- I. UNE OFFRE DE SOINS LIMITÉE ET
CARACTÉRISÉE PAR LA DÉPENDANCE À SAINT-MARTIN ET
À LA GUADELOUPE
- II. UNE PARTICIPATION OUVERTE À L'EXERCICE
DE CERTAINES COMPÉTENCES SOCIALES AUX CÔTÉS DE
L'ÉTAT
- A. DES DEMANDES RÉCURRENTES
D'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE SOCIALE
- B. UNE PROPOSITION DE PARTICIPATION AUX
COMPÉTENCES DANS LE CHAMP DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET DU
FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ
- C. UN SOUTIEN À CETTE PROPOSITION SOUS LA
FORME D'UNE EXPÉRIMENTATION
- 1. Une proposition bienvenue pour
accélérer la résolution de certains problèmes et
avancer sur l'adaptation de certaines normes
- 2. Une participation à l'exercice de
certaines compétences qui ne doit pas compromettre la cohérence
de l'offre de soins à l'échelle des Îles du Nord et de la
Guadeloupe
- 3. Une réécriture proposée
sous la forme d'une expérimentation
- 1. Une proposition bienvenue pour
accélérer la résolution de certains problèmes et
avancer sur l'adaptation de certaines normes
- A. DES DEMANDES RÉCURRENTES
D'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE SOCIALE
SOMMAIRE
I. UNE OFFRE DE SOINS LIMITÉE ET CARACTÉRISÉE PAR LA DÉPENDANCE À SAINT-MARTIN ET À LA GUADELOUPE 5
A. UNE OFFRE DE SOINS LOCALE TRÈS RESTREINTE 5
1. L'hôpital Irénée de Bruyn, pivot de l'offre de soins 5
2. Une offre de ville restreinte 7
3. Une offre pour partie assurée en Guadeloupe et à Saint-Martin 7
B. UNE OFFRE JUGÉE INSATISFAISANTE ET DES DIFFICULTÉS PROPRES AU TERRITOIRE QUI PEINENT À TROUVER DES RÉPONSES SUFFISANTES 8
1. Des difficultés matérielles dans le cas des Evasan 9
2. Des difficultés d'attractivité pour les professions de santé 9
3. Des difficultés liées à l'inadéquation du droit commun à la configuration du territoire 10
II. UNE PARTICIPATION OUVERTE À L'EXERCICE DE CERTAINES COMPÉTENCES SOCIALES AUX CÔTÉS DE L'ÉTAT 11
A. DES DEMANDES RÉCURRENTES D'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE SOCIALE 11
1. Des évolutions déjà proposées par le passé 11
2. Un contexte de revendications de transfert de compétence de la part de la collectivité 12
3. Des propositions souvent appuyées sur l'existence d' « excédents » de la caisse de prévoyance sociale 13
B. UNE PROPOSITION DE PARTICIPATION AUX COMPÉTENCES DANS LE CHAMP DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET DU FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ 15
C. UN SOUTIEN À CETTE PROPOSITION SOUS LA FORME D'UNE EXPÉRIMENTATION 16
1. Une proposition bienvenue pour accélérer la résolution de certains problèmes et avancer sur l'adaptation de certaines normes 16
2. Une participation à l'exercice de certaines compétences qui ne doit pas compromettre la cohérence de l'offre de soins à l'échelle des Îles du Nord et de la Guadeloupe 17
3. Une réécriture proposée sous la forme d'une expérimentation 17
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES 27
Face à une offre de soins jugée inadaptée aux besoins de la population de Saint-Barthélemy, la présente proposition de loi organique entend permettre à la collectivité de participer aux compétences de l'État dans le champ de la sécurité sociale et du financement des établissements de santé.
La commission propose de soutenir cette proposition sous la forme d'une expérimentation
I. UNE OFFRE DE SOINS LIMITÉE ET CARACTÉRISÉE PAR LA DÉPENDANCE À SAINT-MARTIN ET À LA GUADELOUPE
A. UNE OFFRE DE SOINS LOCALE TRÈS RESTREINTE
1. L'hôpital Irénée de Bruyn, pivot de l'offre de soins
L'offre de soins de Saint-Barthélemy repose pour partie sur le centre hospitalier Irénée de Bruyn, fondé en 1933. L'hôpital relève de la catégorie des hôpitaux de proximité ; il est membre du groupement hospitalier de territoire (GHT) réunissant les deux établissements de Saint-Barthélemy et Saint-Martin - centre hospitalier Louis-Constant Fleming.
L'hôpital ne dispose pas de plateau technique mais d'un plateau de consultations de spécialités avec dix lits de médecine et sept lits de soins de suite et de réadaptation (SSR). Les lits de médecine représentent une activité de 2109 journées pour 1114 admissions en 20201(*)
7 000 passages sont dénombrés par an à l'hôpital. 15 % sont hospitalisés et 3 % transférés vers d'autres hôpitaux, principalement vers Saint-Martin et les CHU de Pointe-à-Pitre et de Martinique.
L'hôpital assure une offre d'urgence, sous la forme d'une antenne du service médical d'urgence (SMUR) du centre hospitalier de Saint-Martin. Comme le précise la direction générale de l'offre de soins, le travail des urgentistes est alors de « conditionner » les patients pour les évacuer vers le CH de Saint-Martin (10-15 minutes en avion), lequel dispose d'un plateau technique plus développé en rapport avec la taille de sa population plus importante.
Dans le cas des accouchements, le départ de Saint-Barthélemy est anticipé pour rejoindre un des deux territoires équipés d'une maternité.
Passages à l'hôpital |
Évacuations sanitaires |
Lits d'hospitalisation de court séjour en médecine |
Source : Agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Le budget d'exploitation de l'hôpital est de l'ordre de 7,5 millions d'euros, sans intégrer la gestion de l'Ehpad rattaché.
Répartition des crédits FIR à destination de l'hôpital Irénée de Bruyn
(en euros, pour 2022)
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données de l'agence de santé
L'hôpital bénéficie du soutien de la collectivité par la mise à disposition de locaux. Une association de donateurs, le FEMUR, finance également des équipements hospitaliers.
2. Une offre de ville restreinte
Selon les données transmises par la direction générale de l'offre de soins (DGOS), l'offre de soins libérale présente à Saint-Barthélemy s'appuyait au 1er janvier 2021 (d'après l'Observatoire régional de la santé de Guadeloupe) sur 81 professionnels de santé dont : 10 généralistes ; 17 spécialistes (dermatologie, gynécologie, gastroentérologie, urologie, ophtalmologie, radiologie, stomatologie) ; 8 chirurgiens-dentistes ; 13 infirmiers libéraux ; 26 kinésithérapeutes ; 3 orthophonistes ; 2 sages-femmes ; 2 pédicures-podologues.
