N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées (1)
sur le projet de loi de finances,
considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

TOME X

AUDIOVISUEL PUBLIC

France Médias Monde (Programme 375),
TV5 Monde (Programme 377)
et Programme de transformation (Programme 383)

Par M. Roger KAROUTCHI et Mme Mireille JOUVE,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury,
Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye,
Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi,
Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot,
MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

L'aggravation des crises internationales confirme à nouveau, cette année, la nécessité pour les démocraties de disposer de médias puissants produisant une information de référence diffusée largement à l'international. A l'occasion de l'examen du PLF 2024, les rapporteurs avaient constaté une prise de conscience, notamment au sein du MEAE, de l'importance de la « guerre des narratifs » et de la nécessité pour les entreprises de l'audiovisuel extérieur de devenir des acteurs à part entière de la diplomatie d'influence.

Cette prise de conscience aurait dû avoir au moins deux conséquences : un surcroît de moyens en niveau pour l'audiovisuel extérieur et la reconduction de cette hausse des moyens dans la durée pour assurer la prévisibilité nécessaire à tout projet de développement.

Dans l'avis1(*) de l'année dernière les rapporteurs avaient fait le constat de moyens consacrés à l'audiovisuel extérieurs globalement préservés compte tenu de l'inflation. La hausse des moyens de France Médias Monde (+5,1% à 299 M€) et de TV5 Monde (+4,4% à 83,5 M€) ne répondait toutefois qu'imparfaitement aux attentes des rapporteurs car elle demeurait limitée en niveau et, surtout, elle n'était pas confirmée dans la durée puisque la programmation pluriannuelle annoncée à l'automne dernier prévoyait une moindre augmentation en 2025 et 2026 (+2,6% en 2025 et +1,9% en 2026 pour FMM et +1,5% et +1,54% pour TV5 Monde). Alors que la guerre informationnelle sévissait déjà sur tous les continents on constatait un décalage entre la prise de conscience et les moyens déployés. La commission avait néanmoins adopté un avis favorable à l'adoption des crédits pour 2024 appelant de ses voeux une réévaluation exceptionnelle à partir de 2025 qui pourrait s'inscrire dans une révision plus générale des moyens de notre politique d'influence.

La situation à l'automne 2024 se présente donc bien différemment de ce que les rapporteurs escomptaient car non seulement l'audiovisuel extérieur ne bénéficiera pas d'une attention plus soutenue dans le contexte international toujours plus contesté, mais il devra subir une baisse de ses crédits en contradiction avec toutes les perspectives esquissées depuis un an.

Même si le contexte budgétaire est particulièrement difficile cette année, les rapporteurs déplorent les choix faits en matière de financement de l'audiovisuel extérieur dans le PLF 2025. Ces choix portent atteinte à l'influence de la France dans le monde à un moment critique. Les rapporteurs regrettent, en particulier, que le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Médias Monde (FMM) transmis au Parlement cet été soit déjà caduc avant même son adoption définitive et que le Gouvernement envisage de revoir à la baisse certaines missions de FMM dans le cadre d'un nouveau document de programmation.

Ils s'inquiètent par ailleurs particulièrement du projet du Gouvernement de réduire encore les moyens de FMM de -3 M€ lors de la poursuite du débat budgétaire pour porter la coupe des crédits de -6,9 à -9,9 M€. Ils constatent, enfin, que la gouvernance actuelle n'est pas satisfaisante puisque le ministère de la Culture se refuse à traiter différemment l'audiovisuel extérieur des autres entreprises de l'audiovisuel public en dépit de la guerre informationnelle qui sévit dans un nombre croissant de pays. L'affectation des moyens entre les différentes entités de l'audiovisuel public ne tient compte ni des priorités, ni des résultats ni de l'offre de programmes disponible sur le territoire national. Les moyens sont soit reconduits soit modifiés de manière quasi-proportionnelle.

La réduction des moyens accordés à l'audiovisuel extérieur doit amener à réfléchir sur son avenir. La poursuite de la réduction des coûts devra sans aucun doute demeurer une priorité pour permettre de dégager des marges de manoeuvre y compris concernant la fabrication de l'information, sans transiger pour autant sur sa qualité. Ensuite, les modalités de répartition des moyens entre les différentes entités de l'audiovisuel public gagneraient à être revues afin de dépendre davantage de choix politiques et stratégiques que de décisions à caractère administratif et budgétaire.

Les rapporteurs demeurent attachés à l'idée de donner plus de moyens à notre audiovisuel extérieur pour lui permettre d'accomplir ses missions en répartissant mieux les moyens de l'audiovisuel public compte tenu de la diversité et de la qualité de l'offre par ailleurs disponible. Les rapporteurs estiment donc nécessaire de conditionner l'adoption des crédits de l'audiovisuel extérieur à l'adoption d'un amendement accroissant les ressources de FMM de +5 M€.

Ils se félicitent, par ailleurs, de l'adoption conforme par les députés le 20 novembre 2024 de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public qui permettra de maintenir un financement de l'audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA.

