III. LA SITUATION DES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER, DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET DES TAAF
A. MAYOTTE, DERNIERS PAS VERS LA DÉPARTEMENTALISATION
Le Sénat a adopté le 22 octobre dernier les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Département de Mayotte 30 ( * ) . En 2011, à l'issue du prochain renouvellement de son conseil général, le Département de Mayotte sera une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution. Les lois et règlements de la République y seront applicables de plein droit.
A l'issue d'une longue marche de cinquante ans, Mayotte sera la première collectivité unique de l'article 73, devançant ainsi la Guyane et la Martinique.
Votre rapporteur souligne que, conformément à la logique de rapprochement avec le droit commun qui marque l'histoire de Mayotte au cours des dernières décennies, l'État devra apporter au Département de Mayotte un accompagnement financier efficace et prolongé . C'est d'ailleurs dans cet esprit que votre commission a souhaité avancer à 2011 la mise en place du nouveau fonds mahorais de développement économique, social et culturel (art. 10 du projet de loi).
Il rappelle en outre l'obligation impérative du conseil général de mettre pleinement en oeuvre ses compétences en matière d'aide sociale à l'enfance 31 ( * ) . Il s'agit non seulement d'une obligation légale, mais aussi d'un devoir moral que la collectivité se doit de remplir, sous peine de laisser un nombre croissant de jeunes à l'écart du système scolaire et de toute perspective d'intégration sociale.
A cet égard, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, relève dans ses recommandations du 30 juin 2010 relatives au centre de rétention administrative de Pamandzi que « la situation particulière des enfants abandonnés sur le territoire de Mayotte après la reconduite de leurs parents est préoccupante. Afin d'assurer leur hébergement et leur suivi éducatif, il est urgent de mettre en oeuvre une organisation opérationnelle qui associe le service de l'aide sociale à l'enfance de la collectivité départementale et les services de l'Etat . »
1. Les évolutions récentes du régime applicable en matière de statut personnel
L'article 28 du projet de loi relatif au Département de Mayotte ratifie l'ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître.
Cette ordonnance modernise le statut civil de droit local. Elle précise que ce statut « régit l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités » mais ne saurait « contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». Elle rappelle le rôle supplétif du droit civil commun. Elle décrit la procédure de renonciation au statut de droit local, qui est irrévocable. Elle prévoit que le droit commun s'applique dans les rapports entre personnes, sauf entre personnes relevant du droit local et dans une matière en relevant.
Cette réforme met un terme à l'inégalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage et de divorce. L'ordonnance prévoit d'appliquer aux Mahorais de droit local les règles du code civil dans ces domaines. Elle proscrit la répudiation et interdit enfin toute nouvelle union polygame, et ce sans condition d'âge 32 ( * ) .
En relevant l'âge requis pour se marier des femmes à 18 ans, ce texte permettra, en outre, l'adhésion de la France à la Convention sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage et l'enregistrement des mariages, adoptée à New York le 7 novembre 1962, jusqu'ici retardée en raison des spécificités des règles applicables à Mayotte.
Cette ordonnance supprime en outre l'intervention de la justice cadiale, dont le fonctionnement ne répond pas aux exigences de la Convention européenne des droits de l'Homme. Elle lui substitue une compétence de plein droit de la juridiction de droit commun pour connaître des conflits entre personnes relevant du statut personnel de droit local. Conformément au Pacte pour la départementalisation, le rôle des cadis sera désormais recentré sur des fonctions de médiation sociale.
Enfin, en matière d'état civil, l'ordonnance permet que des agents du conseil général soient mis à disposition des communes pour exercer les fonctions d'officier de l'état civil, encadrer et former les agents communaux chargés de la tenue de l'état civil.
2. L'accélération du processus de révision de l'état civil
La dualité de statuts civils s'est accompagnée à Mayotte, jusqu'en 2000, d'un double système d'état civil. L'état civil coranique, dépendant des cadis, a cependant été transféré aux mairies en 1977. Mais les registres ont été mal tenus, dégradés, voire perdus.
L'état civil des Mahorais de statut personnel nés avant 2000, s'il n'a pas été révisé, ne distingue pas le nom du prénom. L'ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 a créé un service d'état civil de droit commun dans chaque mairie, une commission de révision de l'état civil étant chargée de reconstituer les actes antérieurs à cette date.
Les enjeux de la modernisation de l'état civil sont considérables : il s'agit d'affirmer des droits de la personne en tant que sujet clairement individualisé et d' officialiser, dès la naissance, une identité permanente .
Mise en place le 5 avril 2001, la commission de révision de l'état civil de Mayotte (CREC) pouvait être saisie par toute personne majeure née à Mayotte avant le 8 mars 2000 en vue de déterminer son identité (fixer le nom et les prénoms des personnes majeures de statut civil de droit local), et de dresser les actes de l'état civil correspondants.
Le dispositif ne s'est pas révélé suffisamment efficace, puisqu'en début d'année 2010 plus de 50 000 Mahorais ne disposaient pas d'un état civil révisé conformément aux dispositions de l'ordonnance du 8 mars 2000 faute d'avoir déposé une demande en ce sens.
