EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous les présidences de MM. Pascal Allizard, vice-président et Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».
M. Pascal Allizard, président. - Mes chers collègues, le président Perrin, qui va nous rejoindre dans quelques minutes, m'a demandé d'ouvrir cette longue réunion, au cours de laquelle nous devons examiner une série de rapports.
Sans perdre de temps, je donne la parole à Valérie Boyer et Jean-Baptiste Lemoyne pour présenter leur rapport sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et porte une part importante des contributions versées par la France aux organisations internationales.
Ses crédits atteindront 2,7 milliards d'euros en 2025, en recul de 4,6 % à périmètre constant. Le périmètre du programme a en effet été élargi pour inclure les crédits de personnel portés jusqu'alors par les programmes 151, 185 et 209. Le ministère en tirera sans doute davantage de souplesse dans le pilotage budgétaire et la gestion de sa masse salariale.
Cette diminution des crédits était annoncée par la dégradation du contexte budgétaire dès le début de l'année 2024. Le programme 105 a pris sa part des efforts demandés, avec l'annulation de 150 millions d'euros de crédits depuis le décret de février dernier. Nous devrions en rester là puisque, d'après la secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le plan d'économies supplémentaires de 5 milliards d'euros devrait surtout peser sur le programme 209.
En 2025, comme en 2024, cet effort est rendu possible par la diminution des contributions internationales obligatoires de la France. Les moindres dépenses destinées à l'Ukraine portées par la Facilité européenne pour la paix et les modalités de calcul de notre contribution aux Nations unies et aux opérations de maintien de la paix, assise sur notre revenu national brut (RNB), lequel diminue relativement par rapport à celui des puissances émergentes, minorent ce poste d'une bonne centaine de millions d'euros en 2025.
Le schéma d'emploi du ministère peut donc rester positif. Il est toutefois deux fois moins ambitieux que celui qui était prévu l'an dernier. Au lieu de la création de 150 postes en 2025 puis de 200 postes par an en 2026 et 2027, la trajectoire revue à la baisse ne prévoit que 75 postes supplémentaires l'an prochain et 100 par an jusqu'en 2027, pour un total ramené de 700 équivalents temps plein (ETP) à 425 ETP sur quatre ans. Il s'agit d'un effort important, qui aura des conséquences sur l'influence de la France à l'étranger.
Ce ralentissement de la trajectoire de réarmement de notre diplomatie n'empêche pas la poursuite de notre agenda de transformation. La secrétaire générale du ministère nous indiquait que 80 % des 356 recommandations issues des états généraux de la diplomatie avaient d'ores et déjà été mises en oeuvre.
Les crédits consacrés au soutien progressent de 2 millions d'euros et les moyens fléchés vers les ressources humaines d'environ 1 million d'euros. Cette hausse concerne d'abord la formation, les concours et les stages. L'Académie diplomatique et consulaire est dotée de 5,5 millions d'euros dès 2025. Des moyens d'action sociale sont dégagés pour améliorer le quotidien des agents.
Les crédits relatifs au réseau diplomatique représentent 783 millions d'euros, en diminution de 8 millions d'euros. Le fonctionnement des ambassades mobilise 3,5 millions d'euros de moins que l'an dernier, les économies réalisées reposant essentiellement sur l'entretien lourd et les dépenses de location à l'étranger. Le lancement de certaines opérations d'envergure est toutefois poursuivi. Je pense, par exemple, au regroupement de l'Institut français et du consulat général à Barcelone ou à la reconstruction de l'Institut français à Mexico.
Au sein des crédits de coordination de l'action diplomatique, qui s'élèvent à 135 millions d'euros, les dépenses de protocole sont les plus dynamiques. Elles avaient déjà doublé en 2024, année des jeux Olympiques et du sommet de la francophonie, pour s'établir à 18 millions d'euros. En 2025, elles augmenteront de 60 % pour atteindre 29 millions d'euros. Cette enveloppe financera notamment deux manifestations internationales de grande ampleur à hauteur de 22 millions d'euros : le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, qui aura lieu en février 2025, et la conférence des Nations unies sur l'océan, qui se déroulera à Nice du 9 au 13 juin 2025.
