V. UNE PRISE EN COMPTE INÉGALE DES DÉPENSES LOCALES INDUITES PAR L'ACTION DE L'ÉTAT

Votre rapporteur constate que l'effort financier de l'État ne couvre pas l'intégralité des charges supportées par les collectivités territoriales en raison de son action . En effet, non seulement les acteurs locaux ont eu à faire face aux dépenses provoquées par l'activité normative de l'État, celles-ci ayant longtemps été ignorées et mal évaluées par les services centraux, mais ils sont également confrontés à la multiplication des « transferts rampants ».

A. LA MULTIPLICATION DES « TRANSFERTS RAMPANTS » : LE CAS DES COMPÉTENCES EXERCÉES PAR LES MAIRES EN TANT QU'AGENTS DE L'ÉTAT

L'expression « transfert rampant » désigne les cas où les collectivités territoriales se sont vues confier ou déléguer l'exercice d'une compétence par l'État mais où, en l'absence de transfert formel de ladite compétence, elles ne sont pas juridiquement fondées à réclamer une compensation financière à ce dernier .

Votre rapporteur observe que ces « transferts rampants » tendent à devenir, pour le pouvoir central, une manière de se délester à peu de frais des compétences dont l'exercice ne présente, à ses yeux, qu'un intérêt limité au regard de leur coût.

La question de l'exercice par les maires, agents de l'État, de compétences qui n'ont pourtant pas formellement été transférées aux communes , est particulièrement emblématique de ce mouvement.

L'une des premières compétences à avoir fait l'effet d'un « transfert rampant » sous cette forme est la compétence relative à l'établissement des contraventions et au recouvrement direct des amendements forfaitaires dues sur la base de ces mêmes contraventions, et qui a été confiée aux agents de police municipale par la loi du 15 avril 1999 33 ( * ) . La seule compensation perçue pour l'exercice de cette compétence est très incomplète, puisqu'elle a trait aux seuls régisseurs des polices municipales : la loi de finances rectificative pour 2004 a en effet obligé les communes et les groupements de communes auprès desquels le préfet a créé une régie de recettes pour percevoir le produit de certaines conventions à verser, au nom et pour le compte de l'État, une indemnité de responsabilité aux régisseurs des polices municipales, afin notamment de compenser leurs charges de fonctionnement. Cette indemnité est remboursée par l'État, avec un montant minimal de 110 euros par régie. Le reste des dépenses exposées par les communes ou leurs groupements ne fait, quant à lui, l'objet d'aucun remboursement .

De la même manière, les maires exercent, au nom de l'État, une partie des compétences relatives à la délivrance de certains titres d'identité . En effet, les décrets n° 99-973 du 25 novembre 1999 et n° 2001-185 du 26 février 2001 ont chargé les communes de recueillir les demandes de cartes nationales d'identité et de passeports et d'en assurer la délivrance. L'instruction des dossiers (y compris la lutte contre la fraude documentaire) et la fabrication des titres restent, à l'inverse, dans le champ de compétence direct de l'État.

Or, s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, aux termes desquelles « aucune dépense à la charge de l'État ou d'un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements qu'en vertu de la loi », le Conseil d'État a jugé que non seulement le décret précité de 2001 était illégal 34 ( * ) , mais aussi que cette illégalité engageait la responsabilité pécuniaire de l'État 35 ( * ) , obligeant ce dernier à indemniser les communes requérantes.

Afin de clore ce contentieux, le Parlement a mis en place, dans la loi de finances rectificative pour 2008, un dispositif permettant à la fois de donner une base législative aux missions confiées aux communes et de leur attribuer une dotation exceptionnelle compensant leurs charges pour la délivrance de titres entre 2005 et 2008. Parallèlement, la même loi prévoyait, pour l'avenir, d'indemniser les communes accueillant, sur la base du volontariat, des stations d'enregistrement pour les demandes de passeports biométriques. Ceci étant, cette indemnisation est forfaitaire (5 000 euros par station) et n'est censée compenser que les seules demandes émanant de citoyens qui habitent à l'extérieur de la commune .

