TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de M. François-Noël Buffet,
ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer
(Mercredi 20 novembre 2024)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, c'est un plaisir de vous accueillir au sein de notre commission des affaires économiques. Le dernier ministre des outre-mer entendu, dans le cadre du budget, dans cette salle de commission était Madame George Pau-Langevin en 2015. Aujourd'hui, au regard des enjeux socio-économiques auxquels font face nos départements et régions d'outre-mer, nos collectivités d'outre-mer, ainsi que la Nouvelle-Calédonie, il m'a paru important de vous entendre et nous le referons dans les mois à venir, en coordination avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par notre collègue sénateur de Saint-Barthélemy Micheline Jacques, que je salue et qui est membre de notre commission.

Il n'est pas possible de décrire les enjeux des outre-mer de façon globale et univoque, tant chaque territoire est unique, de par son histoire, sa géographie, ses problématiques et ses aspirations.

Aussi, Monsieur le ministre, je ne donnerai que quelques coups de projecteurs et je commencerai logiquement par évoquer la crise du pouvoir d'achat en Martinique, d'où vous revenez d'une visite de quatre jours. Si un amendement du Gouvernement visant à exempter de TVA certains produits de première nécessité en Martinique et en Guadeloupe est un signal positif, de même que la signature du protocole de lutte contre la vie chère le 16 octobre, quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter sur le long terme au fléau de la vie chère, vécue comme une profonde injustice par certains de nos compatriotes ?

Concernant plus spécifiquement les actions de la mission outre-mer, j'évoquerai un sujet qui me tient à coeur et pour lequel je sais que la délégation avait rendu un important rapport en 2021, celui du logement. Les chiffres en la matière sont assez inquiétants : la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (Erom) prévoyait la construction de 15 000 logements sociaux par an pendant 10 ans, la réalité est que moins de 4 000 logements sont en moyenne livrés chaque année depuis 2017, et du côté de la réhabilitation, les chiffres ne sont guère plus encourageants. Or, nous savons que ces territoires, pour des raisons démographiques et de faiblesse des revenus, ont un besoin crucial de logements sociaux, je pense à Mayotte ou à la Guyane, quand d'autres, pour des raisons également démographiques, tenant au vieillissement de la population, sont en demande de réhabilitation et de transformation des logements, je pense notamment à la Guadeloupe, à la Martinique, voire à la Réunion, où les besoins sont plutôt mixtes.

Enfin, un autre sujet de préoccupation concerne l'avenir du tissu économique ultramarin, au moment où des dispositions du PLFSS, si elles venaient à figurer dans le texte final, font craindre un effet boule de neige sur les entreprises ultramarines et où les crédits en loi de finances destinés à soutenir le « prêt développement outre-mer », qui intervient pour les besoins en fonds de roulement des entreprises, affichent une baisse spectaculaire.

Dans le contexte budgétaire que chacun sait délicat, et alors même que les besoins des territoires ultramarins sont parfois urgents, quelles sont les lignes de force du budget de votre ministère pour 2025 ? Vous avez déclaré devant la délégation aux outre-mer que la baisse de 37 % du programme 123, qui supporte l'essentiel des interventions de la mission en faveur des territoires ultramarins, n'était « pas négligeable », alors qu'il fallait respecter le lien de confiance entre l'État et ces territoires.

Et par-delà le débat budgétaire, quelle est votre vision des priorités pour les années à venir de la politique en faveur des outre-mer ? Je sais que vous êtes attaché à travailler à une meilleure adaptation des normes aux réalités ultramarines, de même qu'à l'importance d'éviter de produire de la norme non concertée depuis Paris, c'est sans doute là votre côté sénatorial qui s'exprime !

Monsieur le ministre, je vous cède sans plus tarder la parole en vous rappelant que cette audition est diffusée en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat. Ce sont ensuite nos collègues qui vous interrogeront en commençant par Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer et rapporteur pour avis des crédits de la mission outre-mer.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. - Merci pour cet accueil, c'est un grand plaisir d'être parmi vous, ici au Sénat, et dans cette salle où j'ai parfois siégé. Je commencerai par vous présenter ma feuille de route, qui est en construction.

Les crédits de la mission « Outre-mer » viennent en appui des politiques sectorielles pour prendre en compte les spécificités ultramarines et des enjeux prioritaires. Les objets d'intervention sont très nombreux, très interministériels, ils concernent en particulier la politique du logement, le soutien aux collectivités territoriales dans le portage de leurs projets structurants, dans le redressement de leurs finances, ou encore dans le financement d'infrastructures essentielles. La situation actuelle demande des réponses rapides, dont certaines relèvent du bon sens et d'autres de l'urgence, dans le cadre de l'examen budgétaire.

Dans le PLF pour 2025, les crédits de cette mission baissent de 12 % en autorisations d'engagements (AE) et de 9 % en crédits de paiements (CP), par rapport à la loi initiale 2024. Cette baisse est beaucoup plus forte pour le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », avec - 37 % en AE, alors que pour le programme 138 « Emploi outre-mer » il y a une légère hausse liée à l'augmentation du montant du remboursement des exonérations de charges sociales à la sécurité sociale.

Face à cette baisse annoncée des crédits, j'ai dit clairement que j'entendais bâtir un budget autour d'une priorité simple : tenir les engagements de l'État, c'est sur cette ligne que l'on peut construire une relation de confiance entre l'État, les territoires d'outre-mer et leurs élus - je ne vous apprends rien, au Sénat, mais ce devrait être la base des relations entre l'État et les territoires. Je tiens un langage de vérité en prônant le nécessaire équilibre entre la juste contribution des outre-mer à l'effort national de redressement de nos comptes publics, dont vous savez la situation très dégradée, et la préservation des intérêts essentiels de nos territoires ultramarins, en faveur desquels je suis à l'ouvrage depuis mon arrivée, il y a deux mois.

Avant de vous parler du PLF 2025, je voudrais insister sur les crédits que j'ai obtenus auprès du ministre en charge des comptes publics, très attentif à mes demandes, pour assurer la fin de gestion 2024 et tenir les engagements de l'État : 220 millions d'euros en AE et 225 millions d'euros en CP ont été « dégelés » et nous avons obtenu des crédits nouveaux, pour 55 millions d'AE et 33 millions d'euros de CP.

Sur le PLF 2025 lui-même, nos échanges se poursuivent avec le ministre du budget et des comptes publics, j'ai bon espoir que mon budget soit rehaussé pour tenir les engagements de l'État, c'est une ligne forte. L'objectif est, en toute transparence, d'atteindre le niveau de crédits de 2024, même si, toujours en toute transparence, nous serons probablement légèrement en dessous, au titre de la participation de la mission au redressement des comptes de la France. Les négociations se poursuivent autour des besoins essentiels identifiés et nous convergeons sur cette ligne directrice consistant à préserver la continuité territoriale, les contrats de convergence et de transformation, les contrats de redressement en outre-mer (Corom), la ligne budgétaire unique (LBU) et les crédits d'intervention de l'Agence française du développement (AFD).

Comme vous le savez, les collectivités contribuent cette année à la réduction de la dépense publique à travers la mise en place d'un fonds de précaution inscrit à l'article 64 du PLF 2025. L'application de ce dispositif aurait conduit à prélever près de 86 millions d'euros aux collectivités ultramarines. Avec ma collègue aux collectivités locales, nous avons obtenu d'en écarter presque toutes les communes ultramarines ; il reste trois intercommunalités, dont deux à La Réunion, je ne suis pas sûr que nous parvenions à leur éviter de participer à ce fonds.