Il convient de noter que l'offre existante relève pour partie du secteur 2.
En complément, certains praticiens du centre hospitalier assurent une activité privée dans les spécialités suivantes : médecine du sport ; chirurgie orthopédique ; urologie ; ophtalmologie ; gastroentérologie ; psychiatrie.
Certaines spécialités ne sont pas représentées sur l'île, notamment la cardiologie. En outre, comme le constate l'agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, « la faible attractivité médicale, et les conditions techniques de fonctionnement de certaines activités de soins en droit français rendent plusieurs de ces activités inéligibles à Saint-Barthélemy (maternité, chirurgie cardio-interventionnelle, etc...) ».
Saint-Barthélemy dispose enfin d'un dispensaire assurant des activités de PMI et de dialyse.
3. Une offre pour partie assurée en Guadeloupe et à Saint-Martin
Compte tenu de la configuration du territoire et de l'absence de certaines spécialités sur l'île, une partie des soins est nécessairement assurée dans les établissements et services de Guadeloupe et de Saint-Martin. Dans une moindre mesure, le CHU de Martinique peut également constituer un recours.
Cette prise en charge peut se faire à distance, par le biais de consultations de télémédecine, mais aussi par des déplacements des patients vers les deux îles pour des consultations ou interventions chirurgicales. En outre, des consultations externes ou « consultations avancées » sont assurées sur place par des praticiens hospitaliers venant de Saint-Martin dans différentes spécialités (chirurgie ORL maxillo-faciale, orthopédie, chirurgie pédiatrique, chirurgie viscérale, oncologie, endocrinologie pédiatrique).
Pour la gestion des urgences, les évacuations sanitaires sont indispensables. Elles sont de l'ordre de 200 par an, se concentrent sur Saint-Martin, s'organisent dans une moindre mesure vers la Guadeloupe et, de manière résiduelle, vers l'hexagone. À titre d'exemple, pour 2020 et 2022, on compte respectivement 194 et 183 évacuations sanitaires, dont 126 et 102 à destination de Saint-Martin.
Le coût moyen des évacuations est de 1693 euros en 2019, 2572 en 2021. À noter qu'à la suite d'une instruction de la DSS et de la DGOS, les crédits dédiés aux Evasan ont été largement revus à la hausse avec une mission d'intérêt général (MIG) à hauteur de plus de 2 millions d'euros en 2022 pour les urgences, dont 420 000 euros pour les Evasan2(*).
Au regard de sa population, de l'ordre de 10 500 habitants (ou 15 000 habitants en saison touristique), Saint-Barthélemy n'est pas un « désert médical ». Pour autant, des difficultés persistantes grèvent la capacité du système de soins à proposer une offre appropriée.
Selon la direction générale de l'offre de soins, « l'offre de santé existante est conforme à la taille de la population ».
B. UNE OFFRE JUGÉE INSATISFAISANTE ET DES DIFFICULTÉS PROPRES AU TERRITOIRE QUI PEINENT À TROUVER DES RÉPONSES SUFFISANTES
Les élus territoriaux ont régulièrement fait état de leur insatisfaction au regard de l'offre existante sur l'île aujourd'hui. Souhaitant s'engager sur ce sujet, la collectivité a initié l'an dernier un « diagnostic territorial » assuré par une commission ad hoc3(*).
La création d'un nouvel établissement de santé est à l'étude au sein d'un pôle médical qui serait localisé à Saint-Jean, à proximité de l'aéroport.
1. Des difficultés matérielles dans le cas des Evasan
Les évacuations sanitaires sont un enjeu récurrent d'insatisfaction. En effet, les aéroports de Saint-Barthélemy et Saint-Martin ne permettent pas d'atterrissages de nuit. Déjà évoqué en 20054(*), ce problème tarde à trouver une solution satisfaisante et pérenne.
Des aménagements sont en cours à l'aéroport de Saint-Martin Grand-Case. Surtout, la directrice de l'hôpital a indiqué qu'une étude était actuellement menée sur ce point, considérant la faisabilité ou l'opportunité du recours à un avion sanitaire ou d'un vecteur hélicoptère à dimension de service public et sanitaire. Aujourd'hui, l'hélicoptère basé en Guadeloupe apparaît comme un moyen de soutien limité, dans la mesure où son intervention dans les Îles du Nord prive la Guadeloupe de moyens durant plusieurs heures.
Enfin, autre sujet de frictions, la prise en charge des Evasan est limitée par la nécessité, réglementairement, de passer par des lignes régulières pour permettre un financement par l'assurance maladie.
2. Des difficultés d'attractivité pour les professions de santé
Le défaut d'attractivité du territoire pour
les professionnels de santé a été particulièrement
souligné par l'ensemble des personnes entendues.
Or, c'est justement
le manque de personnels qui est mis en avant par la sénatrice
auteure comme au coeur des ruptures dans la continuité des
soins, particulièrement à l'hôpital Irénée de
Bruyn.
La directrice de l'hôpital estime ainsi que « la principale difficulté de l'hôpital aujourd'hui est de stabiliser son personnel. Ceci est dû à la cherté de la vie sur l'Ile et plus particulièrement à la difficulté d'accéder à un logement décent à un prix compatible avec les salaires hospitaliers. Sur son budget propre, l'établissement a été dans l'obligation d'adopter une politique d'accompagnement des personnels en dehors de son champ de compétence. »
Cette attractivité difficile a des conséquences financières puisque que si la DSS considère que « globalement, le CH Irénée de Bruyn dispose du personnel dont il a besoin », c'est cependant « au prix du recrutement de contractuels (notamment s'agissant des urgentistes) qui ne s'investissent pas à très long terme et ne participent de fait pas au projet médical du territoire. »
La DGOS a indiqué que « dans ce contexte, l'amélioration du cadre d'exercice des professionnels constitue un levier d'attractivité et des investissements sont prévus au titre du Ségur de la santé à hauteur de 4,7 millions d'euros, en privilégiant la capacité de résilience de l'établissement face à un évènement sismique mais aussi cyclonique majeur. »
Le rapporteur pour avis constate que l'hôpital autant que les services de l'État renvoient vers la collectivité, appelant celle-ci à intervenir pour mettre à disposition des logements pour les personnels soignants.
3. Des difficultés liées à l'inadéquation du droit commun à la configuration du territoire
Différents problèmes régulièrement évoqués relèvent d'une impossibilité de satisfaire, dans les conditions locales, aux règles de droit commun.
