EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis sur la mission « Outre-mer ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis sur la mission « Outre-mer ». - Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer », dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une forte baisse des crédits de cette mission, ainsi que, plus globalement, de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer ; je rappelle, à ce propos, que les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent que 14 % des crédits alloués aux outre-mer.
Les crédits de la mission diminueraient ainsi de plus de 12 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP).
Si l'on rentre un peu plus dans le détail, on constate une légère augmentation des crédits du programme 138 « Emploi outre-mer », qui vise à améliorer la compétitivité des entreprises situées en outre-mer. Il s'agit toutefois d'une hausse à reconsidérer, car elle est liée à l'augmentation des compensations d'exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises ultramarines au titre du dispositif dit « Lodéom ».
Tous les autres dispositifs financés par ce programme subissent des baisses importantes de leurs crédits, parmi lesquels des dispositifs d'une importance cruciale pour le développement économique des outre-mer. Je pense, par exemple, aux prêts de développement outre-mer, lancés en 2017, qui permettent à des petites et moyennes entreprises (PME) ultramarines d'accéder à des financements pour développer leur activité, et sans lesquels ces entreprises ne pourraient se financer, le coût du financement privé étant plus élevé outre-mer que dans l'Hexagone. Autre exemple : l'aide au fret, permettant de compenser les surcoûts de transports de marchandises liés à l'éloignement des collectivités ultramarines, qui favorise ainsi la production locale tout en faisant baisser les prix pour les consommateurs. Je rappelle, à ce titre, que les prix sont beaucoup plus élevés en outre-mer : chez moi par exemple, en Polynésie, les prix de l'alimentation sont 51 % plus élevés qu'en métropole !
Je regrette aussi les autres diminutions de crédits qui empêcheront l'extension du dispositif « Cadres d'avenir », pourtant utile, ou encore la baisse de la subvention pour charges de service public de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), acteur essentiel de la formation professionnelle, qui exerce une mission capitale au vu des taux de chômage constatés dans nos collectivités.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » voit ses crédits amputés de plus d'un tiers, tant en AE qu'en CP. Je constate de plus d'importantes disparités entre les lignes budgétaires : ainsi, les financements relatifs à l'aménagement du territoire connaissent une baisse massive de plus de 75 % de leurs crédits !
Là encore, les économies prévues apparaissent mal ciblées puisqu'elles diminuent les moyens de dispositifs qui sont cruciaux pour les outre-mer.
Je constate d'abord une diminution des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), alors que 150 000 habitats indignes et insalubres sont encore recensés dans les territoires ultramarins, et que les besoins en logements, notamment sociaux, ne cessent de s'accroître.
Les moyens alloués à la continuité territoriale diminuent également, alors qu'il s'agit de dispositifs majeurs pour les populations ultramarines. Ils permettent, par exemple, de financer une partie des frais liés aux transports pour les étudiants inscrits dans une université en dehors de leur collectivité de résidence. Les crédits prévus risquent donc de ne pas couvrir tous les besoins, au moment où de nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale, créés par la loi de finances pour 2024, devraient entrer en vigueur en 2025 et engendrer un besoin budgétaire supplémentaire.
L'appui aux collectivités territoriales connaît aussi une forte baisse.
Comme je l'ai déjà évoqué, la baisse des crédits relatifs à l'aménagement du territoire - crédits permettant le financement de projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales - touchera notamment les moyens affectés aux contrats de convergence et de transformation (CCT), un dispositif de cofinancement d'opérations d'investissement visant à réduire les écarts de développement avec la métropole.
S'ajoute à cela une diminution des moyens dédiés aux collectivités territoriales, qui empêchera la construction d'équipements scolaires en Guyane en 2025, ou encore la signature de nouveaux contrats de redressement en outre-mer (Corom), au bilan pourtant positif.
Enfin, les crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) diminuent, limitant les moyens pour financer certains équipements collectifs, alors qu'ils sont déterminants pour le développement économique et social des territoires concernés.
Cette baisse des crédits de la mission « Outre-mer » intervient, il est vrai, dans un contexte de déficit public élevé ; celui-ci devrait atteindre, voire dépasser, 6,1 % du PIB en 2024. Ce contexte nous oblige à réaliser des économies pour garantir la soutenabilité de la dette publique, alors que la France fait l'objet, depuis juillet 2024, d'une procédure de déficit excessif à l'initiative de la Commission européenne.
