IV. TIRER LES ENSEIGNEMENTS DE 2012 : COMMENT ABSORBER LES FUTURES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES ?
A. UNE SÉQUENCE ÉLECTORALE 2012 QUI A BEAUCOUP SOLLICITÉ LE RÉSEAU CONSULAIRE
1. Un dispositif d'ampleur inédite
Les Français établis hors de France participent à l'élection du Président de la République depuis l'adoption d'une loi organique en 1976 12 ( * ) . Néanmoins, 2012 a vu le processus électoral se densifier très largement avec l'organisation à l'étranger d'élections législatives, au sein de onze circonscriptions. Près de 1.100.000 étaient inscrits sur les listes électorales consulaires pour participer aux élections nationales en 2012 13 ( * ) .
Les modalités de vote offertes aux électeurs pour ces premières élections législatives ont été largement diversifiées pour permettre une participation la plus importante possible. Étaient ouverts le vote à l'urne, en personne ou par procuration, le vote par correspondance postale et le vote par Internet.
Le premier tour de scrutin a été avancé d'une semaine par rapport à la France, pour laisser à l'administration un délai suffisant d'acheminement du matériel électoral pour le deuxième tour de scrutin.
L'objectif qui a été fixé était l'expression du plus grand nombre de suffrages possible, dans le respect de la sincérité du scrutin.
La préparation et l'organisation de ces quatre tours de scrutin a représenté, pour la direction des français à l'étranger, comme pour le réseau consulaire, une charge de travail considérable et inédite en matière d'élections.
La DFAE a contribué en amont à l'élaboration de la norme juridique . Elle a ainsi pu alerter le Parlement sur les difficultés pressenties et a obtenu les aménagements qu'elle estimait nécessaires 14 ( * ) . Un an et demi en amont, il s'est ensuite agi de travailler avec les postes consulaires à un « toilettage » des listes électorales consulaires . Pour cela, le ministère a élaboré une méthodologie et refondu les outils informatiques (Registre, Electis et Recherche Multi-Critères) pour accompagner les postes dans ce travail. Localement, ceux-ci ont mis a contribution tous les réseaux à leur disposition (élus, consuls honoraires, chefs d'établissement, ilôtiers, Chefs de file des communautés françaises, etc.). Des dizaines de milliers d'électeurs dont on avait perdu la trace (figurant toujours sur la liste électorale, bien qu'ayant quitté la circonscription) ont été radiés, afin de diminuer le taux d'abstention, artificiellement gonflé par leur présence. Le consulat général de France à Londres, pour n'en citer qu'un, a procédé ainsi à 28.000 radiations.
A la veille d'une élection présidentielle, il est traditionnel de constater d'importants mouvements d'électeurs : plus de 200 000 nouvelles inscriptions sur la liste 2012 (contre 123 000 sur les listes 2009/2010 et 2011 cumulées) et 95 000 radiations (contre 63 000).
Dans les instructions qui leur ont été communiquées, il a été notamment demandé aux postes de « rapprocher l'urne de l'électeur », en déployant des efforts particuliers pour ouvrir de nouveaux sites de vote, là où existaient des foyers d'électeurs éloignés des capitales. De 570 bureaux en 2007, le maillage électoral est passé à 789 , dont 71 uniquement pour la circonscription consulaire de Genève. Pour chacun de ces bureaux, il a fallu aux postes recruter présidents, secrétaires et assesseurs (soit près de 3.200 volontaires), ceux-ci n'étant pas toujours désignés par les candidats. Enfin, le ministère a dû doter tous ces nouveaux bureaux d'urnes conformes , lorsqu'elles n'étaient pas disponibles sur place, de code électoraux et autres matériels. Ces dotations et mises à disposition de crédits exceptionnels « élections » ont nécessité une lourde organisation et la tenue d'une comptabilité, en plus de la passation et de l'exécution des marchés relatifs à l'envoi du matériel de vote et des convocations aux électeurs.
Les élections 2012 ont été également l'occasion de revoir la conception et l'ergonomie du portail internet de télé-administration mis à disposition des Français de l'étranger. GAEL (Guichet d'Administration Electronique), qui a fait place à MonConsulat.fr , plus convivial et doté de nouvelles fonctions. Il compte aujourd'hui 225.000 abonnés selon le ministère. On peut regretter que ce portail, qui permet aux Français de mettre à jour leurs coordonnées et leurs choix électoraux (vote par correspondance, vote en France ou à l'étranger...), n'ait pas été mis en ligne avant l'automne 2011. Il aurait probablement permis une meilleure mise à jour des listes électorales. Leur clôture intervenant le 31 décembre, la mise en activité du portail a été sans incidence.
