B. UN IMPÉRIEUX BESOIN DE STRATÉGIE D'ATTRACTIVITÉ DES CARRIÈRES
1. Offrir des perspectives de rémunération suffisantes
Le programme 212 porte 263 M€ de crédits correspondants à la mise en oeuvre de la dernière marche de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont le coût en année pleine est estimé à 351 M€. Ce dernier volet de la réforme, contenu dans une série de décrets du printemps entrés en vigueur le 1er octobre 2023, porte création de :
- l'indemnité d'état militaire (IEM) et de l'indemnité de garnison des militaires (IGAR)3(*), qui remplacent l'indemnité pour charge militaire afin de compenser, de manière plus lisible et plus juste, diverses sujétions inhérentes au statut des militaires. La première est universelle et défiscalisée. La seconde compense la contrainte de logement résultant de l'incertitude du lieu et de la durée d'affectation. Une indemnité compensatrice transitoire sera versée aux perdants que ferait le nouveau dispositif.
- la prime de parcours professionnels des militaires4(*), qui fusionne toutes les primes liées à la qualification professionnelle, valorise la qualification et la progression des sous-officiers et officiers en étant versée « en fonction du niveau de qualification professionnelle qu'ils détiennent ». Elle est également versée aux « militaires du rang titulaires d'un titre de guerre ». Elle peut toutefois être soumise à contingentement. fusionne en une prime unique.
- la prime de compétences spécifiques des militaires5(*) a pour objet de valoriser les compétences opérationnelles rares, difficiles à générer et essentielles pour assurer la supériorité dans les opérations militaires.
Si les effets de la NPRM ne sauraient être si tôt mesurés, le Conseil supérieur de la fonction militaire alerte sur certaines de ses conséquences prévisibles, notamment le rognement des nouvelles primes, forfaitaires, par l'inflation, et leur intégration à l'assiette des revenus imposables. L'échéance de fin 2026, fixée par la loi de programmation, pour la remise au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport d'évaluation des effets de la NPRM, peut sembler lointaine et appeler des correctifs plus précoces.
Outre les aspects indemnitaires, le HCECM et le CSFM alertent sur l'urgence du chantier de refonte des grilles indiciaires. La revalorisation des bas salaires de la fonction publique et les mesures catégorielles afférentes ont conduit à diviser par deux en 25 ans l'écart entre l'entrée de grille salariale d'un militaire du rang et d'un colonel.
Plus largement, le HCECM calcule que « l'échelonnement indiciaire entre l'indice plancher du soldat et l'indice sommital du général de division a perdu 52 points entre 2011 et 2023. La grille indiciaire des officiers a subi un tassement de 25 points (4 points pour les militaires du rang) ». Ce tassement des grilles indiciaires, qui se traduit par exemple par le chevauchement partiel des échelles de rémunération de base du caporal-chef et de l'adjudant, du major et du capitaine ou encore du commandant et du lieutenant-colonel, a pour conséquence une moindre incitation à la formation et à la progression dans la carrière, donc à la fidélisation.
Grilles indiciaires des militaires au 1er janvier 2023
Source : HCECM, rapport 2023.
L'hypothèse d'une forme de déclassement des officiers ne s'étaie pas seulement sur le tassement des grilles les unes par rapport aux autres mais encore par le décrochement des officiers et officiers supérieurs par rapport aux autres cadres supérieurs de l'État. En effet, la création, en 2021, de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l'État a accentué très significativement le décalage entre les parcours respectifs alors qu'à plusieurs moments de leur carrière ils peuvent exercer des fonctions comparables.
Simulation de parcours indiciaire d'un officier
des armées et d'un administrateur de l'État, de recrutement
externe,
en fonction de l'âge et du rythme d'avancement
Source : HCECM, rapport 2023.
Au-delà de la seule rémunération de l'officier, c'est surtout le niveau des revenus du ménage qui est affecté car l'écart de revenu individuel moyen est de 35,5 % entre les conjoints d'officier et d'agent civil de catégorie A, sans compter que le taux de conjoints sans revenu individuel est plus important chez les conjoints d'officier (20,7 %) que les conjoints d'agent civil de catégorie A (6,1 %) !
Pour mémoire, l'article 7 de la loi de programmation dispose encore que « les grilles indiciaires des militaires du rang seront révisées avant la fin de l'année 2023. Les grilles indiciaires des sous-officiers et des militaires assimilés seront révisées avant la fin de l'année 2024. Les grilles indiciaires des officiers seront révisées avant la fin de l'année 2025 ». Le HCECM préconise mettre en oeuvre les nouvelles grilles en commençant par les officiers, « pour redonner sans délai du sens à l'escalier social » et ainsi améliorer la fidélisation des sous-officiers. Les informations communiquées par le ministère des armées n'ont hélas pas permis à la rapporteure de se faire une idée très précise de l'état d'avancement de ce chantier.
Le conseil supérieur de la fonction militaire s'alarme enfin de certaines malfaçons de la réforme des retraites, dont les effets risquent d'aller en sens contraire de la fidélisation du personnel en place : ainsi du maintien à 52 ans de la borne de décote pour carrière longue, de l'accélération de la réforme Touraine, ou de la suppression de la dégressivité de la bonification du cinquième.