Ces dépenses peuvent sembler très élevées, mais elles participent du rayonnement de la diplomatie d'influence de notre pays, une compétence en voie de professionnalisation au sein du ministère. Les évènements internationaux nécessitent énormément de fonds, mais il serait dommage de fragiliser le savoir-faire français en la matière.
Nous insistons encore sur certaines fonctions du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui faisaient l'objet de notre rapport l'an dernier et qui occupent une place nécessairement plus étroite dans l'équation budgétaire proposée pour l'an prochain. Les dépenses du centre de crise et de soutien (CDCS) augmentent de 400 000 euros en 2025, pour atteindre 5,3 millions d'euros, ce qui permettra de continuer à équiper les postes en matériel de crise, de renforcer les capacités de réponse téléphonique et d'assurer le retour de nos ressortissants en tant que de besoin. Souhaitons que cette enveloppe soit sous-consommée. Ceux d'entre vous qui ont eu à faire face à des situations dramatiques, avec des personnes disparues ou en grandes difficultés à l'étranger, auront sans doute constaté pouvoir obtenir à toute heure du jour et de la nuit une réponse de la part du CDCS. Il faut soutenir ce service vital pour les Français à l'étranger, dont je tiens à saluer l'excellent travail.
Je souhaiterais aussi vous parler de la direction de la communication et de la presse, qui devrait poursuivre sa montée en puissance en 2025 grâce aux 18 ETP recrutés en 2024. Ses crédits baissent toutefois facialement d'un million d'euros en raison du non-renouvellement de mesures transitoires mises en oeuvre en 2024 en lien avec les jeux Olympiques et du financement par une autre direction de la chaîne vidéo de la Maison des mondes africains.
Le budget de la sécurité des emprises diplomatiques à l'étranger diminue de 5,5 % en autorisations d'engagement (AE) et de 3,8 % en crédits de paiement (CP), après avoir augmenté d'une dizaine de points de pourcentage en 2023 et d'une quinzaine en 2024. Le renouvellement du parc de véhicules blindés, qui est vieillissant, exige une enveloppe plus importante cette année. En matière de sécurité passive, les dépenses diminuent, ce qui conduit à repousser certaines interventions considérées comme moins urgentes.
La baisse de 10 % des crédits de coopération de sécurité et de défense implique de revoir certaines priorités. En Afrique subsaharienne, des académies de formation sont développées dans des bases militaires que l'armée française s'apprête à quitter. C'est le cas au Gabon, avec l'installation de l'école nationale à vocation régionale (ENVR) d'administration dans l'ancien camp de Gaulle, et en Côte d'Ivoire, avec la création d'une école spécialisée dans les transmissions dans l'ancien camp de Port-Bouët. La direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) poursuit ses efforts à l'est de l'Union européenne ainsi qu'en zone indo-pacifique, où deux écoles de sécurité maritime seront inaugurées à La Réunion et au Sri Lanka.
Il convient d'insister sur la pertinence douteuse de certains indicateurs au regard des objectifs opérationnels poursuivis et de l'impératif de bonne évaluation de l'action menée par le Parlement. Certains ont certes été retirés, mais d'autres, tels ceux dont est assortie la politique de coopération de sécurité et de défense, sont maintenus en dépit de leur faible pouvoir explicatif. Comment, en effet, expliquer l'efficacité de la politique à partir du coût unitaire par élève, de la formation ou de la part des femmes participant aux formations ?
Je tiens, pour terminer, à souligner les efforts importants que porte cette proposition budgétaire et à saluer l'excellent travail réalisé par nos fonctionnaires en administration centrale et à l'étranger.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Avec Valérie Boyer, nous avons naturellement sollicité toutes les personnes auditionnées au sujet de l'adaptation de notre outil diplomatique, de notre action multilatérale et de notre politique d'influence aux bouleversements que connaît l'ordre mondial.
