TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 27 avril 2011 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission procède à l' examen du rapport pour avis de Serge Larcher sur la proposition de loi n° 267 (2010-2011), relative aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

La commission examine ensuite le rapport pour avis de M. Serge Larcher sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, dans le texte adopté par la commission de l'économie le 13 avril.

M. Alain Vasselle . - Une question préalable : est-ce une règle définie par tous les groupes politiques du Sénat que de ne pas débattre au fond des propositions de lois en commission ? Le présent texte aura-t-il le même sort que le précédent ?

Mme Muguette Dini , présidente. - La règle définie par la Conférence des présidents veut que, lorsqu'une proposition de loi de l'opposition risque d'être rejetée en commission alors qu'elle doit être examinée en séance dans le cadre d'une « niche », on ne la rejette pas en commission afin que le débat s'ouvre sur le texte initial. Toutes les commissions respectent ce principe. Mais la présente proposition de loi est d'une autre nature : elle émane de l'Assemblée nationale ; elle a été votée à l'unanimité par les députés, puis par la commission de l'économie du Sénat ; enfin, c'est un rapport pour avis que Serge Larcher va nous présenter.

M. Serge Larcher , rapporteur pour avis. - La crise du logement que l'on connaît en métropole - ou plutôt, dirai-je, en France hexagonale - est encore plus aiguë en outre-mer, où elle présente des particularités qui nécessitent d'adapter les outils juridiques habituels. Il faut notamment prendre en compte les risques naturels, sismiques ou climatiques, et les contraintes topologiques, qui accroissent les coûts de construction ou de réhabilitation.

En outre, le foncier disponible et aménagé est rare et cher ; le comité de suivi de la mission commune d'information du Sénat sur la situation des Dom a d'ailleurs fait du foncier son thème de travail pour 2011. Le secteur du bâtiment est exposé aux surcoûts liés à l'éloignement des sources d'approvisionnement en matériaux, mais aussi à de fréquentes surchauffes qui créent une tension permanente sur les prix. Les difficultés budgétaires des collectivités territoriales les empêchent d'investir dans certains projets d'aménagement ou de construction d'équipements collectifs.

L'expansion urbaine, concentrée sur quelques communes et consécutive à la croissance démographique et à l'exode rural, a été plus rapide et plus brutale qu'en métropole, alors même que la question de la propriété foncière n'était pas réglée : la fin de l'esclavage, par exemple, n'a été que partiellement et tardivement prise en compte en termes de propriété ou d'attribution de terrains aux anciens esclaves ou descendants d'esclaves ; l'indivision est un mal endémique qui n'a jamais été traité par les autorités administratives.

Enfin il ne faut pas oublier que, pour des raisons historiques, l'Etat est le principal propriétaire foncier de nos départements, par son domaine public et son domaine privé. La zone des cinquante pas géométriques, créée sous l'Ancien régime pour protéger les rivages des Antilles, appartient au domaine public de l'Etat et comprend les terrains situés entre le bord de mer et une ligne fictive parallèle tracée à 81,2 mètres. Réminiscence du domaine royal, elle est aujourd'hui largement mitée par une urbanisation diffuse, que l'Etat n'a pas contrôlée et commence à peine à prendre vraiment en compte.

C'est pourquoi, au moment de l'exode rural, beaucoup d'habitants ont été amenés à construire des bâtiments, petits et précaires au début - des « cases » -, sur des terrains qui ne leur appartenaient pas et sur lesquels ils n'avaient aucun droit. Cette présence massive d'habitations construites sans droit ni titre est souvent ancienne et acceptée. Ces habitations sont parfois insalubres, mais pas toujours. Elles peuvent être construites sur un terrain public ou privé. Elles sont même quelques fois données en location, dans des conditions de bonne foi, voire soumises aux taxes foncières. Cette occupation sans droit ni titre se traduit par une déconnexion de fait entre le propriétaire du foncier et le propriétaire du bâtiment. Or cette habitation constitue le plus souvent le seul patrimoine de son propriétaire. On estime à 50 000 le nombre des ménages concernés dans les quatre Dom. Je vous renvoie aux rapports publiés en 2006 et en 2008 par notre ancien collègue Henri Torre.