Mais je le dis aussi très simplement : les crédits obtenus doivent correspondre à la capacité des acteurs locaux de les dépenser dans de bonnes conditions. Nous constatons que des crédits disponibles ne sont pas utilisés, on doit s'interroger sur les raisons de cette situation. En particulier sur la consommation des fonds européens, on se demande parfois pourquoi des dossiers pourtant bien partis n'avancent pas et je pense qu'on fera des progrès en accompagnant les élus, en mettant à leur disposition une équipe technique réduite mais efficace, pour les aider à débloquer une procédure - parce que le problème, aussi, est que si les projets financés ne se font pas, les financements eux-mêmes risquent d'être repris...

Je veux vous présenter ma feuille de route autour de quatre axes.

Premier axe, je veux renforcer l'appui de l'État au développement des territoires et à la création de valeur - cette notion de création de valeur est décisive, nous devons optimiser le développement économique, il y a des pépites dans nos territoires, il y a aussi des pans entiers où nous avons des marges de progression claire, par exemple en matière agricole : l'autosuffisance alimentaire en Martinique est de 20 %, on peut créer les conditions pour faire largement mieux. L'investissement des collectivités est un moyen essentiel pour préparer l'avenir des outre-mer et réunir les conditions d'une croissance durable créatrice d'emplois - le chômage est très élevé dans les outre-mer. Cet investissement répond aux attentes légitimes de nos concitoyens, qu'il s'agisse d'infrastructures de transports ou d'équipement de santé.

Dans ce cadre, la nouvelle génération des contrats de convergence et de transformation (CCT) vient d'être signée avec un engagement de l'État à hauteur de 794 millions d'euros sur la période 2024-2027. Ces contrats contribuent au développement économique, social ainsi qu'à la transition écologique et énergétique des territoires ultramarins en cofinançant les projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales d'outre-mer. La transition écologique et énergétique est décisive, parce qu'on part d'assez bas outre-mer et parce qu'on a une capacité de progrès importante, c'est intéressant pour les outre-mer.

Pour 2025, je souhaite que les crédits que nous allons mobiliser répondent à la capacité effective d'engagement des projets et qu'ils soient lissés sur une plus longue période, par exemple 6 ans, à l'instar des contrats de plan État-Régions. Ensuite, le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) est un levier pour financer des équipements structurants des territoires ultramarins et y améliorer les conditions de vie des populations, avec un fort impact sur l'emploi et la commande publique ; le PLF pour 2025 l'abonde de 110 millions d'euros en AE, c'était 160 millions d'euros l'an passé, mais nous avons constaté que des crédits n'étaient pas consommés - l'enjeu de se mettre au niveau de consommation effectif des crédits, c'est aussi de pouvoir les allouer d'autres secteurs.

Les communes les plus fragiles seront accompagnées dans l'assainissement de leurs finances au titre des Corom, contrats qui fonctionnent très bien - 12 contrats sont en cours, ils représentent 9,9 millions d'euros en AE et 21,7 millions d'euros en CP. Les maires qui se sont engagés dans ces contrats, parfois sans trop y croire, en sont contents.

Je souhaite que les moyens de l'AFD dédiés tant au financement des collectivités territoriales avec des prêts favorisant le développement durable des outre-mer, qu'au soutien à l'ingénierie locale, soient sanctuarisés.

Je n'oublie pas non plus les dispositifs fiscaux portés par la mission outre-mer et qui participent de cette croissance. La défiscalisation des investissements productifs est ainsi prolongée jusqu'en 2029.

Deuxième axe de ma feuille de route : donner des perspectives à la jeunesse. La jeunesse ultramarine rencontre des obstacles importants pour se former, trouver un emploi et tout simplement vivre dans leur propre territoire. Les besoins sont immenses et les réponses doivent être multiples - pour faire face aussi bien à la croissance démographique à Mayotte et en Guyane, qu'aux départs massifs de Martinique, de Guadeloupe ou encore de Wallis-et-Futuna, qui se traduisent par une diminution marquée de la population de ces territoires. En Martinique, on est passé en dix ans de 380 000 à 340 000 habitants, le recul démographique s'accélère, c'est un point d'alerte très important. En conséquence, l'État mobilise 115 millions d'euros pour financer des projets de construction, de rénovation ou d'extension d'établissements scolaires déjà existants pour accueillir, dans de bonnes conditions, l'ensemble des élèves du premier degré à Mayotte et en Guyane et du second degré en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, hors reconstruction des bâtiments détruits dans le cadre des événements du 13 mai dernier.

Parallèlement à cela, je souhaite porter un effort appuyé à la valorisation des talents et des résultats des jeunes ultramarins qui effectuent des parcours remarquables, mais également au développement du vivier des cadres locaux au travers du développement du programme « Cadres d'avenir », qui accompagne cette année près de 110 talents vers l'excellence. L'aide au retour des forces vives et l'accompagnement des étudiants seront également au centre des nouvelles mesures portées par l'Agence de mobilité des Ultramarins (Ladom). Au total, 22 millions d'euros financeront l'aide à la formation professionnelle, dont 11 millions d'euros seront dédiés aux dispositifs locaux de formation des cadres. Les moyens du service militaire adapté (SMA) s'élèveront à 73 millions d'euros en AE et 59 millions d'euros en CP. Fleuron de l'insertion professionnelle des publics les plus éloignés du marché de l'emploi, l'efficacité du SMA n'est plus à démontrer : il a su atteindre un taux d'insertion supérieur aux trois-quarts de ses 6 000 jeunes volontaires stagiaires, c'est un dispositif qui réussit et qu'il faut soutenir.

Plus largement en matière d'emploi, je suis particulièrement attentif à l'efficacité du dispositif d'exonération des cotisations sociales issu de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodeom). Vous le savez, le fameux article 6 du PLFSS pour 2025 entendait réformer cette exonération, les députés s'y sont opposés, mais l'article est réapparu hier au Sénat, dans une rédaction un peu différente, nous suivons cela de très près.

Troisième axe de ma feuille de route : conforter le pouvoir d'achat des Ultramarins. Nous constatons un écart de prix de 40 % sur certains produits avec l'Hexagone, c'est inacceptable, il faut dire les choses telles qu'elles sont
- je ne vois pas comment nous l'accepterions, nous, dans l'Hexagone. Le protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère pour la Martinique, signé le 16 octobre dernier entre le monde économique martiniquais, la collectivité territoriale de Martinique et l'État, vise quelque 6 000 produits - pas seulement alimentaires, il y a d'autres produits de première nécessité, en tout, 69 familles de produits -, avec l'engagement que leur prix baisse de 20 % à compter du 1er janvier prochain. La mécanique est en route, c'est essentiel, les conditions de son adaptation à d'autres territoires ultramarins doivent être étudiées, car cette dynamique est fondée sur la synergie des efforts de chacun.

Ces orientations complètent les outils déjà portés par mon ministère : appui à la négociation des « boucliers qualité-prix », moyens dédiés aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), dont les moyens d'étude s'élèveront à 600 000 euros en AE et CP l'an prochain. Ce montant sera revu pour tenir les engagements pris au profit de l'OPMR des Antilles. En parallèle de la mise en oeuvre de l'accord, il faut contrôler les choses, voir s'il n'y a pas d'effet d'aubaine. Il faut la vérité des prix, la vérité des situations, nous allons faire un audit de la vie chère, piloté par l'OPMR de Martinique, pour collationner les études qui existent déjà, je sais que la délégation sénatoriale aux outre-mer y travaille également : nous allons travailler ensemble et trouver une solution, dans le cadre d'un « Oudinot de la vie chère », contre ces écarts de prix - les prix ne peuvent pas être identiques, mais l'écart actuel n'est pas acceptable.

