EXAMEN EN COMMISSION
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MARDI 20 DÉCEMBRE 2016
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Cette proposition de loi, présentée par Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain, a été adoptée sans opposition à l'Assemblée nationale. Elle concerne les occupants d'immeubles ou de terrains menacés par le recul du trait de côte.
La France compte, avec ses outre-mer, 18 445 kilomètres de côtes, ce qui fait de son espace maritime le deuxième au monde, après celui des États-Unis. La « loi littoral » du 3 janvier 1986 ne concerne pas moins de 1 212 communes.
Le recul du trait de côte n'est pas un phénomène récent : au XX ème siècle, le niveau de la mer est monté de 15 centimètres. Ce phénomène s'accélère toutefois : la mer pourrait monter, d'après les prévisions, de 20 à 40 centimètres d'ici à 2050.
Un quart des côtes françaises sont soumises à érosion ; 60 % des côtes normandes sont concernées - dont celles de la Manche, qui me tient tout particulièrement à coeur - et 70 % des côtes du Nord-Pas-de-Calais. Au total, une centaine de bâtiments pourraient être submergés d'ici à 2026, sans parler du nombre de terrains menacés.
Face à ce risque naturel, deux réponses sont
possibles : soit la création, coûteuse, d'ouvrages de
défense contre la mer, soit une solution
- retenue par la
proposition de loi - que les spécialistes appellent noblement le
« recul stratégique des activités » - en
clair, leur déménagement.
Le texte prévoit plusieurs instruments pour répondre aux difficultés causées par le recul du trait de côte. D'abord, la création de zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) destinées à maintenir les activités sur le littoral aussi longtemps que possible, puis à faciliter leur relocalisation vers l'arrière-pays. Une trentaine de communes pourraient être concernées.
Le droit d'information dont bénéficient les propriétaires et locataires serait renforcé dans ces ZART, et un droit de préemption spécifique pour l'État et les collectivités territoriales serait prévu pour le rachat et la réaffectation de ces terrains. Un nouveau contrat d'occupation serait créé, le bail réel immobilier littoral (BRILi).
La proposition de loi comprend également des dispositions relatives au fameux immeuble Le Signal , en Gironde. Lors de sa construction, en 1967, il se trouvait à 200 mètres de la mer ; aujourd'hui, la distance s'est réduite à 16 mètres, ce qui a conduit les autorités à prendre un arrêté d'interdiction d'occupation. Le dispositif prévu par l'Assemblée nationale, pour éteindre le contentieux en cours et indemniser les propriétaires au titre de la solidarité nationale, nous semble inopérant. C'est pourquoi je vous proposerai un dispositif plus solide.
M. René Vandierendonck . - Nous sommes en fin de mandat... Quelle que soit la compétence des députés qui ont déposé cette proposition de loi, on devine l'inspiration gouvernementale. C'est un détournement de la procédure législative, pour éviter l'étude d'impact sur un sujet qui, pourtant, la mériterait diablement.
La question recoupe celle de la délimitation du domaine public maritime côté rivage, et soulève le problème de l'enchevêtrement des documents d'urbanisme et schémas d'action publique dans les zones d'estuaires... Ainsi de la Manche, de la Somme ou de la Gironde. On produit des documents normatifs, sans se préoccuper de leur cohérence et de la continuité de leur périmètre.
Deux exemples : dans l'estuaire de la Vilaine se rencontrent des zones humides, des forêts domaniales, le domaine public maritime, fluvial et lacustre. Il y a des schémas de cohérence territoriale (SCoT), mais ils ne couvrent pas toute la zone. Entre Hesdin et le Touquet - soit, à vol d'oiseau, une quarantaine de kilomètres - trois SCoT sont en vigueur sur la rive droite de la Canche et autant sur sa rive gauche.
S'il est un domaine où le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité du territoire (SRADDET) a un rôle à jouer, c'est bien celui-là. Seuls 20 % du territoire national sont couverts par les SCoT. Il y a des trous ! Le SRADDET a l'avantage de garantir une concertation entre les parties prenantes.
