N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2015 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 2

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

PRESSE

Par M. Pierre LAURENT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. David Assouline, Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Claude Carle, Mme Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, Colette Mélot, M. Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Joseph Castelli, François Commeinhes, René Danesi, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Jacques-Bernard Magner, Christian Manable, Philippe Marini, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Cyril Pellevat, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 2234, 2260 à 2267 et T.A. 420

Sénat : 107 et 108 à 114 (2014-2015)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La situation de la presse continue de se dégrader gravement. Sous l'emprise d'un double phénomène : l'éloignement des jeunes générations du média papier qui accélère le vieillissement du lectorat et l'accélération de la révolution numérique, les fondements du modèle économique de la presse papier sont inexorablement sapés.

La réduction des tirages et le maintien de coûts fixes élevés sont à l'origine d'un « effet de ciseaux » qui menace de disparition un nombre toujours plus important de publications. Face à cette crise, l'avenir de la presse n'est pas scellé, mais elle souffre d'un manque de moyens, d'investissements, de mutualisations pour réussir la transition nécessaire. L'enjeu est démocratique, culturel, industriel. C'est le droit à l'information qui est en cause.

Les quelques réussites concernent en fait un nombre limité de groupes ( Le Monde , Le Figaro , Les Échos ), qui ont en commun d'appartenir à des industriels ou des financiers qui recherchent au moins autant à renforcer leur influence qu'à rentabiliser leurs investissements. La diversité éditoriale n'en reste pas moins régulièrement amoindrie dans notre pays .

La réalité du secteur reste la très grande fragilité des titres, représentée par exemple par la situation toujours incertaine de Libération , de L'Humanité ou de titres de la presse quotidienne régionale ( Nice-Matin , Sud-Ouest / Midi Libre , La Marseillaise ...).

Par ailleurs, de nouvelles menaces apparaissent sur le front numérique avec l'arrivée de nouveaux acteurs comme le néerlandais Blendle qui propose d'acheter en ligne des articles à l'unité, ce qui remet en cause le modèle même d'une publication fondée sur le financement croisé des articles.

Plus que jamais, la presse a donc besoin d'aides publiques pour poursuivre sa transformation et trouver un nouveau modèle économique stable sachant que le numérique ne produit pas encore son équilibre et que le papier n'en a plus. L'industrie de la presse a besoin d'une politique cohérente et ambitieuse qui apporte des réponses durables aux principaux défis : le soutien à la diffusion, l'aide à la modernisation, la défense et la promotion du pluralisme et de la qualité de l'information.

Si cette politique publique est nécessaire, c'est d'abord parce que la presse n'est pas une marchandise. Elle est un rouage essentiel du fonctionnement de notre démocratie, ce qui justifierait pleinement la mise en place d'un plan de sauvegarde d'envergure. La remise à plat des aides directes à la presse reste à faire afin de favoriser véritablement les investissements et les mutualisations, ceci sans perdre de vue la nécessité de favoriser l'innovation technologique et le lancement de nouveaux titres.

Au lieu de cela, ce projet de budget - qui fait suite à la décevante remise à plat des aides à la presse l'année dernière - est marqué par un manque de perspective pour les principaux acteurs du secteur. La situation de Presstalis reste, par exemple, toujours incertaine. Il en est de même de La Poste qui s'interroge sur son rôle dans la distribution de la presse après l'arrivée à échéance de l'accord tripartite sur l'acheminement postal alors même qu'aucune nouvelle négociation n'a été initiée. Que penser, enfin, de la réforme de l'Agence France-Presse conduite sous la contrainte d'un contentieux de droit européen qui risque de fragiliser l'organisation même de l'Agence ?

Même si les crédits sont globalement maintenus et que des ajustements bienvenus sont opérés à la marge, votre rapporteur pour avis estime que les mesures proposées par ce budget 2015 ne permettent pas de préparer l'avenir de la presse de manière satisfaisante.