Quatrième axe : améliorer les conditions de vie du quotidien. Et d'abord par le logement ; les crédits inscrits à la ligne budgétaire unique (LBU) s'élèvent pour 2025 à 260 millions d'euros en AE et à 184 millions d'euros en CP, soit un recul de 32 millions d'euros en AE par rapport à cette année. Cette diminution des crédits ne remet en question ni le niveau d'intervention de l'État, ni la dynamique engagée depuis plusieurs années pour soutenir la construction et la réhabilitation de logements sociaux - nous avons, cette année, financé la construction et la réhabilitation de plus de 8 500 logements et il faut aussi compter, en plus de la LBU, avec les dispositifs fiscaux spécifiques, la TVA réduite et les crédits d'impôt. Cependant, nous demeurerons en deçà des objectifs, le nombre de logements financés n'augmente guère, car les opérations coûtent plus cher en raison notamment de l'augmentation des coûts des matériaux, de la rareté du foncier aménagé et du nombre plus important des opérations de réhabilitation en coeur de villes, qui sont plus onéreuses. Il y a la volonté de construire, mais il y a trop souvent un obstacle - il peut être foncier, ou normatif, ou encore budgétaire avec le décalage de coût entre le projet et la réalisation, les matériaux s'étant de beaucoup enchéris depuis la crise sanitaire. Une des pistes de maîtrise du coût des matériaux consiste à faciliter l'importation de produits en provenance d'États voisins. Pourquoi faire venir du bout du Rhône des matériaux à Papeete ou à Fort-de-France ? Pour cela, nous avons obtenu des institutions européennes la possibilité de nous affranchir du marquage « CE », avec un nouveau marquage « RUP » - régions ultrapériphériques -, pour les produits du BTP. Par ailleurs, je reste convaincu que l'action conjointe de l'ensemble des parties prenantes, dont les collectivités et les bailleurs, doit permettre d'innover, d'associer de nouveaux partenaires et de trouver des solutions moins coûteuses. D'ici le début de l'année, le troisième Plan logement outre-mer permettra de fixer les priorités de cette action commune et une stratégie pour y répondre.

S'agissant de la continuité territoriale, enjeu majeur d'équité et de solidarité à l'égard de nos compatriotes ultramarins, le nombre de ses bénéficiaires a quasiment doublé entre 2018 et 2023, passant de 38 879 à 78 810, du fait du relèvement du seuil de ressources - je vous l'ai dit, j'ai toutes les assurances que les moyens de la continuité territoriale seront maintenus l'an prochain.

Je veille aussi à ce que les crédits dédiés aux plans Chlordécone et Sargasse, - issus du programme 162 « Cohésion des territoires » - soient maintenus à un niveau compatible avec l'avancée de ces plans, ils fonctionnent très bien, je l'avais constaté dans le cadre des travaux de la commission des lois du Sénat en 2023, au sein de laquelle je siégeais.

Au-delà des crédits du ministère chargé des outre-mer, d'autres missions budgétaires ont un impact outre-mer, il faut y prêter attention dans le débat actuel sur la situation dans nos outre-mer. Je pense en particulier à Mayotte, un effort particulier de convergence est en cours de définition - une enveloppe de 100 millions d'euros devrait être mobilisée, soit dans la mission « Outre-mer », soit dans la mission « Collectivités territoriales ». Je pense également à l'effort de reconstruction de la Nouvelle-Calédonie, qui devra aussi faire l'objet d'un traitement budgétaire spécifique.

Le Comité interministériel des outre-mer (Ciom) qui se tiendra en mars prochain, sera l'occasion de réajuster notre action autour de quatre thèmes principaux : la création de valeur ; la jeunesse et l'insertion professionnelle ; la transition écologique et ses filières de décarbonation, l'énergie et les transports ; l'accès aux services publics : le logement, la santé et l'eau. Nous aurons l'occasion d'y revenir, je suis très attaché au développement économique de nos territoires, je crois aux opportunités de ce qu'on appelle « l'économie bleue » et je suis mobilisé contre la vie chère.

Nous avons besoin collectivement de mieux faire connaître nos outre-mer, c'est un lieu commun de le dire mais ils sont une chance pour la France, de même que la France est une chance pour les outre-mer, il faut en être conscient. Certaines filières sont très développées outre-mer, nos territoires ultramarins, au nombre de 13, dont 12 sont habités, ont un potentiel de développement sur l'économie bleue, sur l'agriculture, il faut aider à la création de valeur - attention à la fragilité de nos outre-mer, le recul démographique traduit un malaise, attention aussi à l'illusion que certaines réformes institutionnelles pourraient suffire à résoudre les problèmes, les évolutions institutionnelles sont un outil au service des projets des territoires, pas une fin en soi. Le projet doit donc venir en premier.

Le prochain Ciom sera accompagné d'un document stratégique qui fixera les grandes lignes du développement de nos outre-mer, globalement et par territoire ; il sera rédigé en collaboration avec les élus des territoires et il esquissera la ligne d'horizon à cinq ou dix ans. Ce document répondra à un besoin de clarifier les stratégies, il aidera à lire les actions actuelles et facilitera la contractualisation, pour donner plus de perspective, de stabilité et, comme le dit le Premier ministre, pour « lever la ligne d'horizon », nous en avons besoin. Peu importe le temps que le ministre reste en place, ce qui compte c'est de commencer par la stratégie, en espérant sa pérennité, au service de nos compatriotes ultramarins.

Mme Micheline Jacques. - Les crédits de la mission « Outre-mer » baissent cette année, comme ceux de bien d'autres missions budgétaires. Ce budget pour 2025 est difficile, et je suis déterminée, Monsieur le ministre, à soutenir votre action et vos demandes d'augmenter certains de vos crédits budgétaires.

Je pense, en particulier, aux crédits pour la continuité territoriale : leur baisse de près de 14 millions d'euros est incompatible avec le respect des engagements que l'État a pris l'année passée lors du dernier Ciom et qu'il a commencé à honorer cette année. Ma première question est donc simple : soutiendrez-vous mon amendement visant à rétablir ces crédits ? Vous pouvez compter sur mon plein soutien sur ce sujet, de même que pour rétablir les crédits de Ladom, bras armé de la réforme de la continuité territoriale, et qui pourrait connaître un effondrement de ses dotations de près de 40 %.

Par ailleurs, le 10 avril dernier, le Parlement européen a ouvert la voie à la possibilité pour nos territoires de s'approvisionner en matériaux locaux, mieux adaptés à nos besoins et souvent moins onéreux - ces produits seront labellisés « RUP ». C'est un levier pour améliorer le rythme des constructions de logements, il ne coûte pas un centime à l'État : confirmez-vous votre engagement à faire aboutir rapidement ce dossier, que notre délégation aux outre-mer porte depuis 2017 ?

