EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 26 NOVEMBRE 2014
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis . - Je voudrais tout d'abord saluer le travail accompli par notre précédent rapporteur pour avis, Catherine Tasca.
Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, on pourrait croire que le budget de la justice est relativement préservé, puisqu'il progresse de 1,7 %. Toutefois, cette croissance profite exclusivement aux crédits dédiés à l'administration pénitentiaire.
Ceux dévolus aux juridictions régressent de 1 %, pour la première fois depuis les années 2000. Il en va de même pour les crédits relatifs à l'accès au droit.
Cette baisse est d'autant plus inquiétante que la programmation triennale prévoit une contraction du budget de 0,36 %. C'est la fin de l'état de grâce dont a profité, jusqu'à présent, la justice judiciaire. Celle-ci est soumise, comme les autres programmes, à la rigueur budgétaire. L'effet s'en fera inévitablement sentir sur le fonctionnement des juridictions.
C'est le premier point que je voudrais signaler : des auditions que j'ai conduites comme du déplacement que j'ai effectué à la cour d'appel de Lyon, je retiens le constat d'une tension dans les juridictions.
Cette tension est avant une tension sur les effectifs.
Le présent projet de budget est construit sur un paradoxe : le schéma d'emploi augmente d'un emploi, mais la dotation budgétaire diminue de 26 millions d'euros. L'explication ne peut en être trouvée dans une modification de la structure des emplois, puisque, au contraire, des emplois de catégorie C, moins rémunérés, sont remplacés par des emplois de catégorie A ou B.
En fait, le ministère de la justice entend mettre un terme au surdimensionnement du schéma d'emploi par rapport aux emplois réellement pourvus. En cinq ans, nous sommes passés d'une consommation du plafond d'emploi de 100 % à une consommation de 97,5 %.
Ceci a amené ces dernières années le ministère de la justice à transformer les ETPT non pourvus en emplois de vacataires ou de contractuels. Ainsi en 2012, 244 des 562 ETPT non consommés ont été utilisés à cette fin, ce qui représente plus de 10 millions d'euros.
Finalement, en diminuant la dotation budgétaire de 26 millions d'euros, le Gouvernement se privera de la possibilité de recourir aux vacataires. Or, les juridictions en ont réellement besoin.
En effet, elles connaissent un très important taux de vacances : en moyenne 5 % des postes de magistrats ne sont pas pourvus, et 7,6 % pour des postes de fonctionnaires.
Certes, le Gouvernement a fait d'importants efforts de recrutement. Mais ceux-ci ne seront pas à la hauteur des besoins : outre que tous les postes ouverts au concours n'ont pas été pourvus, nous arriverons, en 2015, 2016, 2017 et 2018 au plus haut niveau des départs à la retraite. Ainsi, plus de 300 magistrats partiront à la retraite en 2017 et 700 fonctionnaires, ce qui absorbera la totalité des sorties d'écoles.
Cette tension, perceptible dans les effectifs, l'est aussi entre eux. J'ai pu constater, lorsque j'ai travaillé avec Nicole Borvo-Cohen Seat sur la réforme de la carte judiciaire, combien la solidarité traditionnelle qui unit les magistrats et les greffiers avait compté pour garantir le bon fonctionnement des juridictions. Or, cette année, pour la première fois, j'ai observé de grandes tensions entre les greffiers et les magistrats. Pourtant, et c'est là un point positif, la garde des sceaux a tenu l'engagement qu'elle avait pris d'une revalorisation statutaire des personnels de greffe. Mais ceci n'a pas suffi : les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la réflexion sur la justice du XXI ème siècle ont laissé des traces. Les greffiers ont parfois mal ressenti les propos tenus par certains magistrats qui leur ont contesté la compétence suffisante pour les remplacer dans certaines tâches. La ministre de la justice devra apaiser ce conflit, car il est délétère pour le bon fonctionnement des juridictions.
Enfin, dernier point de tension dans les juridictions : les frais de justice. Il y a eu de notables progrès les deux années passées. Mais la situation risque à nouveau de se dégrader et les magistrats que j'ai interrogés m'ont confirmé qu'ils étaient obligés de différer à partir de juillet le paiement de nombreuses factures. J'ai le sentiment sur cette question d'un retour en arrière comme aux premières heures de la LOLF.
Au 31 juillet de cette année, la dotation « frais de justice » était consommé aux trois quarts, ce qui représente un rythme de consommation supérieur de 5 % à ce qu'il était l'année dernière. Les besoins réels, selon les services de la chancellerie seraient de 570 millions d'euros : le budget pour 2014 n'en a prévu que 455 millions, et l'enveloppe devrait être encore réduite l'an prochain : la sous-dotation potentielle est de 110 millions d'euros !
