N° 110

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 2015 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME VI

DÉFENSE :
PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES

Par M. Yves POZZO di BORGO et Mme Michelle DEMESSINE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Aymeri de Montesquiou, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 2234, 2260 à 2267 et T.A. 420

Sénat : 107 et 108 à 114 (2014-2015)

AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

« La préparation opérationnelle, c'est le gage de notre réactivité ; c'est l'assurance de la sécurité de notre personnel. [...]. Seul un niveau suffisant de préparation opérationnelle, d'entraînement, permet par exemple à des pilotes d'hélicoptère de poser leurs machines sur le pont d'envol d'un bateau de la marine, ou à un pilote de l'armée de l'air de poser son avion tactique sur un terrain de fortune. Il n'y a rien d'inné en la matière ; il n'y a que de l'acquis au fil du temps, lorsque les moyens sont suffisants pour le faire. »

Ainsi s'exprimait très justement le Général de Villiers, chef d'Etat-major des armées, devant notre commission le 22 octobre 2014. La préparation opérationnelle repose sur la disponibilité des matériels, donc sur leur entretien et maintenance, et sur l'entraînement des troupes. Tel est l'objet du programme 178 de la mission « Défense » qui concerne la préparation et l'emploi des forces.

Après des années de dépréciations constantes, critiquées tant par notre commission que par la Cour des comptes car ayant comme résultats une dégradation des indicateurs de disponibilité et d'entraînement, la loi de programmation militaire a fait de l'activité opérationnelle « un objectif prioritaire ».

De ce point de vue, l'évolution des crédits du programme 178 est conforme, dans le projet de loi de finances pour 2015, à la LPM.

Les autorisations d'engagement de l'ensemble du programme progressent de 18 %, à périmètre équivalent, et atteignent 8,9 milliards d'euros. Cette progression conséquente est tout à fait positive, même s'il faudra être attentif à ce que les crédits de paiement correspondants soient au rendez-vous dans les années à venir. Pour 2015, les crédits de paiement du programme augmente de 2 %, à 7,3 milliards.

Les crédits de paiement de l'entretien programmé du matériel (EPM), qui constitue un agrégat significatif pour le ministère de la défense en matière de maintien en condition opérationnelle, sont fixés à 3,2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015, ce qui représente une progression en pourcentage de 4,4 %. Cette évolution est globalement conforme à l'engagement inscrit dans la LPM : « les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur pour s'établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période. »

Pour autant, ces augmentations de crédits ne pourront suffire à elles seules à améliorer significativement les indicateurs d'activité qui pâtissent depuis tant d'années de retards et de décalages dans les programmes d'entretien. De ce fait, les armées ont engagé de nouvelles réformes de structures qui sont également essentielles pour le redressement effectif de la préparation opérationnelle.

Au-delà des chiffres bruts de la loi de finances, vos rapporteurs souhaitent souligner que, malgré les contraintes budgétaires récurrentes qui ont particulièrement pesé sur le maintien en condition opérationnelle, les armées ont pleinement réussi les opérations extérieures qui se sont multipliées ces dernières années, que ce soit au Mali, en République centrafricaine ou plus récemment en Irak.

Cependant, ces réussites ne doivent pas masquer l'impact important des Opex sur l'activité opérationnelle : les Opex peuvent fragiliser les missions intérieures des armées si leurs conséquences sur le maintien en condition opérationnelle ne sont pas pleinement intégrées. Les Opex sont naturellement prioritaires mais elles perturbent la préparation, la logistique ou l'entretien des matériels. Par exemple, l'usure des matériels au retour des théâtres africains est extrêmement élevée en raison des conditions abrasives du désert.

Vos rapporteurs saluent l'évolution positive des crédits du programme 178 mais resteront vigilants sur le niveau à venir des crédits de paiement et sur la juste prise en compte de l'impact des Opex sur les missions intérieures des armées, y compris sur le maintien en condition opérationnelle.

I. LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE : UN OBJECTIF PRIORITAIRE DANS LA LPM POUR 2014-2019

Le maintien en condition opérationnelle des matériels (MCO) est la condition de l'efficacité des armées mais aussi de leur sécurité . Or, force est de constater, à la suite des auditions menées par vos rapporteurs, que les précédentes lois de programmation militaire ont nettement sous-calibré les enveloppes financières nécessaires . D'ailleurs, les armées ont connu au début des années 2000 une crise de disponibilité des matériels, évidemment préjudiciable en termes d'objectifs et de respect des missions.

Selon le dernier rapport de la Cour des comptes 1 ( * ) qui fait autorité, le MCO qui regroupe l'ensemble des actions de maintenance préventive et curative a représenté 15 % du budget de la mission « Défense » en 2012, soit un peu plus de 6 milliards d'euros . Il a mobilisé 45 000 agents du ministère. Son coût a augmenté de 22 % en euros constants depuis 2000, « sans que les problèmes d'insuffisance de disponibilité des matériels relevés à l'époque n'aient été résolus ».

Dans ce rapport, la Cour précise utilement que le MCO regroupe trois types de dépenses : l'entretien programmé des matériels (EPM) qui correspond aux achats de prestations et de pièces de rechange et qui est présenté sous forme d'agrégat dans les documents budgétaires ; la masse salariale de la main-d'oeuvre interne au ministère ; les dépenses d'investissement et d'entretien des infrastructures. L'EPM représente plus de la moitié des dépenses totales de MCO, la masse salariale environ 40 % et les dépenses d'investissement moins de 5 %. En 2015, le ministère engage une réforme de la gestion de la masse salariale qui se traduit par un regroupement de l'ensemble des dépenses de titre 2 (dépenses de personnel) au sein du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». De ce fait, le programme 178 ne contient plus, en lui-même, de dépenses de personnel même si les gestionnaires de ce programme continuent de gérer les crédits au quotidien.

Alors que la disponibilité des matériels continue de connaître des difficultés importantes, la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019 a pris acte de la nécessité de faire de l'activité opérationnelle un « objectif prioritaire » . Il s'agit notamment de produire « un effort financier important au service d'une préparation opérationnelle renouvelée ».

Extrait du rapport annexé à la loi de programmation militaire 2014-2019

« 3. La préparation opérationnelle

3.1. L'activité opérationnelle : un objectif prioritaire de la loi de programmation militaire

L'activité opérationnelle des forces revêt une importance prioritaire car elle garantit la qualité, la motivation et l'attractivité de l'armée professionnelle. Elle est une dimension à part entière de la crédibilité du nouveau modèle d'armée et l'une des clés de son efficacité. Elle comprend, d'une part, l'activité conduite en opérations et, d'autre part, la préparation opérationnelle nécessaire à la qualification des forces. La préparation opérationnelle est évaluée par comparaison avec des normes qui traduisent les besoins de régularité des actions d'entraînement ; elle est par ailleurs complétée par le recours à des moyens de simulation. Les normes d'entraînement des armées françaises sont cohérentes avec celles de l'OTAN, qui sont à la fois une référence et une exigence pour l'intégration des moyens nationaux dans ce cadre, bien qu'elles soient loin d'être toujours effectivement respectées par les pays membres, en raison le plus souvent des diminutions budgétaires récentes.

Des indicateurs qualitatifs complètent le suivi des objectifs quantitatifs pour permettre aux chefs d'état-major d'armées de mesurer le niveau d'entraînement (1) .

Normes annuelles d'activité (hors simulation) :

Terre :

- journées de préparation opérationnelle (hors opérations extérieures et intérieures) : 90 jours ;

- heures de vol par pilote d'hélicoptère : 180 heures.

Marine :

- jours de mer par bâtiment (bâtiments hauturiers) : 100 jours (110 jours) ;

- heures de vol par pilote de chasse : 180 heures ;

(pilotes qualifiés à l'appontage de nuit : 220 heures) ;

- heures de vol par équipage de patrouille maritime : 350 heures ;

- heures de vol par pilote d'hélicoptère : 220 heures.

Air :

- heures de vol par pilote de chasse : 180 heures ;

- heures de vol par pilote de transport : 400 heures ;

- heures de vol par pilote d'hélicoptère : 200 heures.