Cette particularité juridique n'est pas sans lien avec le drame de l'insalubrité : la proportion de logements classés comme insalubres par l'Etat est d'environ 8 % en métropole et 26 % outre-mer ; la part de la population qui y vit à 3,25 % en métropole et 8,4 % outre-mer.

A ce sujet, Serge Letchimy, député et président du conseil régional de Martinique, a rendu au Gouvernement, en septembre 2009, un rapport qui fait référence. Il y précise que les services de l'Etat en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion dénombrent environ 50 000 logements insalubres abritant plus de 150 000 personnes. Rapporté à la population de métropole, ce pourcentage correspondrait à six millions de personnes ! Et c'est sans compter Mayotte ! Le même rapport fait un constat très critique de la dynamique de la politique de la ville, de l'échec des procédures de résorption de l'habitat insalubre en outre-mer et du déficit de gouvernance. Il pointe du doigt l'ignorance des spécificités sociales et culturelles qui rendent inapplicables et inopérants des dispositifs créés pour la métropole. A la suite de son rapport, Serge Letchimy a déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et qui vise à améliorer les outils législatifs de lutte contre l'insalubrité, en les adaptant notamment au cas des occupants de locaux sans droit ni titre.

La première section de la proposition de loi tend à favoriser le départ des occupants sans droit ni titre, en ouvrant la possibilité de leur attribuer une aide qui compense la perte de leur domicile. Plusieurs conditions restrictives sont énoncées : le départ doit être lié à la réalisation d'une opération d'aménagement rendant nécessaire la démolition des locaux, menée par une personne publique ou son concessionnaire, qui assume alors la charge de l'aide éventuelle ; ces locaux doivent être la résidence principale des occupants et l'occupation avoir été continue et paisible sur une période minimale de dix ans ; les occupants ne doivent pas avoir fait l'objet d'une procédure d'expulsion. Cette proposition de loi n'est donc pas faite pour régulariser une situation exorbitante du droit commun, mais pour la résoudre, de manière pragmatique, par le départ volontaire des occupants. Le barème de l'aide financière sera fixé par le Gouvernement, qui n'a pas encore mis à l'étude son montant ni l'opportunité de faire varier celui-ci selon les territoires. Enfin, des obligations de relogement ou d'hébergement d'urgence seront à la charge de la personne publique à l'initiative de l'opération d'aménagement.

Dans ce cadre général, l'article 1er concerne les personnes qui occupent dans le domaine d'une personne publique des locaux à usage d'habitation ou à usage professionnel ou commercial ; l'article 2 vise les occupants de terrains privés. L'article 3 permet d'attribuer une aide aux personnes qui ont construit un local à usage d'habitation et l'ont donné en location. Il arrive en effet que des gens, après plusieurs années, réussissent à se reloger dans de meilleures conditions et louent leur ancien logement édifié sans droit ni titre, souvent à des membres de leur famille. Le texte ne vise que ce cas de figure et pose plusieurs conditions, afin de ne pas ouvrir la porte aux marchands de sommeil qui sévissent également en outre-mer, et surtout en Guyane et à Mayotte, aux dépens d'étrangers en situation irrégulière. Les articles 4 et 5 précisent certaines modalités d'application.

L'article 6 permettra d'attribuer une aide au départ à ceux qui ont construit leur résidence principale dans une zone dangereuse en raison de risques naturels, ce qui est malheureusement fréquent dans nos territoires. Nombreux sont ceux qui, faute d'espace foncier, ont dû construire leur logement dans des ravines ou sur des pentes escarpées, sans que l'Etat intervienne pour faire respecter le principe de précaution. L'aide sera alors financée par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier.