I. L'INCOMPRÉHENSIBLE BAISSE DES MOYENS DE L'AUDIOVIOSUEL EXTÉRIEUR

A. UNE REGRETTABLE VOLTE FACE PAR RAPPORT AUX PRÉCÉDENTS ENGAGEMENTS BUDGÉTAIRES

1. Des moyens réduits en 2025 sans véritable débat ni vision stratégique

Le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Médias Monde pour la période 2024-2025 transmis au Parlement au mois de juillet prévoyait de porter les ressources totales de FMM de 304,2 M€ en 2024 à 311,8 M€ en 2025. La dotation socle (hors compensations fiscales) était portée de 269,2 M€ à 276 M€ tandis que l'enveloppe de 5 M€ prévue par le programme 383 de transformation devait être reconduite. Le compte de résultat analytique présenté dans le COM prévoyait de porter la dotation socle à 292,4 M€ en 2028 tandis que l'enveloppe dédiée à la transformation devait être ramenée à 3 M€ en 2026 avant de s'éteindre en 2027. Outre ces crédits prévus par le ministère de la Culture, FMM devait pouvoir bénéficier d'un financement de l'APD de 4,1 M€ en 2025 puis de 4,9 M€ sur la période 2026-2028 qui s'ajoutait aux crédits de l'AFD de 3,2 M€ consacrés au développement des langues africaines (projet Afri'Kibaaru de diffusion de RFI en mandenkan et en fulfude depuis Dakar).

Ces projections budgétaires prévues par le COM, sans constituer une révolution par rapport aux moyens accordés à FMM les années précédentes avaient au moins deux mérites : permettre la mise en oeuvre des priorités de l'entreprise et assurer une visibilité pluriannuelle gage d'efficacité et d'indépendance. Le PLF 2025 est venu remettre en cause cette trajectoire prévue par le COM transmis au Parlement en prévoyant d'une part une baisse de la dotation socle de -3,9 M€ et une réduction de l'enveloppe dédiée aux programmes de transformation de -3 M€ soit une baisse des crédits de -6,9 M€ ce qui revenait à maintenir en 2025 les moyens de 2024 en termes nominaux (sans indexation). Alors que se profile le débat budgétaire au Sénat, les rapporteurs ont été informés par la DGMIC de l'intention du Gouvernement d'accroître l'effort budgétaire de 50 M€ sur l'audiovisuel public dont -3 M€ à la charge de FMM. L'amendement du Gouvernement reviendrait ainsi à supprimer intégralement l'enveloppe du programme de transformation dédiée à FMM et à réduire de 1 M€ la dotation socle ce qui aurait pour effet de réduire de -9,9 M€ les moyens de FMM par rapport à 2024. Cette baisse de -1,1% des ressources devrait être plus importante en termes réels en tenant compte de l'inflation qui pourrait s'établir à +1,5% en 2025 selon la Banque de France.

France Médias Monde estime que cette baisse de la ressource publique, compte tenu de son ampleur, ne lui permettra pas de faire face à l'évolution de ses charges. L'entreprise rappelle que la seule baisse de -6,9 M€ prévue par le PLF déposé à l'Assemblée nationale (avant même la nouvelle coupe de -3 M€) équivaut au coût de France 24 en espagnol 24h/24 ou à l'ensemble du budget des correspondants à l'étranger de France 24.

COM 2024-2028 de FMM : sitôt écrit, sitôt caduc ?

Après six mois de retard - le COM étant supposé commencer en janvier 2024 - le précédent gouvernement démissionnaire a adressé au Parlement au cours de l'été le nouveau projet de contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde pour la période 2024-2028 dont la partie budgétaire a été immédiatement contredite par le PLF 2025 avant même l'expiration du délai de six semaines dont disposait le Parlement pour formuler un avis à son sujet selon les termes de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Le bleu budgétaire indique en effet (p. 60) que « le montant inscrit au projet de loi de finances s'inscrit en-deçà de la trajectoire figurant dans le plan d'affaires du projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM). Dès lors le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 négocié entre l'entreprise et l'État et transmis à l'été à l'Arcom et au Parlement devra être réinterrogé à l'aune du niveau de dotation retenu en loi de finances initiale 2025 ».

L'objectif principal du COM visant à « conforter FMM en tant que groupe de médias internationaux libres, indépendants, puissants et fédérateurs, pour continuer à cultiver - dans un monde de défiance - la confiance des publics partout dans le monde et défendre le droit à l'information des citoyens, pilier essentiel des démocraties » ne peut donc pas être considéré comme satisfait par le PLF 2025.

Lors de son audition par les rapporteurs, la DGMIC a reconnu que la trajectoire du COM de France Médias Monde n'était plus d'actualité compte tenu d'une baisse de près de 10 M€ prévue en 2025 et que la construction des budgets des sociétés de l'audiovisuel public serait difficile en 2025. Le ministère de la Culture considère que les COM devront faire l'objet de nouveaux échanges avec les entreprises pour ajuster les objectifs et les priorités et qu'un nouveau document devrait être réalisé qui devra tenir compte de la relance de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi du président Laurent Lafon sur la réforme de l'audiovisuel public.

