4. Le bilan plutôt positif d'une HADOPI en sursis
Au terme de sa deuxième année d'activité effective, le rôle de régulateur, de veille et d'expertise dévolu à la Haute Autorité peut désormais être évalué.
a) La réponse graduée : un impact pédagogique
La mise en oeuvre du dispositif de réponse graduée assurée par la Commission de protection des droits (CPD) de l'HADOPI s'est principalement orientée vers une démarche pédagogique à l'égard des internautes . Il s'agit davantage de conduire les internautes à modifier leur comportement que de les sanctionner pénalement.
Rappelons que la réponse graduée repose sur la contravention de négligence caractérisée, prévue à l'article L. 335-5 du code de la propriété intellectuelle. Elle est punie d'une amende de 1 500 euros pour les personnes physiques et de 7 500 euros pour les personnes morales, assortie d'une peine complémentaire de suspension de la connexion internet d'un mois maximum.
Les faits de contrefaçon sur les réseaux de pair à pair doivent d'abord être constatés par les ayants droit par l'intermédiaire de leurs agents assermentés. Ils le sont sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurisation par le titulaire de l'abonnement de son accès à internet.
La CPD est saisie de 68 000 constats/jour par les cinq représentants des ayants droit qui disposent chacun d'une autorisation de 25 000 constats/jour. Il convient de relever qu'un constat transmis par les ayants droit ne signifie pas nécessairement un fait commis par un nouvel infracteur en raison du nombre important de doublons. La méconnaissance du fonctionnement des logiciels de mise en partage peut conduire, par exemple, à établir 70 constats pour une seule oeuvre puisque seul le fait de mettre à disposition est sanctionné. La commission est chargée d'envoyer par la voie électronique un message aux titulaires d'un abonnement à internet en cas d'utilisation de cet accès pour télécharger ou mettre à disposition une oeuvre protégée afin de leur rappeler leur obligation de surveillance de cet accès. Mais une seule recommandation est adressée pour plusieurs constats d'infraction à la loi.
Entre octobre 2010 et juillet 2012, 1,25 million de mails ont été envoyés au titre de ce premier avertissement .
D'après les services de l'HADOPI, le fait de recevoir un premier avertissement modifie le comportement des internautes contrevenants puisque 95 % d'entre eux ne font pas l'objet d'un autre avertissement . Cette statistique porte sur la période comprise entre octobre 2010 et décembre 2011.
En cas de renouvellement de l'infraction, dans un délai de six mois à compter de l'envoi de la première recommandation, un deuxième avertissement est adressé par la voie électronique et assorti de l'envoi d'une lettre recommandée. Pour la période précitée, plus de 110 000 lettres recommandées ont été envoyées. L'envoi de la deuxième recommandation amène souvent les abonnés à prendre contact avec les services de l'HADOPI, essentiellement pour connaître le contenu des oeuvres incriminées. A cette occasion, une information sur les moyens techniques de sécurisation de l'accès internet est délivrée, du fait le plus souvent d'une méconnaissance du fonctionnement des logiciels de pair à pair .
A la suite de ces avertissements, 37 % déclarent avoir cessé de télécharger, ce qui montre une certaine efficacité du rappel à la loi.
En cas de manquement réitéré à ces obligations, qui fait suite à l'envoi des deux recommandations, la CPD peut saisir le procureur de la République au titre de la contravention de cinquième classe de négligence caractérisée.
La troisième phase de procédure a porté sur l'examen de 340 dossiers au 30 juin 2012 . Avertis de l'éventualité d'une poursuite pénale suite à un nouveau manquement constaté, tous les abonnés concernés ont été convoqués par la Haute autorité et un contact a pu être établi avec 75 % d'entre eux. Cette procédure d'échanges entre l'HADOPI et les abonnés doit les conduire à modifier leur comportement.
En dernier recours, seuls 14 dossiers ont été transmis au procureur de la République, la majorité des dossiers examinés ayant fait l'objet d'une délibération de « non-transmission » par la Commission de protection des droits en l'absence de réitération des faits reprochés . Le titulaire de l'abonnement a alors fait l'objet de poursuite sur le fondement de la contravention de négligence caractérisée.
La première condamnation a été prononcée par le tribunal de police de Belfort le 13 septembre 2012. Le titulaire de l'abonnement a été condamné à 150 euros d'amende pour « défaut de sécurisation de son accès Internet ».