La deuxième section adapte les mesures habituelles de police - arrêté d'insalubrité et arrêté de péril - aux situations d'occupation sans droit ni titre. L'article 7 organise la mesure statistique et le repérage des terrains et secteurs d'habitat informel ; le rapport Letchimy mettait clairement en avant l'absence de données fiables et exhaustives en la matière. L'article 8 permet au préfet de définir, dans les secteurs d'habitat informel identifiés à l'article précédent, des périmètres dans lesquels il pourra déclarer l'insalubrité de locaux désignés comme impropres à un usage d'habitation pour des raisons d'hygiène, de salubrité et de sécurité. Ces périmètres devront s'inscrire dans un projet global d'aménagement et le préfet pourra y prescrire des travaux de démolition ou d'amélioration. On pourra ainsi faire face à un problème que les procédures actuelles de résorption de l'habitat insalubre ne permettent pas de traiter, celui des quartiers où les immeubles ne sont pas tous insalubres.

Les articles 9 et 10 adaptent les procédures usuelles d'arrêté d'insalubrité pris par le préfet et d'arrêté de péril pris par le maire aux occupations sans droit ni titre. L'article 11 prévoit la transmission au procureur de la République et aux caisses d'allocations familiales des arrêtés pris en application des articles précédents. L'article 12 tire les conséquences sur le plan pénal, de la méconnaissance des mesures prises en application de ces articles. L'article 14 limite le champ d'application de cette section aux départements d'outre-mer et à Saint-Martin.

L'article 15 concerne Mayotte. Il permet à l'Etat de céder à titre gratuit des terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques aux collectivités territoriales, à leurs groupements et aux organismes de logement social, dans des quartiers délimités par le préfet où l'état des constructions justifie leur traitement par une opération publique. Il s'agit là aussi de résorber l'habitat informel et de faciliter la transmission de propriété aux opérateurs locaux d'aménagement.

L'article 16, qui concerne l'ensemble du territoire national, simplifie la procédure de l'état d'abandon manifeste, en s'inspirant de la procédure de carence dans des copropriétés fragiles. Il s'agit d'accélérer la prise en charge par la collectivité des locaux menaçant ruine et dangereux pour le voisinage.

Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par les députés avec le soutien du Gouvernement. La commission de l'économie, saisie au fond, a voté - là encore à l'unanimité - des amendements qui la rendent plus opérationnelle et plus sûre juridiquement. Plusieurs questions ont été soulevées au cours de ses débats, et d'abord celle du champ d'application de la loi : il était initialement prévu, pour des raisons de constitutionnalité, de rendre la première section applicable à tous les départements français, et la ministre Marie-Luce Penchard a abondé en ce sens lors de son audition. Si les occupations sans droit ni titre, continues et paisibles pendant au moins dix ans, sans procédure d'expulsion et dans des conditions de bonne foi, sont tout à fait exceptionnelles en métropole, la commission de l'économie a cependant souhaité restreindre le champ d'application de la mesure aux Dom et à Saint-Martin. Je comprends cette position et la crois fondée juridiquement.

Le débat porte en fait sur le sens de l'article 73 de la Constitution, qui prévoit que les lois et règlements « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des départements et régions d'outre-mer. Nous en avons parlé l'an dernier en Martinique, lors du référendum sur le passage au régime de l'article 74, qui ouvre la voie à des statuts dérogatoires. En l'espèce, la question du champ d'application ne me semble pas primordiale. L'important est de se donner les moyens de lutter contre l'habitat insalubre, donc d'adapter les procédures nationales.