I. LA PRESSE FRANÇAISE : UNE CRISE STRUCTURELLE SUR FOND DE MUTATION INACHEVÉE

A. UN SECTEUR EN DÉPRESSION ÉCONOMIQUE PROFONDE

1. Une crise des ventes et du modèle économique qui se confirme d'année en année
a) L'érosion inexorable de la diffusion depuis 2009

La diffusion de l'ensemble des titres de presse, qui était stabilisée autour de 7 milliards d'exemplaires depuis près de vingt ans accuse, depuis 2009, une forte érosion due essentiellement à la chute de la diffusion de la presse gratuite d'annonces, pour se réduire à un peu moins de 5 milliards d'exemplaires pour l'année 2012 .

La diffusion de la seule presse payante poursuit quant à elle une lente érosion entamée en 2000. En 2012, le tirage de l'ensemble de la presse « éditeur » était de 5,06 milliards d'exemplaires, contre 5,21 en 2011 dont 3,97 milliards d'exemplaires diffusés en 2012 et 4,14 milliards diffusés en 2011.

En comparaison, les chiffres en 2000 étaient de 8,27 milliards d'exemplaires tirés et 7,02 milliards distribués. Aucun secteur de la presse payante n'est épargné par cette lente érosion du tirage .

La presse d'information générale et politique (nationale aussi bien que locale) accuse cependant une baisse moins sensible que l'ensemble : l'indice passe de 100 en 2000 à l'indice 81,5 en 2012 pour la presse nationale et à l'indice 83,1 pour la presse locale alors que l'indice d'ensemble tombe lui à 69,3 la même année.

La presse spécialisée grand public (indice 69,2 en 2012) accuse un recul proche de l'indice d'ensemble. La presse technique et professionnelle perd près de 45 points sur la décennie (indice 55,1 en 2012), effet de la concurrence des services de presse en ligne sur les volumes imprimés.

En 2012, l'ensemble de la presse nationale d'information générale et politique continue de perdre en volume diffusé (-3,9 % sur 2011) , malgré l'actualité politique intense.

La presse quotidienne nationale payante est à son plus bas niveau de diffusion annuelle en 2012 (362 millions d'exemplaires) depuis 1982. Cela représente sur le long terme une diminution de 43,7 %, ou encore une perte de 900 000 lecteurs a minima en moyenne entre les deux années de référence.

La presse quotidienne locale accuse depuis 2007 des résultats de diffusion nettement orientés à la baisse : -2,3 % et -2,1 % en 2011 et en 2012. Il s'agit en 2012 du plus mauvais résultat enregistré depuis 1982. La perte représente un volume quotidien plus conséquent que pour la presse nationale (1,2 million d'exemplaires ou de lecteurs perdus par jour en moyenne, en tenant compte de l'édition du 7 e jour).

La presse spécialisée grand public dans son ensemble est aussi en 2012 à son plus bas niveau enregistré depuis 1982. La perte est de -21,4 % en volume sur le long terme et de -30,7 % par rapport au point haut de l'année 2000. Les conséquences sur les circuits de distribution, principalement les kiosques mais aussi La Poste, sont considérables .

La presse technique professionnelle continue de perdre sur la diffusion papier (-3,7 % en 2011 et -7,9 % en 2012), une perte de 110 millions d'exemplaires entre 2000 et 2012.

b) Une baisse de l'ensemble des recettes des éditeurs

Le modèle économique de la presse est fondé sur quatre types de ressources issues de la vente au numéro, des abonnements, de la publicité et des annonces . En 2013, ces quatre postes de recettes traditionnelles des entreprises éditrices de journaux et de magazines ont connu une évolution négative par rapport à l'année précédente.

Les recettes de ventes au numéro et par abonnement sont en baisse de -5,32 %, et la situation est identique pour les recettes publicitaires, en baisse de -8,47 %.

Pour l'ensemble du secteur de la presse écrite la place de l'ensemble des ventes progresse, au détriment mécanique des recettes publicitaires et d'annonces .