Il a fallu constituer dans nos postes à l'étranger un réseau de près de 500 correspondants élections. Le ministère s'est livré, à leur intention, à une très vaste opération, mondiale, de formation et d'assistance. Pour préparer les postes, 32 sessions de formation régionale ont été organisées sur 6 mois, qui ont accueilli un total de 1639 agents et volontaires extérieurs, venus de 200 postes. La boîte générique « assistance-élections » a, des mois durant, mobilisé un agent presque à temps complet, tant les attentes des postes étaient grandes en matière d'assistance. Il nous faut néanmoins souligner les témoignages critiques de différents candidats aux élections législatives, qui n'ont pas constaté la même mobilisation dans les semaines précédant le scrutin.
Les élections étant une matière sujette à contentieux, la DFAE a très tôt travaillé à la mise en place, avec les autorités judiciaires , des canaux de communication rapides permettant de traiter toutes formes de recours, jusque et y compris, dans l'urgence, le jour même du scrutin. Le bureau des élections et tout le personnel de la DFAE s'est mobilisé, en plus de ses tâches de fonds et celles liées à l'organisation des scrutins, au traitement des recours que les électeurs formaient, auprès du tribunal d'instance, contre leur inscription ou leur radiation des listes électorales consulaires. Des centaines de situations particulières ont été examinées avec soin et ont fait l'objet d' avis motivés , permettant au juge de statuer.
En matière de communication avec les électeurs , le Département a choisi, pour ces deux consultations, de prendre à sa charge l'envoi des lettres d'information des électeurs, du matériel de vote et de la propagande des candidats. La préparation de ces scrutins a nécessité pas moins de sept envois à chacun des 1 100 000 électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires. La qualité des adresses des personnes inscrites au Registre a constitué à cet égard un enjeu majeur, qui conditionnait, non seulement la communication habituelle avec le corps électoral, mais également la réussite du vote à distance , pour lequel l'envoi des identifiants se faisait par courrier postal.
Il convient de s'interroger sur la pertinence du choix de centraliser les envois postaux. En effet, on a pu constater des difficultés importantes de respect des délais imposés par le calendrier électoral. Qu'il s'agisse de l'information électorale, de la propagande ou du matériel de vote à distance, trop de problèmes d'acheminement et de date de réception sont intervenus. La question du coût de tels envois doit également être posée, mise en rapport avec l'efficacité du dispositif mis en oeuvre.
La communication avec, ou à travers, les media n'a pas été négligée, avec des campagnes audiovisuelles sur TV5 Monde, France 24 et RFI et sur des sites internet tels que Le Figaro, Le Monde, Libération, Google et Facebook. Elle aurait pu être plus précoce et plus développée.
Enfin, un dispositif de permanence et d'assistance 24/24 a été mis en place à six reprises. Les deux premières permanences ont été tenues, sur une base combinant ressources DFAE et société de service, à l'occasion du test du vote électronique (février 2012). Les quatre suivantes, opérationnelles du samedi matin au lundi midi, ont été organisées pendant les deux tours de la présidentielle, puis les deux des législatives. Chacune de ces permanences a nécessité la mobilisation et la formation d'environ 125 volontaires, pris parmi les agents du MAE, pour un service nuit et jour d'environ 1200 heures-agent par tour de scrutin.
LE CAS PARTICULIER DU VOTE À L'URNE AU CANADA POUR L'ÉLECTION LÉGISLATIVE Les autorités canadiennes avaient exprimé de fortes réticences quant à l'organisation du scrutin législatif sur leur territoire tout en reconnaissant cependant qu'elles ne pouvaient s'y opposer dès lors que les bureaux de vote étaient installés dans des locaux diplomatiques et consulaires. De ce fait, les difficultés rencontrées au Canada n'ont donc concerné que les élections législatives de la circonscription consulaire de Montréal et, plus précisément, les 20 bureaux de vote mis en place pur l'élection présidentielle au lycée international de Stanislas. Dès connaissance de cette difficulté, tous les électeurs concernés ont été informés et ont été incités à prendre leur disposition pour voter par correspondance sous pli fermé ou par voie électronique (internet). Il a finalement été possible de contourner la difficulté en organisant 10 bureaux de vote au collège international Marie de France à Montréal, dispositif qui a été suffisant au regard du taux de participation. En effet, un contrat avait été passé entre notre Consulat général à Montréal et le Collège Marie de France assurant à ce dernier le statut de local consulaire pour les deux tours des élections législatives. |
2. Des coûts élevés
Le coût des élections s'élève au total à 20,1 M€ :
- dépenses communes aux deux élections : 8,2 M€.
- dépenses liées à l'élection présidentielle : 2,5M€
- dépenses liées aux élections législatives : 9,4 M€ (dont 3,6 M€ pour les frais de campagne, de propagande et de transport remboursés par le ministère de l'intérieur directement aux candidats).
Il faut cependant de relever que certaines dépenses restent en attente de stabilisation, tels que les frais d'envoi par valise des urnes, des affiches et des matériels électoraux. Par ailleurs, certains postes à l'étranger n'ont pas encore fait remonter toutes leurs demandes de crédits supplémentaires pour clore l'exercice « élections 2012 ».