C'est le cas notamment de la présence d'un dépôt de sang sur l'île de Saint-Barthélemy. Cette lacune, évoquée par l'ensemble des acteurs, constitue une perte de chances pour les habitants.
D'autres sujets ont été avancés par la directrice de l'hôpital, au titre desquels la question du temps de travail des professionnels ou la qualification requise dans certaines spécialités. Ainsi, la pharmacie de l'hôpital ne peut fonctionner qu'avec un pharmacien hospitalier, quand le recours à un pharmacien d'officine faciliterait son fonctionnement.
Sur plusieurs de ces sujets, le conseil exécutif5(*) a listé une série de modifications du code de la santé publique qu'il souhaiterait voir aboutir. Ces propositions ont également été transmises au Gouvernement dans le cadre du comité interministériel des Outre-mer (CIOM).
Le directeur général de l'ARS comme les directions d'administrations centrales ont mis en avant les possibilités de répondre à certains de ces sujets par l'octroi de pouvoirs de dérogations aux directeurs généraux d'ARS.
Un décret en Conseil d'État est ainsi attendu, qui devrait prochainement permettre aux directeurs généraux d'ARS d'adopter certains aménagements aux règles de droit commun : il pourrait concrètement permettre un dépôt de sang à Saint-Barthélemy.
Cependant, force est de constater que ce pouvoir de dérogation donné aux directeurs généraux d'ARS outre-mer - que la commission avait déjà soutenu en 2022 dans les conclusions de la mission menée à Mayotte relative à l'accès aux soins6(*) - peine à se mettre en oeuvre, avec un décret qui tarde ici à être publié.
II. UNE PARTICIPATION OUVERTE À L'EXERCICE DE CERTAINES COMPÉTENCES SOCIALES AUX CÔTÉS DE L'ÉTAT
A. DES DEMANDES RÉCURRENTES D'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE SOCIALE
1. Des évolutions déjà proposées par le passé
Plusieurs initiatives parlementaires ont déjà porté sur l'évolution des compétences de la collectivité de Saint-Barthélemy. L'ancien sénateur de Saint-Barthélemy et président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer, Michel Magras, avait ainsi déposé en 2015 une proposition de loi organique qui prévoyait la création d'un régime de sécurité sociale propre à Saint-Barthélemy et plaidait pour un élargissement « de la participation aux compétences de l'État en matière de protection sociale, y compris de fiscalité locale » pour la collectivité de Saint-Barthélemy.
La même année, lors de l'examen de la loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des Outre-mer, l'opportunité de la création « d'une caisse installée [à Saint-Barthélemy], pour remplacer l'antenne de la caisse de Guadeloupe existante » avait également été soulevée. Il s'agissait alors notamment de garantir une présence effective d'un service aux assurés sur l'île, l'accueil étant jugé insuffisamment assuré par la CGSS de Guadeloupe7(*).
2. Un contexte de revendications de transfert de compétence de la part de la collectivité
La collectivité de Saint-Barthélemy a régulièrement fait état de son souhait de voir évoluer la configuration des compétences en matière de santé et de sécurité sociale. Ainsi, l'ancien président du conseil territorial, Bruno Magras, avait adressé au ministre des outre-mer Sébastien Lecornu et à la directrice de l'ARS, en 2021, des courriers faisant état de son souhait de « récupérer la compétence en matière de santé » et alerté sur « une dégradation grave du service public de santé » sur l'île8(*).
L'actuel président du conseil territorial, Xavier Lédée, entendu par les rapporteurs, a également fait état d'une situation sanitaire délicate, avec des manques identifiés et une volonté de rapprocher les organes de décision du territoire. Il a fait part d'une série de propositions, transmises au Gouvernement. La délibération de novembre 2022 du conseil exécutif de la COM formule ainsi une série de considérants dont « la nécessité de partager la compétence santé avec l'État pour augmenter l'efficience de l'offre de soins proposée sur le territoire de Saint-Barthélemy » ou encore l'implication de ce partage, à savoir « nécessairement l'aboutissement corrélé d'une caisse de prévoyance sociale de Saint-Barthélemy de plein exercice, décisionnaire et autonome financièrement, permettant une proximité avec les usagers et une optimisation de l'utilisation des ressources financières tout en restant dans le cadre de la participation à la solidarité nationale ».
Le rapporteur pour avis a pu constater, lors des différentes auditions menées, des relations parfois tendues et des positionnements parfois antagonistes sur la situation de l'île ou l'opportunité de création d'un nouvel hôpital entre la collectivité, l'agence de santé et l'hôpital. Ainsi, les directions centrales considèrent-elles par exemple que « le projet de création d'un second hôpital par la collectivité territoriale ne semble pas cohérent avec le projet régional de santé. »
3. Des propositions souvent appuyées sur l'existence d' « excédents » de la caisse de prévoyance sociale
Les revendications d'accroissement des compétences de la COM dans le champ de la santé s'appuient sur l'excédent de la caisse de prévoyance sociale qui serait en capacité, sans solliciter de crédits extérieurs, de financer davantage l'offre de soins de l'île.
Cependant, malgré les demandes des rapporteurs, force est de constater qu'il n'est pas possible de disposer de chiffres permettant d'établir ou d'infirmer l'existence de cet « excédent ». D'une part, la caisse ne gère pas l'ensemble des prestations de sécurité sociale des habitants de l'île, ni l'ensemble des cotisations des entreprises, certaines relevant directement du régime général hors CPS.
D'autre part, plusieurs limites substantielles conduisent à ne pouvoir apprécier réellement les dépenses effectivement liées à la prise en charge des assurés de Saint-Barthélemy, notamment :
- les assurés bénéficient de l'offre de soins existant hors du territoire, financée par d'autres caisses de sécurité sociale ;
- les dépenses de l'hôpital de Saint-Barthélemy sont en partie couvertes par des dotations de l'agence de santé, ne transitant pas par la caisse ;
- les aides aux professionnels de santé ne relèvent pas de la CPS.
Par ailleurs, cet excédent présumé de la caisse n'est pas particulièrement établi pour la branche maladie. En effet, pour l'année 2021, la DSS9(*) fait état de 12 millions d'euros de cotisations maladie versées pour 18,2 millions d'euros de prestations10(*).