Celui-ci se caractérise notamment par l'émergence de puissances porteuses d'une vision alternative. La part des BRICS+ dans le PIB mondial a dépassé celle des pays du G7, à 36 % contre 29 %. Ce groupe représente d'ailleurs 45 % de la population mondiale, ce qui dit beaucoup du poids qu'il a déjà et de celui qu'il souhaite se donner, avec, par exemple, une nouvelle banque de développement et la volonté de se poser en alternative aux formes traditionnelles de gouvernance mondiale.
Il ne s'agit pas d'une opposition entre démocraties et régimes autoritaires, mais plutôt entre un Nord qui se veut occidental et un Sud qui se prétend global. Ce dernier bloc n'est pas monolithique, chacun des pays qui le composent disposant de son propre agenda et tous n'étant pas toujours alignés. Ils sont néanmoins animés par la volonté de porter une forme d' « altermultilatéralisme ». L'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a ainsi critiqué, lors de son dernier sommet, les sanctions mises en place à l'encontre de la Russie, tandis que l'Inde, l'Argentine et l'Indonésie, entre autres, ont refusé de se ranger aux côtés du G7 sur la question ukrainienne. Un « multialignement » est à l'oeuvre, dans la mesure où certains de ces pays participent à des formats qui intègrent les États-Unis ou d'autres pays affinitaires.
Dans ce contexte, la France doit jouer finement sa partition en rendant ses outils diplomatiques plus pertinents. Elle a ainsi augmenté ses contributions volontaires aux organisations internationales, passant du dixième rang au huitième rang en quatre ans. Cet effort reste assez fragile par rapport à celui de nations telles que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, mais permet de flécher un certain nombre de priorités. Je pense à notre engagement au sein de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui nous a permis de peser sur la stratégie de cette agence importante au regard des enjeux moyen-orientaux.
La France est en outre la deuxième nationalité la plus représentée au sein du personnel onusien tous postes confondus, avec 721 cadres contre 1143 pour les États-Unis. Néanmoins, nous avons perdu notre deuxième place au sein du Secrétariat de New York au profit de la Chine, qui a également surpassé les États-Unis. Nous conservons en revanche un certain nombre de postes clés, par exemple la direction des opérations de maintien de la paix avec Jean-Pierre Lacroix, diplomate français. Il est très important de préparer la relève, notamment avec le programme des jeunes experts associés (JEA), car les trois quarts d'entre eux continuent ensuite leur carrière dans le système onusien.
Par ailleurs, il faut se réjouir que la France soit toujours une terre d'accueil pour les organisations internationales, ce qui compte en termes d'influence, de rayonnement et de retombées économiques. Une ordonnance sur l'attractivité a été prise en 2022 pour leur permettre de bénéficier des privilèges et immunités dès leur installation, sans attendre l'accord de siège. Le nombre d'organisations présentes sur notre sol ne cesse de croître : nous allons dépasser les 70 l'année prochaine, qu'elles aient leur siège sur le territoire français - c'est le cas d'une quarantaine d'entre elles - ou qu'elles y disposent d'un bureau national ou régional - une trentaine d'organisations se trouvent dans cette situation.
Dans ce contexte international mouvant, avec l'émergence de concurrents internationaux très structurés, quid de notre réseau diplomatique et consulaire ? Une étude produite par un think tank australien, le Lowy Institute, place la France en cinquième position en matière de réseau, derrière la Chine, les États-Unis, la Turquie et le Japon et juste devant la Russie. Ce classement, en partie lié à un changement méthodologique, ne montre pas tant notre faiblesse en la matière, mais plutôt les efforts décuplés de certaines puissances, telles la Turquie ou l'Inde, pour étoffer leur réseau. Ankara a ouvert 24 postes à l'étranger en six ans, soit plus que n'importe quel pays au monde.
