EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous achevons l'examen des crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 relevant de nos compétences par ceux qui ont trait à l'action culturelle extérieure de l'État.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. -Le programme 185 de la mission « Action extérieure de l'État », consacré à la diplomatie culturelle et d'influence, finance l'enseignement français à l'étranger, les services culturels des ambassades et le réseau des instituts français et des alliances françaises, la mobilité étudiante et les partenariats scientifiques, qui constituent autant de relais d'influence de notre pays dans le monde.

Ce domaine traditionnellement très investi par la France prend une importance particulière dans le contexte actuel de regain des tensions entre États, en devenant parfois le seul canal de dialogue possible avec un pays ou un peuple étranger. Il constitue également un terrain de forte concurrence internationale, sur lequel il est crucial de ne pas perdre pied.

Ce programme est malheureusement largement touché par la réduction des moyens alloués au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), avec une baisse de crédits de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Les différents opérateurs du programme sont ainsi appelés à prendre leur part de l'effort global de maîtrise des finances publiques. J'ai cependant constaté, au cours de mes auditions, qu'ils continuent d'inscrire leur action dans une dynamique de progression, au prix bien entendu de certains ajustements.

Le principal opérateur du programme, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), verra sa subvention réduite de 14 millions d'euros, soit 3 %. Selon le ministère, cette baisse est à relativiser : une large partie des crédits supprimés correspond en effet à la fin d'une aide exceptionnelle versée depuis 2022 pour les établissements du Liban. Je relève cependant que, comme de nombreux autres opérateurs de l'État, l'AEFE est également touchée par le relèvement du taux de cotisation au titre des pensions civiles, pour un surcoût de plus de 9 millions d'euros.

L'Agence prévoit de faire face à ces évolutions en déployant plusieurs mesures d'économies, qui passeront par des suppressions d'effectifs détachés ainsi que par une baisse des subventions versées aux établissements pour assurer leur développement, notamment en matière immobilière.

Le réseau a par ailleurs la possibilité de mobiliser les frais de scolarité acquittés par les familles, qui représentent un peu moins des deux tiers du financement des établissements conventionnés et en gestion directe. Ces frais de scolarité, d'un montant annuel moyen de 6 051 euros, sont en augmentation régulière depuis une dizaine d'années ; ils restent cependant très compétitifs par rapport à ceux des réseaux anglo-saxons, notamment dans les établissements conventionnés et en gestion directe. Les parents d'élèves s'interrogent toutefois sur leur adéquation avec l'état du bâti scolaire de certains établissements.

En tout état de cause, cette évolution budgétaire ne permettra pas au réseau de s'inscrire dans la trajectoire nécessaire pour atteindre l'objectif de 700 000 élèves à la rentrée 2030, fixé en 2018 par le Président de la République. Alors que ce « Cap 2030 » a été réaffirmé l'année dernière, l'Agence reconnaît à demi-mot qu'il est désormais hors de portée. Pour y parvenir, il faudrait en effet que les effectifs du réseau progressent de 10 % par an, quand leur rythme de croissance annuel s'établit plutôt autour de 2 % depuis trois ans - l'année 2024 a commencé avec un effectif estimé à 399 000 élèves.

Plusieurs facteurs ont contribué au décrochage progressif de cet objectif. Après la crise sanitaire, les tensions politiques ont asséché le vivier d'élèves dans plusieurs zones. C'est le cas dans les pays du Sahel, où le nombre de familles en expatriation a considérablement diminué, mais aussi en Turquie, où la récente interdiction de la scolarisation des élèves de nationalité turque dans le réseau français a conduit à la sortie de 356 élèves. Or la mission de service public assumée par l'AEFE la conduit à maintenir son activité dans des territoires qui ne présentent aucun potentiel de progression des effectifs.

Le réseau fait par ailleurs face à la concurrence très vive des établissements anglo-saxons, qui s'adaptent de manière souple aux contextes locaux. Le réseau français dispose cependant de sérieux atouts pour y répondre, à commencer par la continuité pédagogique et éducative offerte d'un établissement à l'autre.