Ce dispositif a été validé par le Conseil constitutionnel dans une décision récente : saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, celui-ci a en effet considéré que « les compétences confiées aux maires au titre de la délivrance de cartes nationales d'identité et de passeports sont exercées au nom de l'État » et que, en conséquence, « le grief tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 72-2 de la Constitution [sur la compensation des charges transférées] qui ne sont relatives qu'aux compétences exercées par les collectivités territoriales » était inopérant 36 ( * ) . En d'autres termes, hors du cadre strict du transfert de compétences , une collectivité territoriale n'a pas la capacité de demander l'application des dispositions constitutionnelles qui lui garantissent « l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à [l']exercice [des compétences en cause] ».

Le Conseil d'État a, de même, estimé que, dans le silence de la loi , les communes exerçant des compétences sur délégation de l'État ne pouvaient prétendre à aucune indemnisation 37 ( * ) .

Décision « Commune de Versailles » rendue par le Conseil d'État le 22 octobre 2010 (extraits)

Dans la décision « Commune de Versailles », le Conseil d'État a jugé que, en confiant une compétence à une commune au motif que le maire est un agent de l'État, le législateur a entendu indirectement mettre à la charge de celle-ci les frais afférents à l'exercice de cette compétence. Elles ne peuvent donc prétendre à aucune indemnisation pour les coûts ainsi créés, sauf lorsque ces coûts ne sont pas liés à la compétence en cause.

« Considérant que les frais d'établissement des avis de contravention et des cartes de paiement des amendes forfaitaires [...] qui sont remis aux contrevenants lors de la constatation des contraventions au code de la route, sont liés à cette constatation ; que les frais d'établissement des quittances [...] qui sont délivrées immédiatement par les agents verbalisateurs aux contrevenants qui s'acquittent des amendes forfaitaires entre leurs mains, sont liés à cette perception ; que ces frais constituent dès lors des dépenses nécessaires à l'exercice des missions confiées aux agents de police municipale par les dispositions [des lois du 15 novembre 2001, du 18 mars 2003 et du 12 juin 2003], lesquelles ont mis ces dépenses à la charge des communes [...] ;

« Considérant que [...], toutefois, [...] aucune disposition législative ne met directement ou indirectement à la charge des communes les frais de fonctionnement des régies de recettes mises en place par l'État auprès des communes pour l'encaissement, par les comptables publics de l'État, des amendes pouvant résulter des procès-verbaux établis par les agents de police municipale ; que la cour administrative d'appel n'a dès lors pas commis d'erreur de droit en jugeant que [ces] frais [...] devaient être mis à la charge de l'État... »

Votre rapporteur s'inquiète de ces transferts non-compensés , dont le nombre tend à croître avec le temps et qui ne peuvent que déséquilibrer les finances des collectivités territoriales. À cet égard, il rappelle que le gouvernement a fait état de son intention de déposer, dans le cadre de l'examen du second projet de loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (ou « LOPPSI 2 »), un amendement chargeant les maires, en tant qu'agents de l'État, d'établir des procurations de vote , cette mission étant actuellement assurée par les officiers de police judiciaire.

Votre rapporteur appelle donc le Sénat, si cet amendement devait être adopté, à faire preuve de vigilance et à porter une attention toute particulière aux compensations prévues pour tenir compte des nouveaux coûts ainsi mis à la charge des communes.


* 33 Cette obligation est codifiée à l'article L. 2212-5 du code général des collectivités territoriales.

* 34 CE, « Commune de Versailles », 5 janvier 2005.

* 35 CE, « Commune de Villeurbanne », 14 septembre 2007.

* 36 Décision n° 2010-29/37 du 22 septembre 2010, « Commune de Besançon », considérant 7.

* 37 CE, « Commune de Versailles » (décision n° 328102) et « Commune de Strasbourg » (décision n° 339013), 22 octobre 2010. Ces décisions, qui ont été rendues en matière de répression des infractions au code de la route par la police municipale, ont une valeur générale.

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