Enfin, nos collectivités d'outre-mer n'ont pas toujours les moyens pour abonder les fonds complémentaires aux subventions européennes
- quand bien même le taux de subvention européen atteint 80 %. Dans ces conditions, je proposerai d'exonérer les collectivités d'outre-mer de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ; cela représente entre 30 et 35 millions d'euros par an, que les collectivités pourront utiliser pour leurs projets, en particulier ceux que l'Europe subventionne pour revaloriser les déchets : qu'en pensez-vous ?

M. François-Noël Buffet, ministre. - Je veux rappeler le prêt développement outre-mer (PDOM) porté par Bpifrance, financé par le programme 138 et qui représente 2,4 millions d'euros pour 2025 : c'est insuffisant, je veux augmenter ce montant et je compte sur votre soutien pour y parvenir.

La continuité territoriale est un enjeu fort, l'aide a été élargie ces dernières années, elle prend en charge les frais de billets d'avion longue distance jusqu'à 100 % pour les étudiants ; nous maintenons cette action, elle est prioritaire, et si le prix des billets augmente, nous suivrons l'augmentation. La ligne budgétaire passe de 76 à 63 millions d'euros l'an prochain - si on peut revenir au montant de l'an dernier, nous le ferons.

Le marquage « RUP » est important, nous attendons la désignation du commissaire européen en charge de ce dossier, elle doit intervenir dans la première semaine de décembre. Nous le contacterons aussitôt pour plaider notre cause, et bien marquer que nos territoires ultramarins aussi ont besoin des financements européens.

La TGAP outre-mer fait l'objet d'une évaluation, si l'on peut avancer sur le sujet, nous le ferons.

M. Frédéric Buval. - Madame la présidente, je tiens à saluer vos propos sur la Martinique.

Monsieur le ministre, votre venue récente en Martinique vous a montré les défis mais aussi les extraordinaires potentialités de développement économique de notre territoire. Les mobilisations contre la vie chère révèlent des dysfonctionnements résultant de notre histoire commune, mais également la sous-capitalisation de nos entreprises, - qui sont à 90 % des PME -, et la sous-dotation systémique des collectivités territoriales, alors qu'elles sont les véritables moteurs de l'investissement local.

Vous comprendrez donc bien que ce projet de loi de finances nous inquiète, tant sur les moyens mobilisés par l'État pour la reconstruction des entreprises et des équipements détruits lors des manifestations contre la vie chère, que sur le maintien des niveaux d'investissements accordés par le précédent gouvernement, en particulier dans le cadre des Corom.

Je prendrai l'exemple des investissements annoncés pour la reconstruction de l'hôpital de la Trinité, attendue depuis déjà 17 ans, alors que ce projet structurant fait l'unanimité. L'Agence régionale de santé (ARS), le 9 février 2024, a validé une aide de l'État de 90 millions d'euros pour la reconstruction de cet hôpital : l'État va-t-il tenir son engagement ?

M. Patrick Chaize. - Nous avons, l'an passé, voté des crédits pour que Mayotte déploie son plan de desserte du numérique à très haut débit sur l'ensemble du territoire ; or, ces crédits ont été annulés par le décret désormais bien connu de février dernier, alors même qu'il s'agissait d'autorisations d'engagement, et non de crédits de paiement. Trois ministres, dont votre prédécesseur, se sont engagés à ce que ces autorisations d'engagement figurent dans le PLF pour 2025, ce n'est pas le cas. Nous allons proposer d'y remédier par amendement : nous soutiendrez-vous ?

M. François-Noël Buffet, ministre. - Tout ce que pourra faire le Gouvernement pour soutenir les territoires ultramarins sera fait. Concernant plus spécifiquement la Martinique, les événements très violents qui se sont produits ne sont pas neutres, j'ai eu des commerçants au téléphone qui ont été pillés, ce n'est pas supportable. Il y a un sujet d'assurance, puisque si les assureurs couvrent les dégâts causés, ils posent des problèmes pour assurer de nouveau. En commun avec le ministère de l'économie et des finances, nous demandons aux assureurs de tenir leurs engagements, et nous travaillons sur la poursuite de l'assurance ; il y a un dispositif à l'échelon européen, mais il ne concerne que les catastrophes naturelles, pas les émeutes, il faut trouver une solution. Il y a d'autres pistes, nous en avions évoqué, au Sénat, dans un rapport d'information publié en avril dernier par la commission d'enquête sur les émeutes urbaines de juin 2023 - en particulier à Nanterre -, par exemple la création d'un fonds national de secours en cas d'émeutes : il serait peut-être temps d'initier un tel fonds. En attendant, nous avons mis en place du chômage partiel, et allongé les délais de paiement pour les charges sociales et fiscales, c'est une aide supplémentaire.

Je n'ai pas la réponse sur l'hôpital de La Trinité, je vous répondrai ultérieurement. Il y a de toute évidence un besoin. Je note d'ailleurs que dans le cadre du Corom en court pour la commune de La Trinité, il est prévu 2 640 000 euros d'aide.

Sur les contrats de convergence et les Corom, les chiffres montrent que l'ensemble fonctionne assez bien, on est à pleine charge pour la commande publique, mais il faut aussi que les collectivités assurent le paiement de leurs fournisseurs et l'engagement des projets. Les crédits sont parfois sous-consommés, pour diverses raisons qu'il faut regarder, mais qui ont toutes pour effet de priver l'économie locale d'un levier de création de valeur, il faut y faire attention. Pour la Martinique, le contrat de convergence 2024-2027 porte sur 23 365 000 euros, c'est loin d'être négligeable. Les montants sont proches de ceux du contrat précédent, pour lequel tout avait été consommé.

Quant au développement de la fibre à Mayotte, l'objectif est maintenu d'une couverture complète en 2028-2030, c'est une action du plan France Très Haut Débit, qui déploie plus de 50 millions d'euros, l'État s'était engagé à mobiliser des crédits additionnels pour 2025, c'est un sujet essentiel sur lequel allons tenir les crédits. La fibre fait partie des sujets fondamentaux de développement de ce territoire, tout comme la gestion de l'eau.

M. Fabien Gay. - Vous ne niez pas la baisse des crédits et vous voulez faire face à une situation complexe et diverse - je ne connais pour ma part que la Guyane et la Guadeloupe, je ne me permettrais donc pas de faire comme si je connaissais tous les outre-mer. Je suis élu de Seine-Saint-Denis, un département où la population est jeune et qui est discriminé en matière de services publics, Édouard Philippe l'a reconnu, car nous recevons proportionnellement moins de service public que les autres départements, alors que nous payons notre quote-part d'impôts. Je connais donc ce qu'est le manque de services publics ; cependant, lorsque je me rends en Guyane, j'ai le sentiment d'un autre monde - il y a des similitudes, on essaie de nous opposer entre mal lotis, mais nous avons en commun de subir le recul et la carence des services publics. On le vit différemment entre territoires et je trouve les élus ultramarins bien patients face à l'État : si j'étais sénateur d'un de ces territoires en souffrance, vous m'entendriez davantage encore ! En Guyane, on parle de 10 000 enfants non scolarisés, la ville de Maripasoula, la plus étendue du territoire, n'est pas reliée par la route - en Guadeloupe, 30 % de la population n'a pas accès à l'eau courante, c'est hors norme, et on ne peut le comprendre qu'en allant sur place ! J'ai passé une semaine avec des Amérindiens à Saint-Laurent-du-Maroni, je peux vous dire qu'en revenant, j'ai relativisé pendant quelques semaines au moins les problèmes que nous avons en métropole...

