EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 23 NOVEMBRE 2022

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M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons l'avis de Sylvie Robert sur les crédits relatifs à la « Création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture ».

Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis sur les crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture . - Les crédits des deux programmes de la mission « Culture » dont j'ai la charge - le programme « Création » et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » - progressent en 2023 : de l'ordre de 8 % pour le premier et de 7 % pour le second. Même si l'année 2023 devrait être marquée par la fin des aides exceptionnelles mises en place durant la crise sanitaire, ce budget prolonge de nombreuses actions amorcées dans le cadre du plan de relance. Cependant, la reprise du secteur est encore timide et la hausse des crédits ne parvient pas à dissiper les inquiétudes des établissements culturels compte tenu du haut niveau de l'inflation.

En ce qui concerne la création, les acteurs culturels sont dans une situation budgétaire difficile et voient leurs modèles économiques de plus en plus voler en éclat. Leurs coûts explosent avec la hausse de la facture énergétique, l'augmentation des cachets artistiques, la hausse du point d'indice dans la fonction publique et les revendications salariales, ainsi que l'inflation généralisée. Leurs recettes, elles, n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant-crise. Non seulement la fréquentation est moindre qu'en 2019, mais les habitudes des publics ont profondément évolué, les acteurs vont mettre du temps à s'y adapter. Les recettes tirées du mécénat sont en baisse sous l'effet de l'inflation. Et le soutien des collectivités territoriales est plus incertain, en témoignent la baisse des subventions culturelles accordées par plusieurs régions cette année et la décision de certaines communes d'adapter les périodes et les horaires d'ouverture de leurs établissements pour réduire la facture énergétique.

Dans ce contexte, les priorités sur lesquelles se porte l'effort financier de l'État en 2023 me paraissent globalement pertinentes.

Un tiers des nouveaux crédits vise à consolider les marges artistiques des opérateurs, labels et réseaux dans le domaine de la création artistique. Le Gouvernement espère que ce soutien permettra aux établissements de ne pas rogner sur la programmation pour équilibrer leurs budgets car il estime qu'une programmation ambitieuse constitue l'une des clés pour permettre aux établissements de retrouver progressivement leur niveau de fréquentation d'avant-crise.

Les établissements relevant du secteur privé sont, de leur côté, soutenus par le crédit d'impôt spectacle vivant et le crédit d'impôt théâtre. Vous avez peut-être observé, lors des discussions en séance publique ces derniers jours, que ces dispositifs étaient dans le viseur du rapporteur général de la commission des finances. Il me semblerait utile que le ministère de la culture procède à leur évaluation l'an prochain afin que nous puissions disposer de données fiables et objectives d'ici l'examen du prochain projet de loi de finances pour justifier, le cas échéant, l'intérêt de la prolongation de ces crédits d'impôt. Je vous demande, Monsieur le président, d'interpeller la ministre de la culture pour que nous soyons « armés » l'an prochain dans la discussion budgétaire.

Un autre tiers des nouveaux crédits vise à accompagner l'emploi dans le secteur de la création, ainsi que les artistes, avec notamment la mise en place d'un nouveau programme de commande publique, intitulé « Mondes nouveaux II ». Les difficultés de recrutement observées dans le secteur de la création depuis un an nécessitent des mesures fortes de soutien à l'emploi. Les établissements culturels constatent une désaffection croissante pour leurs métiers.

La revalorisation des crédits du Fonds national pour l'emploi dans le spectacle (Fonpeps) me parait une mesure importante pour mettre fin à l'hémorragie actuelle. Il est dommage qu'aucun dispositif équivalent n'existe dans le secteur des arts visuels.

De même, la mise en oeuvre du plan artistes-auteurs doit faire figure de priorité pour enrayer la dégradation de la condition économique et sociale des créateurs. J'espère que le ministère de la culture pourra transmettre des consignes claires pour que les établissements ne revoient pas à la baisse leurs budgets artistiques pour faire face aux surcoûts, car l'impact sur les artistes serait immédiat.