Au-delà de l'objectif chiffré de 700 000 élèves, l'ambition générale de développement du réseau n'est donc pas abandonnée, et mobilise plusieurs outils du programme. En premier lieu, le plan de formation des personnels locaux mis en oeuvre en 2023, qui se poursuit avec la montée en puissance des seize instituts régionaux de formation (IRF). En second lieu, les bourses France Excellence-Major, qui permettent aux meilleurs élèves étrangers de poursuivre leurs études supérieures en France, et dont le nombre sera porté à 910. Enfin, le développement du plurilinguisme, qui passe par la diffusion des sections internationales et la mise en valeur du baccalauréat français international, dont une deuxième cohorte d'élèves sera diplômée en juin 2025.

La stratégie définie par le ministère tend à concentrer ces efforts sur onze pays cibles, et cite explicitement les élèves étrangers comme le principal vivier de progression des effectifs. À ce jour, plus des deux tiers des élèves du réseau ont la nationalité du pays d'implantation ou une nationalité tierce ; leur part s'accroît depuis la crise sanitaire, tandis que celle des élèves français diminue.

En s'insérant ainsi sur le marché de l'éducation internationale, pour lequel existe aujourd'hui une demande croissante et indépendante des logiques d'expatriation, l'AEFE inscrit clairement son développement dans la stratégie d'influence française. Cette évolution correspond à la mission de rayonnement de la langue et de la culture françaises qui lui est confiée par le code de l'éducation.

Permettez-moi de dire un mot des défis auxquels est confrontée l'Agence pour assurer l'application du principe de laïcité.

Bien entendu, les établissements du réseau sont assujettis aux lois et réglementations des territoires sur lesquels ils sont implantés ; les principes de la loi de 1905 ne valent donc ni pour les élèves ni pour les personnels recrutés localement. Pour autant, la laïcité à la française était traditionnellement bien acceptée, y compris dans l'espace arabo-musulman. Il semble que cette acceptation recule désormais, en raison de l'exportation des récents débats sur les tenues autorisées dans les établissements scolaires ; c'est notamment le cas au Maroc ou en Turquie. L'AEFE m'indique qu'elle demande à ses agents « de s'adapter sans renoncer, de tenir les objectifs, mais en faisant preuve de doigté », en acceptant au besoin « des accommodements raisonnables ».

Nous serons tous d'accord pour constater que l'AEFE est confrontée à de nombreuses mutations, qui mériteraient que nous nous y intéressions plus longuement. C'est pourquoi, en accord avec notre président Laurent Lafon, je vous propose de recevoir prochainement sa directrice au sein de notre commission.

J'en viens aux crédits de l'Institut français, dont la subvention sera en baisse de 6 %. La diminution est à mettre en rapport avec celle des dépenses d'intervention du programme, qui est plutôt de l'ordre de 15 % ; on peut donc considérer que le choix a été fait de préserver cet opérateur.

Cette évolution ne devrait pas fondamentalement remettre en cause le niveau d'activité de l'Institut, qui tend à s'accroître sous l'effet de financements extérieurs apportés par la Commission européenne, l'Agence française de développement (AFD) ou encore la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle le conduit cependant à mettre en place des mesures d'économies.

Ainsi, à court terme, l'Institut économise sur ses frais de fonctionnement, et notamment sur son loyer, à la faveur de son récent déménagement rue de la Folie-Régnault.

À moyen terme, il a entamé une revue stratégique de ses activités, qui le conduira à se désengager partiellement de certains programmes, tels que le soutien aux cinémas du monde et le soutien aux résidences et aux mobilités d'artistes. Les partenariats noués avec les collectivités locales seront par ailleurs recentrés sur les plus dynamiques d'entre eux.

À ce titre, les partenariats avec des acteurs locaux offrent une visibilité bienvenue des activités de l'Institut auprès de nos concitoyens, pour qui les enjeux de la diplomatie culturelle peuvent parfois sembler quelque peu lointains. Je pense notamment au succès de l'exposition Salammbô, organisée avec les musées de Rouen Normandie et le Mucem de Marseille, et qui est visible à Tunis depuis le mois de septembre dernier.

Ces nouvelles orientations seront complétées par les priorités définies dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'Institut, qui sera soumis à l'avis de la commission des affaires étrangères du Sénat dans les prochaines semaines. Ces priorités portent notamment sur le développement des industries culturelles et créatives, qui constitue un secteur majeur d'intervention depuis 2019. S'y ajoutera le soutien à la création artistique ; la présidente de l'Institut souligne à ce titre que le spectacle vivant, dont les difficultés nous ont été rappelées ce matin par notre collègue Karine Daniel, pourrait bénéficier d'un renforcement de sa diffusion internationale. Alors que les productions françaises sont très demandées à l'étranger, leur exportation pourrait ainsi permettre d'allonger leur durée de vie et donc leur amortissement.