Les Mahorais ne peuvent plus saisir la commission depuis le 31 juillet 2010 conformément à la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) et la CREC doit achever ses travaux au plus tard en avril 2011.
La CREC est présidée par un magistrat du siège. Quarante rapporteurs, chargés de l'enregistrement des demandes et de la préparation des décisions individuelles, sont répartis entre les 17 communes de Mayotte.
La commission traite plus de 1 000 dossiers par mois. Ce rythme s'est sensiblement accéléré ces derniers mois.
La Commission a souffert de diverses difficultés liées :
- à une instruction des dossiers par les rapporteurs souvent incomplète, voire erronée ;
- à une informatisation de la CREC demeurée trop longtemps insuffisante et obsolète ;
- à une procédure complexe (les Mahorais doivent fournir un grand nombre de documents de famille, difficiles à retrouver) ;
- aux délais, jugés trop longs pour obtenir une décision de la CREC, qui n'incitaient pas les intéressés à effectuer cette démarche.
Depuis le 1 er septembre 2010, un vice-président supplémentaire consacre la moitié de son activité à la commission.
Suivant notamment les recommandations de la mission d'information de votre commission sur la départementalisation de Mayotte 33 ( * ) , plusieurs mesures ont été prises pour accélérer le traitement des dossiers par la CREC. Ces mesures visaient d'abord à améliorer le fonctionnement de la CREC :
- nomination d'un secrétaire général en avril 2009, pour coordonner l'activité des rapporteurs ;
- simplification de la procédure et optimisation des travaux : la LODEOM du 27 mai 2009 a modifié l'ordonnance du 8 mars 2000 afin de nommer le préfet vice-président de la commission, de permettre au président de statuer seul, sauf dans les cas les plus complexes et de simplifier les conditions de la collégialité lorsque celle-ci reste nécessaire.
D'autres mesures ont consolidé le service public de l'état-civil à Mayotte. Ainsi, la loi de finances pour 2010 a prorogé jusqu'en 2011 la dotation exceptionnelle de 300 000 euros aux communes, destinée aux opérations de sécurisation et de mise aux normes des locaux ainsi qu'aux besoins en matériels informatiques et fournitures.
Par ailleurs des actions ont été conduites pour informer davantage les Mahorais et les inciter à saisir la CREC. La préfecture de Mayotte, en liaison avec la CREC, a ainsi lancé dans les communes une campagne d'information sur la procédure de saisine de la CREC, afin d'optimiser le nombre de saisines avant la date butoir du 31 juillet 2010. Cette campagne a porté le nombre mensuel de nouvelles demandes de 300 à 800 en juin et 1 600 en juillet.
En décembre 2009, la CREC avait pris 69 100 décisions donnant lieu, selon les cas, à l'établissement de divers actes d'état civil (actes de naissance, mariage et décès). Le nombre moyen est de 3,5 actes par décision.
En août 2010, la CREC comptait 11 858 dossiers en stock, dont :
- 3 627 dossiers incomplets ;
- 8 231 dossiers complets en état d'être instruits.
En outre, à cette date, la commission devait statuer sur 3 000 dossiers instruits.
3. L'adaptation de l'organisation judiciaire au Département de Mayotte
L'organisation juridictionnelle de Mayotte demeure spécifique. En effet, la juridiction du premier degré est le tribunal de première instance (TPI), qui exerce les compétences qui relèvent, dans le droit commun, du tribunal de grande instance, du tribunal d'instance, du tribunal de commerce, et du tribunal des affaires de sécurité sociale.
Le TPI statue à juge unique. En matière civile, commerciale et de sécurité sociale, il peut statuer en collégialité dans une formation complétée par des assesseurs.
Le tribunal supérieur d'appel (TSA) exerce à Mayotte les attributions des cours d'appel. Il statue en formation collégiale. Lorsqu'il ne peut être composé par trois magistrats professionnels, il est complété par des assesseurs.
Les affaires criminelles sont jugées à Mayotte par la cour criminelle, qui exerce les attributions de la cour d'assises. Elle est présidée par le président du TSA et complétée par quatre assesseurs (six en appel). Les dispositions spécifiques applicables en matière pénale figurent au titre II du livre VI du code de procédure pénale.
La départementalisation de Mayotte implique une transformation de l'organisation administrative et judiciaire de l'archipel, afin de l'aligner sur le régime de droit commun applicable aux autres départements régis par l'article 73 de la Constitution.
Ainsi, le tribunal de première instance devrait être remplacé par un tribunal de grande instance fonctionnant dans les conditions de droit commun, sous réserve de certaines adaptations.
Un tribunal d'instance devrait être créé et la juridiction de proximité maintenue provisoirement, sous réserve d'adaptation des règles de compétence en fonction du montant des litiges, compte tenu du niveau de vie des Mahorais. Un greffe détaché serait maintenu à Sada. Par ailleurs, une chambre d'appel, détachée de la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion, serait substituée au tribunal supérieur d'appel.
