après avoir mis en valeur les actions qui lui paraissent le mieux souligner la spécificité de la gendarmerie, votre rapporteur s'efforcera de faire le point sur la délicate question des relations entre gendarmerie et police.

I. LA SPÉCIFICITÉ DE LA GENDARMERIE : UNE CAPACITÉ D'ADAPTATION DOUBLÉE D'UNE FORTE DISPONIBILITÉ

Une mission fondamentale, le maintien de la sûreté publique, concentre 90% de l'activité de la gendarmerie. Mais cette vocation fondatrice n'est en rien synonyme d'unicité des tâches, elle se décline au contraire en activités extrêmement variées, au sein desquelles cependant la police judiciaire (38,5 % de l'activité) et les actions préventives de sécurité (32,97%) dominent nettement.

Cette variété se conjugue avec la diversité des lieux dans lesquels l'activité de la gendarmerie se déploie (95% du territoire français et 50% de la population).

Ce double caractère dicte deux impératifs :

- la capacité à s'adapter aux tâches exercées

- la disponibilité et la présence au service de la population.

A. LA CAPACITÉ D'ADAPTATION

Votre rapporteur ne passera pas en revue l'ensemble des activités de la gendarmerie dont les annexes du rapport présentent un bilan chiffré. Il s'intéressera cette année à deux types d'action qui lui paraissent, dans leur diversité, exemplaires des efforts accomplis par l'arme :

- les missions de police judiciaire

- les missions accomplies hors de France.

1. L'activité de police judiciaire

Cherche-t-on un domaine où la capacité d'adaptation de la gendarmerie se trouve mise à l'épreuve ? L'activité de police judiciaire en offre l'exemple le plus significatif. N'est-elle pas confrontée à une criminalité dont les formes se multiplient (travail clandestin, infractions aux règles relatives à la protection de l'environnement, à titre d'exemple) et se compliquent (lutte contre les stupéfiants dans le cadre de frontières ouvertes).

Pour faire face à cette évolution la gendarmerie a suivi trois voies :

- une refonte de ses structures spécialisées,

- une meilleure formation des personnels,

- l'adaptation des instruments d'intervention.

a) La réorganisation des unités spécialisées en police judiciaire

La réorganisation des unités spécialisées en police judiciaire décidée par la réflexion de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), prévue en principe au 1er janvier 1995, n'a commencé qu'en septembre 1995 et devrait s'achever dans un an (1er septembre 1996).

Pour saisir la portée de cette réorganisation, il convient de décrire la structure actuelle des forces dévolues à la mission de police judiciaire. Celle-ci (38,35 % de l'activité de la gendarmerie) revient à titre principal aux officiers de police judiciaire habilités (soit 1 255 officiers et 17 270 sous-officiers) dont une grande partie sert en gendarmerie départementale. L'action des brigades territoriales se trouve renforcée par des unités spécialisées. Ces dernières ont été intégrées cependant aux échelons de commandement placés au-dessus de la brigade : 30 sections de recherche rattachées au niveau des légions, 16 équipes de recherche et 306 brigades de recherche (parmi lesquelles 104 ont une vocation départementale) au sein des compagnies au niveau de l'arrondissement 2 ( * ) .

Enfin les brigades départementales de renseignement judiciaire (BDRJ), créées en 1984 et rattachées aux groupements, sont chargées de centraliser les informations judiciaires. Elles alimentent ainsi des systèmes automatisés centraux (le système judiciaire de documentation et d'exploitation "Judex", le fichier des personnes recherchées, le fichier des véhicules volés) et utilisent les informations ainsi regroupées au profit des unités de terrain.

Les mérites de cette organisation tenaient essentiellement dans une forte décentralisation (jusqu'au niveau de la compagnie), indispensable sans doute pour prendre en compte les différents aspects de la criminalité. Cependant cet avantage présentait son revers : une trop grande dispersion des moyens. Ainsi, les effectifs réduits pour les équipes de recherche (3 sous-officiers) interdisaient la conduite d'enquêtes d'envergure. Par ailleurs, la difficulté de coordonner l'activité des équipes au niveau du département entravait l'effort mené pour lutter contre la petite ou moyenne délinquance.