En ce qui concerne la coopération universitaire, je relève avec satisfaction que les crédits des bourses de mobilité du Gouvernement seront stabilisés à hauteur de 70 millions d'euros. Pour mémoire, ces bourses sont attribuées par Campus France afin de favoriser la formation en France de profils étrangers à haut potentiel. Alors que leur montant augmente, cette consolidation de leur financement apparaît indispensable ; 10 700 bourses de mobilité devraient ainsi être attribuées en 2025.

Il est toutefois probable que cet effort budgétaire ne suffise pas à atteindre les objectifs fixés par la stratégie Bienvenue en France lancée en 2018, qui vise à accueillir 500 000 étudiants étrangers, dont 15 000 boursiers du Gouvernement, à l'horizon 2027. En 2023-2024, 430 000 étudiants étrangers étaient inscrits dans l'enseignement supérieur français, soit une hausse de 17 % depuis 2018 ; pour atteindre l'objectif poursuivi, une hausse équivalente serait nécessaire dans les deux prochaines années. Le ministère indique que « tout en continuant à tendre vers l'objectif des 500 000, une approche plus qualitative est désormais recherchée ». Cette nouvelle approche passera notamment par la généralisation de la plateforme Études en France - elle constitue l'équivalent de Parcoursup pour les étudiants extra-européens - et par la priorité donnée à l'accueil des niveaux master et doctorat.

Le programme 185 comporte par ailleurs plusieurs lignes de crédits visant à valoriser l'expertise française en matière archéologique et patrimoniale. Face aux menaces de destruction pesant sur le patrimoine architectural de plusieurs États en crise, ces financements prennent une importance renouvelée. Je pense notamment à la contribution française à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) ou au soutien de la recherche archéologique française à l'étranger. Alors que le contexte budgétaire impose une réduction du financement des unités mixtes des instituts de recherche, nous devrons nous montrer vigilants sur la préservation de ces opérations.

Je vous signale également le renouvellement de la contribution au fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels d'Afrique subsaharienne, qui intéressera les travaux de la commission portant sur les restitutions d'oeuvre d'art.

J'en termine en soulignant l'engagement et la capacité d'adaptation exceptionnels des opérateurs du programme face aux crises et aux conflits qui se multiplient en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

Dans la zone sahélienne, l'AEFE a organisé en urgence un enseignement à distance pour les élèves du Niger ainsi qu'un accompagnement financier pour leur permettre de se présenter à leurs examens à Lomé, capitale du Togo voisin.

En Israël, les réseaux de coopération et d'enseignement continuent de fonctionner malgré la forte baisse de leurs effectifs. La France est par ailleurs le seul État occidental à maintenir sa diplomatie culturelle à Gaza. Les activités du poste, dont malheureusement quatre agents sont décédés depuis le début de la guerre, sont assurées depuis Jérusalem ; elles portent principalement sur un programme de résidence, qui permet aux artistes gazaouis de s'extraire quelques mois des conditions extrêmement difficiles du terrain.

Au Liban, la programmation culturelle a été mise à l'arrêt dans le nouveau contexte de guerre. La demande reste cependant forte dans les antennes des instituts et des alliances encore ouverts, notamment pour les médiathèques et les cours de langues.

En Ukraine, les établissements scolaires de Kiev continuent à fonctionner avec un effectif majoritairement constitué d'élèves ukrainiens. L'Institut français a renforcé ses liens avec le pays en soutenant la création d'un Institut ukrainien à Paris, alors que le pays cherche à affirmer la spécificité de son identité culturelle par rapport à la Russie.

Dans d'autres États, les tensions sont telles qu'aucune solution permettant d'assurer la continuité des réseaux français ne peut être trouvée. Je pense notamment à la fermeture du lycée de Bakou, ou encore aux tensions avec la Turquie que j'ai déjà évoquées.