Je suis d'autant plus inquiète que le directeur général de la création artistique reconnait lui-même que les montants octroyés aux opérateurs, labels et réseaux en compensation de l'inflation avaient été calculés sur la base de chiffres de fréquentation supérieurs à ceux actuellement constatés. Malgré les hausses de crédit, la compensation de l'inflation ne concerne non seulement pas tous les acteurs, mais elle n'est aussi que partielle. J'espère que le Gouvernement sera prêt à intervenir l'an prochain comme il l'a fait cette année avec la seconde loi de finances rectificative pour venir au secours des établissements qui en auraient besoin. Il serait regrettable que des établissements, sauvés de la crise sanitaire, ferment définitivement leurs portes l'an prochain sous l'effet de l'inflation.

Côté festivals, le fonds créé pendant la crise sanitaire n'est pas revalorisé pour tenir compte de l'inflation. Sa dotation est maintenue à 10 millions d'euros en 2023. Je crois utile que nous demandions au ministère de la culture un bilan complet du fonctionnement de ce fonds d'ici l'année prochaine car sa mise en oeuvre, partagée entre les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et le Centre national de la musique (CNM), est floue - c'est ce que m'ont dit les représentants des festivals en audition. Malgré les États généraux des festivals, on a encore du mal à comprendre les orientations qui définissent le réengagement de l'État en direction des festivals. L'annonce, par le ministre de l'intérieur, de possibles annulations et reports de festivals en 2024 du fait de la mobilisation des forces de l'ordre par les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), en est une preuve supplémentaire. Il faut un dialogue plus régulier avec les festivals et les collectivités territoriales. Je déplore que le ministère de la culture n'ait pas renommé de référent festival depuis bientôt deux ans.

Côté arts visuels, on note une vraie progression des crédits (+14 %). Les artistes visuels devraient bénéficier de la moitié des crédits du nouveau programme de commande artistique « Mondes nouveaux », soit 5 millions d'euros. Il serait évidemment malvenu de critiquer cette mesure, mais je trouve dommage que le Gouvernement ait décidé de prolonger le programme « Mondes nouveaux » sans évaluation préalable des effets de la première phase conduite dans le cadre du plan de relance. Les lieux de diffusion des arts visuels que j'ai rencontrés estiment que ce programme a des effets limités sur la relance du secteur au regard du nombre total d'artistes soutenus - à peine 400 -, même s'ils lui reconnaissent un rôle en termes de découverte de nouveaux talents. J'espère qu'une évaluation sera conduite pour apprécier véritablement l'efficacité de ces nouveaux crédits. Les FRAC et les centres d'art ont aussi pour mission, dans leurs cahiers des charges, de soutenir la création et les jeunes artistes. Mais ils ont de plus en plus de mal à remplir cette mission compte tenu de la stagnation de leurs crédits d'acquisition depuis des années.

J'en viens au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Sa priorité pour 2023 est la jeunesse, pour conforter l'avenir du secteur culturel et d'en préparer la relève. Il comporte 50 millions d'euros de mesures nouvelles.

Les deux tiers de ces crédits sont affectés à l'enseignement supérieur.

Plus de la moitié des crédits vise à soutenir les établissements d'enseignement supérieur en fonctionnement et en investissement. Cette revalorisation des dotations est néanmoins insuffisante pour couvrir le niveau de l'inflation et les écoles d'architecture, comme les écoles d'art territoriales que j'ai rencontrées, sont très inquiètes d'avoir à puiser dans leurs fonds de roulement.

Une autre enveloppe, de 7,5 millions d'euros, est destinée à revaloriser les bourses sur critères sociaux. Malheureusement, elle n'est destinée qu'aux étudiants des écoles nationales. Je suis inquiète du sort des étudiants des écoles territoriales, eux aussi victimes de l'inflation. Je vous proposerai un amendement pour les accompagner.

Enfin, l'État débloque pour la première fois des crédits pour accompagner l'évolution du statut des enseignants des écoles d'art territoriales. Nous en parlons depuis longtemps, c'est un très bon signal, mais je suis assez surprise par cette budgétisation, dans la mesure où les collectivités territoriales n'ont conclu aucun accord sur ce sujet cette année. Imaginons que la réforme n'aboutisse pas l'an prochain et que ces crédits ne soient pas consommés. Ce serait d'autant plus dommage que plusieurs écoles territoriales ont d'énormes besoins financiers. Certaines sont menacées de fermeture à la suite du retrait de communes de leur financement - ces établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ont souvent plusieurs sites sur plusieurs communes. Dans ces conditions, je me demande si l'urgence n'aurait pas plutôt été de revaloriser la subvention de fonctionnement de l'État aux écoles d'art territoriales, en stagnation depuis plusieurs années, afin de compenser le désengagement de certaines collectivités.