Le taux de remplacement étant dans les armées inférieur à ce qu'il est dans le reste de la fonction publique, le HCECM et le CSFM proposent afin d'y remédier d'intégrer, dans le calcul de la pension, l'indemnité d'état militaire, laquelle n'est certes pas un élément de la solde mais est versée indépendamment des fonctions exercées.
2. Offrir des perspectives de carrière suffisamment attractives
Une part significative du déficit d'attractivité des armées découle de l'attrition initiale des effectifs, qui tient pour l'essentiel à l'inadéquation de la réalité du métier aux aspirations du candidat, et que reflète le taux de dénonciation de contrat des militaires du rang en cours de période probatoire.
Si cet indicateur n'affiche pas de hausse particulièrement inquiétante ces deux dernières années, il se maintient à un niveau relativement élevé : en 2022, 31,5 % des militaires du rang engagés dans l'armée de terre mettaient fin à leur période probatoire. La tendance est certes à la baisse par rapport au pic atteint en 2021, mais c'est une dynamique inverse que présente la marine nationale, où cette proportion a progressé de presque quatre points depuis 2019.
Taux de dénonciation de contrat des militaires du rang en cours de période probatoire
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Armée de terre |
30,0 % |
31,1 % |
32,7 % |
31,5 % |
22,5 %* |
Armée de l'air et de l'espace |
27 % |
28 % |
29 % |
27 % |
18 %* |
Marine nationale |
18,2 % |
19,16 % |
18,4 % |
21,9 % |
nc |
Source : DRH-MD. * Non consolidé
Les chefs d'état-major des armées, auditionnés par la commission, sont tous convenus que le pré-recrutement par la formation au sein des écoles de l'armée était un important facteur de fidélisation. À titre d'illustration, les sous-officiers formés à l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air à Saintes restent sept ans de plus au sein de l'armée que la moyenne.
L'offre de formation semble toutefois proche de la saturation, ce qui est un motif de satisfaction quant à l'attractivité de certains parcours de recrutement, mais conduit à interroger l'adéquation de leur dimensionnement aux objectifs de recrutement fixés aux armées par le législateur :
- dans l'armée de terre, les effectifs du BTS cyber de Saint-Cyr l'école ont doublé, et l'école militaire préparatoire et technique de Bourges, ouverte à la rentrée 2022, se fixe l'objectif de doubler elle aussi ses effectifs pour les porter à 500 jeunes par an d'ici 2025 ;
- la marine nationale a, pour sa part, contribué à l'ouverture à la rentrée 2023, à Cherbourg, d'un BTS « maintenance des systèmes de production » en partenariat avec le lycée Tocqueville et l'école d'applications militaire de l'énergie atomique, afin de former ses futurs atomiciens de propulsion navale. La re-création d'une école des apprentis est prévue pour 2025 : destinée à la formation d'électriciens ainsi que de spécialistes de cyber-informatique et d'électronique, elle s'est fixée une cible d'effectifs à 112 d'ici 3 ans ;
- dans l'armée de l'air et de l'espace, une nouvelle classe a été ouvert l'an dernier et une autre le sera en 2024 dans l'école d'enseignement technique de Saintes qui formait 700 sous-officiers en 2014, 1 400 en 2018, et qui en a recruté 1 800 en 2023.
L'attractivité des carrières dépend en outre de nombreux autres facteurs sur lesquels le présent rapport pour avis, cette année, ne prétend pas apporter d'analyse approfondie. Il s'agit en particulier :
- des conditions matérielles d'exercice de leurs missions : les rapporteurs restent attentifs à la mise en oeuvre du plan « Ambition logement », pour la rénovation d'un parc dont un quart présente un risque « élevé ou très élevé pour la sécurité des personnes et des biens » ;
- de l'accompagnement des familles, notamment dans les mobilités géographiques : le CSFM s'est à cet égard félicité de la qualité du dialogue relatif au plan Famille 2, lequel sera abondé en 2024 à hauteur d'une quarantaine de millions d'euros en faveur de l'accompagnement des conjoints et des enfants de militaires.
- des possibilités d'évolution fonctionnelle : ainsi des perspectives d'opérations extérieures, ou bien encore des passerelles vers les emplois supérieurs de l'administration d'Etat - question approfondie par le HCECM.
* 3 Décret n° 2023-397 du 24 mai 2023 relatif à l'indemnité d'état militaire et modifiant ou abrogeant diverses dispositions indemnitaires relatives aux militaires et arrêté du 24 mai 2023 modifiant et abrogeant divers arrêtés relatifs à la solde et aux accessoires de solde des militaires.
* 4 Décret n° 2023-395 du 24 mai 2023 relatif à la prime de parcours professionnels, et arrêté pris le même jour pour son application.
* 5 Décret n° 2023-396 du 24 mai 2023 relatif à la prime de compétences spécifiques des militaires, et arrêtés du même jour et du 2 août 2023 pris pour son application.