Au sein des seules ventes, la part des ventes au numéro continue de diminuer très légèrement - de trois points sur vingt ans - tandis que la part des abonnements augmente plus fortement - treize points sur la même période - grâce en grande partie au développement de la distribution par portage au domicile des abonnés.

Source : Ministère de la culture et de la communication, réponse au questionnaire budgétaire

Pour l'ensemble de la presse nationale d'information politique et générale, des tendances similaires sont observées. La vente au numéro progresse sur la période. Les recettes publicitaires qui pesaient en 1990 plus de 50 % de l'ensemble représentent moins du tiers du chiffre d'affaires en 2013.

L'évolution la plus spectaculaire sur le long terme dans cette catégorie de presse concerne les recettes d'annonces tous types (commerciales, annonces judiciaires et légales (AJL), carnet, etc.). Elles ne représentent plus que 2 % des recettes en 2013 contre 19 % en 1990.

c) L'évolution toujours défavorable du marché publicitaire

En 2013, les recettes publicitaires nettes pour l'ensemble des médias s'élevaient à 13,3 milliards d'euros, soit une baisse de -3,3 % par rapport à 2012.

Au sein de ce marché en baisse, les seules hausses concernent les appareils connectés à Internet qu'il s'agisse du mobile qui enregistre une augmentation de ses investissements de 55 % ou de la recherche sur Internet qui capte des investissements en hausse de 4,7 %.

Tous les autres médias sont en baisse. Les investissements publicitaires de la télévision et de la radio sont toujours en baisse (respectivement -3,5 % et -0,4 % par rapport à 2012).

Enfin, le secteur de la presse est toujours en grande difficulté. Les investissements des annonceurs sur le média presse reculent chaque année depuis 2007, avec une baisse de -8,4 % en 2013. Pour la seconde année consécutive, la presse est dépassée par la télévision comme premier support investi par les annonceurs (3 219 millions d'euros pour la télévision contre 2 939 millions d'euros pour la presse) .

Répartition des recettes publicitaires par média

Média

2012
(en millions d'euros)

2013
(en millions d'euros)

Évolution
2012 / 2013

Télévision

3 337

3 219

-3,5 %

Cinéma

105

91

-13,3 %

Radio

739

736

-0,4 %

Presse

3 209

2 939

-8,4 %

Internet display

646

640

-1,0 %

Internet search

1 597

1 671

+4,7 %

Mobile

43

68

+55,0 %

Publicité extérieure

1 171

1 152

-1,7 %

Annuaires, courriers publicitaires, imprimés sans adresse

2 931

2 766

-5,6 %

Total

13 760

13 282

-3,6 %

Source : IREP, le marché publicitaire français 2013

La part de marché d'Internet est passée de 7 % en 2007 à 16 % en 2014. Cette évolution se fait aux dépens du secteur de la presse écrite, qui connaît l'évolution inverse, en perte de 8 points sur la même période. Entre 2012 et 2013, les recettes d'Internet apportent environ 2 points de croissance.

L'agence ZenithOptimedia prévoit une très légère hausse du marché publicitaire en 2014 (0,3 %), qui serait liée au contexte de reprise économique au niveau mondial. Cette progression devrait se confirmer sur les années 2015 (+0,7 %) et 2016 (+1,3 %). Selon ce cabinet, la presse devrait néanmoins poursuivre son déclin, avec une baisse prévue de 4,2 % en 2014, après un recul de 8,2 % en 2013.

2. Un système de distribution à la recherche d'un nouvel équilibre
a) Le retour de la vente au numéro

La diffusion de la presse s'effectue de trois manières distinctes : la vente en réseau, les services postaux et le portage pour les abonnés. Les modes de diffusion sont à distinguer d'un point de vue statistique des modes de distribution, qui sont la vente au numéro, la vente par abonnement et les services gratuits.

Si l'on tient compte de l'ensemble de la presse, en incluant la presse gratuite, le portage qui était le plus important mode de distribution en 2009 et en volume représentait près de la moitié de l'ensemble, a perdu depuis 2011 ce rang du fait de la disparition massive des titres gratuits d'annonces.