Nous ne sommes pourtant pas en reste : le réseau diplomatique français s'est étendu géographiquement ces dernières années pour prendre en compte les évolutions de nos priorités et de nos intérêts. Des créations d'ambassades sont prévues en 2025 aux Samoa et au Guyana. Ce dernier pays deviendra d'ailleurs très important sur le plan économique en raison des ressources naturelles qu'il exploite. Je veux à ce propos avoir une pensée particulière pour tous les personnels qui servent dans les postes de présence diplomatique (PPD), avec des équipes très réduites - ils sont parfois cinq ou six en comptant les personnels de soutien -, et permettent d'assurer la présence française dans de nombreux endroits. Nous disposons de 24 PPD, auxquels s'ajouteront les deux qui doivent être créés en 2025.
Au-delà des postes diplomatiques, des postes consulaires ont été créés à partir d'éléments existants qui ont été renforcés, à Monterrey en 2021 et à Séville et Athènes en 2024. Grâce aux moyens humains déployés à la suite des états généraux de la diplomatie, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a renforcé ses équipes en Asie-Océanie, zone cruciale où se jouent des enjeux importants et théâtre de la rivalité systémique entre les États-Unis et la Chine. L'équipe de l'ambassadrice auprès de la communauté du Pacifique a ainsi déménagé de Paris à Nouméa. De nouvelles formes de présence se mettent également en place, avec, par exemple, l'ouverture à Hyderabad, en Inde, d'un Bureau de France, qui nous permet d'être présents dans le plus grand incubateur du pays.
Le ministre Jean-Noël Barrot a, en outre, confié au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) la réalisation d'une étude comparative des outils innovants mis en place par d'autres diplomaties pour identifier ceux qui fonctionnent le mieux et en tirer des leçons.
Enfin, pour terminer sur ce sujet de l'adaptation de notre outil diplomatique à l'évolution du monde, l'attitude à adopter à l'égard des enceintes du Sud global reste à affiner. L'aspiration des nouvelles puissances à participer à la régulation des enjeux mondiaux est légitime, mais il faut être lucides et savoir lutter contre les ingérences et les programmes révisionnistes qui peuvent alimenter des tensions internationales. Dans ce contexte, nous nous devons de faire de l'influence, sous peine de subir celle des autres.
Je crois que nous pouvons encore muscler le jeu, par exemple en renforçant les programmes tels que « Personnalités d'avenir ». Nous recevons un peu moins d'une centaine de personnalités d'avenir chaque année dans le cadre de ce programme conduit par le Quai d'Orsay, alors que les États-Unis en accueillent 5000. Des marges de progression existent donc.
Il faut également se féliciter d'initiatives telles que l'Africa Infrastructure Fellowship Program, qui permet d'accueillir à Paris des cadres et des ingénieurs à responsabilités dans le domaine des infrastructures. Le Forum de Paris pour la paix, créé il y a six ans, a replacé la France dans la compétition pour l'accueil de forums internationaux de haut niveau et permis d'accueillir, depuis 2018, 45 000 participants venus de 175 pays et 147 chefs d'État et de gouvernement, ce qui montre l'importance de cette manifestation devenue rituelle au mois de novembre.
La France est plus que jamais légitime et crédible vis-à-vis de ce Sud protéiforme en continuant à plaider pour la réforme d'instances internationales, et en particulier pour celle du Conseil de sécurité des Nations unis. Elle doit veiller à utiliser à l'avenir les formats dont elle a la responsabilité pour préserver le lien avec ce Sud. Je pense notamment à notre présidence du G7 en 2026, qui sera l'occasion de conduire une politique de dialogue actif avec les pays non membres et de porter une attention particulière aux pays du Sud. Le sommet Afrique-France, qui aura lieu la même année à Nairobi, pourra également y contribuer.
Pour conclure, permettez-moi de rendre hommage aux femmes et aux hommes qui font vivre au quotidien cette diplomatie, avec parfois beaucoup de débrouillardise au regard des moyens alloués, même si ceux-ci ont augmenté nonobstant le léger frein lié aux contraintes budgétaires actuelles.