Le glorieux combat contre l'inflation normative me fait sourire, quand je vois fleurir de nouveaux acronymes. Des « ZART », des « BRILi » ? Il suffirait pourtant que chaque SRADDET portant sur une zone littorale comprenne obligatoirement des dispositions sur le trait de côte, et détermine le titulaire du droit de préemption pour éviter la concurrence entre les divers organismes - Conservatoire du littoral, établissements publics fonciers locaux ou d'État...
Dans les rares cas où l'État met de l'argent pour faire face au recul du trait de côte, c'est toujours dans le cadre d'une convention avec la région. Autant de raisons qui font du SRADDET le cadre le mieux approprié à la concertation.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Issu de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015, le SRADDET a déjà été enrichi par la « loi biodiversité » du 8 août 2016, qui permet de prévoir des objectifs de protection et de développement du littoral. Cette proposition de loi fait référence à cette compétence en prévoyant à l'article 1 er une mise en cohérence entre le SRADDET, d'une part, et la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, d'autre part.
Concernant le droit de préemption, les auteurs de la proposition de loi ont eu la sagesse de reprendre la liste des autorités titulaires fixée par le code de l'urbanisme, ce qui devrait éviter toute confusion.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 2 bis (nouveau)
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - L'article 2 bis , introduit par l'Assemblée nationale avec l'accord des auteurs de la proposition de loi, vise l'immeuble Le Signal (Gironde). Il prévoit une indemnisation des propriétaires à hauteur de 75 % de la valeur estimée du bien ; pour lui donner une portée rétroactive sur les contentieux en cours, les députés ont précisé que cette disposition revêtirait un caractère interprétatif et s'appliquerait aux procédures en cours. Or, cette disposition n'est pas « interprétative » car elle modifie substantiellement les règles d'indemnisation par le « fonds Barnier ».
Il est désagréable de légiférer sur un cas unique et on ne saurait ouvrir les droits à indemnisation de manière excessive. Il me semble toutefois nécessaire de répondre aux difficultés rencontrées par les occupants du Signal , qui sont aujourd'hui dans une impasse.
D'un point de vue juridique, il me paraît plus judicieux de prévoir explicitement un nouveau cas de recours au « fonds Barnier ». Mon amendement COM-8 précise que le « fonds Barnier » « finance les indemnités allouées aux propriétaires et aux locataires d'un bien immeuble ayant fait l'objet d'une interdiction définitive d'habiter ou d'occuper les lieux prise en raison du risque de recul du trait de côte pour des faits intervenus avant le 1 er janvier 2017 ».
Mme Catherine Troendlé, présidente . - En légiférant dans ce sens, nous ne créons pas moins un précédent. Faudra-t-il légiférer à nouveau lorsqu'un cas similaire se présentera ?
M . Philippe Bas, rapporteur pour avis . - La disposition en question porte sans ambiguïté sur le passé. Il n'existe, à ce jour, aucun cas comparable et la proposition de loi vise précisément à éviter qu'il n'en survienne. Les baux réels immobiliers littoraux sont par exemple conçus pour anticiper le risque de recul du trait de côte.
De plus, l'article 13 du texte crée un fonds d'adaptation au recul du trait de côte qui, sur les territoires concernés, financerait les acquisitions de biens effectuées dans le cadre d'une ZART. Le cadre législatif est là.
Certes, l'article 2 bis pose un problème de principe, mais nos législations n'ont pas l'habitude de ces risques naturels qui se réalise lentement, centimètre par centimètre. Nous avons besoin d'un cadre pour prendre en compte ces risques nouveaux, par souci de justice.
L'amendement COM-8 est adopté.
Article 3
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Le texte voté par l'Assemblée nationale donne au préfet la possibilité de créer une ZART par décision unilatérale. Avec mon amendement COM-9, je souhaite que les ZART soient créées sur proposition des collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales concernés.
L'amendement COM-9 est adopté.
Article 7
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Cet article prévoit que le schéma de cohérence territoriale prend en compte les objectifs fixés par la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, en l'absence de dispositions du SRADDET en la matière. Mon amendement COM-10, précisant que l'intégration de ces objectifs dans les SCoT n'interviendra qu'aux échéances prévues pour leur révision, vise à éviter aux communes ou à leurs groupements de s'engager dans une procédure longue et coûteuse de révision de leur SCoT.