Dans le cadre de ce nécessaire redressement des finances publiques, la quasi-intégralité des missions budgétaires voient donc leurs crédits diminuer. Si je souscris, bien évidemment, à la nécessité d'endiguer la dégradation des finances publiques et de diminuer le déficit public, je constate toutefois que les collectivités ultramarines sont confrontées à des difficultés économiques et sociales persistantes, et que le budget qui leur est octroyé en temps normal est déjà faible au regard des enjeux.
Parmi ces enjeux, je citerai notamment un taux de chômage plus élevé que dans l'Hexagone - 34 % à Mayotte -, un fort taux de pauvreté - 900 000 personnes sont sous le seuil de pauvreté en outre-mer -, des prix plus élevés qu'en métropole, des difficultés d'accès à l'eau potable, un nombre important d'habitats insalubres ou indignes, sans oublier la nécessité de reconstruire la Nouvelle-Calédonie au lendemain des émeutes.
Les tensions économiques et sociales se sont, de plus, aggravées au cours de l'année 2024. Je viens d'évoquer la crise consécutive au projet de réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui a provoqué le décès de treize personnes, plus de 2,2 milliards d'euros de dégâts et la destruction de 6 000 emplois. Les manifestations contre la cherté de la vie, qui se sont déclenchées en Martinique depuis septembre 2024, ont entraîné des violences et la mise en place d'un couvre-feu. La crise de l'eau à Mayotte, placée sous pression migratoire, a privé d'eau la moitié sud de l'île pendant vingt-quatre heures, voilà une semaine. Nous pourrions multiplier les exemples...
Dans ce contexte, nous ne pouvons que déplorer la diminution des crédits de la mission « Outre-mer », qui ampute de leur budget des dispositifs pourtant cruciaux, ayant prouvé leur efficacité. Cette diminution de crédits ne peut qu'aggraver les problématiques rencontrées par les territoires ultramarins au cours de l'année 2024.
Je relève toutefois l'engagement pris par le Gouvernement : le ministre du budget et des comptes publics, le 12 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, a ainsi annoncé une hausse substantielle des crédits, pour se rapprocher du niveau des crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2024. Cet engagement a été confirmé par le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, hier, lors de son audition par la commission des lois. Ce « combat », pour reprendre ses termes, doit reposer sur la stabilité et la confiance sur lesquelles il souhaite fonder son action. Je souscris aux annonces faites dans ce cadre, et ce sans naïveté, puisque le ministre s'est engagé à travailler avec l'ensemble des rapporteurs sur des ajustements à venir.
Si le seul maintien des crédits ouverts en 2024 ne permettra pas de résoudre l'ensemble des problématiques auxquelles font face les collectivités ultramarines, il s'agit toutefois d'un compromis que j'estime acceptable, au vu de la situation financière de notre pays.
De ce fait, et compte tenu de l'engagement pris par le ministre hier, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Il nous faudra néanmoins rester vigilants, d'ici à l'examen en séance publique du PLF, aux annonces du ministre des outre-mer et au détail des abondements de crédits qui seront apportés et, je l'espère, votés par notre assemblée.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur pour son travail. Il s'est montré très critique sur ce budget 2025, mais cette analyse critique doit être mise en lien avec le constat - sévère - de tout ce qui n'a pas été fait dans les outre-mer au cours des dernières années. Qu'avons-nous fait jusqu'à présent ?... Quatre ministres se sont succédé à ce ministère en deux ans. Dans un tel contexte, il est compliqué de construire une ligne et une vision pour des territoires, qui, rappelons-le, ont chacun leurs spécificités !
Je veux insister sur ce point : au-delà de l'unité de la Nation, il faut prendre en compte les spécificités de chaque collectivité ultramarine et, comme le ministre l'a dit hier, avoir une vision et des objectifs pour chaque territoire ultramarin. Ce n'est pas ce qui a été fait pendant des années : on a distribué de l'argent, mais quelle était la vision ? On peut regretter, aujourd'hui, une diminution du budget ; dans le même temps, tout le monde doit faire des efforts face à une réalité extrêmement complexe. Je suis persuadée que si, ensemble, indépendamment de nos appartenances politiques, nous travaillons une vision à court, moyen et long termes pour chacun de ces territoires, nous pourrons faire de belles choses.