Depuis 2011, la vente au numéro s'impose à nouveau comme le premier mode de distribution pour la presse payante.

En matière de distribution de la presse écrite, que l'on considère les types des ventes (au numéro ou à l'abonnement) ou les modes de distribution (par portage, en réseau de vente ou par voie postale), la vente au numéro par les réseaux aujourd'hui diversifiés reste le principal mode de diffusion des titres pour l'ensemble de la presse payante.

La presse spécialisée technique et professionnelle se situe à l'écart du modèle de distribution de la presse payante. Dans ce segment de presse, l'abonnement est de loin la formule de vente la plus répandue (six exemplaires sur dix), alors que près du quart des exemplaires sont mis à disposition gratuitement. Avec moins de 4 % des exemplaires imprimés, la vente au numéro est donc un mode de diffusion marginal pour la distribution des titres techniques et professionnels.

La diffusion de la presse gratuite se fait presque exclusivement par portage, sous différents modes : dans les boîtes aux lettres des particuliers en province et dans les communes rurales, par points de distribution animés ou par simples conteneurs ou présentoirs dans les grandes agglomérations. Ce dernier mode, nettement moins coûteux, se développe fortement depuis quelques années dans les principales agglomérations du pays.

Du côté de la presse payante, le portage était en France une technique de distribution peu répandue, à l'exception des régions de l'est. La presse locale d'information générale et politique fait depuis plusieurs années un effort important pour développer ce mode de distribution, puisque 44,4 % des exemplaires diffusés sont acheminés par portage en 2012 .

Pour la presse nationale d'information générale et politique, la part du portage dans la diffusion progresse mais reste nettement inférieure (17,5 %) .

Utilisation du portage en 2012

(en millions d'exemplaires et en %)

Diffusion par portage

Part sur le total annuel diffusé

Dont Quotidiens

Part sur le total annuel diffusé

Information générale et politique nationale

101

17,5 %

92

25,4 %

Information générale et politique locale

852

44,4 %

846

48,1 %

Presse gratuite d'information

654

96,7 %

544

99,1 %

Presse spécialisée grand public

26

1,9 %

2

1,6 %

Presse spécialisée technique et professionnelle

2

1,8 %

0

0,0 %

Presse gratuite d'annonces

209

93,2 %

0

0,0 %

Ensemble

1 844

37,9 %

1 484

52,4 %

Dont presse payante

981

24,7 %

Dont presse gratuite

863

98,0 %

Source : Enquête presse - DGMIC

Le volume d'ensemble des exemplaires diffusés est en recul considérable sur les seize dernières années (-30,6 % entre 1995 et 2012). Cette baisse est la conséquence des évolutions depuis 2008 de la presse gratuite d'annonces (-87,5 % du volume sur la période 1995-2012). La répartition entre les modes de diffusion sur ces seize années d'observations s'était modifiée au détriment de la diffusion au numéro et en faveur du portage mais la quasi-disparition de la presse gratuite d'annonces bouleverse à nouveau le paysage.

De ce fait, les évolutions sont de moindre amplitude si l'on n'observe que la seule presse payante (-24 % entre 1995 et 2011) mais restent tout de même significatives.

Aujourd'hui, le premier des modes de diffusion de la presse n'est donc plus le portage, mais de nouveau la vente en kiosque .

Le développement du portage devrait se poursuivre, grâce à la volonté des éditeurs de quotidiens de province, aux synergies qu'ils tentent de mettre en place avec les titres nationaux, soutenus en cela par les mesures d'aides prises par les pouvoirs publics, malgré la forte diminution du volume diffusé des titres gratuits d'annonces.