On ne peut ignorer le cas des étrangers sans titre de séjour, en Guyane et à Mayotte surtout. La proposition de loi permet aux personnes publiques qui réalisent une opération d'aménagement de verser une aide à des occupants sans droit ni titre, y compris à des étrangers sans titre de séjour, nombreux dans ces deux départements et qui vivent le plus souvent dans des secteurs d'habitat informel et insalubre. La ministre de l'outre-mer a estimé que les préfets n'autoriseraient le versement d'une aide qu'aux seules personnes en situation régulière, mais c'était faire fi du droit : le texte ne le prévoit pas. Nous discuterons sans doute de ce sujet en séance ; il est difficile de trouver le juste équilibre car le dispositif doit rester opérationnel, mais il ne faut pas créer d'appel d'air. L'aide, dont le montant sera assez faible, ne sera versée que dans des cas spécifiques, sous une condition de résidence de dix ans ; et restera facultative. Peu d'étrangers en situation irrégulière y seront donc éligibles, moins encore devraient faire les démarches nécessaires pour en bénéficier.

Enfin, je signale à votre attention que l'article 13 de la proposition de loi prévoit la possibilité de créer des groupements d'intérêt public chargés des quartiers d'habitat dégradé. La commission de l'économie devrait proposer en séance la suppression de cet article rendu inutile par la proposition de loi de simplification du droit, définitivement adoptée par le Parlement et déférée au Conseil constitutionnel.

En conclusion, je remercie le bureau de la commission d'avoir organisé la semaine dernière une mission d'études en Martinique et en Guyane. Vous avez pu voir de vos yeux les quartiers dont je parlais : Trénelle ou Volga-Place à Fort-de-France, Mont Baduel ou Marine à Cayenne, ou encore la commune de Saint-Laurent-du-Maroni.

Sur le papier, cette proposition de loi peut surprendre car elle déroge au droit commun, mais celui-ci ne répond pas aux problèmes de nos départements, et notamment à l'occupation massive sans droit ni titre du domaine public ou privé. Elle constitue donc un outil à la disposition des opérateurs locaux pour lutter contre l'insalubrité et aménager ces quartiers, mais pour être efficace elle devra s'accompagner d'une politique du logement et de la ville ambitieuse. Quoi qu'il en soit, je vous propose de donner un avis favorable à l'ensemble de la proposition de loi dans le texte issu des travaux de la commission de l'économie et j'espère que notre commission sera elle aussi unanime.

Mme Muguette Dini , présidente . - Comme l'a dit Serge Larcher, plusieurs d'entre nous - dont Raymonde Le Texier, Jacky Le Menn et Alain Vasselle, ici présents, et moi-même - nous sommes rendus la semaine dernière en Martinique et en Guyane, et nous avons visité ces quartiers.

M. Alain Gournac . - Je félicite notre collègue de son exposé très clair, qui tient compte des réalités du terrain. L'occupation sans droit ni titre est fréquente en outre-mer, alors qu'elle est très rare en métropole.

Mais je m'inquiète d'un appel d'air qui favoriserait l'afflux d'étrangers en situation irrégulière. L'homme, quand il ne se sent pas bien chez lui, va voir ailleurs : c'est bien naturel. Mais il en résulte des problèmes terribles, par exemple à Mayotte où, malgré deux ou trois radars, les étrangers arrivent tout de même à bord d'embarcations de fortune...

Mme Gisèle Printz . - Les kwassa kwassa.

M. Alain Gournac . - Dans les quartiers évoqués par Serge Larcher, tous les logements ne sont pas insalubres : certains valent bien mieux que des « cabanes ». Ils sont parfois loués et sous-loués.