Mes chers collègues, je ne peux évidemment me réjouir des baisses de crédits que je viens de vous présenter. Il me semble cependant qu'elles ont été opérées de manière à préserver autant que possible les marges de manoeuvre de notre diplomatie d'influence, dans un contexte où chacun doit prendre sa part de l'effort de maîtrise des finances publiques. Je vous propose en conséquence de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Yan Chantrel. - Merci de votre excellent rapport. Nous regrettons la baisse importante des crédits du programme, qui atteint près de 45 millions d'euros, quand notre pays a accueilli en 2024 le sommet de la francophonie.

Le budget étant consacré à 65 % à l'AEFE, c'est l'Agence qui subit le plus fortement l'effet de cette baisse, avec une diminution de ses moyens de 14 millions d'euros. Celle-ci apparaît d'autant plus paradoxale que le Président de la République a assigné à l'Agence l'objectif, qui n'a à ce jour pas été remis en cause par le Gouvernement, de doubler le nombre de ses élèves d'ici à 2030. La cohérence de la situation m'échappe, à moins de vouloir susciter une forme de concurrence, potentiellement pernicieuse, au sein même du réseau français et une privatisation rampante de ce dernier. Or notre réseau éducatif se distingue, notamment par rapport à l'offre anglo-saxonne, par sa recherche d'un enseignement de qualité, original, souvent beaucoup plus abordable financièrement et marqué par une volonté de mixité sociale, ce qui le rend attractif.

Sans doute le Gouvernement devrait-il prendre acte de la fin du « Cap 2030 », en reconnaissant que l'objectif qui s'y associe n'est pas réalisable. Ne pas le faire met le réseau en difficulté, avec des personnes qui doivent se consacrer à la poursuite de cet objectif en créant, avec des fonds publics, des établissements intégralement privés.

Des difficultés existent également dans le recrutement des enseignants. Elles touchent à l'attractivité même du métier et ne concernent pas uniquement notre pays.

Par ailleurs, mes collègues Catherine Belrhiti, Pierre-Antoine Levi et moi-même avons récemment remis un rapport d'information sur la francophonie. L'une de nos recommandations concerne les alliances et instituts français. En considération de nos contraintes budgétaires, nous suggérons d'ouvrir, en contrepartie d'une participation financière, notre réseau à d'autres pays francophones qui sont nos partenaires et qui disposent de moyens diplomatiques importants. Il s'agirait de formaliser avec eux de véritables alliances de la francophonie, au service d'une stratégie beaucoup plus coopérative et globale sur le plan culturel. La préoccupation est également d'ordre géopolitique, car certains de ces pays, soumis à d'autres influences comme celles de la Chine ou de la Russie, accueillent de plus en plus difficilement le drapeau français sur leur sol et la pratique de notre langue y régresse. Nous aurions tout intérêt à les aborder et à y reprendre pied sous le couvert plus large de la francophonie, aux côtés d'autres pays. Notre rapport fait observer que, en 2050, 90 % des francophones vivraient en Afrique.

Nous ne sommes pas favorables à ces crédits.

Mme Catherine Belrhiti. - Je félicite le rapporteur pour son exposé très complet. Nous examinons un programme fondamental de l'action extérieure de l'État, elle-même constitutive d'un domaine essentiel de notre politique internationale. Il représente 19 % du budget total du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est un effort à saluer dans le contexte de crise budgétaire que nous traversons, qui reflète la volonté de l'État de maintenir une politique extérieure ambitieuse tout en faisant face aux contraintes financières actuelles.

Pilier de notre stratégie de rayonnement international, ce programme est guidé par quatre objectifs principaux : la promotion de la langue française et de l'enseignement français à l'étranger, le renforcement de l'attractivité universitaire et scientifique de la France, l'intensification de la coopération culturelle, la mise en oeuvre de la diplomatie pour relancer l'économie nationale.

Le réseau de coopération et d'action culturelle représente une véritable infrastructure de diplomatie culturelle. Il joue un rôle central dans la diffusion de notre langue, de notre culture et de notre modèle d'éducation dans le monde. Grâce à ce vaste réseau d'institutions à l'étranger, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » est un puissant levier pour renforcer notre influence tant culturelle qu'intellectuelle. Ce réseau permet de bâtir des ponts solides avec nos partenaires internationaux, tout en consolidant les liens avec les populations et les jeunes générations. Il incarne l'une des forces majeures de la diplomatie culturelle de la France. Au travers des instituts français et des alliances françaises, la France reste un acteur incontournable du dialogue culturel et de la promotion de la diversité. Par son implantation locale, ce réseau nous permet de porter haut les valeurs de la France, de la francophonie, de la solidarité et de l'échange.