Du côté des écoles d'architecture (ENSA), la réforme reste inachevée. La hausse des salaires des enseignants contractuels n'est que partiellement compensée dans le cadre du budget 2023. Dans la mesure où les ENSA subissent déjà de plein fouet les conséquences de l'inflation, il est dangereux de leur demander de prendre en charge en plus la majeure partie des hausses de salaire des enseignants contractuels. Je vous proposerai donc un amendement visant à ce que l'État prenne en charge la totalité de ces mesures indemnitaires ; le ministère de la culture avait demandé une enveloppe à cette fin qu'il n'a pas obtenu en totalité.

Sur les enseignements artistiques, la grande réforme du classement des conservatoires n'a toujours pas abouti. Les ambitions ont été revues à la baisse, il ne s'agit plus, à ce stade, que de simplifier les modalités de renouvellement du classement actuel. Les dotations de l'État en direction des conservatoires restent inchangées, sans aucune mesure de compensation de l'inflation. Les représentants de Conservatoires de France sont inquiets des conséquences de la hausse du prix de l'énergie sur leur niveau d'activité ainsi que sur leur budget d'acquisition d'instruments de musique.

Je terminerai en évoquant les crédits destinés aux actions en matière de démocratisation culturelle.

À l'exception d'une enveloppe d'un million d'euros pour la préparation des Olympiades culturelles en 2024, tout l'effort financier se porte l'an prochain sur l'éducation artistique et culturelle en général, et le Pass culture en particulier. Avec 9,5 millions d'euros supplémentaires, son budget devrait atteindre 208,5 millions d'euros en 2023, auxquels s'ajoutent 51 millions d'euros du ministère de l'éducation nationale pour le financement de la part collective.

En moins de cinq ans, la société par actions simplifiée (SAS) Pass culture est devenue le deuxième plus gros opérateur du ministère de la culture.

Le regard des acteurs culturels sur le Pass culture a beaucoup évolué depuis deux ans, la mise en place de la part collective en janvier dernier et la contribution du Pass à la relance du secteur y sont sans doute pour beaucoup.

Je conserve néanmoins deux points de vigilance.

Le premier concerne les résultats du Pass en matière de diversification des pratiques artistiques des jeunes. En dépit d'une certaine amélioration cette année, l'objectif de diversification des pratiques ne semble pas encore atteint. Si la part de la musique live a beaucoup progressé, la part du spectacle vivant, des musées et des bibliothèques reste insatisfaisante. La SAS doit travailler davantage pour obtenir l'inscription d'un plus grand nombre d'opérateurs sur le Pass et pour mieux promouvoir leurs offres auprès des jeunes, afin que les crédits ne se traduisent pas par de simples effets d'aubaine.

Il est vrai que la mise en place de la part collective a amélioré la diversité, puisque les réservations effectuées dans ce cadre portent majoritairement sur les catégories les moins réservées de la part individuelle. Ces résultats démontrent bien l'importance de la médiation pour atteindre l'objectif d'une réelle diversification des pratiques - la SAS doit encore y travailler.

Mon second point de préoccupation reste l'articulation du Pass culture avec l'éducation artistique et culturelle (EAC), surtout que le Pass représente désormais deux fois plus de crédits que l'EAC en tant que telle. La part collective a certes permis de mieux inscrire le Pass culture dans le parcours d'EAC, mais veillons à ce que celle-ci ne crée pas un effet d'éviction sur les actions traditionnellement menées par les établissements au titre de l'EAC. La part collective du Pass culture est un moyen d'enrichir le projet d'EAC de l'établissement : elle ne doit pas s'y substituer. La SAS doit renforcer son partenariat avec les collectivités territoriales et être très vigilante sur le bon usage de la part collective.

Cette question de la coordination avec les collectivités territoriales fait partie des points sur lesquels le ministère de la culture doit encore progresser. Je me réjouis de la création, depuis le milieu de cette année, du fonds d'innovation territoriale. Je pense que c'est une très bonne chose qu'il soit reconduit l'an prochain, car il donne aux Drac la possibilité de soutenir des initiatives culturelles décloisonnées et adaptées aux contextes des différents territoires.