M. Hussein Bourgi. -Avant l'audition de François-Noël Buffet devant la commission hier, nous nous apprêtions à voter contre ces crédits. Nous allons finalement nous abstenir, dans l'attente des améliorations qui seront apportées d'ici au vote dans l'hémicycle. Nous sommes tous conscients des défis et enjeux qui concernent les outre-mer : sargasses, chlordécone, cherté de la vie, désespérance de la jeunesse, fracture territoriale et sociale, etc.
Parmi les diminutions de crédits, la baisse de 75 % de l'aide au fret nous a interpellés. On parle de produits de première nécessité, qui sont déjà bien plus chers que dans l'Hexagone... Cette mesure ne pourra qu'accentuer l'écart de prix, avec une répercussion sur les consommateurs.
Vous l'avez compris, les premières orientations budgétaires n'étaient pas satisfaisantes, mais nous nous fions à la volonté du ministre de les rectifier, d'où notre abstention.
Sans préjuger des améliorations proposées par le Gouvernement, nous pourrions nous inspirer des amendements que l'Assemblée nationale avait adoptés...
Mme Lana Tetuanui. - Merci au rapporteur pour cet exposé assez inquiétant : on n'a jamais vu ça, ai-je envie de dire... Je ne réprimanderai pas l'actuel ministre car il faut prendre en compte les événements de cette année : dissolution de l'Assemblée nationale ; absence de majorité dans la nouvelle assemblée ; maintien du premier ministre démissionnaire jusqu'à la nomination du Premier ministre actuel ; lettres plafonds... On en voit le résultat aujourd'hui !
Peut-être faut-il que les ministres arrêtent de venir dans les territoires ultramarins... Si c'est pour aboutir à cette diminution de crédits, je leur conseille de rester à Paris. Car nous en avons reçu plusieurs en visite, et à chaque fois, ils nous ont dit : « Vous êtes la France. Vous êtes la chance de la France. » À ce prix-là ? C'est tout de même malheureux !
Les crédits annoncés pour la Présidence de la République lors de l'examen de la mission « Pouvoirs publics » m'ont surprise. Ce qui est réclamé, pourquoi ne pas le donner aux outre-mer ? Mais non ! Aux outre-mer, on demande encore des efforts, et après on s'étonne de ce qui se déroule en Nouvelle-Calédonie ou en Martinique.
La logique voudrait que l'on vote contre les crédits de cette mission, tels qu'ils nous sont présentés. Pour autant, je fais confiance au ministre chargé des outre-mer, François-Noël Buffet. Il hérite d'une situation qui, comme cela a été dit, ne date pas d'hier. Pour ma part, je compte sur l'efficacité et la solidarité des sénateurs ultramarins ; nous allons devoir tous nous mobiliser pour aider notre ministre à réajuster le tir.
Je veux bien comprendre que l'on demande des efforts à tout le monde en temps de crise, mais il y a une limite : les outre-mer ne peuvent pas être sacrifiés sur l'autel du déficit public !
Le groupe Union Centriste votera ces crédits, sous réserve de l'adoption de nos amendements.
M. Olivier Bitz. - Je ferai d'abord une observation de nature politique. Aujourd'hui, une large majorité sénatoriale soutient le Gouvernement ; certains dans cette majorité sénatoriale soutenaient le gouvernement précédent. J'appelle donc les uns et les autres à ne pas faire croire que l'on passerait de l'ombre à la lumière par la seule magie de la nomination d'un nouveau gouvernement. Les choses sont plus complexes ! Gardons-nous de jugements trop hâtifs !
Nous savons tous, par ailleurs, dans quelles conditions l'actuel gouvernement a été constitué et dans quels délais il a dû préparer ce PLF. Je considère que certaines méthodes budgétaires employées ne valent que pour cette année. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude : c'est bien le texte déposé par le Gouvernement dont nous devons discuter, et non pas de ce texte amendé par des déclarations politiques.
En tant que sénateur métropolitain, je suis très attentif aux crédits pour l'outre-mer, dans la mesure où nous faisons Nation : les territoires ultramarins figurent parmi les territoires les plus fragiles, que nous devons absolument soutenir en temps de crise.
Je déplore que les crédits de la mission ne reflètent qu'imparfaitement l'engagement de l'État pour les outre-mer. Comme Teva Rohfritsch l'indiquait, nous discutons de 14 % des crédits totaux de l'action envers ces territoires. Comment juger de l'engagement de l'État dans ces conditions ? Le fait de ne pas avoir de vision consolidée est regrettable.