Répartition de la diffusion par mode

Ensemble de la presse (y compris presse gratuite)

1 - En valeur

(en millions d'exemplaires et en pourcentage)

1992

1995

2000

2005

2009

2010

2011

2012

Variation 92/12

Réseau de vente

3 307

3 109

2 966

2 500

2 153

2 019

1 978

1 871

-43,4 %

La poste

1 535

1 529

1 466

1 399

1 326

1 267

1 223

1 153

-24,9 %

Portage

2 207

2 381

2 591

3 123

2 956

2 684

1 891

1 844

-16,4 %

Total

7 049

7 019

7 023

7 022

6 435

5 970

5 092

4 868

-30,9 %

Source : Enquête annuelle de la DGMIC

2 - En proportion de l'ensemble

(en pourcentage)

1992

1995

2000

2005

2009

2010

2011

2012

Réseau de vente

46,9

44,3

42,2

35,6

33,0

33,8

38,8

38,4

La poste

21,8

21,8

20,9

19,9

20,6

21,2

24,0

23,7

Portage

31,3

33,9

36,9

44,5

45,9

45,0

37,1

37,9

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source : Enquête annuelle de la DGMIC

b) La situation toujours fragile de Presstalis

Malgré le soutien des pouvoirs publics, la situation de Presstalis reste problématique en raison, en particulier, d'une baisse de la diffusion plus prononcée que ne l'anticipait le rapport Mettling 1 ( * ) et de l'accélération depuis 2010 du départ de magazines vers les Messageries lyonnaises de presse (MLP).

Face à Presstalis, acteur dominant du marché de la distribution de la presse en France, les MLP ont développé leur activité sur des publications à périodicité lente et à fort prix de vente, mais elles cherchent à étendre leurs activités à la distribution d'hebdomadaires, voire de quotidiens.

Cette situation a engendré la perte de 15 % de son chiffre d'affaires pour Presstalis et a mis en péril la réussite du plan stratégique.

Par ailleurs, le plan de redressement de Presstalis mis en oeuvre était en retrait des préconisations du rapport Mettling, qui proposait avant tout la fermeture de la filiale SPPS (société presse Paris services), source de la majorité des surcoûts. La grève de décembre 2010 des SPPS interrompant pendant trois semaines la distribution des quotidiens à Paris et en Ile-de-France a eu raison de cette proposition.

Le plan Mettling

Presstalis étant en 2010 au bord de la cessation de paiement, le Gouvernement a chargé M. Bruno Mettling d'une mission relative à la situation de Presstalis. Sur la base de ses recommandations, un accord cadre du 26 mai 2010 a été adopté entre les éditeurs et le groupe Lagardère sous l'égide des pouvoirs publics.

Cet accord comprenait des mesures d'urgence financière, essentiellement le versement d'une aide exceptionnelle de l'État de 20 millions d'euros et la majoration de l'aide à la distribution de 11 à 18 millions d'euros. Il comprenait également des mesures plus structurelles : augmentation de capital par les éditeurs à hauteur de 1 % du chiffre d'affaires et revalorisation des barèmes et refinancement à hauteur de 46 millions d'euros de Presstalis par Largardère et sortie du capital de l'entreprise.

Sur ces bases, Presstalis a annoncé un plan d'urgence en juin 2010 axé sur deux principales réformes tirées du rapport Mettling : une réforme industrielle portant sur la rationalisation des centres de groupage de niveau 1 et la rationalisation du niveau 2, en particulier SPPS et un plan social se traduisant par le départ d'environ 210 personnes.

Courant 2010, la réforme de la gouvernance de Presstalis s'est mise en place, conformément aux préconisations du rapport Mettling avec la constitution des deux coopératives d'éditeurs.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

En 2011, dans un contexte de nouvelle accélération de la baisse de la vente au numéro et de concurrence accrue avec les MLP pour la distribution des magazines, la situation de la société Presstalis s'est à nouveau trouvée très dégradée.

Après que les éditeurs associés à Presstalis ont écarté, suite à une réflexion conjointe avec la presse quotidienne régionale, la possibilité d'une mutualisation des réseaux de distribution de la presse quotidienne nationale et de la presse quotidienne régionale, Presstalis a entrepris d'élaborer un nouveau modèle économique et un plan de développement succédant à Défi 2010. Le conseil d'administration de Presstalis a ainsi adopté, le 24 novembre 2011, un plan de restructuration visant à rétablir l'équilibre financier du groupe à l'horizon 2015 avec de lourdes conséquences en matière de suppression d'emplois.