Je sais que la création de ce fonds répond à une proposition que Sonia de la Provôté et moi-même avions formulée dans notre rapport consacré au bilan du plan de relance dans le domaine de la création. Cependant, le fonds que nous proposions s'inscrivait dans une logique de partenariat entre l'État et les collectivités territoriales : il avait vocation à financer des actions culturelles portées par des collectivités en contrepartie d'un engagement de celles-ci de maintenir le niveau de leur engagement financier en faveur de la création. Il n'en est rien avec le fonds d'innovation territoriale, puisqu'il ne concerne pas forcément des projets financés par des collectivités. Il n'apporte donc aucune garantie en termes de maintien du soutien des collectivités au secteur de la création.

Sous ces réserves, et compte tenu de l'augmentation substantielle des crédits prévue en 2023, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ces deux programmes.

Mme Else Joseph . - Je salue le rapport de notre collègue, ces sujets sont importants : l'enjeu en est la pérennisation de nos pratiques culturelles, la pérennisation de la culture elle-même.

Les festivals ont bien résisté malgré deux années rudes. Comme les représentants du spectacle vivant l'ont indiqué, ils ont été parmi les premiers à fermer et parmi les derniers à rouvrir. Les festivals ont été très largement soutenus par les collectivités publiques pendant cette période et, après deux ans, on ne peut que se réjouir de constater que les publics sont au rendez-vous. L'offre de festivals est même restée abondante, mais pour combien de temps encore ? Voilà que de nouvelles difficultés surviennent qui ne procèdent pas d'aléas malheureux, mais d'un évènement heureux pour notre pays, à savoir l'organisation des JOP de 2024 : quel manque de dialogue sur ce point entre tous les partenaires concernés !

Les festivals sont tributaires d'aléas et leur répétition interroge. L'idée a fait son chemin d'une assurance qui couvrirait non seulement les risques artistiques, mais aussi climatiques, c'est peut-être une piste pour donner des perspectives aux festivals et éviter qu'ils ne fassent les frais de la loi du marché... Faute de visibilité, comment mobiliser des bénévoles ? Quelles relations avec les collectivités territoriales ? Comment faire quand le personnel et le matériel manquent ? Qui plus est, il semble que les riverains des festivals se plaignent du bruit, davantage qu'ils ne le faisaient avant la crise sanitaire...

Permettez-moi de dire quelques mots également au sujet du Pass culture. Il constitue une aide appréciable, mais la médaille a son revers : nous sommes proches d'une politique du carnet de chèque, qui profite davantage à ceux qui savent déjà ce qu'ils vont faire. Le jeune qui aime les livres et les musées sait de quelle manière il va utiliser son Pass ; mais celui qui n'a pas d'idée ne saura pas comment recourir à cette aide. Comment donner cette « envie d'avoir envie » ? Le Pass culture se contente de confirmer des pratiques culturelles plutôt qu'il n'en crée. Qui plus est, je déplore la faible part des réservations en lien avec la découverte du patrimoine ou avec les bibliothèques. Comment mieux valoriser les offres vers ces secteurs ? Dans ce contexte, on peut s'interroger sur la disproportion des crédits du Pass culture par rapport à l'EAC en tant que telle.

Enfin, la hausse des coûts de l'énergie a des conséquences sur l'accès à la culture, en pénalisant les salles de spectacle et les musées. Pour les cinémas, c'est même une double peine, car cette contrainte s'ajoute à la baisse d'un tiers de la fréquentation constatée dans les salles par rapport à 2019. Comment aider ces secteurs à se relever, sans préjudice pour les usagers et sans diminuer l'offre existante ? Je me réjouis que la perspective de l'augmentation des tarifs ait été, par exemple, écartée par les musées.

Le groupe Les Républicains suivra l'avis de la rapporteure et votera pour l'adoption de ces crédits.

Mme Sonia de La Provôté . - Il n'est pas aisé de critiquer des crédits qui augmentent substantiellement ! L'effort budgétaire est là mais il s'accompagne d'une forme de déception, voire d'une certaine amertume dès lors que certains problèmes évoqués depuis des années ne sont toujours pas traités. Le ministère de la culture paraît effacé dans le dialogue interministériel, il est en tout cas moins présent, en témoigne l'absence d'échange avec le ministère chargé de l'environnement sur le patrimoine et avec le ministère de l'intérieur sur les JOP. Le ministère arrive sur le tard, les acteurs se mobilisent - c'est aussi parce que les parlementaires veillent, sinon cette mobilisation pour les JOP aurait été plus tardive encore. Il y a donc un problème de place du ministère de la culture au sein du pouvoir exécutif, qui renvoie à l'organisation même du ministère et à la structuration des compétences.