En sortant un peu du débat budgétaire de cette année, on devrait prendre la mesure de la situation outre-mer, se mettre autour de la table et voir qu'avant d'en arriver à appliquer nos politiques publiques ordinaires, il y a besoin d'un vaste, d'un très vaste plan de rattrapage pour certains territoires ultramarins ! Je ne saurais le chiffrer, mais je pense qu'il faudra compter en milliards d'euros, voire en dizaines de milliards d'euros, ou bien on n'y arrivera pas, ou bien on ne fera que poser quelques pansements ici ou là...

Cependant, vous le dites, tout n'est pas qu'une question de moyens : sur la construction par exemple, des crédits disponibles ne sont pas dépensés, faute de matériaux, d'entreprises, de savoir-faire. Alors, il faut commencer par arrêter des aberrations que l'on connaît, comme ces normes qui obligent à tout faire passer par Paris - il y a un travail réglementaire à faire, il est long et fastidieux, mais il est nécessaire.

Une question sur le projet de réserver 20 000 hectares en Guyane pour la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), tel qu'il résulte d'un accord passé en 2017 ; un amendement avait été adopté à l'Assemblée nationale, nous allons le représenter en séance publique : allez-vous le soutenir ? Il y a une vraie question d'autonomie alimentaire en Guyane.

M. Gilbert Favreau. - Les habitants des territoires d'outre-mer doivent faire face, ce n'est pas nouveau, à une inflation très importante du coût des transports - en particulier aériens, ce qui est décisif dans la mobilité et les liens économiques avec la métropole. Or, le PLF 2025 augmente la taxe de solidarité sur les billets d'avion : quelle est votre position sur ce sujet et comment garantir une meilleure accessibilité des Ultramarins à la métropole ?

La gestion de l'eau, ensuite, entre dans vos compétences, elle est défaillante outre-mer. Dans les Antilles, l'eau potable est diffusée de manière intermittente. À Mayotte, la mauvaise gestion de l'eau a même fait ressurgir, cet été, une maladie qu'on ne connaissait plus que dans les pays du tiers-monde : le choléra. Ces difficultés d'infrastructures freinent le développement économique de ces territoires. Quelles mesures comptez-vous prendre pour améliorer ce service public ?

M. François-Noël Buffet, ministre. - Je partage votre constat, Monsieur Gay. Le fleuve Maroni étant à sec, toute une partie de Guyane se trouve isolée, nous avons dû déclencher le plan Orsec pour répondre aux urgences, notamment par voie aérienne ; une étude va être rendue publique sur la modernisation d'une alternative routière aujourd'hui impraticable. De manière générale, les équipements publics demandent des travaux importants mais on ne sait même pas précisément où l'on en est, c'est pourquoi je veux de la méthode - l'objectif est de contractualiser sur des objectifs et un rythme de consommation des crédits. Vous le dites aussi, parfois on a les crédits, mais des procédures freinent, des volontés manquent - il faut débloquer des freins, cela ne coûtera pas et accélérera les choses. On a de quoi s'étonner quand on découvre le problème, je veux y mettre de la méthode.

Sur le projet concernant la Safer en Guyane, un effort est en cours pour le transfert de foncier, on prévoit un amorçage sur trois ans avec 250 000 euros annuels.

La taxe de solidarité sur les billets d'avion va passer de 2,63 euros à 9 euros par trajet : nous compenserons intégralement cette hausse par l'intermédiaire de Ladom, c'est une première réponse.

Les problèmes de gestion de l'eau dans les outre-mer ont diverses origines ; à Mayotte, c'est un problème de retenues collinaires ; en Guadeloupe, nous sommes face surtout à un problème de gestion, nous avons légiféré en 2021 pour constituer un syndicat de gestion de l'eau, il a été mis en place, son président vient tout juste d'être élu ; à La Réunion, les mouvements de terrain coupent les réseaux, il faut les réparer. À chaque territoire sa complexité ! Les conséquences sont importantes : en Martinique, on a parfois 26 jours de coupure d'eau, je défie quiconque d'accepter cela dans l'Hexagone. On a les outils pour avancer, il faut aller plus vite dans leur application.

Faudrait-il une sorte de plan Marshall pour les outre-mer ? Le budget des outre-mer représente plus de 25 milliards d'euros lorsqu'on comptabilise l'ensemble des transferts, mon ministère n'en gère que 15 %. Les transferts vers la Nouvelle-Calédonie représentent, en dehors de toute crise, 1,7 milliard d'euros, c'est considérable... Je crois que nous devons définir et mettre en place une stratégie, avec une forte détermination financière et qui passe par tous les leviers possibles. Ils sont là, je pense au port de Fort-de-France, l'État participe à hauteur de 35 millions d'euros, cet équipement portuaire sera un levier pour La Martinique tout entière, ne serait-ce que parce que de plus grands bateaux vont pouvoir apporter des produits à moindre coût, au-delà des emplois liés au port modernisé. Je pense aussi à l'usine de désalinisation prévue à Mayotte, c'est un atout de développement, de même que la construction d'une nouvelle piste pour son aéroport. On peut relever le défi mais il faut de la méthode et, c'est ma conviction, un plan à 5 ou 6 ans pour mettre l'action publique en perspective.

M. Philippe Grosvalet. - Un grand port maritime est un atout, effectivement, à condition que les grands armateurs français n'imposent pas leurs conditions en menaçant de passer par une autre route - je parle d'expérience à Nantes-Saint-Nazaire, mais cela vaut pour les Antilles.

On s'émeut de la cherté de la vie, mais nos compatriotes ultramarins subissent une double peine, parce que non seulement les prix sont plus élevés outre-mer, mais les revenus y sont plus faibles qu'en métropole. Les taux d'allocataires du RSA pour les 15-69 ans est de 2,63 % en Ille-et-Vilaine, 8,63 % en Seine-Saint-Denis, 15,29 % à La Martinique, et 19,59 % à La Réunion, les écarts sont comparables sur le taux de chômage, la proportion de familles monoparentales, qui s'élève à 41 % : tous ces indicateurs auraient dû, depuis longtemps, nous alerter sur les risques majeurs d'explosion sociale. L'information que je vais vous donner, vous fera faire des économies en bureau d'études : des citoyens ont créé un comparateur de prix entre les outre-mer et la métropole, il s'appelle Kiprix et il compare les prix de plus de 12 000 produits en direct - chacun peut y constater les écarts.

Nos compatriotes ultramarins subissent même une triple peine, quand certains s'emparent d'une colère citoyenne légitime et la transforment en violences insupportables, des milliers d'emplois sont alors menacés par les destructions, les incendies, l'insécurité d'ensemble - et il y a des conséquences sur le tourisme, dans un moment où certains territoires ultramarins retrouvaient de l'attractivité.

L'année dernière, une commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les mécanismes qui concourent à la vie chère outre-mer, a détaillé le fonctionnement de la chaîne logistique et de la distribution, en particulier la situation d'oligopole en Martinique. Il y a eu depuis des discussions avec le préfet, un accord a été signé, mais l'État se donne-t-il les moyens d'enquête pour objectiver cette chaîne logistique ? Quand les prix sont à ce point plus chers, on a de quoi s'interroger sur la raison d'être de l'écart...