En réponse au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs, l'administration fait observer que : « les premières estimations étaient pour les 4 tours de scrutin, de 21 M€. Il n'y a donc pas eu de dérapage. ». Pourtant, lors de l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2012, il y a un an, la même administration faisait état d'une prévision de dépenses de l'ordre de 17 M€, sensiblement inférieure.
Les élections présidentielles et législatives sont conjointement financées par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur selon la clef de répartition suivante :
- ministère des Affaires étrangères : les dépenses (récurrentes) relatives à la mise à jour des listes électorales consulaires, la communication aux électeurs.
- ministère de l'Intérieur : les dépenses relatives aux scrutins proprement dits (Bureaux de vote, mise sous pli et envoi du matériel électoral aux électeurs) ainsi que le remboursement des dépenses de campagne des candidats (3,6 M€).
Le Ministère de l'Intérieur a, à titre d'avance, participé aux dépenses à hauteur de 10 M€ :
* 1 M€ au titre du vote électronique (septembre 2011)
* 8 M€ dans le cadre d'un transfert en PLF 2012
* 1 M€ au titre du vote électronique (mai 2012).
Pour l'élection présidentielle, les coûts des bulletins de vote et des enveloppes électorales (fabrication et livraison au prestataire du ministère des affaires étrangères) ont été directement pris en charge par le ministère de l'intérieur. Pour les élections législatives, la ministère de l'Intérieur a pris en charge les enveloppes électorales (fabrication et livraison au prestataire du ministère des affaires étrangères), la fabrication et la livraison des bulletins étant de la responsabilité des candidats.
D'après les informations communiquées à vos rapporteurs, le ministère des Affaires étrangères va prochainement demander un remboursement complémentaire à hauteur 3,5 M€, correspondant notamment aux frais engagés pour les vacataires et pour des mises à niveau techniques..
3. Une participation décevante
Au bilan, le taux de participation de nos compatriotes vivant à l'étranger est très faible. Ce phénomène s'explique notamment par des conditions de vote plus difficiles qu'en France, les Français établis à l'étranger ne vivant pas tous à proximité des consulats où sont établis les bureaux de vote .
C'est pourquoi les possibilités de vote à distance avaient fait l'objet d'une attention particulière du législateur et des élus à l'Assemblée des Français de l'étranger.
Qu'il s'agisse des difficultés d'acheminement du matériel électoral dans des délais aussi courts, ou de la faiblesse des moyens mis à la disposition de la Direction des Français de l'étranger, il n'est pas possible de douter du caractère ardu de la tache assignée au ministère des Affaires étrangères.
Néanmoins, M. del Picchia, co-rapporteur, estime que plusieurs points semblent devoir faire l'objet d'une remise en question, et formule quatre remarques :
- est-il pertinent d'organiser deux élections nationales selon des modes de scrutin qui imposent deux tours ? Les députés des Français de l'étranger ne pourraient-ils pas être sélectionnés selon une méthode plus adaptée à la distance qui marque cette élection ?
- le mode de participation aux élections organisées à l'étranger est traditionnellement le vote par correspondance postale. Alors qu'il représente en moyenne 60% des votes aux élections à l'Assemblée des Français de l'étranger, il a représenté moins de 2% des votes aux élections législatives.
Les raisons de cette désaffection sont multiples, mais il convient avant tout de pointer l'obligation faite aux électeurs de s'inscrire avant le 1 er mars 2012 auprès de leur poste diplomatique ou consulaire. Cette obligation a été introduite par décret. Elle a soulevé un grand nombre de protestations de la part des élus à l'Assemblée des Français de l'étranger.
- il faut souligner que les modalités de cette inscription préalable ont été portées à la connaissance des électeurs par un courrier envoyé le 14 février 2012. Ce courrier a également été envoyé par courriel aux électeurs qui avaient fourni une adresse électronique, soit moins de la moitié du corps électoral. À peine plus de 70.000 personnes se sont inscrites dans les temps.
- enfin, les délais d'acheminement très contraint dans un calendrier chargé, ainsi que les aléas du courrier international, ne permettaient pas par ailleurs une participation satisfaisante. Il convient donc de s'interroger sur le coût de ce mode de participation et son efficacité, et par là-même sur son maintien en l'absence d'aménagements législatifs.
PARTICIPATION DES FRANÇAIS VIVANT À L'ÉTRANGER
En % des votants |
|
Présidentielle 1 er tour |
38,04% (409 398 votants) |
Présidentielle 2 ème tour |
42,09% (453 990 votants) |
Législatives 1 er tour |
20,9% (221 046 votants) |
Législatives 2 ème tour |
20,8% (219 803 votants) |
Source : Ministère des Affaires étrangères et européennes
* 12 Loi organique n°76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République.
* 13 Rapport du Directeur des Français de l'étranger et de l'administration consulaire - 2012, p.146 et s.
* 14 Ainsi en a-t-il été de l'anticipation du premier tour du scrutin pour l'élection législative