Situation des cotisations et prestations pour la
branche maladie,
maternité,
invalidité-décès
(hors coût de gestion)
Population de la CPS |
Cotisations maladie, invalidité
décès dues à la CPS au titre de 2021 après
exonérations et allègements (hors chômage), |
Exonérations et allègements pris en charge par l'État au titre de 2021 sur les cotisations auprès de la CPS (pi) |
Prises en charge de cotisations 2021 (aides au paiement covid et prises en charge Irma) |
Cotisations dues à la CPS au titre de 2021
après exonérations, allègements et prises en charge (hors
chômage) |
Cotisations impayées auprès de la CPS
(depuis |
Prestations maladie, invalidité,
décès versées par la CPS au titre de 2021 (nc.
prestations |
Employeurs |
10 159 724 |
5 502 395 |
Pas détaillé par branche |
NC |
4 478 225 |
|
Travailleurs indépendants |
1 840 614 |
NC |
idem |
NC |
1 779 913 |
|
Total |
12 000 338 |
NC |
idem |
NC |
6 258 138 |
18 153 584 |
Source : Direction de la sécurité sociale, en réponse au questionnaire du rapporteur
Ainsi, de l'avis de la DSS, est souvent retenue une « mauvaise appréciation de la situation financière dès lors que la situation de la caisse ne reflète pas celle d'un régime de sécurité sociale autonome et omet une part substantielle des financements dont bénéficie le système de santé de l'île. »
Par ailleurs, l'analyse selon laquelle la caisse serait « excédentaire » retient une approche globale à l'échelle de l'ensemble des branches. Or, le rapporteur pour avis rappelle que, sauf mesures exceptionnelles de solidarité inter-branches, les recettes comme les dépenses des branches ne sont pas fongibles. La couverture de besoins supplémentaires dans le champ de l'assurance maladie ne saurait ainsi être assurée par des recettes particulièrement dynamiques dans la branche vieillesse par exemple.
En outre, le rapporteur pour avis souhaite rappeler un principe fondamental de la sécurité sociale qu'est le principe de solidarité. Il ne semble pas pertinent ni souhaitable de retenir des approches territoriales des comptes de la sécurité sociale, sauf à créer une rupture préjudiciable dans la construction de la sécurité sociale, et risquer des revendications fortes de territoires « riches » contributeurs nets, au détriment de la seule considération des besoins des populations.
À ce titre, le rapporteur pour avis rappelle que les approches territoriales existantes, comme le coefficient géographique visant à financer certains surcoûts pour les établissements de santé, ou la proposition d'un « ORDAM »11(*) avancée par la commission, visent uniquement à territorialiser la dépense au regard des besoins locaux, non au regard des capacités contributives des résidents.
B. UNE PROPOSITION DE PARTICIPATION AUX COMPÉTENCES DANS LE CHAMP DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET DU FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ
La présente proposition de loi organique propose de permettre à la collectivité de Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État dans les domaines de la sécurité sociale et du financement des établissements de santé. Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy et auteur de la PPLO, entend ici aménager, au bénéfice de l'autonomie dont jouit le territoire, les règles applicables à Saint-Barthélemy, par exemple pour permettre des financements complémentaires à destination de l'hôpital et ainsi faciliter la prise en charge par celui-ci d'équipements ou encore de logements.
L'article 1er modifie à cette fin l'article L.O. 6214-5 du code général des collectivités territoriales. Les deux champs nouvellement ouverts à cette participation de la collectivité le sont avec une visée unique précisée par l'article, qu'est la garantie de la continuité des soins et la prise en charge des surcoûts liés à l'insularité et à l'éloignement.
Cette participation à l'exercice de compétences ne remet pas en cause la responsabilité pleine de l'État dans ces domaines, se distinguant ainsi d'un transfert de compétences mais aussi d'une compétence partagée.
L'article 2 précise la procédure applicable en prévoyant, toujours par une codification au sein du CGCT (article L.O. 6251-3-1), l'habilitation du conseil territorial de la COM à adopter des actes dans les deux domaines visés. L'article 2 précise également que les actes pris par le conseil territorial ne peuvent remettre en cause l'équilibre financier de la caisse de prévoyance sociale.
Par renvoi à l'article L.O. 6251-3 du même code, l'article 2 préserve les principes et règles applicables aux compétences auxquelles la collectivité est autorisée à participer : ainsi, pour rappel, l'intervention, après la transmission d'une proposition d'acte, d'un décret d'approbation ou de refus du texte. Surtout, les actes pris par la collectivité demeurent bien modifiables par des lois, ordonnances ou décrets, sous réserve d'une mention expresse d'application à Saint-Barthélemy.
Corollaire de l'intervention souhaitée dans le domaine de la sécurité sociale et surtout, de fait, dans le champ de l'assurance maladie, l'article 3 prévoit le vote par la collectivité d'un « objectif de dépenses » portant précisément sur la couverture pour les établissements de santé des dépenses nécessaires à la continuité des soins et des surcoûts relatifs à l'éloignement et l'isolement de l'île.
C. UN SOUTIEN À CETTE PROPOSITION SOUS LA FORME D'UNE EXPÉRIMENTATION
1. Une proposition bienvenue pour accélérer la résolution de certains problèmes et avancer sur l'adaptation de certaines normes
Le rapporteur pour avis partage les préoccupations de l'auteur de la proposition de loi organique quant aux risques constatés de rupture de continuité de l'accès aux soins, mais aussi et surtout face à une série de difficultés qui ne trouvent à ce jour pas de réponse satisfaisante.
Le rapporteur pour avis regrette une lenteur dans l'action des services de l'État pour répondre à des besoins pleinement identifiés. Cette insuffisante considération se manifeste d'ailleurs dans l'absence de remise d'un rapport prévu par la loi dite « 3DS »12(*) à l'initiative de Micheline Jacques13(*) portant « sur l'organisation du système de santé et de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy ». Ce rapport, qui devait être remis avant la rentrée 2022 et aurait pu utilement nourrir les travaux d'examen de cette PPLO, n'a pas été produit à ce jour.
Enfin, le présent texte a le mérite de rappeler que la compétence en matière de santé demeure une responsabilité de l'État, qui doit pleinement l'assumer. La présente PPLO propose une avancée équilibrée par ce qui s'apparente à un « droit de proposition » de la collectivité.
2. Une participation à l'exercice de certaines compétences qui ne doit pas compromettre la cohérence de l'offre de soins à l'échelle des Îles du Nord et de la Guadeloupe
Le ministère de la santé, très réservé sur cette proposition, estime que « la sécurité sociale et l'organisation de l'offre de soins ne se prêtent pas à l'exercice d'une compétence partagée entre l'État et la collectivité territoriale, compte tenu de l'organisation et des principes régissant la sécurité sociale (égalité des citoyens devant la loi, solidarité), du mode de fonctionnement de la sécurité sociale et de l'offre de soins de droit commun. », y voyant un risque d'aboutir à « une "sécurité sociale à la carte" et au renforcement des inégalités territoriales en matière d'offre de soins ».