Malgré la diminution des crédits qui le concernera à partir de 2025, ce programme semble conserver l'ambition de continuer à faire preuve de son efficacité sur le terrain.

Nous savons que chaque euro investi dans la diplomatie culturelle engendre des retombées multiples, sous l'angle à la fois de l'influence, des partenariats et du développement économique, en contribuant à la mise en valeur de notre patrimoine et de notre savoir-faire à l'international. Plus que jamais, la diplomatie culturelle et l'influence internationale sont des leviers stratégiques pour la France. Ce programme, avec ses objectifs clairs et les moyens qu'il y consacre, en est une parfaite illustration.

C'est pourquoi notre groupe suivra l'avis du rapporteur.

Mme Mathilde Ollivier. - Pour notre part, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur. Dans le programme 185, nous relevons des diminutions de 15 millions d'euros pour l'enseignement supérieur, de 11 millions d'euros pour la coopération culturelle et la promotion du français - la contradiction avec les engagements pris lors du dernier sommet de la francophonie est ici flagrante -, de 14 millions d'euros pour l'AEFE, de 5 millions d'euros pour la diplomatie économique. Le programme entre dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État » qui voit elle-même son budget global diminuer de 144 millions d'euros, une somme particulièrement importante pour le MEAE.

Nous sommes toujours opposés à l'objectif d'un doublement du nombre des élèves de l'AEFE à l'horizon de 2030, dont vous nous avez dit qu'il ne serait vraisemblablement pas atteint. Cet objectif suppose en effet d'abord le développement d'établissements privés à but lucratif, sans véritable réflexion sur la cohérence du réseau français à l'étranger ni sur la qualité de l'enseignement qui y est dispensé.

Nous déplorons par ailleurs la baisse de 25 % des crédits consacrés à l'action no 03 « Objectifs de développement durable » (ODD). Elle contrarie la réelle volonté de progresser sur ces objectifs et les initiatives prises sur les enjeux du changement climatique que je constate lors de mes déplacements dans les établissements français de l'étranger.

Il a été question des financements extérieurs auxquels les instituts français pouvaient prétendre, notamment auprès de l'Union européenne. Cependant, solliciter des ressources propres, en particulier en participant à des appels à projets, représente pour eux une difficulté, car cela suppose de mobiliser des effectifs limités qui, pendant ce temps, ne se consacrent plus au développement des projets locaux.

Enfin, la réduction du nombre des bourses destinées à soutenir des artistes en résidence à l'étranger serait particulièrement problématique pour l'influence de la France. Ces aides contribuent en effet pour une part non négligeable à son rayonnement dans le monde.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci au rapporteur pour les précisions qu'il nous a apportées. Malgré la baisse régulière depuis des années des crédits du programme 185, la France continue de jouir à l'étranger d'une indéniable reconnaissance. Un notable « besoin de France » s'y manifeste toujours. Telle était l'une des conclusions du rapport d'information qu'Else Joseph et moi-même avions consacré à l'expertise patrimoniale et muséale. L'action extérieure de l'État comprend également l'ensemble de ces coopérations et interventions à l'étranger, bien que nous ne les citions pas spontanément à l'occasion de l'examen des crédits du présent programme. Je pense notamment au rôle de la Commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger, de l'AFD ou de l'agence Expertise France.

À mes collègues qui déplorent les diminutions de crédits du programme et le nombre réduit des agents des instituts français, qui ne leur permet pas toujours d'exécuter complètement les missions figurant dans leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM), je rappelle que la principale de ces baisses, de 47 %, et qui a durablement fragilisé l'Institut français, est intervenue sous la présidence de François Hollande...

M. Yan Chantrel. - Je m'attendais à cette remarque !

Mme Catherine Morin-Desailly. - La fragilisation de ce réseau ne date pas d'aujourd'hui. La baisse des crédits de 6,2 % dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par rapport à la LFI de 2024 ne le met pas structurellement plus en danger.

La question revient à se demander si la France dispose encore des moyens d'une diplomatie culturelle ambitieuse, à laquelle, je crois, nous tenons tous. Au travers de la francophonie, il s'agit de promouvoir la diversité culturelle et de porter les valeurs de la démocratie. Il paraît pertinent que nous nous interrogions sur de nouvelles pistes d'action.