3.2. Un effort financier important au service d'une préparation opérationnelle renouvelée

L'activité opérationnelle a connu une évolution à la baisse dans la période récente, s'inscrivant désormais sous les normes reconnues. Elle résulte de la dynamique des coûts d'entretien à la hausse, sous-tendue par le vieillissement des parcs, l'arrivée de matériels de nouvelle génération au coût d'entretien plus élevé et une hausse du coût des facteurs de production plus rapide que l'inflation. Cette baisse est aggravée par la dégradation des stocks de pièces de rechange dans lesquels les armées ont puisé depuis plusieurs années et dont l'effet est désormais sensible.

L'inversion de cette tendance est une priorité forte de cette loi de programmation militaire. A cette fin, celle-ci marque un effort financier important dans ce domaine. Les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur pour s'établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période.

(1) Les journées de préparation opérationnelles de l'armée de terre s'ajoutent à la participation aux opérations, alors que, dans tous les autres cas, les normes d'activité intègrent à la fois le besoin en entraînement et la part d'activité opérationnelle prévisible.

L'effet de cet effort financier sera renforcé par l'application du principe de différenciation à l'activité et à l'entraînement, qui doit permettre à chacune des armées de tirer le meilleur parti de leurs ressources en distinguant :

- un ensemble de forces de coercition apte à s'engager dans les trois milieux terrestre, naval et aérien sous faible préavis contre un adversaire du meilleur niveau, ce qui suppose un entraînement spécifique à l'aide des équipements de premier rang ;

- des forces à même de prendre part à des opérations de gestion de crise dans la durée, dont l'entraînement, au-delà d'un socle commun, est ciblé et modulé en fonction de la variété des missions.

Pour favoriser l'entraînement, il conviendra de s'appuyer à la fois sur des équipements au coût d'entretien moindre, à l'instar des avions de formation des pilotes de chasse ou des hélicoptères Gazelle, et sur des moyens de simulation.

Sur la période 2014-2015, cet effort permettra de contenir les effets d'inertie liés à l'insuffisance des stocks, de commencer à les reconstituer et d'obtenir une stabilisation globale de l'activité à un niveau comparable à celui de 2013 (15 % environ en deçà des normes).

L'effet attendu de la mise en oeuvre du nouveau modèle d'armée et des réformes qui seront engagées dans le domaine du soutien, conjugué à l'effort financier consenti sur la période, doit permettre au niveau d'activité d'atteindre les normes mentionnées au paragraphe 3.1 à partir de 2016, au fur et à mesure de la réalisation du nouveau modèle.

3.3. Les espaces d'entraînement

La préparation opérationnelle doit pouvoir s'appuyer sur des espaces d'entraînement et des infrastructures adaptées. Elle doit tenir compte de la montée en puissance de la réglementation nationale et européenne relative à la protection de l'environnement.

Les camps d'entraînement représentent un ensemble d'espaces dédiés à la manoeuvre, au tir et à l'aguerrissement. La rationalisation et l'amélioration des espaces d'entraînement s'appuieront sur des modalités nouvelles de soutien, intégrant en permanence les problématiques de prévention, de maîtrise des risques et d'environnement durable. La préservation de ces espaces, outils majeurs de préparation opérationnelle ouverts aussi à nos alliés, conditionne la capacité d'engager des forces entraînées et aptes à remplir leurs missions.

L'entraînement aéromaritime est caractérisé par le besoin de grands espaces aériens et maritimes, mais aussi, dans les mêmes zones, de volumes sous la mer, notamment pour l'immersion de sonars, de sous-marins ou de bouées acoustiques. Les zones d'exercices, Atlantique et Méditerranée principalement, satisfont les besoins, mais l'arrivée des armements nouveaux, notamment les missiles de croisière, nécessitera de nouvelles zones adaptées pour les tirs d'entraînement.

La robustesse du dispositif de l'armée de l'air repose sur un réseau de bases aériennes et d'espaces d'entraînement qui intègre à la fois les contraintes environnementales et les exigences particulières du milieu aérospatial. La répartition harmonieuse des zones d'entraînement et des champs de tir air-sol sur le territoire s'avère indispensable. »


* 1 « Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre », rapport public thématique, septembre 2014.

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