Qu'en est-il, ensuite, de la culture dans les territoires ? Le fonds d'innovation territoriale, lancé à la suite du rapport que j'ai réalisée avec Sylvie Robert, est une bonne chose, mais nous en ignorons les règles du jeu. C'est comme pour le fonds incitatif et partenarial dans le domaine du patrimoine : il y a des crédits mais qui décide précisément de leur répartition ? Quels projets peuvent espérer en bénéficier ? Or, ces crédits doivent apporter de l'oxygène aux Drac pour accompagner l'innovation culturelle en lien avec les collectivités territoriales, car l'innovation se fait aussi dans les territoires et pas seulement dans les grandes villes. La question, ici, est aussi celle de l'accès à la culture.

Nous regardons de près, également, les évolutions du Pass culture : la part collective du Pass ne saurait tenir lieu d'EAC. Or, le fait même d'avoir créé la part collective du Pass culture lui donne une sorte d'onction de la part du ministère, laissant à penser qu'il y aurait une véritable équivalence entre cette part et les mesures d'éducation artistique et culturelle. Or, les deux ne sont pas comparables. L'EAC mobilise une diversité d'acteurs sur le terrain et nécessite de la médiation, elle ne consiste pas à « créer de l'offre pour voir ce qui se crée ensuite », logique qui est celle du Pass culture. Il faut signaler aussi que la gestion par la SAS est lourde et coûteuse, ce qui l'éloigne encore de l'EAC.

Enfin, sur les arts visuels, le programme « Mondes nouveaux » déçoit, car une partie seulement des fonds est destinée aux artistes. Les arts visuels ont besoin d'un effort supplémentaire de l'État, ils sont partie prenante de l'accès à la culture dans les territoires : les artistes visuels ont la portion maigre des budgets, alors qu'ils sont essentiels à l'accès à la culture dans les territoires.

M. Pierre Ouzoulias . - Je veux dire combien notre groupe partage le diagnostic de Sylvie Robert et je la remercie d'avoir donné une forme politique à ce consensus, c'est ce qui permet de peser dans l'hémicycle face aux collègues d'autres commissions qui n'ont pas la même vision que nous de l'importance de ces sujets.

L'empilement de la politique conduite par le ministère de la culture s'est amplifié avec les dispositifs liés à la crise sanitaire et à la crise énergétique : on s'y perd, et je crois que le ministère de la culture lui-même s'y perd.

Il me semble que la commission des finances regarde les crédits d'impôt qui relèvent de son domaine économique avec plus de mansuétude que les autres crédits d'impôt. Il faut rappeler que la culture représente 46 milliards d'euros, soit 2,2% du PIB. Or, si le PIB culturel a longtemps cru au même rythme que la moyenne, il y a eu un décrochage en 2020 - et c'est le spectacle vivant qui est le plus touché. Je crains qu'il le soit aussi par la crise de l'énergie : ce décalage est préoccupant.

Sur le Pass culture, je constate que je suis moins seul à exprimer des réserves : on ne peut pas considérer que développer la consommation individuelle puisse tenir lieu d'une politique culturelle que, depuis André Malraux, nous fondons sur la médiation. Là aussi, il faut revoir les choses.

Enfin, nous ne pouvons taire le fait que les collectivités territoriales sont les institutions qui participent le plus à la politique culturelle - ce qui implique que nous devons réorganiser le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales.

Malraux a écrit que « l'homme ne naît pas de sa propre affirmation, mais de la mise en question de l'univers ». La médiation culturelle consiste donc à se doter de lois pour encourager la création artistique.

M. Julien Bargeton . - Ce projet de budget est en hausse : la création gagne 90,5 millions d'euros, la transmission des savoirs 51 millions d'euros, le soutien à l'emploi culturel progresse de 13 millions d'euros, le soutien aux acteurs de la création, de 12 millions d'euros, et ce budget ajoute 10 millions d'euros pour la commande publique. Il convient de souligner l'ampleur des efforts entrepris par le Gouvernement.