Alors que la comparaison est parfois faite avec Saint-Pierre-et-Miquelon, le rapporteur pour avis souligne que l'environnement régional est tout autre, sans collectivité française à proximité. Saint-Pierre-et-Miquelon, qui certes jouit d'une caisse autonome, est engagé dans un processus de convergence vers le droit commun. Surtout, l'autonomie de la caisse est parfois synonyme de complexités pour les assurés, qui n'ont par exemple pas de carte Vitale.
Aussi, considérant la forte dépendance de Saint-Barthélemy à l'offre de soins de Saint-Martin et de la Guadeloupe, le rapporteur pour avis insiste sur la nécessité de préserver la cohérence du droit applicable en matière de santé et de sécurité sociale, et de ne pas générer de difficultés dans la prise en charge des assurés.
Cela signifie notamment que les projets d'évolution de la caisse de prévoyance sociale ne doivent pas conduire à des ruptures ou difficultés administratives dans la gestion de l'assurance maladie. Cela signifie également que la configuration de l'offre de soins ne saurait à Saint-Barthélemy ignorer l'offre accessible dans l'établissement support de Saint-Martin ni l'offre de recours qu'assure le CHU de Pointe-à-Pitre, en pleine restructuration avec la construction d'un nouvel établissement d'envergure.
3. Une réécriture proposée sous la forme d'une expérimentation
Entendue par le rapporteur pour avis, la collectivité de Saint-Barthélemy n'a pas indiqué souhaiter s'engager dans une participation à l'exercice de compétences de l'État dans les domaines proposés par la présente PPLO. Aussi, si la délibération précitée de novembre 2022 prévoit bien des demandes de modifications du code de la santé publique, la COM a cependant précisé souhaiter un rôle opérationnel mais non une compétence normative dans le domaine de la santé.
Considérant les questions soulevées par la présente proposition de loi organique, l'opposition des administrations de l'État et les réserves de la collectivité, le rapporteur pour avis, conjointement avec la rapporteure de la commission des lois, a proposé à la commission des affaires sociales de transformer le texte en vue de prévoir cette participation sous la forme d'une expérimentation.
La nouvelle rédaction proposée pour l'article 1er prévoit ainsi une expérimentation possible pour une durée de cinq ans. La rédaction de l'amendement modifie en partie le champ proposé, concentrant, au sein de la sécurité sociale, l'habilitation à la seule assurance maladie, en cohérence avec l'intention de fond du texte.
Compte tenu du caractère indissociable de l'offre hospitalière et de la médecine de ville, particulièrement sur un petit territoire, le rapporteur pour avis a souhaité également intégrer au champ de l'habilitation les services de santé. Il s'agit de permettre, si l'expérimentation est menée, de poursuivre des travaux cohérents tant sur l'hôpital que sur des structures de ville comme des maisons de santé ou des centres de santé par exemple.
Le II de la nouvelle rédaction proposée reprend la procédure applicable qui était codifiée à l'article 2.
Souhaitant insister sur la nécessité de veiller à la cohérence de l'offre de soins à l'échelle régionale, alors que la Guadeloupe et Saint-Martin sont des recours indispensables, le III prévoit un avis du directeur général de l'agence de santé sur les projets d'actes.
Enfin, différents éléments ont été mis en avant dans l'évaluation prévue de l'expérimentation, tant concernant l'opportunité de pérenniser une telle participation que sur les effets d'une telle participation sur l'offre de soins, là encore à l'échelle de Saint-Barthélemy particulièrement mais aussi des îles de la Guadeloupe et de Saint-Martin.
En conséquence, les deux autres amendements déposés par le rapporteur pour avis suppriment les articles 2 et 3.
Réunie le mercredi 8 mars 2023 sous la présidence de Catherine Deroche, présidente, la commission a donné un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi organique sous réserve des amendements de son rapporteur pour avis qu'elle a adoptés.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 mars 2023 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Alain Milon sur la proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons la proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État, proposition de loi sur laquelle nous sommes saisis pour avis.
M. Alain Milon, rapporteur pour avis. - Nous examinons ce matin un texte original parmi les différentes initiatives parlementaires que nous avons pu avoir à traiter ces derniers mois. En effet, s'il s'agit une fois encore de répondre à une situation sanitaire jugée insatisfaisante, le moyen proposé est une participation de la collectivité aux compétences de l'État.
Saint-Barthélemy est un territoire des Antilles qui compte plus de 10 000 habitants pour une superficie de 21 kilomètres carrés. Ancienne commune de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy en est toutefois géographiquement éloigné, puisque 230 kilomètres séparent les deux îles. L'île de Saint-Martin, seconde « Île du Nord », se situe, elle, à 31 kilomètres.
Depuis son accession au statut de collectivité d'outre-mer en 2007, la question des compétences de ce territoire doté de l'autonomie revient régulièrement, notamment dans le champ de la protection sociale.
La situation sanitaire de l'île, jugée insatisfaisante par les élus territoriaux, conduit aujourd'hui à différentes demandes d'évolutions des compétences en matière de santé et de sécurité sociale.
Quelle est-elle ? L'offre de soins repose sur une centaine de professionnels de santé, toutes catégories confondues. Si Saint-Barthélemy n'est pas un désert médical, des problèmes d'accès aux soins sont cependant constatés, avec un déficit d'offre en secteur 1 notamment. Certaines spécialités, comme la cardiologie, ne sont en outre pas représentées.
L'hôpital Irénée de Bruyn, seul établissement de santé de l'île, compte 10 lits d'hospitalisation de courte durée et 7 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR). Il est de fait le pivot de l'offre de soins sur le territoire et reçoit 7000 passages aux urgences par an. Il n'existe pas d'offre de maternité. Cette offre hospitalière est soutenue par la collectivité, avec la mise à disposition de locaux ou de foncier, mais aussi par le biais d'une association de donateurs, le Femur, qui finance des équipements hospitaliers.
Du fait de l'insularité et de l'offre réduite sur place, la prise en charge des patients est pour partie réalisée à Saint-Martin ou en Guadeloupe, les deux territoires servant de recours. Comme dans d'autres territoires ultramarins insulaires, les évacuations sanitaires sont souvent nécessaires, voire indispensables pour les urgences lourdes. On dénombre 183 évacuations sanitaires réalisées en 2022.