Un amendement à la première partie du projet de loi de finances (PLF) visant à assujettir à l'impôt sur le revenu l'indemnité de résidence perçue par les fonctionnaires civils et militaires en service à l'étranger a été adopté il y a deux jours par le Sénat. Je veux vous mettre en garde sur ce type d'idées qui peuvent paraître séduisantes pour récupérer quelques picaillons pour le budget de l'État. Il est nécessaire de préserver l'attractivité de ces fonctions et de couvrir, en matière de sécurité ou de logement, les dépenses de nos agents dans certains pays où le coût de la vie est beaucoup plus élevé qu'en France. Il faudra donc trouver une manière de revenir sur la disposition votée ou de l'atténuer car elle suscite beaucoup de craintes et d'émoi. J'ai peur que nous perdions des talents si celle-ci devait être conservée.
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
M. Pascal Allizard. - J'aimerais revenir sur ce malheureux amendement de la commission des finances voté dans la nuit de lundi à mardi avec un avis de sagesse de la commission et du Gouvernement.
Depuis hier, nous sommes tous assaillis de questions de la part d'un certain nombre de diplomates en poste. Il s'agit d'une initiative extrêmement malheureuse au sujet de laquelle nous avons longuement échangé avec le président Perrin depuis hier. Mon objectif, que vous partagerez peut-être, est d'obtenir une seconde délibération et le rejet de cet amendement.
Même s'il est nécessaire de trouver des pistes d'économies, il conviendrait d'éviter de se lancer dans le concours Lépine de la meilleure proposition. Je considère cet amendement comme particulièrement mal venu et crois, Monsieur le président, qu'il serait bon que notre commission se positionne sur cette question.
M. Cédric Perrin, président. - J'ai été personnellement alerté à ce sujet hier, notamment par Pascal Allizard. Nous avons reçu depuis de nombreux retours sur cet amendement, qui concerne à la fois les diplomates et les militaires.
Ses conséquences pour les diplomates sont relativement simples, même si elles n'ont malheureusement pas été comprises par ses auteurs. Nous commençons à recevoir des courriels d'ambassadeurs dont certains agents, notamment ceux de catégorie C, tirent déjà le diable par la queue pour essayer de survivre à l'étranger dans des conditions parfois difficiles. Ils nous expliquent que ceux-ci veulent rentrer en France car leur situation n'est pas tenable financièrement. Les diplomates étant obligés d'aller à l'étranger, le nombre de candidats à l'exercice de ces fonctions diminuera probablement, tandis que bien des militaires ne se porteront plus volontaires pour partir à l'étranger.
Ni la commission des finances, ni le Gouvernement, ni l'auteur de l'amendement ne semblent avoir mesuré les conséquences que ce dernier pouvait avoir sur notre capacité à continuer à être présents à l'étranger. Nous dénonçons depuis plusieurs années les coups de rabot faits sur le dos de notre diplomatie - le président Cambon est d'ailleurs allé manifester avec les diplomates à l'époque de la réforme de la haute fonction publique et de la décision de supprimer le corps diplomatique. Il n'est donc pas envisageable que nous en rajoutions ici, au Sénat.
Je suis allé voir hier le rapporteur général de la commission des finances ainsi que l'auteur de l'amendement, qui ne semble pas tout à fait comprendre le problème. Si notre commission me mandate pour en discuter avec le rapporteur général, je défendrai notre position. Il est possible que le Gouvernement demande un nouvel examen de cet amendement, mais celui-ci interviendrait à un moment aléatoire. Il faudra donc que le plus grand nombre d'entre nous soient présents en séance publique à ce moment-là pour porter notre position.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je pourrais reprendre à mon compte les propos de Pascal Allizard et les vôtres, Monsieur le président. Notre commission a toujours été solidaire, peut-être parce que nous sommes sensibilisés au fonctionnement de notre réseau diplomatique.
Le vocabulaire utilisé dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique était déjà très brutal, avec des termes tels que l'« extinction » du corps diplomatique, qui ont jeté un profond émoi. Cet amendement a engendré la possibilité non pas d'un jour de grève, mais d'une grève générale, ce qui serait absolument inédit et historique. L'inquiétude est palpable et il faut l'entendre.
