II. ANALYSE DES CRÉDITS PAR OPÉRATEUR

A. FRANCE TÉLÉVISIONS : UN MODELE DE FINANCEMENT À LONG TERME

1. Le financement en 2011 assuré en dépit d'un modèle non stabilisé

Le présent projet de loi de finances prévoit que France Télévisions reçoit les dotations suivantes :

- 2 146,5 millions d'euros (contre 2 092 millions d'euros en LFI 2010) au titre du programme 841 « France Télévisions » de la mission « Avances à l'audiovisuel public », ce qui correspond à une hausse de 2,6 % des crédits ;

- et 389,9 millions d'euros (contre 457,8 millions en LFI 2010) au titre du programme 313 « Contribution au financement de l'audiovisuel » de la mission Médias, ce qui correspond à une baisse de plus de 17 % des crédits. Cette dotation vise à apporter à France Télévisions un financement complémentaire de ses missions de service public, du fait des pertes de recettes commerciales occasionnées par la disparition partielle de la publicité sur les chaînes de France Télévisions à partir de janvier 2009 4 ( * ) .

La dotation publique globale de France Télévisions pour l'année 2010 s'élève donc à 2 536,4 millions d'euros , soit une baisse de 0,5 % des crédits.

Si ces ressources sont en baisse et inférieures à celles prévues dans le plan d'affaires, elles sont néanmoins conformes à son esprit, du fait des recettes publicitaires importantes liées à la publicité en journée.

Les chiffres du 1 er semestre 2010 sont en effet extrêmement positifs. Au 7 juin 2010, il apparaissait que France Télévisions Publicité (FTP) avait réalisé un chiffre d'affaires publicité/parrainage de 211,2 millions d'euros pour les six premiers mois, en avance de 43,3 millions d'euros (+ 25,80 %) par rapport à l'objectif 2010 et en progression de 24,1 millions d'euros par rapport au CA du premier semestre 2009 (+ 12,93 %). Cette tendance positive s'est prolongée au troisième trimestre. La « reprévision » du chiffre d'affaires 2010 présentée lors du dernier conseil d'administration (26 octobre 2010) prend donc en compte des recettes publicitaires à hauteur de 428 millions d'euros, soit un complément de l'ordre de 90 millions d'euros par rapport à ce qui avait été anticipé.

Pour autant, le modèle de financement de long terme n'est toujours pas fixé :

- aucun financement spécifique n'a été prévu pour la compensation de la suppression totale de la publicité sur France Télévisions , prévue à la fin de l'année 2011 ;

- plus inquiétant encore, la taxe prévue à l'article 302 bis KH du CGI, sur les prestations fournies par les opérateurs de communications électroniques, a fait l'objet d'un avis motivé de la part de la Commission européenne, qui estime qu'elle est incompatible avec l'article 12 de la directive « autorisation » , laquelle prévoit que les taxes imposées aux opérateurs de télécommunications doivent être spécifiquement et directement liées à la couverture des coûts administratifs et réglementaires du secteur des télécommunications. La France ayant décidé de ne pas se conformer à cet avis, la question sera tranchée par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). Le produit de cette taxe avoisine les 370 millions annuels. Si elle ne finance pas directement France Télévisions, mais bien le budget général de l'État, il n'en reste pas moins qu'elle représente l'un des éléments d'équilibre de la réforme de l'audiovisuel public, que le Parlement se doit de prendre en compte.

2. La définition d'un modèle de financement de long terme

Dans le rapport sur les comptes de France Télévisions 5 ( * ) , établi conjointement avec M. Claude Belot, rapporteur spécial de la commission des finances, votre rapporteur proposait deux hypothèses de financement, l'une s'appuyant sur une suppression totale de la publicité sur France Télévisions en 2012 s'accompagnant un élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public, l'autre proposant un moratoire jusqu'en 2015 sans modification profonde du système de financement envisagé.

Il était clair qu'en tout état de cause, dès lors que la taxe dite « télécoms » risquait d'être annulée, la deuxième hypothèse devait être privilégiée. Votre rapporteur souligne à cet égard qu'elle a toujours insisté pour que la contribution à l'audiovisuel public soit le pilier du financement des sociétés nationales de programme.

Force est de constater que le Gouvernement a pris acte, d'une certaine manière, de la décision de la Commission européenne, en proposant dans l'article 76 du présent PLF de reporter l'échéance de suppression de la publicité sur les antennes de France Télévisions au 6 janvier 2014 , même si l'argumentaire développé dans l'étude d'impact repose sur l'impératif de redressement des finances publiques.

Le Gouvernement a tenu, en outre, à souligner son opposition au principe d'augmentation du montant de la contribution à l'audiovisuel public ou d'un élargissement de son assiette, considérant que « de telles mesures conduiraient à diminuer le pouvoir d'achat des Français ».

Votre rapporteur approuve en partie le modèle proposé par le projet de loi de finances, qui suit les préconisations du rapport sur les comptes de France Télévisions susmentionné. En effet, l'application d'un moratoire sur la suppression de la publicité sur France Télévisions, en dépit de son impact négatif sur la mise en place du modèle culturel qu'elle souhaite pour France Télévisions, apparaît nécessaire au vu de la situation des finances publiques et des difficultés de mise en place des taxes compensatoires pour le budget général.