Ensuite, il faut donner de l'espoir à la jeunesse, les jeunes martiniquais qui peuvent étudier partent et ne reviennent plus vivre à La Martinique, ceux qui ne le peuvent pas restent et n'accèdent pas à l'emploi : qu'est-ce que cela va donner dans le temps ? Ne faut-il pas lancer un plan d'ensemble, un plan « Buffet » ? Donnons de l'espoir aux jeunes par l'emploi, ou bien nous aurons davantage de révoltes, légitimes dans leurs causes.

M. Éric Dumoulin. - Une seule question sur la Nouvelle-Calédonie, préoccupation majeure du Gouvernement et d'où reviennent d'ailleurs la présidente de l'Assemblée nationale et le président du Sénat : quelles sont vos lignes d'horizon ?

Mme Annick Jacquemet. - Ma fille, qui habitait en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans, revient vivre en métropole, j'ai donc suivi la situation locale au quotidien - on a vu les entreprises pillées et détruites, la mise au chômage de 25 000 salariés, soit l'équivalent de 6 millions de personnes à l'échelle de l'Hexagone, les hôpitaux se vident - deux blocs opératoires ont déjà fermés - , la tribu Saint-Louis bloque la route entre Nouméa et le Mont-Dore, au point qu'il a fallu organiser des navettes par voie de mer, on parle de manifestations contre la faim, le pouvoir d'achat diminue drastiquement : quel est votre calendrier d'action ? Va-t-il falloir recommencer tous les dix, vingt ou trente ans car la prochaine génération sera en désaccord avec les décisions prises maintenant ?

M. François-Noël Buffet, ministre. - À La Martinique, dans un lycée où l'enseignement est de très bonne qualité, des jeunes m'ont dit leur peu d'espoir de trouver du travail sur place et la difficulté qu'ils auraient à revenir s'ils trouvaient un travail ailleurs. Tout l'enjeu, c'est que les jeunes formés dans les lycées et les centres de formation professionnels sur place puissent travailler sur place, mais il faut aussi permettre la mobilité et pouvoir revenir pour un poste à la hauteur de leurs qualifications. Tout ne va pas mal cependant, il faut relativiser, les élus travaillent - mais je suis convaincu qu'on ne fera progresser la situation que par la relance économique, pour générer de la valeur, des emplois sur place. L'agriculture est un bon exemple.

L'accord du 16 octobre sur les prix prévoit de comparer l'évolution des prix entre les outre-mer et la métropole, il faut des contrôles en continu, l'Autorité de la concurrence en est saisie et 13 ETP assureront ce travail. Au-delà, il faudra se poser la question de la vie chère, c'est l'objet du « Oudinot de la vie chère » que j'organiserai. Quant aux armateurs, sachez que nous leur parlons, c'est ce que je peux vous dire.

Les événements du 13 mai dernier en Nouvelle-Calédonie ont fait baisser le PIB calédonien de 15 %, des dégâts matériels sont considérables, dans le privé et le public, en particulier les écoles. On a été au bord du chaos. Beaucoup de nos compatriotes sont partis, en particulier le personnel médical, ils sont allés en Nouvelle-Zélande, en Australie, dans l'Hexagone, certains ne veulent pas revenir, d'autres l'envisagent. L'État a immédiatement mobilisé 400 millions d'euros pour aider les entreprises et les collectivités, puis, en octobre, je suis allé sur place, on a ajouté 250 millions d'euros de soutien aux collectivités locales, en prolongeant l'indemnisation du chômage partiel, nous avons aussi aidé la province Sud pour les navettes maritimes à hauteur de quatre millions d'euros. Aujourd'hui les choses sont apaisées, les forces de l'ordre ont fait un travail remarquable, il faut le souligner, la route de Saint-Louis vient de rouvrir, l'usine de nickel au sud vient d'être remise en route, celle du nord est toujours fermée, les fours sont froids - mais des repreneurs se présentent, c'est bon signe. En revanche, les installations de la mine de Thio ont été détruites. En plus des crédits d'intervention, nous avons assoupli les règles pour que les collectivités puissent payer directement leurs fournisseurs, sans passer par le gouvernement local. En recevant avant-hier le président du gouvernement calédonien Louis Mapou, le Premier ministre vient de rehausser à 1 milliard d'euros le volume de prêts garantis, initialement fixé à 500 millions d'euros. Une enveloppe de 170 millions d'euros sera également bientôt discutée. Ces prêts s'ajoutent à la prise en charge par l'État de la reconstruction des bâtiments publics, à 100 % pour les écoles pour 2025. Va-t-on s'arrêter là ? Je crois qu'il faut s'inscrire dans la durée, et entrer dans une démarche contractuelle ; le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie a présenté un Plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) sur trois ans, il comprend aussi des réformes institutionnelles et fiscales, l'État accompagne le mouvement. Le congrès calédonien porte lui-même un projet de plan, nous allons faire la synthèse pour une contractualisation avec l'État.

L'hôpital est un sujet d'inquiétude, des médecins sont partis, d'autres en ont le projet - certains peuvent venir mais ils attendent de voir comment évolue la situation et comment se profile l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Emmanuel Moulin a été mandaté par le Premier ministre pour préfigurer et accompagner ce PS2R, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont mis en place un calendrier de discussions sur le volet institutionnel avec une première étape le 5 décembre prochain. L'objectif, c'est d'arriver à une solution l'an prochain. Nous sommes parvenus à renouer le dialogue et à remettre chacun autour de la table, nous progressons par étapes, tout le monde est conscient que la Nouvelle-Calédonie a frôlé la catastrophe et que ce sera la catastrophe si on ne se mobilise pas - nous avançons.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour l'ensemble de vos réponses, nous vous souhaitons succès et courage !

Examen en commission
(Mercredi 27 novembre 2024)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je cède immédiatement la parole à notre collègue Micheline Jacques, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - L'exercice budgétaire de cette année s'inscrit dans un contexte délicat pour nos finances publiques, et la mission « Outre-mer » n'échappe pas à l'effort demandé. S'il est tout à fait normal que les territoires ultramarins participent à l'effort de redressement des comptes de la Nation, encore faut-il que cet effort soit juste, proportionné et tienne compte du contexte particulier des territoires ultramarins.

Par rapport à la situation en Hexagone, le taux de chômage y est structurellement plus élevé, notamment chez les jeunes, et le niveau de pauvreté - même calculé en fonction du niveau de vie local - plus important. Le contexte est également marqué par des besoins d'investissement colossaux, difficilement imaginables depuis Paris, et une problématique du logement aiguë, qu'il s'agisse de la construction ou de la réhabilitation. Enfin, et c'est peut-être le sujet le plus brûlant du moment, le coût de la vie y est structurellement plus élevé : selon l'Insee, le prix des produits est en moyenne 40 %plus élevé en outre-mer et, pire, les écarts se sont accrus ces dix dernières années aux Antilles, à La Réunion et à Mayotte.

La mobilisation contre la vie chère, qui a débuté en septembre 2024 en Martinique et que suivent avec attention de nombreux territoires ultramarins, a abouti le 16 octobre à un protocole d'accord ambitieux, prévoyant, par diverses mesures, notamment dans le projet de loi de finances pour 2025 que nous examinons, une baisse des prix de l'ordre de 20 % au 1er janvier 2025. C'est un signe très encourageant de la bonne volonté de l'ensemble des acteurs concernés. Tout le monde s'accorde à dire que des réponses structurelles, de long terme, et à destination de l'ensemble des territoires ultramarins devront être apportées. C'est le sens du « Oudinot de la vie chère » annoncé par le ministre : souhaitons-lui meilleure fortune que le « Oudinot du pouvoir d'achat » de fin 2022 qui, à l'évidence, n'a pas donné pleinement satisfaction.