Je le disais à l'instant, cette offre ne satisfait pas les élus territoriaux. Elle ne correspond pas aux standards de la clientèle de luxe de l'île et nuit à son attractivité, pour partie. Mais, et c'est là la préoccupation de notre collègue sénatrice, une dégradation de la situation est constatée depuis plusieurs années avec des ruptures dans la continuité de la prise en charge des patients. Si le bâtiment de l'hôpital reste marqué par les conséquences de l'ouragan Irma, la question principale est celle de la présence en nombre suffisant, en tout temps, de médecins urgentistes à l'hôpital. Ce problème se pose particulièrement, semble-t-il, depuis l'application du droit en matière de gardes et de récupérations, là où la pratique s'en était largement émancipée.
Cette dégradation est la conséquence notamment des difficultés d'attractivité du territoire pour les praticiens, avec l'isolement et l'absence de lycée par exemple, mais aussi et surtout du fait de coûts de logement prohibitifs. Ces mêmes contraintes immobilières pèsent aujourd'hui sur le laboratoire d'analyse médicale.
D'autres problèmes plus structurels ou durables cristallisent les revendications.
Le premier est propre aux évacuations sanitaires. Celles-ci sont prises en charge selon des règles qui trouvent mal à s'appliquer sur le territoire, avec une prise en charge limitée aux lignes régulières, ne correspondant pas à l'offre aérienne.
Surtout, celles-ci sont souvent rendues impossibles la nuit, aucun avion n'étant autorisé à atterrir de nuit à Saint-Barthélemy, et aucun n'étant positionné pour y décoller. L'hélicoptère, basé en Guadeloupe, n'est qu'une solution de repli fragile du fait du temps de transport et de son indisponibilité fréquente. De plus, l'envoyer à Saint-Barthélemy prive la Guadeloupe de ses moyens durant plusieurs heures - huit au minimum, la durée de l'aller et retour.
Autre sujet rappelé par l'ensemble des interlocuteurs, aucun dépôt de sang n'est aujourd'hui possible à Saint-Barthélemy sans dérogation au droit commun.
Pour partie, ces problèmes peuvent trouver écho à des préoccupations que nous connaissons bien : ne débat-on pas chaque mois de textes relatifs à l'attractivité de nos territoires pour les professions de santé ou concernant l'attractivité des carrières hospitalières ? Pour partie, ces problèmes s'inscrivent dans des contraintes fréquentes des territoires ultramarins et je me permets de rappeler l'une des préconisations de la mission de notre commission à Mayotte l'an dernier : accroître le pouvoir de dérogation des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) outre-mer pour répondre aux besoins d'adaptations de certaines situations locales.
Face à ces problèmes bien connus, la réponse de l'État n'est pas jugée suffisante et suscite des réactions parfois vives.
Le conseil exécutif a ainsi adopté en novembre 2022 une délibération appelant à « partager la compétence santé » et à doter Saint-Barthélemy d'une agence territoriale de santé pilotée conjointement par le préfet et le président de la collectivité, mais aussi d'une caisse de prévoyance sociale « de plein exercice ». Ces propositions ont par ailleurs été transmises au Gouvernement dans le cadre du comité interministériel des Outre-mer, le CIOM.
Notre collègue Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy, a déposé la présente proposition de loi organique visant à permettre à la collectivité de participer à l'exercice de certaines compétences de l'État. J'insiste sur cette nuance. Il ne s'agit pas d'un partage de compétences, encore moins d'un transfert. Je constate que Micheline Jacques ne revendique pas non plus d'autonomisation de la caisse de prévoyance sociale, qui était il y a quelques années encore souhaitée.
J'en viens donc au texte que nous examinons ce matin.
L'article 1er de la PPLO prévoit ainsi de permettre à la collectivité de prendre des actes dans deux champs : la sécurité sociale et le financement des établissements de santé. Une finalité commune à ces deux participations à l'exercice de compétences de l'État est revendiquée : la prise en compte des surcoûts liés à l'insularité et à l'éloignement. En d'autres termes, l'auteur souhaite, plutôt qu'un transfert de la compétence santé, que le conseil territorial soit en capacité de proposer des adaptations aux règles de prise en charge et aux règles de financement par l'assurance maladie de l'hôpital de Saint-Barthélemy. Avec, pour but, que l'assurance maladie puisse financer davantage les besoins de l'hôpital, particulièrement le logement des praticiens et personnels hospitaliers.
Participation, la nuance est importante. La compétence demeurant bien celle de l'État, les actes devraient nécessairement, pour prendre effet, recevoir l'approbation du Gouvernement.
Ce que propose donc notre collègue auteur de la PPLO s'apparente ainsi à un « droit de proposition » formel dans le champ des compétences de l'État. L'intention de Mme Jacques me semble claire : ce n'est pas parce que les besoins de santé de la population de Saint-Barthélemy ne trouvent pas de réponse adaptée de la part des services de l'État qu'il serait pertinent de transférer la compétence pour autant. Surtout, ce transfert hypothétique paraîtrait pour le moins hasardeux dans le contexte d'une dépendance aussi forte à l'égard de Saint-Martin et de la Guadeloupe. La solution réside donc selon elle dans une capacité à proposer des adaptations, y compris dans le domaine de la loi, au titre de l'autonomie dont jouit le territoire en vertu de son statut organique.
J'ai pu le rappeler à différentes occasions et encore l'an dernier lors de l'examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », je demeure convaincu que la santé et la sécurité sociale doivent rester des compétences de l'État. Je reste constant sur cette position et si je souhaite que les collectivités puissent prendre leur part aux côtés de l'État, je suis plus que réservé sur les projets suggérés par la collectivité et les intentions sous-jacentes de poursuivre des projets hospitaliers qui pourraient se trouver sans cohérence avec la configuration du territoire. En outre, Saint-Pierre-et-Miquelon, parfois pris pour modèle, n'est à mon sens pas comparable. Certes, la collectivité dispose d'une direction territoriale propre et d'une caisse autonome, mais elle ne s'inscrit pas dans un contexte régional de plusieurs collectivités françaises voisines !
Je souligne en outre qu'avec la même loi 3DS, les collectivités peuvent participer au programme d'investissement des établissements de santé.
Les auditions préparatoires à l'examen de cette proposition de loi organique, menées conjointement avec ma collègue rapporteure pour la commission des lois, Valérie Boyer, ont permis d'éclaircir certains sujets et de préciser les difficultés mises en avant dans le territoire.
En tant que rapporteur pour avis, je me dois de reconnaître que la proposition d'une participation à l'exercice de compétences n'a pas trouvé un accueil particulièrement enthousiaste de la collectivité elle-même, qui bien que proposant des réécritures du code de la santé publique, revendique davantage la gestion opérationnelle que la capacité à prendre des actes.