Je salue en particulier la suggestion de Yan Chantrel et Catherine Belrhiti d'ouvrir le réseau à nos partenaires francophones, afin de développer un projet collectif ambitieux. Dans le champ culturel, la coopération avec eux existe déjà, par exemple via la chaîne TV5 Monde.

Au cours de son audition, la présidente de l'Institut français nous a rappelé son effort de maintenir l'implantation de l'Institut dans les zones de guerre et de conflit. Cet effort est remarquable. À Ramallah, par exemple, l'institut français, lié à l'institut Goethe, continue de fonctionner. Il faut tout faire pour que, en effet, les divers acteurs de la culture poursuivent leur oeuvre dans ces territoires.

La présidente de l'Institut français a également insisté sur le rôle de la coopération avec les collectivités territoriales. Les crédits que nous votons à destination de l'Institut français leur profitent également lorsqu'elles développent des projets, telle la grande exposition Salammbô qui se tient actuellement à Tunis.

Enfin, à la suite de nos réflexions conduites sur les ingérences étrangères, je constate que, plus que jamais, l'audiovisuel extérieur a besoin de notre soutien. Outre la promotion de la langue et de la diversité culturelle - France Médias Monde et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tiennent ici un rôle de premier plan -, il contribue à la lutte contre la désinformation.

En dépit des difficultés que nous identifions et que regrettons avec vous, nous soutiendrons l'avis du rapporteur.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci à Claude Kern pour la qualité de son rapport. Celui de cette année est néanmoins quelque peu attristant. La baisse des crédits n'est pas seule en cause : par rapport à l'an passé, le nombre de Français et d'enseignants qui travaillent dans des zones de guerre, ou dans des zones de très forte contestation de la présence française par les autorités gouvernementales locales - par exemple en Turquie - a augmenté et nous voyons avec quelle difficulté ils essayent de porter encore la voix de la France. La simple considération de ce travail et des risques qu'ils prennent aurait justifié que le Gouvernement maintienne le niveau des crédits du programme 185. Le message que nous leur adressons n'est, au contraire, pas satisfaisant.

Il est par ailleurs fâcheux de constater que l'expertise française à l'étranger pâtit toujours du problème manifeste de coordination qui prévaut entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et celui de la culture. Il semblerait même que la capacité du second à intervenir à l'étranger se soit encore restreinte.

En outre, la diplomatie des agences a montré ses limites et nos différents rapports sénatoriaux successifs s'efforcent de recenser les dispositifs qui échappent au contrôle du Parlement.

Le devenir des unités mixtes de recherche (UMR) à l'étranger des instituts français me préoccupe. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a annoncé à plusieurs reprises vouloir se désengager de ces structures. Il est à craindre qu'il utilise le prétexte du coup de rabot que, notamment, la commission des finances du Sénat va lui imposer pour quitter les instituts français. Ce serait catastrophique pour l'Institut, car il ne pourrait plus bénéficier de l'apport des chercheurs du CNRS en disponibilité.

Je partage totalement le point de vue de Catherine Morin-Desailly : partout où l'on se rend dans le monde, une demande de France n'est pas satisfaite, quand nous pourrions l'utiliser pour renforcer notre présence à l'étranger. Et elle ne l'est pas uniquement pour des motifs d'ordre pécuniaire. Souvent, notre pays est incapable de signaler aux gouvernements étrangers quelles compétences il pourrait mobiliser pour les aider. Nous le constatons, par exemple, dans le domaine de l'archéologie, où c'est de nouveau un problème de coordination entre les différents acteurs nationaux qui se pose.

Pour ces différentes raisons, nous ne nous prononcerons pas dans le sens de la conclusion de votre rapport.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - J'adresse mes remerciements aux différents intervenants pour leurs remarques et suggestions. J'exprimerai un regret, celui de n'avoir pu entendre les représentants du MEAE, spécialement sur l'objectif, utopique, de doubler le nombre des élèves de l'AEFE. Nous ne parviendrons pas à atteindre un tel objectif et, dans ces conditions, il importe de redonner à l'AEFE une vision claire de son avenir.

Après le remarquable travail que vous avez conduit sur le réseau français de coopération, nous pourrions également rencontrer la présidente de l'Institut français. Par ailleurs, je ne peux évidemment que partager vos observations.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'action culturelle extérieure de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2025.

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