Certes, seuls les échanges de pair à pair sont concernés et des stratégies de contournement sont utilisées par des internautes, au profit de sites de téléchargement direct ou de streaming . Votre rapporteur pour avis souligne néanmoins l'importance de l'action pédagogique , dont l'efficacité paraît renforcée par une certaine « peur du gendarme ».
La mission confiée à Pierre Lescure, concernant l'acte II de l'exception culturelle face aux enjeux du numérique, devrait proposer d'améliorer un dispositif dont le législateur savait qu'il ne serait sans doute pas gravé dans le marbre mais dont les objectifs ont été partiellement remplis. Ainsi, outre le renforcement de l'offre légale, de nouvelles propositions sont avancées pour se substituer à l'actuelle sanction de suspension de l'accès à Internet, par exemple une amende ou un déréférencement de liens donnant accès à des contenus illégaux , chez les hébergeurs, moteurs de recherche, annonceurs, opérateurs de paiement à distance...
Votre rapporteur pour avis considère que le dispositif peut sans doute être amélioré sur certains points, mais il appelle à la vigilance : attention de ne pas « jeter le bébé - c'est-à-dire le respect du droit d'auteur - avec l'eau du bain » !
De nombreux autres pays 7 ( * ) mettent en oeuvre des dispositifs de lutte contre la consommation illégale de biens culturels. Ainsi, par exemple, au Japon , une loi vient d'entrer en vigueur le 1er octobre 2012. Elle rend passibles d'une amende pouvant atteindre 2 millions de yens (20 000 euros) et d'un maximum de deux ans de prison, les internautes téléchargeant illégalement des fichiers.
b) Le développement de l'offre légale
Le législateur a aussi confié à l'HADOPI une mission d'encouragement au développement de l'offre légale. Elle comporte trois axes : l'attribution du label pour proposer aux internautes une offre diversifiée, la poursuite des travaux engagés pour le portail de référencement et le développement de la musique en ligne.
? La procédure de labellisation
Même si la politique d'offre légale relève d'abord des ayants droits, l'HADOPI a mis en place une procédure de labellisation qui permet d'identifier le caractère légal d'un site.
Au 30 juin 2012, 59 plateformes avaient été labellisées contre 20 un an auparavant. Elles couvrent une grande diversité de secteurs culturels, de modes de diffusion, de modalités d'accès et d'accessibilité. Tous les modèles de diffusion et d'accès aux contenus sont désormais présents. Cette montée en puissance devrait se poursuivre avec un objectif de 70 plateformes labellisées à la fin 2012 et une centaine fin 2013.
Depuis 2008, le CNC oeuvre également au développement de l'offre légale par le biais d'un soutien sélectif à l'exploitation en vidéo à la demande (VàD). Le secteur de la VàD compte près de 70 plateformes légales mais seules 8 sont estampillées du label PUR. Ainsi, il semble y avoir des réticences à solliciter le label délivré par l'HADOPI en raison d'un impact positif non avéré.
Se pose donc la nécessité d'améliorer la visibilité et la valeur ajoutée du label HADOPI , tout en simplifiant la procédure d'obtention et de renouvellement. En décembre 2011, selon une étude réalisée par Opinion Way, le label PUR n'était connu que de 11 % des internautes sondés et seuls 5 % savaient exactement de quoi il s'agit. Neuf internautes sur dix n'avaient jamais entendu parler de ce label.
? Un portail de référencement
L'HADOPI a également développé un portail de référencement des offres légales labellisées : le site informatif www.pur.fr . Son objectif est de permettre aux internautes d'identifier formellement l'offre légale, sachant que cette identification n'est pas toujours évidente, l'offre payante n'étant pas forcément garante d'offre licite.
Le portail de référencement ne reçoit en moyenne que 9 109 visites mensuelles, qui transitent pour la plupart par le site de l'HADOPI, alors que celui-ci enregistre 46 965 connexions par mois.
Des réserves ont été émises sur la mise en place d'un portail de référencement piloté par les pouvoirs publics des offres légales labellisées par l'HADOPI. Ce sont, en effet, des initiatives privées qui s'inscrivent dans un environnement concurrentiel.
Une réflexion s'est engagée sur l'amélioration de la visibilité des catalogues des opérateurs privés sur internet. L'offre légale devrait pouvoir être mieux identifiée dans les moteurs de recherche. En outre, alors que l'HADOPI a mis en place un portail généraliste, des plateformes spécialisées sembleraient mieux répondre à la demande actuelle.
* 7 Voir l'annexe du présent rapport présentant une synthèse des comparaisons internationales dans le domaine de la lutte contre la consommation illégale de biens culturels.