Une expérimentation conduite dans quatre départements dont votre rapporteur vous a synthétisé les conclusions dans son rapport pour avis en 1994, a permis d'arrêter trois principes d'action :

En premier lieu, la réforme vise le renforcement de la brigade de recherche installée dans l'arrondissement où est également implanté le commandement du groupement de gendarmerie. Cette brigade, déjà compétente pour la conduite des enquêtes judiciaires sur l'ensemble de la circonscription du groupement, bénéficiera de moyens supplémentaires.

En second lieu, la brigade se trouvant dans l'arrondissement, siège d'un tribunal d'instance, sera maintenue ou renforcée.

Enfin, les brigades de recherche installées dans l'arrondissement qui ne correspondent ni au siège du groupement de gendarmerie, ni au siège du tribunal d'instance seront supprimées, sauf quand les circonstances locales (délinquance active, éloignement de la brigade de recherche la plus proche) justifient leur maintien, voire leur création quand elles n'existaient pas.

Concrètement, ce redéploiement effectué à effectifs constants entraînera :

- 75 renforcements de brigades de recherche,

- 65 transformations d'équipes de recherche en brigades de recherche (l'effectif minimum de ces unités étant porté à quatre sous-officiers),

- 57 suppressions d'équipes de recherche,

- 2 créations nettes de brigade de recherche (une suppression et trois créations).

Ces mouvements de personnel qui mettent une fois de plus en jeu le sens d'adaptation des gendarmes ne devraient pas, selon la DGGN, emporter des conséquences dommageables pour la situation familiale et professionnelle des militaires concernés. L'étalement dans le temps et la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement dont la teneur n'est pas encore précisée répondent à ces préoccupations.

Malgré l'assurance fournie par le ministère de la Défense sur la pérennité du maillage territorial des brigades de gendarmerie, votre rapporteur s'interroge sur la portée de la suppression de 57 équipes de recherche et d'une brigade de recherche et de ses conséquences sur le maintien d'un service de proximité dont les vertus dissuasives pour les délinquants et rassurantes pour la population ne font guère de doute.

b) Une meilleure formation des personnels

L'adaptation aux tâches de police judiciaire passe également par un effort notable de formation dont il importe de relever quatre témoignages.

En premier lieu, l'organisation de stages au centre national de formation de police judiciaire à Fontainebleau répond au souci d'apporter aux officiers de police judiciaire une formation qui réponde précisément à un besoin, soit dans l'exercice d'une tâche particulière (enquêteur judiciaire, technicien en identification criminelle), soit dans un domaine spécifique (filatures, stupéfiants, faux documents, délinquance économique, financière et informatique, délinquance juvénile etc.).

Par ailleurs, chaque groupement de gendarmerie départementale dispose d'une équipe de deux formateurs relais anti-drogue (FRAD) -ou trois dans les départements les plus sensibles dans ce domaine. Dotés d'outils pédagogiques adaptés, ils ont vocation à instruire les autres sous-officiers des unités. Parallèlement à cette action de formation interne, ils sensibilisent et informent les élèves de l'enseignement primaire et secondaire sur les problèmes de drogue.

Dans un domaine tout autre, l'écologie, les groupements de gendarmerie départementale et de gendarmerie maritime disposeront, à partir de 1996, d'une équipe de deux formateurs-relais environnement /écologie (FREE). Ces derniers assureront la formation des sous-officiers aux prélèvements à réaliser lors de pollution des eaux douces. A cette fin, 150 mallettes de prélèvements d'échantillons ont d'ores et déjà été distribuées au profit des compagnies de gendarmerie les plus concernées par le contrôle de la pollution ; cent autres seront attribuées d'ici la fin de l'année 1995.