En revanche :

- elle est fermement opposée à la version de l'article 76 issue de l'Assemblée nationale, qui supprime complètement la disposition relative à la disparition de la publicité en journée. En effet, la suppression de la publicité est un aspect fondamental de la différenciation entre le service public audiovisuel et les chaînes privées , comme le montrent les exemples d'Arte et de Radio France (dont les antennes comportent très peu de publicité) et vient clairement en soutien du virage éditorial du groupe ;

- par ailleurs, elle considère que le compte n'y est pas dans le modèle proposé par le Gouvernement . En effet, le produit de la CAP attendu pour 2014 devrait être d'environ 150 millions d'euros supplémentaires à celui prévu pour le PLF 2011 (50 millions d'euros par an). Ainsi les 380 millions (environ) restant à financer - à supposer que le régime juridique de la taxe dite télécoms soit validé par la CJCE - devront l'être en grande partie via des crédits budgétaires non compensés, et viendront ainsi augmenter la charge de notre dette publique. Par ailleurs, le financement budgétaire de France Télévisions n'est pas satisfaisant du point de vue de l'indépendance du groupe.

C'est la raison pour laquelle elle a souhaité proposer un amendement à la commission de la culture, de la communication et de l'éducation tendant à augmenter le produit de la contribution à l'audiovisuel public via un élargissement de son assiette aux résidences secondaires et à l'ensemble des terminaux permettant de recevoir la télévision, seule la première partie ayant finalement été adoptée.

S'agissant du paiement de la CAP pour les appareils permettant de recevoir la télévision dans les résidences secondaires, votre rapporteur souligne qu'il s'agit d'une position traditionnelle de la commission de la culture et de la communication . Ainsi, lors de la réforme du recouvrement de la redevance audiovisuelle par la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, au cours de laquelle le rapporteur pour avis, Louis de Broissia, s'était opposé à l'exonération des résidences secondaires dans les termes suivants : « votre rapporteur conteste l'opportunité d'une telle décision, dont le coût est estimé à 58 millions d'euros. La fraude sur les résidences secondaires n'était pas une fatalité et pouvait être efficacement endiguée. En effet, le taux de 65 % de fraude avancé par l'Inspection générale des finances s'expliquait notamment par l'exigence de la preuve d'une détention permanente du dispositif de réception pour que la redevance soit perçue. Il fallait dans ces conditions avoir à faire à des contribuables extrêmement vertueux pour que ces derniers ne profitent pas des largesses offertes par une telle disposition : ils n'avaient en effet qu'à déclarer transporter leur poste chaque fois qu'ils se rendaient dans leur résidence secondaire pour se voir dispensés du paiement de la redevance. (...) Il est regrettable qu'en ne décidant de ne prélever qu'une seule redevance par foyer, le Gouvernement donne l'impression de valider a posteriori le choix des fraudeurs. Ce faisant, il limite du même coup le dynamisme de l'assiette de la redevance au risque de pénaliser les entreprises de l'audiovisuel public ». Le principe d'une contribution par taxe d'habitation paraît être à la fois juste et simple à appliquer, contrairement à ce qu'a affirmé le gouvernement lors de la discussion à l'Assemblée nationale d'un amendement ayant le même objet.

L'adoption de cette mesure, dont le rendement est évalué entre 200 et 250 millions d'euros, paraît aujourd'hui d'autant plus nécessaire que l'on partage pleinement l'ambition d'un audiovisuel public sans publicité.

S'agissant ensuite de l'assujettissement de l'ensemble des terminaux équipés pour recevoir la télévision, qui aurait pu rapporter entre 14 et 24 millions d'euros, votre rapporteur estime qu'il s'agirait d'une application des règles qui devraient déjà s'appliquer aujourd'hui et qu'il aurait été logique d'accompagner l'évolution du marché tendant à proposer de nouveaux modes de réception de la télévision (ordinateurs, téléphones intelligents, tablettes, télévisions connectés). Néanmoins, la commission a estimé qu'au vu du caractère polémique et du faible rendement de cette évolution, un amendement était encore prématuré.

En tout état de cause, l'adoption de la mesure tendant à élargir l'assiette aux résidences secondaires et l'application d'un moratoire à la suppression de la publicité jusqu'en 2015 permettront d'assurer un financement pérenne à l'audiovisuel public, de préserver les finances de l'État, et de mener la réforme à son terme dans des conditions satisfaisantes.

3. Les modalités d'apaisement du débat sur le financement de l'audiovisuel public

Votre rapporteur regrette que le débat sur le financement de l'audiovisuel public, parce qu'il est lié à celui de son indépendance et de son rapport au monde politique, soit sujet à polémiques répétées et la plupart du temps infondées. C'est la raison pour laquelle elle a proposé à la commission de confier à un organe indépendant et compétent, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le soin de rendre annuellement un rapport relatif au financement du secteur public de l'audiovisuel qui formule des recommandations sur l'emploi que les sociétés de l'audiovisuel public font des ressources qui leur sont attribuées et sur leurs besoins de financement.


* 4 La réforme de la télévision publique par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision s'est notamment concrétisée par la suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures depuis janvier 2009.

* 5 Rapport d'information n° 597 (2009-2010) de M. Claude BELOT et Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances.

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