Dans ce contexte particulièrement tendu - sans oublier le défi de la reconstruction en Nouvelle-Calédonie -, les crédits de la mission « Outre-mer » affichent une baisse assez nette, de l'ordre de 12,5 % en autorisations d'engagement (AE) et de 8,9 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024.

Cette mission se divise en deux programmes : le programme 138 « Emploi outre-mer », et le programme 123 « Conditions de vie en outre-mer ».

Le programme 138 représente les deux tiers du total des crédits de la mission, en raison du poids prépondérant des compensations d'exonérations de charges pour les entreprises. Ces crédits sont non pilotables et pourraient bien connaître une forte baisse mécanique dans la prochaine loi de finances si la réforme des dispositifs d'exonérations, de droit commun comme spécifiques aux outre-mer, venait à s'appliquer. À ce titre, j'invite à la plus grande prudence : au regard de la situation économique déjà fragile de nos territoires, le maintien d'un haut niveau de soutien aux entreprises ultramarines est crucial.

Parmi les baisses de crédits que le programme 138 affiche, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points qu'il me semble indispensable de corriger.

Premièrement, il est prévu une baisse drastique - de près de 40 % - des crédits affectés au fonctionnement de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). Cette baisse n'est pas acceptable à l'heure de la mise en oeuvre d'une ambitieuse réforme de la continuité territoriale, attendue de longue date et découlant des engagements pris à l'occasion du comité interministériel des outre-mer (Ciom). Je proposerai un amendement pour corriger cela.

Secondement, toujours dans la perspective de soutenir nos entreprises, et notamment nos TPE et PME, la baisse massive des crédits alloués à Bpifrance dans le cadre du prêt de développement outre-mer (PDOM) qu'elle propose et qui vise à soutenir, dans des conditions avantageuses, les besoins en investissement et en fonds de roulement des petites entreprises, n'est pas souhaitable. Je vous proposerai donc de revenir à la même enveloppe que pour 2024, à savoir 10 millions d'euros.

J'en viens au programme 123 qui finance l'essentiel des interventions du ministère en faveur des territoires ultramarins. Les crédits de ce programme affichent une baisse spectaculaire de près de 37 % en AE et 34 % en CP. Aucune des huit actions n'est donc épargnée.

Le ministre chargé des outre-mer a déclaré à plusieurs reprises - et notamment au Sénat -, que le tir allait être corrigé pour un certain nombre d'actions essentielles pour nos outre-mer. Le ministre chargé du budget et des comptes publics a également déclaré que des ajustements auraient lieu, ce qui est bienvenu et même nécessaire, conformant d'ailleurs le rôle prépondérant du Sénat dans cet exercice budgétaire.

En lien avec ce que je disais il y a quelques instants, concernant la continuité territoriale, dont les crédits sont en diminution de plus de 17 %, il convient de respecter la parole de l'État. Des engagements forts ont été pris à l'occasion du Ciom et ont trouvé une première traduction législative à l'occasion de la loi de finances pour 2024. Le projet de loi de finances pour 2025 ne saurait remettre en cause la dynamique amorcée.

Je vous proposerai donc un amendement visant à porter les crédits de la continuité territoriale au même niveau que dans le précédent budget, soit un amendement de 14 millions d'euros.

Enfin, par-delà les indispensables crédits budgétaires, j'ai souhaité, dans l'avis budgétaire que je vous présente, aborder la question de la politique du logement outre-mer dans sa globalité.

Certes, les crédits en faveur du logement baissent pour 2025 - et je pense que le débat aura lieu dans l'hémicycle - mais je tiens à souligner que, depuis le vote de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Érom, qui prévoyait la construction de 15 000 logements sociaux par an dans les outre-mer, c'est en moyenne moins de 4 000 logements qui voient effectivement le jour annuellement. La réhabilitation, priorité de longue date du Sénat, n'atteint également pas des niveaux qui correspondent aux besoins de ces territoires. Ce triste constat souligne que tout n'est pas une question de crédits, même si je le répète, ils sont indispensables.

En la matière, il faut aussi aborder de front la question des normes et de leur nécessaire adaptation aux contextes ultramarins. La délégation sénatoriale aux outre-mer a de longue date identifié cette problématique et formulé des propositions. Je me réjouis d'ailleurs qu'un dossier majeur, à savoir la possibilité de déroger, pour les matériaux de construction, au fameux marquage « CE », ait enfin connu une avancée significative au niveau européen. Si tout va bien, courant 2025, les outre-mer pourront bénéficier du marquage « régions ultrapériphériques » (RUP), leur permettant d'importer des matériaux issus de leur environnement proche. Voilà un beau facteur de baisse des coûts de construction, neutre pour nos finances publiques.

D'autres leviers permettant d'accroître le nombre de logements sortant de terre demeurent à activer plus fortement encore. Je pense à la nécessaire territorialisation des politiques. Le premier plan Logement outre-mer 2015-2019 (Plom 1) a échoué en raison de sa centralisation excessive. Le Plom 2 (2019-2022) a progressé en la matière et le futur Plom 3 (2024-2027) doit aller plus loin dans la définition de feuilles de route territorialisées et d'indicateurs de suivi. De même, une attention accrue aux besoins en ingénierie doit être portée, pour que les logements financés soient bel et bien construits.

Enfin, en matière de logement, et au-delà de la ligne budgétaire unique (LBU) qui, outre-mer, est le support des aides à la pierre, il convient de noter et de saluer l'accroissement significatif des interventions de certains acteurs ces dernières années : l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - notamment par l'intermédiaire de l'aide « MaPrimeRenov' » (MPR) -, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) - qui finance 14 projets structurants au titre du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), et enfin Action Logement, qui investissait dans les outre-mer environ 20 millions d'euros par an avant 2020 et portera son effort pour la période 2023-2027 à 155 millions d'euros par an, après avoir mené un programme d'investissements massifs entre 2020 et 2022.

Je conclus en formulant un soutien exigeant aux crédits de la mission « Outre-mer ». J'ai tout espoir que des avancées substantielles, grâce au Sénat, seront obtenues en séance publique. Je nous invite donc, en responsabilité, à voter les crédits de la mission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je remercie Micheline Jacques, qui préside la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mme Viviane Artigalas. - Je remercie Micheline Jacques pour ce rapport très intéressant.

La mission « Outre-mer » ne porte que sur 15 % du montant total des dépenses de l'État en faveur des outre-mer, ce qui pose un problème de visibilité sur l'ensemble des moyens dédiés et d'évaluation des politiques publiques. S'il est vrai que la question des financements ne saurait à elle seule régler les difficultés en outre-mer, ils n'en demeurent pas moins indispensables.

Je regrette la baisse des crédits, et particulièrement concernant la LBU. Ces crédits ne sont pas à la hauteur des problèmes de logement extrêmement importants et les difficultés économiques que rencontrent les Ultramarins, de même que la situation en Nouvelle-Calédonie.

Je note tout de même une stabilité des crédits du programme 138, c'est un point positif, et nous devrons travailler, en séance publique, à l'amélioration de ce budget pour qu'il aille au mieux des endroits qui sont les plus nécessaires.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain réservera son vote aux évolutions qui seront apportées en séance publique. Aujourd'hui, nous ne prendrons donc pas part au vote sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Daniel Salmon. - Les crédits de cette mission sont effectivement très en deçà de ce que l'on pourrait attendre. Nous sommes conscients de toutes les crises qui secouent les territoires d'outre-mer. Nous disposons d'un grand nombre de données relatives au mal-logement et à l'habitat indigne - qui ne concerne pas que La Réunion - ainsi qu'à la vie chère et au chômage. Ces maux sont certes présents en Hexagone mais décuplés en outre-mer.