Surtout, elle a soulevé une opposition assez claire des services de l'État. D'une part, ni l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ni les directions d'administrations centrales ne partagent le constat d'une offre de soins insuffisante. D'autre part, les problèmes identifiés peuvent, selon l'ARS, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la direction de la sécurité sociale (DSS), trouver des solutions dans le cadre juridique existant.
La direction de l'hôpital met en avant une étude conduite concernant l'opportunité d'investir dans un avion sanitaire ou l'option d'un hélicoptère partagé en interministériel.
En outre, le directeur général de l'ARS a rappelé qu'un décret en conseil d'État était attendu pour permettre certaines dérogations utiles, particulièrement sur les stocks de sang.
Enfin, plusieurs acteurs ont considéré que, sur le logement des professionnels, la collectivité était peut-être en capacité financière de conduire ce projet seule...
Au-delà, un sujet a été soulevé que j'estime fondamental. Les revendications qui s'expriment depuis plusieurs années s'enracinent pour beaucoup dans l'idée que la caisse de sécurité sociale de Saint-Barthélemy serait fortement excédentaire et qu'il serait légitime que cet excédent profite d'abord au territoire.
Plusieurs choses méritent d'être précisées sur ce point. Premièrement, la direction de la sécurité n'est pas en mesure d'établir l'existence même de cet « excédent », pour de bonnes raisons. Car pour partie, par exemple, les dépenses participant à la prise en charge des habitants de Saint-Barthélemy ne sont pas retracées dans les comptes de la caisse. Comment pondérer par exemple les dépenses des hôpitaux de Guadeloupe et de Saint-Martin, calibrés aussi pour prendre en charge les besoins de Saint-Barthélemy en recours ? Pour partie aussi, les dépenses sont prises en charge par des crédits qui ne transitent nullement par la caisse, par exemple les dotations à l'hôpital de Saint-Barthélemy depuis le fonds d'intervention régional de l'ARS de la Guadeloupe. Certaines aides aux professionnels de santé ne relèvent pas de la caisse locale non plus. Une partie des cotisations n'est pas toujours recouvrée, non plus. En outre, cet excédent serait apprécié sur l'ensemble de la caisse, faisant fi du principe selon lequel, hors solidarité interbranches âprement débattue, les recettes et dépenses des branches ne sont pas fongibles.
Un élément surtout : cette logique d'excédents à réaffecter localement va à l'encontre du principe même de la sécurité sociale. Veillons à ne pas ouvrir de brèches préjudiciables dans un édifice déjà fragile : l'assurance maladie repose sur la solidarité nationale. Sinon, doit-on considérer demain que les hôpitaux de Nice doivent être mieux financés que ceux de Laon car la région serait « socialement excédentaire » ? Si nous avons pu réfléchir dans cette commission à des objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie (Oradam), cela ne reposait d'ailleurs pas sur les capacités contributives des territoires. J'avais demandé que ces Ordam soient locaux et complémentaires de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Aussi, au regard des différentes questions substantielles que soulevait ce texte, la rapporteure de la commission des lois et moi-même avons retenu une position de prudence.
Nous le disons clairement, les besoins propres à la configuration de l'île doivent trouver des réponses concrètes et durables. Ces réponses doivent aussi intervenir rapidement. J'ai retrouvé dans un rapport sénatorial de 2005 la description du problème lié aux évacuations sanitaires nocturnes : on nous annonce une étude du centre hospitalier sur ce sujet... vingt ans plus tard. Le sujet du stock de sang est connu depuis longtemps, mais le fameux décret qui doit permettre une dérogation se fait lourdement attendre. Cette lenteur persiste, j'en veux pour preuve le rapport que nous avions demandé dans la loi 3DS sur la situation sanitaire de Saint-Barthélemy : celui-ci devait être rendu avant la rentrée 2022, il n'a pas été écrit.
Mais si ces réponses sont nécessaires, elles doivent trouver un format adapté. Je souhaite que nous suivions dans les prochains mois le sujet des adaptations prises par le directeur général de l'ARS et la publication du décret attendu. Pour ce qui relève de la loi organique, je vous propose une modification du dispositif proposé, en association avec ma collègue rapporteure de la commission des lois.
L'agenda de notre commission ayant été modifié en raison du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, vous proposer des amendements ce matin aurait conduit à leur dépôt postérieurement à la réunion de la commission des lois chargée d'établir le texte de commission, ce qui, vous en conviendrez, n'aurait eu guère de sens. C'est pourquoi, j'ai choisi de déposer en mon nom les amendements issus des travaux conjoints que nous avons menés avec Valérie Boyer et qui nous ont conduits à proposer à nos commissions respectives des amendements identiques.
Nous vous proposons donc trois amendements.
Le premier amendement vise à transformer le dispositif proposé en une expérimentation. Ainsi, la rédaction de l'article 1er serait remplacée par une expérimentation.
Alors que le champ de sécurité sociale visé ne relève que de l'assurance maladie, nous avons souhaité le préciser et limiter l'habilitation à cette seule branche. En outre, considérant que, plus encore dans un petit territoire qu'ailleurs, l'offre hospitalière et la médecine de ville sont indissociables, j'ai souhaité que nous intégrions la question des services de santé, afin de permettre à la collectivité d'appréhender également, si elle souhaite s'engager sur cette expérimentation, la question de structures ambulatoires.
Surtout, nous vous proposons dans la rédaction d'insister sur la nécessaire absence, dans les actes éventuellement pris, de rupture dans la prise en charge des assurés de Saint-Barthélemy pour les soins réalisés hors de l'île, comme des assurés non résidents pour les actes reçus dans le territoire. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'autonomie de la caisse fait que la carte Vitale n'y est pas déployée, avec des conséquences préjudiciables. Il ne faut pas qu'une prise en charge en Guadeloupe d'un habitant de Saint-Barthélemy soit source de complexité administrative supplémentaire !
Enfin, nous avons eu à coeur d'insister sur la cohérence de l'offre de soins au niveau régional. Les îles de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont interdépendantes. C'est pourquoi nous souhaitons que l'ARS émette un avis sur les projets d'actes et que l'évaluation de l'expérimentation porte également sur l'impact de ces actes sur la définition de l'offre de soins dans les collectivités voisines.
Les deuxième et troisième amendements sont des amendements de suppression qui tirent les conséquences de cette transformation en expérimentation. L'article 2 concerne en effet la codification de la procédure d'habilitation à prendre des actes, et se trouve donc caduc.
L'article 3 prévoit lui la définition d'un « objectif de dépenses » par la collectivité, concernant la couverture des surcoûts liés à l'éloignement et à l'insularité. Je considère que cette notion d'objectif de dépenses ne peut se concevoir sans engager une réelle autonomie du territoire en matière de sécurité sociale, ce qui à ce stade ne me paraît pas pertinent.