Enfin, un autre sujet de préoccupation, la lutte contre le travail clandestin, se trouve à l'origine d'une formation spécifique dispensée dans chaque compagnie de gendarmerie départementale.

c) L'adaptation des instruments d'intervention

La formation ne suffirait cependant pas si les gendarmes ne disposaient d'instruments adaptés pour en tirer le meilleur bénéfice. A cet égard, il faut souligner deux orientations intéressantes :

- une plus grande efficacité dans le traitement de l'information grâce à l'utilisation de moyens informatiques (généralisation du système "Judex-groupement" permettant le recueil et l'exploitation en temps réel des informations relatives aux affaires judiciaires et aux auteurs d'infractions par le groupement de gendarmerie départementale ; la participation de la gendarmerie au fichier automatisé des empreintes digitales, géré par le ministère de l'intérieur, avec le mise en oeuvre d'un site de saisie et de consultation implanté au service technique de recherches judiciaires et de documentation de Rosny-sous-Bois) ;

- une mobilisation des moyens pour lutter contre la criminalité : l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale apporte un concours technique aux unités de recherche dans les enquêtes les plus importantes ; par ailleurs des groupes d'observation et de surveillance spécialisés dans la recherche des éléments de preuve ont été créés au sein des sections de recherche (à Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Orléans, Marseille, Metz, Renne) d'une part et de la légion de gendarmerie mobile d'Ile de France d'autre part.

*

* *

Cet effort d'adaptation sous sa triple forme (réorganisation, formation, mise en place de nouveaux instruments) est encore trop récent pour qu'il soit possible d'en mesurer déjà les effets. Du reste, pour combattre une criminalité dont les formes ne cessent d'évoluer, les progrès paraissent nécessairement lents et ne sont jamais durablement acquis. Cependant, comme le montre le tableau suivant, la progression du nombre de crimes et de délits élucidés par rapport au nombre de crimes et délits constatés entre 1993 et 1994 (68,2 % contre 65,2 %), toutes choses égales par ailleurs, ne laisse pas d'apporter quelques signes d'encouragement.

Action de la gendarmerie concernant la police judiciaire

2. L'ouverture sur l'extérieur

La présence de gendarmes hors des frontières tend à s'accroître non seulement pour assurer la protection de nos diplomates mais aussi pour répondre à une double dynamique :

- la coopération internationale,

- la participation à des opérations extérieures.

a) La coopération internationale

Le représentation de la gendarmerie au sein des instances de coopération européenne

La gendarmerie participe aux organismes de coopération européenne en matière de sécurité intérieure. En premier lieu, la gendarmerie se trouve représentée dans le cadre d'Europol :

- au sein du groupe Europol proprement dit, avec la présence d'un officier de la Direction générale de la gendarmerie nationale : les travaux de ce groupe se poursuivent après la signature de la convention Europol du 26 juillet 1995, pour mettre en place les règlements nécessaires à son application ;

- au sein de l'unité de drogue Europol (UDE) installée à La Haye, où un officier de gendarmerie est affecté depuis le 16 février 1994, la compétence de cette unité s'est étendue en mars 1995 aux matières nucléaires et radioactives, aux filières d'immigration clandestine et enfin aux véhicules volés.

Une unité nationale Europol s'est mise en place de façon empirique afin d'assurer la coordination entre l'UDE d'une part et la gendarmerie, la police, les douanes, d'autre part.

La gendarmerie participe également à la coopération policière instituée par les accords de Schengen , notamment dans le cadre de la cellule opérationnelle du système national d'information Schengen, composée à hauteur du tiers de ses effectifs par des militaires de la gendarmerie.

Une coopération bilatérale encore peu développée

En Europe, cette coopération privilégie l'Italie et l'Espagne, qui disposent de forces de statut comparable. Une déclaration commune signée entre les autorités des trois institutions en mai 1994 a été reconduite le 2 juin 1995 et fixe le programme de travail pour des commissions tripartites. Parmi les projets de coopération, citons la mise en place d'un représentant de chaque institution dans les principales écoles des trois Etats (Montluçon pour la France, Florence pour l'Italie, Ubeda pour l'Espagne).

Selon votre rapporteur, il conviendrait cependant de développer cette coopération vers d'autres pays dans une double perspective : assurer le rayonnement du modèle français de maintien de l'ordre, favoriser nos intérêts dans les zones concernées.

Le modèle français de gendarmerie, par sa polyvalence comme par ses modes d'intervention, apparaît particulièrement adapté aux Etats dont les régimes évoluent vers la démocratie. En effet, dans un contexte politique caractérisé par l'instabilité et les tensions sociales, les recours habituels des régimes autoritaires pour rétablir l'ordre ne sont plus de mise. Les moyens d'intervention de la gendarmerie présentent un caractère mieux proportionné aux risques de tensions intérieures. A ce titre, le modèle français intéresse spécialement les pays d'Europe centrale ainsi que les pays africains.