Toutefois, en raison des difficultés rencontrées pour le financement de ce plan, la société a demandé au tribunal de commerce de Paris la désignation d'un mandataire ad hoc afin de l'accompagner, conformément aux dispositions de l'article L. 611-3 du code de commerce.

Un premier accord cadre d'objectifs, de méthode et de moyens pour la continuité d'exploitation du groupe Presstalis a été signé le 30 juillet 2012 entre l'État, Presstalis et ses coopératives d'éditeurs. Cet accord porte sur la phase 2012-2013 du plan de restructuration de Presstalis. Un second accord cadre pour la continuité d'exploitation du groupe Presstalis dans une nouvelle organisation industrielle des messageries de presse a été signé le 5 octobre 2012.

Les pouvoirs publics ont accompagné ce travail de réflexion du versement d'une nouvelle aide exceptionnelle de 15 millions d'euros, versée en deux temps : 5 millions d'euros en novembre 2012, puis 10 millions d'euros en juillet 2013.

Au vu de ces efforts et avancées, le président du tribunal de commerce de Paris a décidé, par une ordonnance du 31 décembre 2012, qu'il n'était pas nécessaire de prolonger la mission du mandataire ad hoc auprès de Presstalis, constatant que « les conditions de poursuite de l'exploitation de Presstalis (étaient) maintenant réunies » .

Toutefois, dès le mois de février 2013, face aux difficultés rencontrées par Presstalis dans la mise en oeuvre du volet social de son plan de restructuration, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et la ministre de la culture et de la communication ont confié à Raymond Redding une mission de médiation.

Cette médiation a permis d'aboutir à la signature, en mai 2013, d'accords sur l'accompagnement social des réformes du groupe Presstalis entre la direction de l'entreprise et les organisations syndicales, permettant dès lors le déploiement du plan de restructuration de la société.

Votre rapporteur pour avis, très attaché à la philosophie coopérative et solidaire de la loi Bichet, se réjouit que Presstalis soit désormais en mesure de maintenir son activité. Auditionnée par votre rapporteur pour avis, Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis, a considéré que « les réformes menées portent leurs fruits comme le montre l'équilibre d'exploitation atteint fin 2013 et l'amélioration de la situation qui devrait être constatée fin 2014 » .

Cette amélioration devrait pouvoir être confortée par les progrès de la mutualisation. Le décroisement des flux consécutif à la meilleure coordination des logisticiens devrait être effectif au premier trimestre 2015. Par ailleurs, le nouveau système d'information commun avec les MLP est en cours de réalisation. Le déploiement devrait être effectif en 2016 et il permettra alors à Presstalis de réaliser des économies de l'ordre de 10 millions d'euros.

Par ailleurs, Presstalis poursuit la mise en oeuvre de son plan de départs volontaires, qui concerne 900 salariés. Ce plan est aujourd'hui fragilisé par l'État, qui tarde à solder sa contribution, qui s'élève à 3,5 millions d'euros. Votre rapporteur pour avis estime essentiel que l'État assume bien ses engagements pour que puisse être menée à bien la dernière phase du plan social.

Pour l'avenir, Presstalis vise à concevoir un plan lui permettant de préserver son activité et un équilibre d'exploitation jusqu'en 2016/2017. Mais cette démarche dépend aussi de la capacité des MLP à s'inscrire dans une démarche industrielle commune. Cette situation illustre bien les contraintes qui pèsent sur l'opérateur historique et sa difficulté à déterminer seul son propre destin.

Votre rapporteur pour avis appelait l'année dernière de ses voeux « une refonte plus radicale du système de distribution » . Il considérait qu' « une telle réflexion ne (pouvait) guère attendre au risque que les salariés de Presstalis paient, à nouveau, le jour venu, le prix d'une réforme trop tardive » .

