C. UN EFFORT DE CONTINUITÉ DANS LES ZONES DE TENSIONS

L'AEFE s'efforce enfin de maintenir autant que possible sa présence dans les territoires soumis à des tensions, conformément à sa mission de développement éducatif et dans la logique plus générale de la diplomatie d'influence. Dans la mesure où l'action des établissements s'inscrit dans le droit local, ils sont cependant très exposés aux différents événements survenant dans les pays d'implantation.

Dans la zone sahélienne, la survenue des troubles a d'abord conduit l'établissement du Niger à fonctionner en enseignement à distance, avant sa mise en sommeil depuis le 1er septembre 2024 ; les élèves concernés par un examen ont bénéficié d'un accompagnement financier pour s'y présenter à Lomé. Au Mali et au Burkina Faso, la décision des gouvernements de rompre les accords bilatéraux de fiscalité avec la France place les personnels dans une situation de double imposition, en cours de traitement par les autorités françaises.

La guerre en Ukraine a entraîné la fermeture de l'école française privée d'Odessa. L'école française internationale de Kiev et le lycée Anne de Kiev continuent à fonctionner avec un effectif très majoritairement constitué d'élèves ukrainiens, une subvention d'équilibre ayant été versée pour un montant d'1,2 million d'euros.

Le conflit opposant Israël au Hamas a déstabilisé plusieurs établissements : celui de Ramallah a servi de lieu d'hébergement pendant quelques semaines pour des travailleurs palestiniens qui n'avaient pu rejoindre le territoire gazaoui ; ses effectifs, comme ceux de Jérusalem et de Tel-Aviv, connaissent une baisse sensible de leurs effectifs depuis le 7 octobre 2023. Ces trois établissements bénéficient d'un soutien financier visant notamment à renforcer leur sécurité.

À la demande des autorités azerbaïdjanaises, l'établissement de Bakou est désormais fermé. Aucune solution permettant d'assurer la continuité de la scolarité des 206 élèves concernés n'a pu être trouvée, toutes les alternatives proposées, parmi lesquelles la création de sections en français dans des établissements existants, ayant été rejetées par les autorités.

Depuis l'été 2024, les tensions politiques entre la France et la Turquie touchent fortement les établissements du territoire. Le désaccord porte principalement sur le refus français de satisfaire à la demande turque de réciprocité éducative, qui lui permettrait d'ouvrir des écoles en France ; les autorités turques ont en conséquence interdit toute nouvelle inscription d'élèves de nationalité turque. L'absence de solution trouvée à ce jour fait peser une contrainte forte sur les effectifs et sur l'avenir des écoles sur ce territoire.

L'application du principe de laïcité à la française en difficulté

Les établissements de l'AEFE étant assujettis aux lois et réglementations des territoires dans lesquels ils sont implantés, les principes de la loi de 1905 s'imposent aux agents publics détachés par la France, mais ne valent ni pour les élèves ni pour les personnels recrutés localement. L'AEFE s'attache cependant à promouvoir, plutôt que sa lettre stricte, « l'esprit de la laïcité », qui est d'ailleurs implicitement porté par le premier critère de l'homologation à travers la référence faite aux « principes, programmes et valeurs du système éducatif français ».

Selon l'AEFE, l'application de ces valeurs du système éducatif français peut entrer en tension avec celles des espaces culturels anglo-saxons (en raison de l'absence de reconnaissance des communautés par l'universalisme français) et arabo-musulman (les difficultés portant alors sur le port du voile, la prière et les contenus d'enseignement).

Dans l'espace arabo-musulman, les principes de la laïcité à la française étaient traditionnellement acceptés de manière plus ou moins formalisée (dans les règlements intérieurs par exemple) en raison de la spécificité des établissements du réseau ; c'était notamment le cas au Maroc, en Tunisie, aux Comores ou encore à Madagascar, avec des exceptions dans la péninsule arabique. Les débats des deux dernières années sur le port des tenues religieuses (abayas et qamis) dans l'espace scolaire se sont cependant exportés dans certains établissements, avec l'engagement par des familles de démarches contentieuses, dont l'une a débouché sur la condamnation d'un établissement par un tribunal marocain.

Selon l'AEFE, « la possibilité d'obtenir un soutien des autorités locales [... pour] reconnaître la spécificité de l'école française relative au principe de laïcité s'amenuise significativement » dans cet espace culturel ; « il est donc demandé aux agents de s'adapter sans renoncer, de tenir les objectifs mais en faisant preuve de doigté. Il ne s'agit pas d'autocensure mais de discernement, pouvant conduire, occasionnellement, à opter pour une pédagogie du détour ou à accepter des accommodements raisonnables (un voile lâche contre un voile serré, par exemple). La difficulté qui se présente dans le réseau d'EFE consiste donc désormais dans l'identification des endroits et des moments où ces adaptations et ces accommodements ne sont plus acceptables et trahissent les valeurs du système éducatif français ».

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