Mme Salama Ramia. - J'entends qu'il faille faire un effort au niveau national, mais je voudrais dire que Mayotte est en pleine phase de rattrapage de son retard de développement. Hier, j'entendais dans l'hémicycle des présentations d'amendements sur le dispositif « Lodéom » : les entreprises mahoraises n'en bénéficient même pas ; nous nous battons pour qu'elles puissent y avoir accès !
Jusqu'à hier, comme mes collègues, j'étais assez pessimiste. Je me dis maintenant que rien n'est perdu et qu'il y a peut-être une lueur d'espoir. Je rejoins Jacqueline Eustache-Brinio sur le manque de vision globale pour un territoire comme Mayotte, qui est au bord de l'explosion sur les plans économique et social.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis. - Nous regrettons tous les lettres plafonds envoyées en août dernier. Était-ce une sanction ou un cadeau empoisonné ? De manière inconcevable, elles ont acté une baisse draconienne des moyens mis à disposition des outre-mer : c'est non plus un effort qu'on leur demande, mais un sacrifice budgétaire ! Le Gouvernement actuel pouvait-il en quinze jours rectifier la situation, alors qu'il entrait dans le tunnel budgétaire ? Cela semblait difficile...
Je le redis, j'étais au départ défavorable à l'adoption des crédits de la mission. Mais il faut s'accrocher à l'espoir qui nous a été donné. Dans la situation politique exceptionnelle que vit notre pays, je propose que la commission des lois accompagne l'élan de responsabilité que représentent les engagements pris par Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics, à l'Assemblée nationale et par le ministre chargé des outre-mer auprès de notre commission, dont nous savons combien elle lui est chère. Il ne s'agit pas d'un élan de naïveté commune : ces engagements nous donnent bon espoir de parvenir à rétablir le budget au niveau de celui de 2024.
François-Noël Buffet a évoqué hier plusieurs sujets prioritaires, notamment la question du Plom 3 (plan Logement outre-mer) et du logement, celle de l'eau, et les contrats avec les collectivités territoriales. Il s'est engagé à lancer un Oudinot de la vie chère, à traiter les urgences et à rétablir les crédits à un niveau acceptable pour les Corom. J'insiste, il nous faut travailler avec le Gouvernement pour rétablir la jauge de crédits de l'année 2024, qui peut être un compromis acceptable dans le contexte budgétaire actuel.
Le ministre plaidait, lors de son audition, en faveur de la stabilité et de la confiance. Je crois qu'il revient au Sénat de donner des gages en ce sens par son vote.
Je remercie Hussein Bourgi pour son intervention. La cherté de la vie a été évoquée par le ministre. Quant aux sargasses, elles sont financées par une autre mission budgétaire : nous devons toutefois rester attentifs, car des questions restent en suspens sur les crédits y afférents.
Au travers des deux programmes de la mission « Outre-mer », nous ne traitons que 14 % de l'effort national en faveur des outre-mer. Les élus ultramarins souhaiteraient débattre du reste des crédits, qui sont « noyés » dans d'autres missions budgétaires nationales. Certes, cet éparpillement se justifie par le fait que nos territoires font partie de la République, mais leurs spécificités, ainsi que les statuts qui les régissent, nécessiteraient que nous consacrions peut-être davantage de temps à évaluer l'ensemble de l'effort national en faveur de nos outre-mer.
Salama Ramia a raison de rappeler que, lorsqu'on pense à Mayotte, la notion d'effort est toute relative. Quant aux Calédoniens, ils attendent la reconstruction et veulent prendre un nouveau départ, dans un contexte de dialogue à rétablir - le ministre et le président du Sénat s'y emploient. Chacun de nos territoires a conscience que, pour éviter que la charge de la dette ne devienne le premier poste du budget de la Nation, l'effort doit être partagé par tous. Dans le même temps, on ne peut ignorer que ceux qui ne peuvent pas se loger, se nourrir ou être en sécurité ont de fortes attentes en direction de l'État.
Je le redis, j'étais plutôt opposé à l'adoption des crédits avant que nos deux ministres prennent des engagements. Je vous propose maintenant, dans une démarche de confiance et d'encouragement, de les adopter, tout en restant vigilants. J'espère que nous pourrons, collectivement, contribuer utilement à rétablir un niveau de budget plus acceptable pour les outre-mer.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».