Mme Raymonde Le Texier . - Les objections d'Alain Gournac auraient pu me convaincre si je n'avais pas fait ce voyage en outre-mer la semaine dernière. A la Martinique, l'exode rural a été massif dans les années 50, suite au déclin de la culture de la canne à sucre supplantée par la betterave, et des milliers de familles se sont installées à la limite de Fort-de-France, au pied des collines. Elles ont construit des habitations faites de morceaux de tôle et de bois, remplacés plus tard par des parpaings ; des étages se sont ajoutés au fil des années. La densité de population y est devenue incroyable, alors qu'il n'y a aucun système d'assainissement ; pour parvenir jusqu'au sommet, la côte est très abrupte et des personnes âgées, là-haut, vivent prisonnières chez elles. Il suffirait d'un incendie pour que toutes les habitations brûlent, d'une tempête un peu forte pour qu'elles soient noyées ou qu'elles s'effondrent dans une coulée de boue, sans parler des risques sismiques. Il n'y a pas d'autre politique possible que de faire dans la dentelle et d'améliorer peu à peu la sécurité, le système d'assainissement, etc.

Aujourd'hui les gens qui vivent là appartiennent à la deuxième génération : ils sont nés dans ces maisons et tombent des nues lorsqu'on leur dit qu'ils n'ont aucun titre de propriété. Il est parfois indispensable de raser certaines maisons - ne serait-ce que pour tracer un chemin jusqu'au sommet -, mais il faut dédommager leurs habitants pour qu'ils ne se retrouvent pas sans rien. La collectivité procède intelligemment, par des mesures concrètes et je dis : chapeau !

Pour en venir à la question de l'immigration illégale, je ne connais pas Mayotte, mais en Guyane les frontières avec le Brésil et le Surinam sont incontrôlables et tandis qu'on s'occupe de reloger dix familles, cinquante autres arrivent : c'est le tonneau des Danaïdes. Mais ce n'est pas l'aide prévue par ce texte qui aggravera les choses : il ne s'agit que d'indemniser des gens pour des cabanes, et peut-être Alain Gournac a-t-il vu des villas, mais nous n'avons vu que des taudis...

N'oublions pas qu'il s'agit de départements français. Je voterai ce texte des deux mains.

M. Jacky Le Menn . - On ne peut qu'approuver les principes généraux de ce texte, que la commission de l'économie a enrichi. Il faut tenir compte des spécificités de la Guyane, où il existe une immigration sauvage, problème qu'il faut résoudre en particulier sous l'angle du logement. Les maires y sont directement confrontés, et doivent apporter des solutions d'urgence : je pense au maire de Saint-Laurent-du-Maroni ou à la maire de Cayenne. Ce texte fournit des outils qui permettront peut-être de faire avancer les choses. Si l'on ne fait rien, le problème ne fera que s'aggraver. Il faut faire preuve d'humanité, même pour les gens qui n'ont ni titre de propriété, ni titre de séjour.

M. Guy Fischer . - Nous soutiendrons nous aussi ce texte. En outre-mer, les problèmes que l'on rencontre en métropole se posent à la puissance dix. Je n'étais pas du voyage de la semaine dernière, mais je me souviens d'un voyage plus ancien : hélas, les réalités ont la peau dure. Cette proposition de loi est un petit pas dans le bon sens.

Mme Gélita Hoarau . - Je remercie Serge Larcher, dont l'exposé très clair a répondu à certaines de mes interrogations. Mais d'autres questions demeurent. Ce texte permettra que les plus défavorisés vivent dans des conditions plus humaines. Mais on ne résorbera l'habitat informel ou indigne qu'en construisant des logements sociaux - c'est la responsabilité de l'Etat - et en réglant définitivement la question de la propriété foncière. On ne peut qu'approuver l'introduction dans la loi Besson de la définition de l'habitat informel, afin de tenir compte des particularités des Dom.

Mais ce texte sera-t-il contraignant ? Les articles 1er, 2, 3 et 6 prévoient de verser des aides financières aux occupants sans droit ni titre qui remplissent certaines conditions, mais ces aides ne seront pas systématiques.

M. Serge Larcher , rapporteur pour avis . - Non, en effet, car elles ne doivent pas profiter aux marchands de sommeil : cela répond aux préoccupations d'Alain Gournac.

Mme Gélita Hoarau . - Mais il faudrait que les choses soient clarifiées, sinon on peut craindre des inégalités de traitement. L'arrêté interministériel fixera non les critères, mais le barème de l'aide.