Au problème de reconnaissance au sein de ce ministère s'ajoute désormais l'incompréhension du fait que le Sénat, qui a toujours été solidaire jusqu'à présent, attaque aujourd'hui le corps diplomatique. Les diplomates ne sont effectivement pas les seuls concernés, les militaires l'étant aussi. Je ne pense pas que les fonctionnaires seront motivés à l'idée de partir à l'étranger sans cette incitation, d'autant que l'amendement ne fait pas dans la dentelle et prévoit une taxation à hauteur de 100 %.
Notre groupe est entièrement solidaire de ce qui sera proposé pour revenir sur cet amendement.
M. Cédric Perrin, président. - Je serais tenté de dire qu'il ne s'agit pas seulement d'un acte de solidarité, mais aussi d'un acte de bon sens.
M. Christian Cambon. - Je veux souligner l'extrême gravité de cette histoire et appuyer la démarche du président Perrin, qui propose de le mandater pour faire en sorte que l'affaire tourne court.
J'ai encore échangé ce matin avec la secrétaire générale du Quai d'Orsay. L'émotion est immense et les réseaux ont fonctionné toute la nuit, avec des suggestions particulièrement sympathiques nous invitant par exemple à rendre imposables nos propres indemnités de résidence.
Les explications données en séance publique ont laissé entendre que tous les diplomates étaient logés gratuitement. C'est un contresens : à l'exception de l'ambassadeur, qui supporte d'ailleurs une partie des frais liés à son hébergement, tous les autres agents doivent se loger par eux-mêmes, dans des conditions parfois difficiles.
Le président Perrin a rappelé que cet amendement touchait également les militaires et l'ensemble des fonctionnaires expatriés. Il est regrettable que la commission des finances, qui déjà par le passé diminuait de plusieurs centaines de millions d'euros les crédits de l'aide au développement, ne se coordonne toujours pas avec notre commission.
La secrétaire générale du ministère est en train d'examiner la possibilité d'une seconde délibération avec le Gouvernement. À défaut, la seule solution - qui n'est pas pour tout de suite - sera la commission mixte paritaire (CMP). L'amendement sera écarté en CMP, mais d'ici là, le Sénat sera longuement remercié de son initiative. Je pense donc qu'il serait bienvenu que le président Perrin puisse porter une protestation générale de la commission.
M. Cédric Perrin, président. - De mon point de vue, sans aborder ni la composition de la CMP ni le fonctionnement de l'Assemblée nationale, le risque que présente l'attente de la réunion de la CMP est trop important.
Nous allons donc faire en sorte de provoquer une seconde délibération. Il nous reviendra alors d'être présents en séance publique et de faire passer le message au sein de nos groupes politiques respectifs.
M. Olivier Cigolotti. - Les diplomates se sont mobilisés très rapidement. Dès mardi, nos militaires, nos attachés de sécurité intérieure et nos gendarmes en poste à l'étranger ont eux aussi fortement réagi. Ce matin, ce sont les sapeurs-pompiers en position de coopération qui se sont manifestés.
L'amendement cible l'ensemble des personnels civils et militaires. Au-delà de l'objectif budgétaire affiché, ses conséquences seraient donc largement dommageables. Je m'associe totalement à la démarche du président Perrin tendant à revenir sur ce point.
M. Roger Karoutchi. - La seule solution est une seconde délibération, qui ne peut être demandée que par le Gouvernement ou le rapporteur général. Néanmoins, elle ne peut avoir lieu qu'à l'issue de la partie consacrée aux recettes, c'est-à-dire dimanche. Il est par conséquent nécessaire de mobiliser nos collègues pour qu'ils soient présents ce jour-là. Il faudrait demander un scrutin public, à condition que les groupes politiques suivent.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Il serait bon d'être mieux coordonnés à l'avenir. Lorsqu'un de nos collègues a l'intention de déposer un amendement qui nous intéresse particulièrement, nous pourrions émettre un avis au préalable. Cela éviterait des situations inconfortables pour tout le monde.