Le Gouvernement espère de substantielles économies grâce à une maîtrise des frais de justice. Il compte notamment économiser 30 millions grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires. Cette somme correspond aux frais de location du matériel d'interception : l'État se fournit aujourd'hui auprès d'opérateurs particuliers. Demain, les juridictions feront appel à la plateforme nationale. Toutefois, j'observe que le déploiement de cette plateforme a pris du retard.
D'une manière générale, l'expérience enseigne que la dépense des frais de justice est dynamique et que les économies sont toujours inférieures à ce qu'on en attend. L'enveloppe des frais de justice devra donc faire l'objet d'une attention vigilante l'an prochain.
La principale nouveauté en ce qui concerne le programme relatif à l'accès au droit est la mise en oeuvre de nouveaux financements de l'aide juridictionnelle, pour un rendement de 43 millions d'euros. Afin de respecter la consigne de ne pas créer de taxe nouvelle, le ministère de la justice propose d'augmenter trois taxes déjà existantes :
- celle sur les actes d'huissiers ;
- celle relative au droit fixe de procédure pénale, payée par les condamnés à un procès pénal ;
- celle sur les contrats de protection juridique.
L'essentiel de la ressource proviendrait de cette dernière taxe, puisque son rendement serait de 25 millions d'euros. La fédération française des sociétés d'assurances, comme le groupement des entreprises mutualistes, y sont farouchement opposées.
Pour une part, ces nouveaux financements compenseront les nouvelles dépenses créées par des lois récentes : assistance de l'avocat lors de l'audition libre ou lors des déferrements devant le parquet.
Le rapporteur général de la commission des finances a proposé de les supprimer et de rétablir la contribution pour l'aide juridique. Mais le Sénat ne l'a pas suivi.
Enfin, avant de conclure, je voudrais formuler trois observations.
La première a trait à la réforme de la justice engagée par la garde des sceaux, et désignée sous l'appellation « Justice du 21 e siècle ». Les premières concrétisations de cette réforme devraient advenir en 2015, avec le dépôt d'un projet de loi organique et d'un projet de loi ordinaire, la mise en place d'une première version d'un portail du justiciable et l'expérimentation de services universels d'accueil de greffe. Le Gouvernement a visiblement renoncé à l'idée d'un bouleversement immédiat de l'organisation judiciaire et s'est rangé à l'analyse que nous avions développée avec Virginie Klès d'une réforme pragmatique, étape par étape, qui privilégie le guichet universel de greffe et qui garantisse immédiatement un meilleur accès à la justice. Il y a tout lieu de s'en féliciter.
Ma deuxième observation concerne la façon dont les réformes sont conçues. J'ai été réservé sur la réforme relative à la contrainte pénale, parce que je craignais que les moyens ne suivent pas ou qu'ils soient retirés à d'autres secteurs pour combler les nouveaux besoins créés. Le présent budget en est une bonne illustration : l'administration pénitentiaire absorbe les marges de manoeuvres disponibles, au détriment du budget des services judiciaires. À privilégier certains maillons de la chaîne pénale par rapport à d'autres on court le risque d'en fragiliser l'ensemble. L'idéal serait de cesser de faire des réformes sans moyen. Mais, une fois votées, il incombe au Gouvernement de mobiliser les moyens nécessaires ou de les adapter : est-il raisonnable, comme le propose le présent texte, de reporter une nouvelle fois la collégialité de l'instruction et la suppression des juridictions de proximité ?
Enfin, ma dernière observation porte sur le lien entre la réforme territoriale et la réforme judiciaire. La loi MAPAM nous en fournit un exemple avec la création de la métropole de Lyon. Actuellement, le département du Rhône est divisé en deux ressorts judiciaires : le nord dépend du TGI de Villefranche-sur-Saône, le sud du TGI de Lyon. La création de la métropole, le 1er janvier prochain, va bouleverser la donne, puisqu'elle se substituera au département et aux communes sur l'ensemble de son territoire. Les juridictions s'interrogent sur les évolutions possibles, mais la Chancellerie ne semble pas avoir encore tranché.
En conclusion, vous l'aurez compris, dans un contexte budgétaire très difficile, les crédits dévolus aux juridictions restent relativement préservés. Toutefois certains suscitent de légitimes inquiétudes, dont la ministre me semble consciente. Je vous propose de donner un avis favorable, mais vigilant, à l'adoption des crédits de ce budget.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit au sein de la mission « justice ».