L'amendement COM-10 est adopté.
Article 8 bis (nouveau)
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Cet article prévoit l'obligation pour les professionnels de l'immobilier d'informer du risque de recul du trait de côte les acquéreurs, locataires et bailleurs d'un bien situé dans une ZART.
En d'autres termes, il s'agit d'éviter aux acheteurs parisiens de biens immobiliers sur la côte de se faire manipuler... Or les professionnels de l'immobilier étant déjà soumis à une obligation générale d'information, adopter une telle disposition pourrait donner lieu à une lecture restrictive, a contrario , de l'obligation de conseil dans les autres matières. Averti, par exemple, de la construction prochaine d'une porcherie à proximité du bien, le professionnel de l'immobilier pourrait s'estimer relevé de son obligation d'en prévenir l'acheteur, puisque le cas n'est pas mentionné dans le texte. Mon amendement COM-11 supprime cet article.
M. François Pillet . - Vous avez raison. L'obligation de conseil, qui au demeurant ne s'applique pas aux seuls agents immobiliers, répond parfaitement à ce type de risques naturels. Il serait catastrophique que la mention explicite d'une obligation d'informer dans le cas spécifique du recul du trait de côte soit considérée comme une exemption de cette obligation dans les autres cas.
M. René Vandierendonck . - Sans compter que toutes les transactions immobilières ne sont pas conduites par des agents immobiliers.
L'amendement de suppression COM-11 est adopté.
Article additionnel avant l'article 9
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - L'amendement COM-12 est particulièrement important puisqu'il comporte des dispositions dépassant le cadre du recul du trait de côte.
La première disposition en relève : une collectivité territoriale pourrait exercer son droit de préemption sur un bien menacé par le recul du trait de côte, afin de permettre au propriétaire d'y vivre ou d'y poursuivre son activité sans avoir à risquer son patrimoine ; mais dans certains cas, le déplacement du logement ou de l'activité sera inévitable. Mon amendement COM-12 ouvre la faculté de déroger, dans cette situation précise, à la « loi littoral » en autorisant le déplacement de l'activité ou des logements concernés à proximité du littoral. Ce dispositif serait très encadré ; il faudrait l'accord du préfet, l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et, enfin, un zonage spécifique dans les schémas de cohérence territoriale et plans locaux d'urbanisme. Ces documents pourraient être révisés par une procédure simplifiée. Il s'agit, certes, d'un aménagement à la « loi littoral », mais toutes les précautions sont prises pour éviter de défigurer nos magnifiques paysages littoraux.
L'amendement COM-12 autorise également - pour contenir certaines interprétations de la « loi littoral » - le comblement des « dents creuses », ces espaces non construits situés entre des parcelles bâties : mieux vaut densifier les hameaux ou villages existants que d'en créer de nouveaux. Le Sénat a déjà voté cette disposition à plusieurs reprises, notamment après la présentation, il y a trois ans, du rapport d'information de Jean Bizet et Odette Herviaux sur l'application de la « loi littoral ». Malheureusement, pour l'Assemblée nationale, toute adaptation de cette loi, fût-ce à la marge, est un chiffon rouge.
Enfin, l'amendement COM-12 autorise la construction d'annexes de taille limitée tout en interdisant leur changement d'affectation. Cette disposition est inspirée d'une mesure du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Il peut s'agir d'un petit pavillon à côté d'une piscine, d'un abri de jardin. J'en appelle à la solidarité de la montagne...
M. Jean-Pierre Vial . - Vous pouvez pleinement compter sur elle, d'autant qu'elle est également concernée par la « loi littoral », puisque les espaces qui bordent les lacs de montagne en relèvent. Il demeure un conflit non résolu entre la « loi littoral » et la « loi montagne ». En 2006, un décret avait apporté une solution, mais nous sommes revenus en arrière. Je suis d'autant plus sensible à ce que vous avez dit concernant les annexes : en montagne, le relief permet aisément de les dissimuler dans le paysage.
La « loi littoral » concerne également les territoires de montagne pour les infrastructures routières. J'ai souvenir d'un amendement déposé par le Gouvernement parce qu'une disposition de la « loi littoral » interdisant la construction de routes à moins de 1 500 mètres du littoral empêchait la réalisation d'un ouvrage justement destiné à remplacer une route longeant un lac de montagne...