Compte tenu de la caducité du COM de FMM, tant sur les moyens que sur les objectifs, les rapporteurs considèrent qu'il n'est plus utile de donner un avis sur ce document dans l'attente de la réalisation d'un nouveau document plus en phase avec la réalité budgétaire. Ils forment le voeu que ce document renoue avec une trajectoire croissante des moyens et que la contribution de l'APD (P.209) soit préservée dans la durée.

La situation n'est pas radicalement différente concernant TV5 Monde puisqu'une situation très tendue va succéder à une évolution calculée au plus juste ces dernières années. En 2023, la contribution française à la chaîne francophone était de 80,2 M€ compte tenu d'une taxe sur les salaires de 1,1 M€, tandis que ces montants étaient en 2024 respectivement de 83,4 M€ et 2,4 M€. En 2025 la contribution française devrait être à nouveau de 83,4 M€ avec une taxe sur les salaires de 2,5 M€. Il en résulte selon la direction de TV5 Monde qu'en déduisant la taxe sur les salaires « la contribution française a augmenté d'1,8 M€ entre 2023 et 2025 et a baissé entre 2024 et 2025 ». La déception est d'autant plus grande que la programmation budgétaire qui figurait dans le bleu du PLF 2024 mentionnait une hausse de la dotation publique de +1,5% en 2025 à 84,7 M€ puis une hausse de +1,54% en 2026 à 86 M€.

L'entreprise estime que l'évolution des moyens ne permet plus de couvrir l'inflation internationale sur la durée et que sans l'arrivée de Monaco au capital en 2022 TV5 Monde aurait été dans l'obligation de procéder à un vaste plan d'économies. La direction de l'entreprise estime donc que : « l'année 2025, avant définition et chiffrages de nouvelles mesures stratégiques, s'ouvre sur des mesures d'économies importantes ».

2. Une modification de la LOLF afin de préserver l'indépendance du financement

La suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) décidée par la loi de finances rectificative du 17 août 2022 a eu pour conséquence de financer les entreprises de l'audiovisuel public au moyen d'une fraction du produit de la TVA. Or ce mode de financement ne pouvait être prolongé au-delà de 2024 sans modifier la loi organique sur les lois de finances du 1er août 2001. Le PLF 2025 prévoit ainsi de recourir à des dotations budgétaires pour financer les entreprises de l'audiovisuel public (ce qui a eu pour effet de modifier la nomenclature des programmes) ce qui pose la question du respect de l'indépendance de ces sociétés qui pourraient être soumises à la régulation budgétaire infra-annuelle.

Compte tenu de l'importance des charges fixes, la moindre variation des ressources de ces sociétés occasionne un impact immédiat sur les nouveaux projets et donc sur la stratégie de ces médias publics. La prévisibilité de la ressource constitue donc une dimension essentielle de l'indépendance stratégique de l'audiovisuel public comme le rappelle le Media Freedom Act adopté en avril dernier par l'Union européenne dont l'article 5 fixe le principe « d'un financement garantissant que leurs ressources sont adéquates, durables, prévisibles, correspondant à l'accomplissement de leurs missions de service public ».

Afin de préserver l'indépendance de l'audiovisuel public le Sénat a adopté le 23 octobre 2024 une proposition de loi organique déposée par notre collègue Cédric Vial qui modifie l'article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances afin de prévoir qu'« un montant déterminé d'une imposition de toute nature peut, sous les mêmes réserves, être directement affecté aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle ». Cette modification doit permettre de déroger pour les organismes d'audiovisuel public au principe du lien des impositions affectées à un tiers avec les missions de service public qui lui sont confiées et, ainsi, de pérenniser l'affectation d'un montant de TVA lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Les députés ayant adopté conforme cette PPLO le 20 novembre 2024, la pérennisation dans le PLF 2025 du financement de l'audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA deviendra possible dès la promulgation du texte par le Président de la République.

La préservation d'un mode de financement indépendant est importante pour l'audiovisuel extérieur. Même si les modalités de financement des contributions des bailleurs de TV5 Monde sont diverses (taxe affectée pour la SSR et crédits budgétaires pour les autres) le poids de la France dans le capital de la société et son exposition sur la scène internationale rendaient indispensable le choix d'un mode de financement préservant la chaîne francophone d'une possible intervention étatique au moyen du levier budgétaire.

À l'international, de nombreux acteurs comme les plateformes et les réseaux sociaux distinguent très clairement les « médias de service public » des « médias d'État » financés directement par des gouvernements. Selon la direction de FMM : « le financement affecté de l'audiovisuel public est une garantie visible et incontestable de son indépendance ». FMM rappelle qu'il a failli perdre la licence FM de RFI à Berlin à la suite de la suppression de la CAP en 2022, le régulateur local (MABB) estimant que la budgétisation ne répondait pas à la jurisprudence de la « Staatsferne » (éloignement de l'État). La pérennisation d'un financement affecté permettra donc à FMM de mieux contrer les attaques dont le groupe fait l'objet selon lesquelles il agirait pour relayer la propagande des autorités françaises.


* 1 https://www.senat.fr/rap/a23-130-10/a23-130-10_mono.html

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