Les crédits du programme 123 relatif aux conditions de vie en outre-mer sont amputés de 400 millions d'euros en AE : c'est vraiment dramatique ! Je pense que ces millions d'euros sont employés aujourd'hui à bon escient et que la baisse des crédits aura des répercussions très importantes, par exemple sur les conditions de vie à Mayotte avec une diminution des crédits de 100 millions d'euros mais également dans le secteur de la petite enfance dont le budget affiche un recul de 50 %. Les crédits dédiés à la lutte contre la pollution par le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe diminuent de près de 700 000 euros tandis que ceux du plan séisme Antilles (PSA) sont en chute de 86 %. Les crédits destinés à la construction et à la réhabilitation des abris anticycloniques en Polynésie sont également affectés.

Ce budget ne prépare pas l'avenir, alors que les aléas climatiques seront de plus en plus importants et qu'il faudrait s'y adapter. Il ne vise pas non plus à améliorer les conditions de vie des Ultramarins. C'est presque un abandon en rase campagne. L'argent non investi aujourd'hui engendrera demain des coûts bien plus importants.

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera contre les crédits de cette mission malgré les avancées proposées par le rapporteur.

M. Fabien Gay. - Je remercie notre collègue Micheline Jacques pour son rapport.

L'échange que nous avons eu, dans notre commission, avec le ministre chargé des outre-mer, M. François-Noël Buffet, était important. La question des moyens est cruciale, mais également celle de leur mise en oeuvre. Celle-ci n'est pas toujours aisée dans les territoires ultramarins, extrêmement différents les uns des autres.

Je ne prétends pas connaître tous les territoires ultramarins. Mais pour ceux que j'ai approchés, notamment la Guyane et les Antilles, j'ai pu constater que des projets sont parfois bloqués par manque de matériaux ou de savoir-faire alors que les moyens existent. Il s'agit là d'un problème au long cours qui ne se réglera pas uniquement par voie budgétaire.

Il me semble important de rappeler que la crise sociale que l'on observe en France est démultipliée dans des territoires ultramarins. En Martinique et en Guadeloupe par exemple, le système de « profitation », pour reprendre le mot utilisé aux Antilles, ne date pas d'hier. L'absence de transparence sur les marges, les prix 30 % plus élevés qu'ailleurs, les systèmes de duopoles et d'oligopoles sont autant de problèmes qui ne peuvent pas être résolus par la seule voie budgétaire. Il est important de connaître la volonté du Gouvernement sur ces questions.

Le budget est en baisse, les questions du chômage, du logement et de l'accès à l'eau ont déjà été évoquées, mais je souhaite revenir sur ce dernier sujet : 30 % de la population à Mayotte est privée d'accès à l'eau potable. En métropole, une telle situation serait insupportable pour nous tous et nous serions tous sur des barricades en feu !

Ce budget ne répondra donc pas à l'urgence et aux problèmes structurels de fond. C'est pourquoi le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky votera contre les crédits de cette mission.

Je note les propositions que vous faites, madame le rapporteur : si elles vont dans le bon sens, nous les voterons. Nous serons aussi extrêmement offensifs sur un grand nombre de questions.

Enfin, je voudrais dire un mot sur la Nouvelle-Calédonie en lien avec l'examen du projet de loi de finances qui a commencé au Sénat. Quels que soient nos avis politiques sur la question, il faut maintenant un moment d'apaisement et retrouver le chemin politique. Il va falloir investir beaucoup d'argent pour reconstruire un pays très touché, comme le savent bien ceux qui y vivent, je pense par exemple à Robert Xowie, l'un des deux sénateurs de Nouvelle-Calédonie, membre de notre groupe. Cet investissement représente plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros sur les dix prochaines années. Or, les premiers gestes faits par le gouvernement ne nous semblent pas aller dans le bon sens, notamment en ce qui concerne le soutien au tissu local et aux petites et moyennes entreprises. En raison de la baisse du budget et de l'action gouvernementale que nous jugeons insuffisante - et je précise que nous ne sommes pas dans une confrontation de principe -, nous voterons contre les crédits de cette mission.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Je vous remercie de prendre conscience de la situation des territoires ultramarins. Les raisons et les causes sont partagées ; il faut être lucide et réaliste. Le sujet normatif est un véritable sujet. La délégation sénatoriale aux outre-mer a débuté une étude portant sur la vie chère dans les outre-mer afin d'en comprendre tous les rouages. En effet, il est parfois facile d'accuser les uns ou les autres. Personnellement, j'ai pu constater qu'une bière produite dans les territoires - à La Réunion d'une part et en Martinique d'autre part - se vend à Paris 6,80 euros alors qu'elle est produite pour moins d'un euro. Se pose donc la question de la distance : territorialiser les achats pourrait contribuer à diminuer le coût de la vie. Mais il faudra, bien entendu, veiller aux équivalences normatives car il n'est pas envisageable que nos compatriotes ultramarins puissent se nourrir d'aliments ne respectant pas les normes sanitaires. Nous serons très vigilants sur ce sujet.

Des aberrations normatives existent et j'en citerai deux. La Guyane importe du bois de charpente de Scandinavie alors qu'elle pourrait développer une industrie pour satisfaire ses besoins en bois et approvisionner les Antilles. Par ailleurs, il faut savoir que la crevette de Madagascar vendue à Mayotte est conditionnée dans une usine de Bretagne. Il nous faut donc travailler sur ces questions et réfléchir au moyen d'intégrer les territoires ultramarins dans les échanges commerciaux, de sorte qu'ils puissent s'approvisionner dans leur environnement régional. Notons que c'est aussi un levier de réduction de notre empreinte carbone, dans un contexte de réchauffement climatique.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 35

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Le premier amendement vise à augmenter de 14 millions d'euros les crédits dédiés à la continuité territoriale, pour atteindre un niveau similaire à celui de 2024. La réforme de la continuité territoriale est un axe important des engagements du Ciom, et cette réforme nécessite de maintenir l'engagement budgétaire initié l'année dernière.

L'amendement n°  II-324 est adopté à l'unanimité.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Le deuxième amendement, en cohérence avec celui que je viens de vous faire adopter, vise à stabiliser le budget de fonctionnement de Ladom, l'agence organisant la continuité territoriale. En effet, sans ce financement, une quarantaine de postes dans les territoires ultramarins seraient supprimés. Je vous propose donc de revenir au financement de l'année dernière en votant cet amendement de 4 millions d'euros.

L'amendement n°  II-325 est adopté à l'unanimité.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Le dernier amendement vise à augmenter les crédits permettant à Bpifrance de distribuer le prêt développement outre-mer (Pedom). Ce prêt est à destination des TPE et PME ultramarines qui ont besoin de financer des investissements ou encore leur fonds de roulement. Les crédits inscrits en PLF pour 2025 font état d'une baisse de 80 % des crédits servant à financer ce Pedom, ce qui sera fortement dommageable au tissu économique ultramarin. Bien que modestes, ces sommes sont très utiles aux entreprises.

L'amendement n°  II-326 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

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