M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes d'accord, mais nous ne pouvons pas contraindre un sénateur souhaitant déposer un amendement à nous prévenir au préalable. Il aurait certes été logique que nous soyons informés, mais personne ne l'a été. Je vous propose donc un vote informel. Qui est favorable à ce que j'aille rencontrer le rapporteur général pour essayer de revenir sur cette erreur de parcours ?
La commission émet à l'unanimité un avis favorable à la proposition du président.
Je vous remercie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - La commission des finances propose un amendement visant à réduire les crédits de la mission de 50 millions d'euros, dont 30 millions d'euros pour le programme 105. Dans le détail, 20 millions d'euros seraient économisés sur l'immobilier, 2,5 millions d'euros sur le numérique, 2,5 millions d'euros sur le fonctionnement des ambassades et 5 millions d'euros sur la sécurité de nos emprises à l'étranger.
Cette proposition est très discutable. L'investissement dans le numérique doit être renforcé. Du reste, nous ne pouvons pas transiger sur la sécurité de nos emprises. Nous vous proposons donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits dans la version initiale du texte et d'être défavorables à l'amendement de la commission des finances.
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - Il est temps de changer de paradigme et de cesser de cibler systématiquement l'immobilier, que ce soit en France ou à l'étranger. Nous sommes confrontés à une situation extrêmement difficile sur ce plan et je ne comprends pas cette obsession.
Dès qu'on parle d'immobilier, on pense à la spéculation ou à des châteaux. Or chacun a besoin d'un logement, qu'il réside en France ou à l'étranger. Il faut arrêter de stigmatiser l'immobilier. Nous sommes en train de briser les rêves de nos compatriotes.
Je suis particulièrement outrée par toutes les propositions qui sont formulées dans ce domaine, alors que nous devrions plutôt essayer de résoudre la crise immobilière à laquelle nous faisons face.
M. Cédric Perrin, président. - Il serait opportun d'envoyer certains de nos collègues dans les emprises diplomatiques françaises à l'étranger pour qu'ils se rendent compte de la manière dont nous traitons nos diplomates.
Ceux qui sont déjà allés à l'ONU savent que nous avons vendu nos emprises pour des sommes très importantes et que ceux où nous sommes installés aujourd'hui ne renvoient pas une image à la hauteur de la France. Nous contestons depuis des années ces coupes sombres dans l'immobilier.
M. Roger Karoutchi. - Je pense qu'une erreur a été commise dans la précipitation, ce qui est naturel compte tenu des délais impartis pour le débat budgétaire. Le Gouvernement nous a invités à trouver 4 milliards d'euros d'économies sur les dépenses pour limiter les augmentations d'impôts. La commission des finances s'est chargée de trouver elle-même ces 4 milliards d'euros à l'aveugle, alors qu'elle aurait dû laisser chaque commission formuler des propositions pour les secteurs relevant de sa compétence.
M. Christian Cambon. - Chaque année, c'est la même chose. J'ai connu cela pendant six ans. La question de l'immobilier des ambassades est pourtant très importante.
Je voudrais rappeler le résultat de la revente du palais Clam-Gallas, où se trouvait le centre culturel français à Vienne. Celui-ci a été acheté par le Qatar, qui y a installé son ambassade, tandis que nous sommes relégués dans un appartement sur le Ring. Inutile de vous dire que la France a tiré un grand profit de cette décision... Notre commission doit donc se battre sur ce sujet.
Monsieur Delahaye, quant à lui, devrait circuler dans les ambassades. Il y serait sans doute bien accueilli...
M. Cédric Perrin, président. - J'en suis certain. Nous allons passer au vote sur les crédits du programme 105.
M. Akli Mellouli. - Notre groupe n'a pas encore pris de décision. Dans la mesure où nous allons voter contre le budget, nous examinerons ligne par ligne ce que nous allons faire. Je vais donc m'abstenir.
Mme Michelle Gréaume. - Pour notre part, notre groupe ne prendra pas part au vote.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».