L'article 6 prévoit que « le propriétaire foncier est tenu de prendre toutes mesures pour empêcher toute occupation future des terrains ainsi libérés. En cas de défaillance du propriétaire, le représentant de l'Etat dans le département procède d'office, après mise en demeure restée sans effet dans le délai fixé, aux mesures nécessaires aux frais du propriétaire ». Mais lorsque l'Etat et les collectivités ont été incapables d'empêcher l'occupation de zones à risque, comment les propriétaires privés pourraient-ils s'y prendre ? Il y a là un problème, même si je comprends que l'on ne veuille pas laisser impunie l'incitation à l'occupation sans titre.

A La Réunion, l'habitat informel est situé à 80 % dans le domaine privé et, avant toute opération d'aménagement, il faut régler le problème de l'absence de titre - par voie notariale en cas de succession, ou par la procédure d'acquisition.

Il est dommage de se passer des groupements d'intérêt public, qui pourraient mutualiser les moyens et coordonner les actions.

Oui, monsieur Gournac, il existe de belles cases, mais aussi énormément de paillottes. Dans deux communes de l'Ouest de la Réunion, des familles sont venues s'installer en face de la mairie avec leurs bébés... Il y a très peu d'étrangers en situation irrégulière à La Réunion, mais de plus en plus de Mahorais, et j'ai compris en me rendant à Mayotte qu'ils cherchaient chez nous à reconstituer leur habitat traditionnel : ils ont coutume de vivre en très larges communautés et construisent d'immenses bidonvilles.

Comment la loi sera-t-elle appliquée ? Les collectivités ont besoin de plus de moyens pour construire des réseaux d'assainissement, acheter des terrains et construire des logements. Je voterai ce texte qui constitue une première, mais je serai attentive à ses suites.

M. Alain Vasselle . - Peut-être ne me serais-je pas intéressé à ce texte si je ne m'étais pas rendu la semaine dernière en Guyane et à la Martinique. Je remercie Serge Larcher de son accueil très chaleureux. Nous avons observé des situations que nous n'imaginions pas. On paie aujourd'hui les négligences passées de l'Etat : il eût fallu régler dès les années 50 le problème de l'exode rural, comme en métropole où l'on a créé des sociétés d'aménagement et construit des centaines de milliers de logements.

Ce texte a un champ d'application très limité : il donne seulement aux aménageurs quelques moyens pour traiter le problème de l'habitat précaire et améliorer les conditions de vie des habitants. Mais il restera beaucoup à faire. L'Etat a transféré au début des années 80 ses compétences en matière d'urbanisme aux collectivités, mais celles-ci n'ont pas la maîtrise du foncier : l'habitat informel est très souvent situé sur le domaine public de l'Etat. Une action conjuguée est donc indispensable. De quels moyens les collectivités disposent-elles ? Se sont-elles toutes dotées de documents d'urbanisme ? Comment lutter contre l'afflux d'immigrants illégaux ? Les frontières entre la Guyane, le Brésil et le Surinam sont très difficiles à contrôler et les marchands de sommeil - quelle est au juste la définition juridique de cette expression ? - continueront à exploiter la situation. L'approche curative ne suffit pas : il faut une approche préventive.

On s'est posé la question de la constitutionnalité de mesures spécifiques à l'outre-mer. Nous verrons ce qu'en dit le Conseil constitutionnel. Avez-vous mené des consultations préalables ? En cas de censure, on se retrouvera à la case départ.

Serge Larcher a voulu nous convaincre que les aides proposées ne favoriseront pas l'immigration illégale, qu'il n'y aura pas d' « appel d'air ». Mais l'afflux est tel qu'il sera difficile de le maîtriser. Il faut résoudre ce problème, faute de quoi on dépensera beaucoup d'argent sans pour autant résorber l'habitat précaire.