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mais les lacs de montagne ne sont guère concernés par le recul du trait de côte...
Mme Catherine Tasca . - Comment s'applique la législation sur les petites annexes hors espace de montagne et littoral ?
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Il est possible de définir dans le plan local d'urbanisme de zones où l'on peut construire de très petites annexes - des baraques de jardin par exemple. On pourrait envisager des adaptations de ces dispositions, très encadrées, dans le contexte littoral.
Mme Marie Mercier . - La définition du caractère « limité » des annexes est subjective. Le plafond de 19,9 mètres carrés sera-t-il appliqué ?
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Dans le droit commun, les constructions d'une superficie inférieure à 20 mètres carrés échappent en effet au permis de construire. La limite de superficie des annexes serait établie par voie réglementaire ; il est probable que cette référence soit retenue.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - C'est en effet le cas dans la configuration que j'ai évoquée.
M. François Pillet . - Les collectivités et établissements publics de bord de mer ont-ils alimenté une réserve foncière, en dehors des emprises du Conservatoire du littoral, pour faciliter, par exemple, la réimplantation de bâtiments menacés ?
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Des groupements d'intérêt public (GIP) travaillent en ce sens, notamment en Gironde. Dans d'autres zones, ce travail est effectué par le Conservatoire du littoral ou par des établissements publics fonciers.
M. René Vandierendonck . - Dans la Somme, l'établissement public foncier local réalise des acquisitions au-delà du périmètre de préemption du Conservatoire du littoral. Notre collègue Jérôme Bignon s'est rendu célèbre dans cet exercice.
L'amendement COM-12 est adopté.
Article 10
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-13 vise à supprimer l'article 10 qui interdirait aux personnes publiques d'aliéner les biens de leur domaine privé situés dans une ZART. Pour protéger l'acheteur contre les turpitudes de la personne publique, on impose une limitation excessive, qui serait probablement jugée anticonstitutionnelle.
M. François Pillet . - Évidemment !
L'amendement COM-13 est adopté.
Article 12
Les amendements rédactionnels COM-14 et COM-15 sont adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-16 équilibre la relation contractuelle en étendant au preneur l'interdiction faite au bailleur de résilier unilatéralement un bail réel immobilier littoral (BRILi).
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-17 précise les obligations du bailleur lorsqu'il contracte un BRILi.
L'amendement COM-17 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-18 clarifie la rédaction de l'Assemblée nationale.
L'amendement COM-18 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-19 confie aux parties, et non à la loi, le soin de fixer le prix de cession des bâtiments construits par le preneur à l'échéance du BRILi.
L'amendement COM-19 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-20 supprime une mention qui pourrait donner l'impression que la fixation du loyer échappe à la règle constitutionnelle empêchant les personnes publiques de consentir à des libéralités.
L'amendement COM-20 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Le preneur pourrait, en application du nouvel article L. 567-20 du code de l'environnement, céder son droit au bail ou l'apporter en société après simple information du bailleur. Toutefois, lorsque cette opération ne porte que sur une partie de l'immeuble, elle ne pourrait avoir lieu qu'aux conditions agréées par le bailleur, rendant plus contraignante la cession sur une partie de l'immeuble que sur l'ensemble de l'immeuble.
Mon amendement COM-21 simplifie cette disposition et subordonne la cession du droit au bail à l'accord du bailleur, que la cession porte sur une partie ou la totalité du bien. En effet, la substitution de preneur est suffisamment importante pour que l'accord du bailleur soit requis.
L'amendement COM-21 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-22 supprime, en attente d'éclaircissements, une procédure d'indemnisation introduite par le texte et qui entre en conflit avec la procédure d'annulation du contrat.
L'amendement COM-22 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-23 supprime une disposition redondante et contradictoire.
L'amendement COM-23 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis . - Il me reste à vous demander de me donner mandat pour déposer des amendements de coordination en séance publique ou redéposer des amendements qui n'auraient pas été adoptés par la commission au fond.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - La commission des lois vous confie ce mandat.