Votre rapporteur pour avis ne peut que réitérer cette année son appel à une réforme structurelle du système de distribution compte tenu de la difficulté qu'il y a à maintenir deux opérateurs sur un marché en régression brutale alors que la concurrence s'est déplacée vers le numérique. Il appelle le Gouvernement à réfléchir à une rationalisation du secteur à travers, par exemple, la création d'un « monopole régulé » qui permettrait de maximaliser les mutualisations, plutôt que de continuer à affaiblir les deux opérateurs en privilégiant des coopérations qui sont longues à négocier et encore plus difficiles à mettre en place comme le projet de mise en commun des moyens de transport. Par ailleurs, votre rapporteur pour avis ne peut que regretter que les deux grandes messageries n'hésitent pas à recourir à des pratiques déloyales en matière tarifaire, qui tirent encore un peu plus vers le bas les tarifs du secteur (« bonus de bienvenue » pour capter les clients du concurrent).

Votre rapporteur pour avis regrette, enfin, que la fragilisation des sociétés de messagerie obère leur capacité à prendre des initiatives dans le domaine de la distribution numérique. Les éditeurs n'ont pas réussi, jusqu'à présent, à développer avec succès une plateforme commune comme le montrent les résultats limités du kiosque en ligne ePresse. Alors que Presstalis aurait pu constituer le partenaire naturel pour proposer une telle offre de service, c'est une start up néerlandaise, Blendle , qui prévoit de se lancer prochainement sur ce marché avec le risque de priver ainsi Presstalis d'un relais de croissance.

Blendle : le défi de la « délinéarisation » appliqué à la presse

Une jeune start up néerlandaise, Blendle , s'apprête à arriver en France avec un modèle d'agrégateur d'articles de presse conçu sur le principe d'un paiement à l'unité. Créée en avril dernier, cette société a déjà conquis 135 000 clients aux Pays-Bas et vient d'obtenir le soutien du New York Times et d'Axel Springer qui vont participer à son développement.

Ce nouveau modèle pourrait remettre en cause la logique même d'un titre de presse qui repose sur des financements croisés à l'intérieur d'une même publication. Comme la télévision, la presse va donc devoir affronter, à son tour, le défi de la « délinéarisation ».

c) Des détaillants en première ligne de la baisse des ventes

Votre rapporteur pour avis avait insisté l'année dernière sur le sort difficile des détaillants qui sont en première ligne de la révolution numérique puisqu'ils sont les premiers à constater la désaffection du public. Au fil des ans, le réseau s'est étiolé et la situation matérielle des points de vente restants s'est dégradée. Le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) estime ainsi qu' entre 2011 et 2015 les ventes par les détaillants de presse auront chuté de 25 % .

Votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer le fait que l'aide à la modernisation des points de vente (modernisation de l'espace de vente, du mobilier et de l'informatique) qui atteignait 10 millions d'euros de 2009 à 2011 ait été ramenée à 6 millions d'euros en 2012 puis 4 millions d'euros en 2013 et 2014 pour finalement représenter 3,8 millions d'euros en 2015 sans qu'une augmentation de la rémunération des diffuseurs soit intervenue.

Certes, cette aide avait une vocation temporaire dans l'attente d'une réforme du système de distribution qui devait aboutir notamment à une augmentation des rémunérations des diffuseurs. Or, alors que la baisse de l'aide a été engagée en 2012, la nouvelle grille de rémunération simplifiée fondée sur une revalorisation de la commission moyenne perçue par le diffuseur de presse sur ses ventes n'a été arrêtée par le CSMP que le 1 er juillet 2014. Par ailleurs, le calendrier d'application de la nouvelle grille de commissions comme les ressources nécessaires à cette augmentation restent à préciser.


* 1 Le rapport Mettling se fondait sur une diminution structurelle de la vente au numéro de 4,5 %, alors que la baisse a été de 10 % en 2010 et de 8 % en 2011.

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