C. EST-CE AU MAEDI D'ASSUMER LE RISQUE DE CHANGE ?

1. Un programme 105 dépendant de données structurelles non pilotables
a) La coexistence de chronologies internationales distinctes nuit à la programmation budgétaire annuelle

La volonté de réformer le système de prévision budgétaire se heurte au calendrier budgétaire des opérations de maintien de la paix qui n'est connu que le 30 juin de chaque année. La conciliation de quatre chronologies distinctes rend d'ailleurs l'exercice particulièrement difficile. Il s'agit de faire coïncider :

- les sessions de l'Assemblée générale de l'ONU,

- la temporalité du budget de l'ONU, c'est-à-dire l'annuité,

- les budgets des opérations de maintien de la paix qui peuvent avoir des renouvellements bisannuels, comme c'est le cas de la force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP),

- la période de validité du barème définissant le calcul des dotations françaises, soit 2016-2018.

À ceci, il faudrait encore ajouter la période de programmation des lois de finances publiques, soit 2015-2017 pour la période en cours. La programmation budgétaire nationale est donc potentiellement bouleversée par la redéfinition du barème des contributions françaises mais aussi par les décisions de renouvellement ou non en cours d'année des OMP, et par le vote du budget de l'ONU.

b) Le risque constant de l'insuffisance de « basage budgétaire initial »

La part des dépenses réalisées en dollar et en devises étrangères dans les dépenses est telle que l'équilibre du programme 105 dépend très largement des hypothèses économiques retenues lors des arbitrages budgétaires initiaux et notamment de la parité euro-dollar .

Les mouvements budgétaires infra-annuels rendus nécessaires pour faire face à la sous-budgétisation initiale du programme 105 ont été largement mobilisés de 2006 à 2011, qu'il s'agisse de la loi de finances rectificative, du dégel de la réserve de précaution, de l'utilisation de décret d'avance, du redéploiement de crédits du programme 105, etc. Selon le rapport de la Cour des Comptes d'octobre 2015, ils se sont élevés à 162,4 millions d'euros en 2006, 238,5 millions d'euros en 2008, avant d'entamer, à partir de 2009, leur décroissance avec 123,62 millions d'euros en 2009 puis 107 millions d'euros en 2011.

Les mesures de rebasage se sont succédées à hauteur de 60 millions d'euros en 2007, 40 millions d'euros en 2008, 41,2 millions d'euros en 2010 et 107 millions d'euros en 2011.

Depuis 2011, la programmation budgétaire s'était révélée adaptée aux besoins, jusqu'en 2015. Mais en 2015, l'écart entre la parité euro-dollar prévue en loi de finances initiale et la parité réellement observée au cours de l'année a induit une insuffisance de crédits estimés par la Cour des Comptes à 200 millions d'euros, dont 149 millions d'euros non couverts par la réserve de précaution . Ceci annonçait le retour de mouvements budgétaires infra-annuels et l'ouverture de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative pour 2015 à hauteur de 94,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 95 millions d'euros en crédits de paiement 43 ( * ) .

Lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2016, l'euro valait 1,10 dollar alors que les hypothèses de construction du cadrage triennal, définies par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), retenaient un niveau de l'euro de 1,36 dollar . Selon un rapport de la Cour des Comptes 44 ( * ) , une dépréciation de 10 centimes sur le taux de l'euro par rapport au dollar induit un renchérissement de 40 millions d'euros pour les contributions internationales .

Dans la loi de finances initiale pour 2016, des dispositions ont été prises pour rétablir la sincérité budgétaire , et le budget a été abondé de près de 150 millions d'euros pour maintenir la valeur réelle, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, des dépenses faites en devises.

Dans la loi de finances initiale pour 2017, la diminution des contributions obligatoires de la France paraît compenser l'effet de la dépréciation de l'euro par rapport au dollar .

Vos rapporteurs pour avis rappellent que la fixation de la parité euro-dollar dans les hypothèses de construction budgétaire ne dépend pas du MAEDI qui au contraire la subit lorsqu'elle est erronée. Ils seront particulièrement attentifs lors de la discussion de la prochaine loi de programmation des finances publiques à l'introduction d'un mécanisme d'ajustement des crédits libellés en devises étrangères en cas de variations trop importantes entre la parité initialement définie et la parité constatée entre l'euro et les monnaies étrangères (essentiellement le dollar) . L'application de ce mécanisme reposerait sur le ministère de l'économie et des finances auquel il appartient de veiller à ce type d'ajustement économique.

2. La question de la couverture du risque de change
a) Une nécessité encore parfois sous-estimée ?

Traditionnellement, les dépenses en devises étrangères du Quai d'Orsay ne faisaient pas l'objet d'une couverture du risque de change. On a longtemps considéré que les cas dans lesquels le risque de change était favorable compensaient ceux dans lesquels le risque de change était défavorable. Toutefois en période de contrainte budgétaire accrue telle que nous la connaissons aujourd'hui, il ne paraît pas de bonne gestion de ne pas couvrir le risque de change. Rappelons que lors de la vente du campus universitaire de Kuala Lumpur, l'effondrement de la monnaie malaisienne de 30 % en 2 jours a conduit à une perte au change supérieure à 20 millions d'euros . Cette perte au change a été intégralement supportée par le ministère des affaires étrangères qui n'a pas pu produire au ministère de l'économie et des finances un compromis de vente signé 45 ( * ) , dans la mesure où il n'existe pas en droit anglo-saxon.