M. Serge Larcher , rapporteur pour avis. - Je remercie ceux d'entre vous qui se sont rendus en Guyane et en Martinique la semaine dernière. L'auteur de cette proposition de loi, Serge Letchimy, est un ancien maire de Fort-de-France. C'est un praticien et il a voulu concevoir des outils pour résoudre les problèmes auxquels il avait été confronté. Jusqu'à présent, la commune a dû agir à la limite de la légalité : pour construire la route qui longe la ravine, il a fallu expulser des habitants et les indemniser. Le même problème se pose dans les autres Dom. Ce texte ne résoudra pas tout. Il faut une volonté politique : les maires doivent accepter de détruire des cases après avoir relogé leurs habitants. L'Etat doit aussi nous accompagner : j'ai rarement vu un préfet détruire de belles maisons secondaires installées dans la zone des cinquante pas géométriques ! Le seul qui a osé n'est pas resté longtemps... Or les gens ne comprendraient pas qu'on détruise leurs cases et pas les villas de la côte.

Il faut permettre aux gens de vivre dans des conditions dignes. Il y a urgence. Qu'arriverait-il à une vieille dame malade en haut de la colline ? Dans le quartier de Citron, on peut craindre un glissement de terrain - les risques sont parfaitement cartographiés, puisque toutes les communes de Martinique sont dotées d'un PLU et d'un plan de prévention des risques (PPR). Depuis le rapport d'Henri Torre, rien n'a changé.

Quant au risque d'appel d'air, il est faible, car les choses sont bien encadrées.

M. Alain Vasselle . - L'appel d'air viendrait des conditions d'arrivée des étrangers. On l'a bien vu en Guyane : les familles arrivent et s'installent où elles peuvent. Elles ne regardent pas les documents d'urbanisme avant d'assembler quelques planches vite coiffées d'un morceau de tôle.

M. Serge Larcher , rapporteur pour avis . - Le cas de la Guyane est difficile, mais il n'y pas d'appel d'air en Martinique. La détermination des élus est indispensable à la réussite de ce dispositif. On a des moyens juridiques, il faut aussi des moyens financiers et techniques.

La souplesse est nécessaire, car les élus ne peuvent cautionner certaines situations ou abus.

Il y a 11 000 logements sociaux en Guyane pour 13 000 demandes, et l'on n'en construit que quelques centaines par an. La défiscalisation du logement social, que certains n'envisagent que comme une niche fiscale, représente pour nous la possibilité financière de dynamiser la construction.

Mme Raymonde Le Texier . - Les observations d'Alain Vasselle sont pertinentes pour la Guyane. Ce séjour a été traumatisant, le passage ininterrompu en provenance du Surinam évoque immanquablement le tonneau des Danaïdes. Il faut nuancer selon qu'on est en Guyane, à Mayotte ou en Martinique.

M. Serge Larcher , rapporteur pour avis. - L'article 73 de la Constitution autorise bien les adaptations. Le revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA), que nous avons en Martinique, n'existe pas ici. Au demeurant, si le Sénat adopte ce texte à l'unanimité comme l'Assemblée nationale l'a fait, on voit mal qui pourrait saisir le Conseil constitutionnel.

Mme Muguette Dini , présidente. - Nous l'avons bien vu lors de notre séjour, on a affaire à trois situations. Il y a d'abord la Martinique, où vous nous avez si bien accueillis, et la Guadeloupe, deux îles, relativement isolées ; puis il y a la Guyane et Mayotte, où je ne vois pas bien comment empêcher les gens d'arriver ; enfin La Réunion, où les Mahorais, dont le niveau de vie est inférieur, posent un nouveau problème. Cette loi est une bonne loi ; elle ne règle pas tout, c'est un début, un élément du puzzle. Suivons-nous notre rapporteur pour avis, qui propose de reprendre le texte de l'Assemblée nationale tel que modifié par la commission de l'économie du Sénat ?

Le rapport pour avis est adopté.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page