Sous réserve de cette réécriture, je vous propose de donner un avis favorable à la présente proposition de loi organique. Si elle n'améliorera pas à elle seule la situation sanitaire du territoire, elle pourrait permettre de réaffirmer la responsabilité de l'État et contraindre ce dernier à prendre enfin certaines dispositions qui tardent à arriver.
Mme Florence Lassarade. - Je voudrais savoir pourquoi l'hélicoptère est basé à la Guadeloupe alors que Saint-Barthélemy est à 230 kilomètres ? La collectivité envisage d'acheter un avion sanitaire, mais il n'est pas possible d'atterrir ni de décoller la nuit...
Mme Catherine Conconne. - Je comprends tout à fait l'initiative de Micheline Jacques, qui est pourtant d'un autre bord politique que le mien. Cette question dépasse les approches partisanes. Comme l'a dit Pierre Aliker, qui était le premier adjoint d'Aimé Césaire, « les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises, ce sont les Martiniquais ». Il en va de même pour Saint-Barthélemy. J'ai envie de faire confiance à ma collègue qui vit sur place et connaît la réalité de ce territoire. Elle constate les carences de l'État. Quand on en parle, on nous reproche de pleurnicher, mais les carences sont importantes dans ces territoires. Je reviens d'une mission au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. Je pourrais passer la matinée à dresser la liste des problèmes. On ne sent pas de dynamique positive : je ne parle pas de petites subventions distribuées ici ou là, mais d'un changement d'esprit, d'un passage de la condescendance à la fraternité, ce beau mot qui figure au fronton de nos mairies.
M. Alain Milon, rapporteur pour avis. - Sur les évacuations sanitaires, le problème est que l'aéroport est dangereux. Les vols la nuit sont interdits. L'avion est une option, une réflexion sur l'éclairage de l'aéroport est en cours. Il vise notamment à assurer un moyen non dépendant des avions commerciaux. L'hélicoptère peut sembler la meilleure solution pour les évacuations. Toutefois celui-ci est basé à la Guadeloupe, mais lorsqu'il est envoyé à Saint-Barthélemy, la Guadeloupe est privée de ses moyens durant plus de six heures. L'idéal serait de déployer un second hélicoptère à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. L'achat d'un hélicoptère « interministériel » est à l'étude ; se posera la question de la localisation de sa base. La Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy relèvent de la même ARS, les moyens sont donc partagés ou à tout le moins appréhendés au regard des besoins des trois territoires.
M. Stéphane Artano. - J'ai assisté à l'audition des services de l'État. Le Gouvernement s'opposerait au maintien du texte dans sa version initiale. Les élus souhaitent être associés à la prise des décisions qui concernent les territoires, sans réclamer nécessairement un transfert de compétences. Micheline Jacques est rapporteur avec moi sur la décentralisation et l'Outre-mer du groupe de travail sur les institutions animé par Gérard Larcher. L'enjeu est la différenciation, Outre-mer comme dans tous les territoires. L'expérimentation est une bonne solution. Nous verrons son résultat.
Mme Florence Lassarade. - Comment peut-on offrir des logements corrects à des personnels de santé ?
M. Alain Milon, rapporteur pour avis. - Le coût du logement est un problème fondamental en effet. Pour attirer des personnels médicaux, il faut qu'ils puissent se loger, mais ni l'État ni l'hôpital n'ont les moyens pour proposer des logements en nombre suffisant à cause des prix. La COM ne peut pas assurer à elle seule le logement des personnels hospitaliers. M. Artano a raison, nous avons besoin de mener des expérimentations. Nous devons privilégier cette démarche.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption des amendements de son rapporteur.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
· Micheline Jacques, auteur de la proposition de loi organique, sénateur de Saint-Barthélemy
· Collectivité de Saint-Barthélemy
Xavier Lédée, président du conseil territorial
Olivier Basset, directeur de cabinet du président
Benjamin Vigneron, collaborateur en charge de la santé
· Agence régionale de santé (ARS) de la Guadeloupe
Laurent Legendart, directeur général
· Préfecture de Saint-Barthélemy et Saint-Martin
Vincent Berton, préfet délégué
· Centre hospitalier Irénée de Bruyn de Saint-Barthélemy
Marie-Antoinette Lampis-Pattus, directrice
· Direction de la sécurité sociale (DSS)
Morgan Delaye, chef de service, adjoint au directeur
Christine Labat, chef de projet outre-mer
· Direction générale de l'offre de soins (DGOS)
Arnauld Gauthier, sous-directeur de la stratégie et des ressources
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-051.html
* 1 Le taux d'occupation est de 57 % pour une durée moyenne de séjour inférieure à 2 jours.
* 2 Il n'existait pas de crédits FIR reconductibles avant 2020.
* 3 Commission ad hoc « diagnostic territorial de l'offre de soins à Saint-Barthélemy », constituée par délibération du Conseil exécutif le 4 mai 2022.
* 4 « L'avenir statutaire de Saint-Barthélemy et Saint-Martin : le choix de la responsabilité », rapport d'information n° 329 (2004-2005) de MM. Jean-Jacques HYEST, Christian COINTAT et Simon SUTOUR, fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 mai 2005.
* 5 Délibération du conseil exécutif, n° 2022-1360 du 16 novembre 2022.
* 6 « Mayotte : un système de soins en hypertension », rapport d'information de Mme Catherine DEROCHE, MM. Jean-Luc FICHET, Dominique THÉOPHILE et Mme Laurence COHEN, fait au nom de la commission des affaires sociales.
* 7 La caisse de prévoyance sociale ne dispose pas aujourd'hui de la personnalité morale. Sa gestion est assurée par la caisse de la mutualité sociale agricole (MSA) du Poitou.
* 8 Le
Journal de Saint-Barth, « L'avenir du système de santé
sur l'île inquiète la Collectivité », 18
novembre 2021,
https://www.journaldesaintbarth.com/actualites/sante/lavenir-du-systeme-de-sante-sur-lile-inquiete-la-collectivite-20211
1182121.html.
* 9 Réponses de la direction de la sécurité sociale au questionnaire du rapporteur.
* 10 En outre, la DSS a signalé 6,3 millions d'euros de cotisations impayées sur la période 2017-2021.
* 11 Voir le rapport d'information n° 40 (2019-2020) de Mme Catherine DEROCHE et M. René-Paul SAVARY, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 9 octobre 2019.
* 12 Article 253 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 13 Amendement n° 743 rect. déposé par Micheline Jacques sur le projet de loi dit « 3DS » en première lecture.