2. L'évolution par matières du contentieux devant les tribunaux administratifs
Devant les tribunaux administratifs, comme devant les cours, les contentieux les plus inflationnistes sur les 5 dernières années (2005-2009), en volume et en pourcentage de progression, sont le contentieux des étrangers et celui de la police.
Le nombre de requêtes concernant le contentieux des étrangers est passé de 40 012 en 2005 à 43 412 en 2009, soit une progression significative de 8,50%. Ce contentieux, qui a connu une légère baisse en 2008 et 2009, représente 25% du volume total des entrées.
Le nombre de requêtes concernant le contentieux de la police est passé de 14176 en 2005 à 20742 en 2009. Malgré une baisse de l'ordre de 10 % ces 2 dernières années, la progression de ce contentieux est de plus de 46% sur la période et représente 12% du volume total des entrées.
Source : secrétariat général du Conseil d'Etat.
Comme devant les cours administratives d'appel, l'importante progression du contentieux du permis à points explique, en grande partie, cette augmentation.
Il convient, par ailleurs, de noter la progression significative du contentieux du logement : + 35,8 %, soit plus de 10 650 affaires, qui constituent 6,2 % du contentieux total en 2009. C'est la traduction immédiate de la montée en puissance du contentieux du droit au logement opposable (DALO), qui a représenté près de 4 800 affaires nouvelles en 2009.
Au sein de ce contentieux le nombre des recours contre les décisions négatives des commissions 17 ( * ) est resté relativement stable tout au long de l'année (100 à 150 par mois), en revanche, celui des recours formés dans le cadre de la procédure spécifique de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation 18 ( * ) a progressé régulièrement, passant de l'ordre de 300 par mois au 2ème trimestre 2009 à 400, puis 500, au cours du quatrième trimestre.
Selon les indications du secrétariat général du Conseil d'État, la légère baisse des entrées constatée en 2009 ne se confirme pas en 2010.
En effet, Les six premiers mois de l'année 2010 se caractérisent par une augmentation des affaires enregistrées dans les tribunaux administratifs de l'ordre de 3 %, en données nettes, par rapport au premier semestre 2009..
3. L'impact des réformes récentes sur la progression du contentieux administratif
- Le contentieux du droit au logement
La loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a instauré une procédure de recours ad hoc permettant aux personnes qui n'ont pas reçu une offre de logement social correspondant à leurs besoins et à leurs capacités de saisir le juge administratif afin que celui-ci ordonne leur logement ou leur relogement, au besoin sous astreinte (article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation). Elle est également applicable aux personnes qui sollicitent l'accueil dans une structure d'hébergement.
Cette procédure est, dans un premier temps, entrée en vigueur le 1 er décembre 2008, en faveur des personnes reconnues prioritaires par les commissions de médiation placées auprès des préfets, c'est-à-dire les personnes dépourvues de logement, hébergées temporairement, menacées d'expulsion ou logées dans des locaux présentant un caractère insalubre ou dangereux ou encore, en présence d'enfants mineurs ou de personnes présentant un handicap, logées dans des conditions inacceptables du fait de l'indécence du logement ou de sa sur-occupation. Elle est également entrée en vigueur, à cette date, en faveur des personnes qui sollicitent l'accueil dans une structure d'hébergement.
Cette procédure a provoqué un afflux de requêtes moindre que celui qui avait été anticipé : 3 539 au titre de l'année 2009, 4 823 si on y ajoute également l'ensemble des autres recours afférents au droit au logement opposable et, en particulier, les recours pour excès de pouvoir formés à l'encontre de décisions des commissions de médiation refusant de reconnaître le caractère prioritaire de la demande, soit de l'ordre de 2 % de l'ensemble des requêtes dont sont saisis les tribunaux administratifs.
Cependant, ces recours ont été extrêmement concentrés sur les juridictions franciliennes et, parmi elles, particulièrement sur le tribunal administratif de Paris, qui a enregistré, à lui seul, 2 641 requêtes, soit 54,8 % du total national . A l'aune du tribunal administratif de Paris, ce contentieux représente donc près de 13 % de son activité totale.
Il convient, enfin, de noter que la loi a prévu que cette procédure de recours sera ouverte à toute personne qui, remplissant les conditions pour obtenir un logement social n'a pas obtenu satisfaction, à compter du 1 er janvier 2012. Cette extension provoquera un nouvel alourdissement de la charge des tribunaux administratifs dans une proportion qu'il est, à ce stade, malaisé d'apprécier.
Devant le Conseil d'Etat, à la suite à l'entrée en vigueur du décret n° 2008-1227 du 27 novembre 2008 relatif au contentieux du droit au logement opposable, le nombre de pourvois en cassation est peu élevé mais le taux de progression pourrait être important. En effet, ont été enregistrés, à ce titre, 19 pourvois pour l'année 2009 et autant sur les six premiers mois de l'année 2010. Sur les 21 affaires jugées en 2009 et 2010, 19 ont fait l'objet d'une décision de rejet pour défaut de ministère d'avocat et 2 d'une ordonnance de désistement.