S'il est vrai qu'il faut de la médiation avec le Pass culture, c'est ce que fait le Gouvernement : le lien avec l'EAC a été renforcé grâce à la part collective. Les libraires reconnaissent volontiers qu'avec le Pass, de nouveaux publics franchissent le seuil de leurs boutiques. Ceux qui achètent un manga peuvent par la même occasion acquérir un autre livre. On estime que 60% des achats n'étaient pas prévus et qu'ils se font en complément d'un autre achat : c'est ce que permet le Pass culture. Nous voterons par conséquent en faveur de l'adoption de ces crédits.

Mme Monique de Marco . - Ce rapport équilibré souligne l'effort budgétaire, tout en formulant des réserves justifiées.

Les festivals ont besoin d'anticiper leur programmation de 2024. Ils jouent, tout comme les fêtes de villages, un rôle très important dans les territoires. Je crois que nous devrions alerter ensemble très rapidement la ministre de la culture sur les menaces qui pèsent sur les festivals et relayer au niveau médiatique le cri d'alarme poussé par les responsables de ces événements, lors de la table ronde organisée par le groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en régions.

Malgré ces réserves, nous voterons ces crédits en augmentation.

M. Lucien Stanzione . - Les crédits augmentent : reconnaissons cet effort. Cependant, il faut que le Gouvernement considère que la culture n'est pas la dernière roue du carrosse. Le dialogue doit s'instaurer pour faire entendre les réalités du monde de la culture, traversé par une crise importante. Vous en avez souligné les enjeux importants, en particulier la réforme des ENSA, celle des conservatoires, la contractualisation avec les collectivités territoriales, l'avenir des festivals... Le tout, avec les menaces formulées par le ministre de l'intérieur de reporter les manifestations culturelles pendant les JOP, alors que la crise énergétique accentue encore les difficultés.

Notre groupe votera ces crédits ainsi que les deux amendements de notre rapporteure.

Mme Laure Darcos . - Je suis très inquiète sur les deux crédits d'impôt. J'étais bien seule samedi soir pour les défendre dans la discussion de la première partie du budget. Ce que ne comprend pas la commission des finances, c'est qu'un festival, un film, un spectacle s'organisent longtemps à l'avance, et quand on envisage de supprimer un crédit d'impôt, on laisse les acteurs culturels sans filet de sécurité. Nous en sommes convaincus, pas tous nos collègues des finances et je crois que les acteurs de la culture gagneraient à aller leur exposer leur situation...

M. David Assouline . - J'alerte à nouveau la commission sur le fait qu'il va falloir obtenir rapidement des clarifications sur ce qui va se passer pendant les JOP car les festivals se préparent à l'avance et que sans anticipation, on peut aller à la catastrophe. Les forces de l'ordre dont parle Gérald Darmanin, seront mobilisées par les JOP, mais l'armée a des fonctions de protection civile. Nous avons des ressources pour permettre à la culture de se montrer au monde entier lorsqu'il vient en France, et non d'être décalée. Décaler la culture au nom du sport, c'est tout un symbole, sans compter les conséquences financières importantes de cette décision

M. Michel Savin . - Attention à ne pas opposer JOP et culture, mais attention aussi à ne pas exprimer de regret à ce que la France ait obtenu l'organisation des jeux, tout cela parce que le Gouvernement manque d'anticipation...

Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis . - Nous ne le disons pas.

M. Michel Savin . - Il est très important de ne pas opposer sport et culture. Il faut, au contraire, les associer.

Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis . - C'est précisément pour les associer que nous demandons que le Gouvernement anticipe les choses.

L'amendement CULT.1 transfère 2,5 millions d'euros du programme 224 « Soutien aux politiques du ministère de la culture » vers l'action 1 du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », pour que les écoles territoriales puissent appliquer aux étudiants boursiers le même niveau d'exonération que dans les écoles nationales. Nos collègues députés avaient pris une telle disposition, elle a été retirée par le Gouvernement du texte considéré comme adopté au titre de l'article 49-3.

La commission adopte l'amendement CULT.1

Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis . - L'amendement CULT.2 augmente de 2,35 millions d'euros les crédits destinés à compenser la hausse des salaires des enseignants contractuels des écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA). Le coût en est estimé à 4 millions d'euros, mais seulement 1,6 millions d'euros sont crédités, ce qui obligerait les écoles à recourir à leur fonds de roulement, alors qu'elles n'en ont pas toujours les moyens : nous les protégeons.

La commission adopte l'amendement CULT.2

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2023, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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