L'alignement progressif de l'actuelle cour criminelle sur l'organisation d'une cour d'assises de droit commun serait assuré par des dispositions spécifiques, intégrant les caractéristiques et contraintes particulières de cette collectivité.
Par ailleurs, s'agissant des effectifs des magistrats, d'une part, le TPI de Mamoudzou est actuellement composé de 7 magistrats au siège (ce qui est conforme à la circulaire de localisation du ministère de la justice) et de 4 magistrats au parquet (soit 1 surnombre), et d'autre part, l'effectif réel actuel du TSA est de 4 magistrats au siège et 1 au parquet (soit 1 surnombre au siège par rapport à la circulaire de localisation).
Votre rapporteur souligne que les effectifs devront être renforcés, afin de permettre l'évolution de l'organisation judiciaire à Mayotte, notamment par la création d'emplois de magistrats du siège.
4. La situation de la maison d'arrêt et du centre de rétention administrative
? La maison d'arrêt de Majicavo
La maison d'arrêt de Majicavo, mise en service en 1995, dispose d'une capacité opérationnelle de 105 places. Cet établissement connaît une situation chronique de surpopulation carcérale, avec 182 personnes détenues au 1 er août 2010, soit une densité de 173,3 %.
Source : ministère de l'outre-mer
La maison d'arrêt de Majicavo a fait l'objet d'une extension de 25 places, dont la mise en service est intervenue dans le courant du premier semestre 2005. Par ailleurs, divers travaux d'aménagement à l'intérieur de l'enceinte ont pu être réalisés.
Toutefois, la situation actuelle et l'évolution estimée de la population pénale imposent la construction de bâtiments supplémentaires sur la réserve foncière affectée à l'établissement afin d'augmenter la capacité d'accueil de 174 places. La livraison de l'extension est désormais prévue pour fin 2014.
Votre rapporteur regrette que la réalisation de ce projet d'extension soit chaque année retardée, puisque son achèvement était annoncé pour la fin 2013 ou le début 2014 lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010.
? La situation du centre de rétention administrative de Mayotte
Le centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte a été créé en 1995. Si des travaux de rénovation ont été réalisés en 2008, le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 13 novembre 2009 décrit une situation qui appelle des améliorations urgentes :
« Les conditions d'hébergement sont indignes : le jour de la visite, 140 personnes, adultes et enfants, se trouvaient dans les deux salles de rétention dont la surface cumulée est de 137 m² ;
« - les personnes retenues vivent dans une grande promiscuité et sans la moindre intimité;
« - les personnes sont assises ou allongées par terre et ne disposent comme équipement que de 32 nattes de couchage. Les enfants en bas âge sont dans les bras de leur mère et n'ont pas de lit ;
« - les hommes ne peuvent se rendre librement aux toilettes et aux points d'eau ;
« - les cabines de WC à la turque et les cabines de douche sont en nombre insuffisant ; elles donnent directement dans le hall et sont fermées par un simple volet de séparation d'un mètre de hauteur et à cinquante centimètres du sol ;
« - les douches et les WC sont dans un état très dégradé [...]
« Les conditions d'hygiène doivent être totalement réexaminées pour permettre aux retenus de vivre dans des conditions décentes » 34 ( * ) .
Selon les indications fournies à votre rapporteur, un projet de construction d'un CRA de 140 places et d'une zone d'attente de 10 places, couplé à la construction de nouveaux locaux de la direction de la police aux frontières de Mayotte, est à l'étude. La construction est prévue sur une parcelle de terrain du ministère de la Défense réservée à cet effet. Le budget total nécessaire au projet est de 25 millions d'euros (dont 18 pour le CRA).
Votre rapporteur déplore que la situation du CRA de Mayotte ne soit pas traitée plus rapidement.
* 30 Voir le rapport n° 17 (2010-2011) de M. Christian COINTAT, fait au nom de la commission des lois.
* 31 Les carences en ce domaine ont été analysées dans le rapport d'information n° 115 (2008-2009), « Départementalisation de Mayotte : sortir de l'ambiguïté, faire face aux responsabilités », établi par le président Jean-Jacques Hyest, Mme Michèle André et MM. Christian Cointat et Yves Détraigne.
* 32 Pour mémoire, la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 avait maintenu la faculté pour les hommes nés avant 1987 de continuer à contracter des unions polygames.
* 33 Rapport d'information n° 115 (2008-2009), « Départementalisation de Mayotte : sortir de l'ambiguïté, faire face aux responsabilités », établi par le président Jean-Jacques Hyest, Mme Michèle André et MM. Christian Cointat et Yves Détraigne.
* 34 Le Contrôleur général a publié au Journal officiel du 25 juillet 2010 ses recommandations relatives au centre de rétention administrative de Pamandzi : http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20100725&numTexte=30&pageDebut=&pageFin . Voir également le compte rendu de la visite des contrôleurs :
http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2010/07/CRA-Mayotte-visite-final-13-novembre-2009.pdf