Cette répartition des responsabilités d'une perte au change sur la base du droit français de la vente de biens, inapplicable dans les pays de droit anglo-saxon, paraît extrêmement contestable à vos rapporteurs pour avis. Il leur paraît souhaitable qu'une telle situation, si elle devait se reproduire, ce qui au vu de cette expérience précitée ne semble pas envisageable, donne lieu, à l'avenir, au minimum, à un partage des pertes entre les ministères, voire un endossement complet par le ministère de l'économie et des finances qui n'aurait pas mis en place, alors que cela relève clairement de sa compétence, la couverture du risque de change. La diminution de recettes de la cession du campus de Kuala Lumpur a eu pour répercussion immédiate la diminution des droits de tirage sur le compte d'affectation spéciale pour investir dans l'entretien lourd ou l'acquisition de biens immobiliers du MAEDI situés à l'étranger.

De la même façon, le paiement par anticipation de certains appels de fonds en période de dépréciation de l'euro doit être systématiquement envisagé. Le MAEDI souhaitait, alors que le taux de change amorçait une pente défavorable, profiter de la réserve de précaution non utilisée à la fin de 2014 pour régler cinq appels à contributions d'opérations de maintien de la paix, normalement payables au début de l'année 2015. Selon la Cour des Comptes, la décision de la direction du budget de ne pas suivre cette procédure a conduit à devoir payer un surcoût net de 5,5 millions d'euros en 2015 . Vos rapporteurs pour avis estiment donc indispensable que le paiement par anticipation soit privilégié dans ce type de circonstances et lorsque la réserve de précaution le permet. Dans le cas contraire, il serait souhaitable et normal que les surcoûts éventuels soient supportés par le ministère de l'économie et des finances et non par le MAEDI .

Dans ce domaine, une professionnalisation de la gestion des contributions internationales et une meilleure collaboration entre les ministère des affaires étrangères et ministère de l'économie seraient grandement profitables.

b) Une amélioration du mécanisme de couverture du risque de change à poursuivre

Une convention pour la couverture du risque de change a été signée le 5 juillet 2006 entre le ministère des affaires étrangères et l'agence France Trésor. Elle est supposée permettre de couvrir le décalage dans le temps entre le vote des crédits budgétaires et le versement des contributions libellées en devises étrangères, donc le décalage à court terme. Toutefois, cette convention a des limites interprétatives selon lesquelles elle ne peut être mise en oeuvre que si le taux de change est égal ou supérieur au taux de référence retenu dans le projet de loi. Il en résulte qu'elle ne peut éviter les pertes au change, selon l'analyse de la Cour des Comptes présentée en annexe du présent rapport.

La lettre plafond signée le 25 juillet 2016 par le Premier ministre prévoit que : « Pour ses dépenses en devises concernant les contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, le MAEDI pourra mettre en oeuvre une couverture, dès juillet 2016, permettant de maîtriser le risque de change et le coût financier de ces opérations, dans le cadre de la convention avec l'Agence France Trésor (AFT). Les ordres d'achat devront être réalisés dans la limite de 80 % de ce plafond de crédits à un taux supérieur ou égal au taux de budgétisation ou à un taux conjointement agréé par le ministère chargé du budget et le Quai d'Orsay au moment de l'opération. Une couverture pourra être opérée sur d'autres devises que le dollar si le risque de change le justifie ». La possibilité ainsi laissée d'accepter des ordres d'achat réalisés à un taux conjointement agréé par le ministère du budget et le Quai d'Orsay -soit un taux différent du taux de budgétisation- au moment de l'opération semble répondre aux remarques de la Cour des Comptes.

Au moment de la conclusion des négociations budgétaires, le cours du dollar était légèrement supérieur au taux de budgétisation. Le ministère a procédé à un ordre d'achat à terme (OAT) de 500 millions de dollars et de 39 millions de francs suisses en août 2016 , permettant de sécuriser 78,6 % de la prévision de dépenses en devises en 2017 . Cinq OAT ont été passés, en août 2016, à un taux supérieur au taux de budgétisation (fixé à 1,10 pour 2017). Ils permettent d'engendrer, selon les informations transmises par le ministère, sur 2017, une économie de 10,97 millions d'euros sur les CI-OMP en dollar américain au regard du taux de budgétisation.

Vos rapporteurs pour avis regrettent que le rapport prévu par l'article 129 la loi de finances 2016 46 ( * ) ne leur ait pas été transmis à ce jour . Il est évident que la couverture du risque de change dépasse largement le champ des contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix, ce qui rend d'autant plus indispensable et urgent la mise en place des mécanismes nécessaires à la gestion et à la professionnalisation de la gestion des risques de change . Le ministère de l'économie doit soutenir la démarche du MAEDI dans ce domaine. Celui-ci ne saurait être, en effet, seul décisionnaire et seul responsable dans ce secteur qui ne relève pas exclusivement de sa compétence .


* 43 Pour permettre le règlement d'appels à contribution relatifs aux opérations de maintien de la paix.

* 44 « Les contributions internationales de la France 2007 2014 », octobre 2015.

* 45 À partir du moment où un compromis de vente est signé une perte au change n'est plus supportée par le ministère des affaires étrangères mais par le ministère de l'économie et des finances.

* 46 Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport établissant un bilan de l'utilisation du mécanisme d'achat à terme de devises utilisé depuis 2006 et un bilan du recours à la réserve de précaution pour couvrir les risques de change auxquels sont exposés les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Ce rapport examine également l'opportunité d'introduire un mécanisme budgétaire automatique et pérenne de couverture de ces risques de change.

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