Votre rapporteur, conscient des efforts réalisés par les juridictions administratives pour améliorer les délais de jugement, se félicite des résultats obtenus. Il souligne cependant que si la situation est aujourd'hui satisfaisante, ces résultats doivent être consolidés.
A cet égard, il appartient au législateur de mesurer les conséquences des dispositifs par lesquels il entend rendre certains droits plus effectifs. En l'occurrence, la plus grande vigilance s'impose quant à l'évolution que connaîtra le contentieux lié à l'application de la loi DALO.
Il serait en effet regrettable que l'accroissement du contentieux conduise à un allongement des délais de jugement qui effacerait les résultats obtenus ces dernières années et ne ferait en rien progresser la cause du droit au logement.
- Le contentieux du revenu de solidarité active
Le transfert de compétences opéré, à la faveur de la loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active (RSA) et réformant les politiques d'insertion, en faveur des tribunaux administratifs ne peut encore donner lieu à un bilan pertinent.
Cette loi a prévu que le contentieux du RSA relèverait désormais de la compétence des tribunaux administratifs alors que, précédemment, le contentieux du revenu minimum d'insertion relevait de la compétence des commissions d'aide sociale et celui de l'allocation de parent isolé (auquel le RSA se substitue également) des tribunaux des affaires de sécurité sociale.
Au titre de l'année 2009, le nombre d'affaires enregistrées en la matière est resté très modeste (1 324 en données nettes). Cela s'explique par l'entrée en vigueur récente du dispositif, qui ne date que du 1 er juin 2009, la montée en puissance très progressive du nombre des allocataires et le caractère différé des procédures contentieuses. En effet, d'une part, celles-ci se cristallisent fréquemment sur le recouvrement d'un indu, lequel n'est pas immédiatement généré ; d'autre part, la procédure de recours administratif préalable mise en place par la loi diffère, en tout état de cause, la saisine du juge.
- Le contentieux des contrats de la commande publique
La réforme des procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique a été induite par la transposition de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007, en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics.
Réalisée par l'ordonnance n° 2009-536 du 14 mai 2009 et par le décret n° 2009-1649 du 23 décembre 2009 pris pour son application, cette réforme a principalement eu pour objet d'instaurer une nouvelle procédure de référé permettant aux candidats évincés d'une commande publique, de contester les conditions de passation du contrat, après sa conclusion, alors que, jusqu'à présent, les conditions de passation d'un contrat ne pouvaient être utilement contestées qu'avant sa conclusion, dans le cadre de la procédure dite de référé précontractuel.
Il est encore trop tôt pour tirer un bilan quantitatif de cette réforme qui n'est applicable qu'aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée à partir du 1 er décembre 2009. Mais les tribunaux administratifs ont déjà enregistré leurs premières saisines, dans ce cadre.
- La question prioritaire de constitutionnalité
Au titre des réformes de portée générale, il convient d'évoquer enfin la question prioritaire de constitutionnalité.
Inscrit par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République à l'article 61-1 de la Constitution, ce droit nouveau permet aux justiciables de faire saisir le Conseil constitutionnel de la conformité, aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de dispositions législatives déjà promulguées. Cette procédure est entrée en vigueur le 1 er mars 2010.
Il en a été immédiatement fait usage devant les juridictions administratives, comme devant les juridictions judiciaires.
Au 30 juin 2010, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel ont ainsi été saisis de 357 questions prioritaires de constitutionnalité. Les principales matières sur lesquelles portent ces questions sont le contentieux fiscal (63 %), les collectivités territoriales (6 %), la santé publique (6 %) et les fonctionnaires et agents publics (4 %).
A cette date, 199 de ces questions ont été traitées et 54 ont été transmises au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009.
Outre ces 54 saisines, le Conseil d'Etat a, pour sa part, été saisi directement par les justiciables, dans le cadre de procédures pendantes devant lui, de 83 questions prioritaires de constitutionnalité. Parmi les 137 questions dont il a ainsi été saisi, 33 % concernent le contentieux fiscal, 12 % le contentieux des pensions et 9 % les collectivités territoriales.
Le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé sur 75 questions prioritaires de constitutionnalité dont 26 ont fait l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel.
* 17 Ce contentieux est constitué par les recours contre les décisions de rejet de la commission de médiation.
* 18 Ce contentieux correspond aux demandes de logement déclarées urgentes par les commissions de médiation mais non satisfaites par les préfets. Il peut aboutir à la condamnation de l'État au paiement d'une astreinte, jusqu'à ce qu'il ait pu fournir un logement au demandeur. Le produit de ces astreintes alimente un fonds destiné à financer la construction de logements sociaux.