Les actions de coopération conduites en 1994 avec les pays d'Europe centrale et orientale se sont essentiellement concrétisées sous trois formes :

- missions d'évaluation (en Pologne, Biélorussie, Slovaquie, Ukraine, République tchèque) ;

- missions d'information en France au profit de délégations polonaise, lettone et tchèque ;

- stages de formation au bénéfice des membres des forces de sécurité des pays de l'Europe de l'Est (8 en 1994).

En Afrique, la présence des gendarmes s'inscrit dans le cadre des actions conduites sous l'égide de la mission militaire de coopération. Investis principalement d'une mission de formation, les militaires de la gendarmerie ont joué un rôle particulièrement utile pour sensibiliser les autorités concernées sur les moyens du maintien de l'ordre.

Remarque-t-on suffisamment que les opérations conduites dans ce domaine en Afrique francophone donnent beaucoup moins lieu à des violences de la part des forces de l'ordre ?

Compte tenu des enjeux qu'elle présente pour la consolidation de l'Etat de droit et pour le rayonnement du modèle français, la coopération extérieure devrait être renforcée.

Mais cette priorité se justifie pour une autre raison : les liens noués avec les forces des pays étrangers servent nos intérêts. Ainsi, les relations développées avec les carabiniers du Chili grâce à l'accréditation à Santiago de l'attaché de gendarmerie présent à l'ambassade de France en Argentine a permis de susciter un vif intérêt des responsables chiliens pour le réseau Rubis.

Par ailleurs, la gendarmerie nationale pourrait, dans le cadre d'une déclaration d'intention, s'engager à coopérer dans les domaines de l'informatique et des télécommunications dans le cas où les carabiniers feraient l'acquisition du système Matra.

A cet égard, votre rapporteur souhaite vivement une présence accrue d'attachés de gendarmerie au sein de nos ambassades ; actuellement, le nombre d'attachés de gendarmerie se réduit à quatre (Madrid, Rome, Buenos-Aires, Ankara), auxquels il convient d'ajouter deux officiers de gendarmerie occupant les fonctions d'attaché de défense à Port-au-Prince et Bujumbura.

b) Une participation active aux interventions extérieures

Les gendarmes accomplissent, sous l'égide de l 'ONU , trois types de missions :

- les prévôts, attachés aux bataillons français, font respecter les lois et règlements français au sein de ces unités ;

- les membres de la "Military police" (MP) accomplissent une mission comparable dans le cadre des équipes internationales pour surveiller l'application des règlements de l'ONU ;

- Les contrôleurs de police (CIVPOL) veille au respect des droits de l'homme par les polices locales, en particulier en matière d'incorporation.

Répartition des effectifs de la gendarmerie nationale

participant à des opérations de l'ONU

- en ex-Yougoslavie :

* 25 prévôts (dont 1 officier et les gendarmes de l'air)

* 27 MP (dont 2 officiers)

* 25 CIVPOL (à la suite des événements en mai 1995 en Krajina 29 CIVPOL n'ont pas été remplacés)

- au Liban

* 2 prévôts

* 3 MP

- en Haïti : (MINUHA)

* 54 CIVPOL (dont 2 officiers)

* 3 instructeurs à l'académie de police haïtienne

Par ailleurs, la gendarmerie demeure la seule force de l'armée française à participer à des opérations terrestres de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) :

- En Roumanie : 1 officier et 19 sous-officiers pour le contrôle de l'embargo sur le Danube ;

- en ex-Yougoslavie : 1 officier et 19 sous-officiers pour la contribution d'une force de police à Mostar.

Dans ces missions, à la différence des opérations ONU, les charges liées au matériel (sauf les véhicules en Roumanie) incombent en totalité à la gendarmerie.

* 2 Les brigades se distinguent des équipes par leur effectif : 6 à 8 militaires pour les premières, 3 seulement pour les secondes (dont le nombre réduit s'explique par leur suppression en cours).

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