B. LES PROGRAMMES SPATIAUX
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a retenu l'objectif d'un doublement du budget spatial militaire entre 2008 et 2020, en vue de renforcer les capacités existantes en matière d'observation et de télécommunications, et de développer des capacités nouvelles dans le domaine de l'écoute et de l'alerte avancée.
Les dotations consacrées au domaine spatial, hors contribution au CNES au titre du Budget civil de recherche et développement, s'élevaient à 380 millions d'euros en 2008 en crédits de paiements, mais ont reculé autour de 200 millions d'euros en 2009 comme en 2010.
En crédits de paiement, l' agrégat « espace » (comprenant également les crédits d'études du programme 144) s'établit pour 2011 à 196,3 millions d'euros , en retrait de 10 % par rapport à 2010. Si l'on y ajoute la subvention du ministère de la défense au CNES (programme 191), on atteint un total de 358,7 millions d'euros . Toutefois, les crédits budgétaires doivent être complétés par des ressources provenant du compte d'affectation spéciale « fréquences hertziennes ».
La programmation triennale prévoit une augmentation des crédits spatiaux d'ici 2013 (221,4 millions d'euros en 2012 et 281,5 millions d'euros en 2013, hors subvention au CNES).
D'après les indications fournies à votre rapporteur par le délégué général pour l'armement, les arbitrages rendus dans le cadre de la programmation triennale n'ont pas affecté l'enveloppe globale des crédits de paiement prévue par la loi de programmation militaire pour le domaine spatial. A l'intérieur de cette enveloppe, les crédits prévus pour le satellite d'observation Musis ont été majorés pour tenir compte du lancement de ce programme sur une base nationale, alors que ceux destinés au satellite d'écoute Ceres ont été réduits, le programme devant être décalé.
S'agissant des autorisations d'engagement, les montants initialement envisagés dans la programmation ont été réévalués en prévision d'un probable recours à une procédure de partenariat public privé pour la prochaine génération de satellites de télécommunication.
Il faut noter qu'a été créé au 1 er juillet 2010 un commandement interarmées de l'espace au sein de l'état-major des armées (voir encadré ci-après). Vos rapporteurs se félicitent de cette création qui répond à un véritable besoin, en vue de permettre une vision globale et centralisée des programmes et enjeux liés à l'espace, d'assurer leur meilleure prise en compte et de coordonner leur mise en oeuvre.
1. Les télécommunications spatiales militaires
Dans le domaine des télécommunications spatiales , la loi de programmation militaire a prévu que, dans l'avenir, « les transmissions ... reposeront sur deux segments : le système durci Syracuse pour les transmissions essentielles , dont le renouvellement aura lieu vers 2018 ; un segment dual à très haut débit à partir de 2013, notamment pour les drones et les zones non couvertes par Syracuse ».
? Les liaisons du « noyau dur »
Les liaisons dites du « noyau dur » , essentielles à la conduite des opérations et soumises à de fortes exigences de sécurité, sont avant tout assurées par le système Syracuse.
Syracuse III est le premier satellite français exclusivement dédié aux communications militaires et a notablement amélioré la couverture, les débits et la sécurité des communications des armées. Il dispose notamment d'une capacité en « extrêmement haute fréquence » (EHF).
Deux satellites Syracuse III ont été mis en service en 2005 et 2006.
Le commandement interarmées de l'espace Le commandement interarmées de l'espace a été officiellement créé le 1 er juillet 2010 sur la base aérienne 117 de Balard. Il a été confié au général de brigade aérienne Yves Arnaud et il dispose d'un effectif d'un peu moins de 30 personnels. Organisme interarmées relevant du chef d'état-major des armées, le commandement interarmées de l'espace (CIE) élabore la contribution des armées à la politique spatiale nationale. A ce titre, il est notamment chargé : - d'identifier les besoins militaires en matière de capacités spatiales ; - de participer, pour l'état-major des armées, à l'élaboration et à la conduite des coopérations européennes, internationales et multilatérales dans le domaine spatial ; - de conseiller les autorités ou organismes du ministère de la défense en leur apportant son expertise sur les questions spatiales relevant de la compétence des armées. Il met en oeuvre cette politique spatiale : - en participant à l'expression du besoin et en contribuant à la conception et à la mise en oeuvre de la stratégie d'acquisition des capacités spatiales ; - en assurant le commandement des capacités spatiales militaires et en assurant la coordination de l'emploi de ces moyens ; - en participant à la maîtrise de l'environnement spatial ; - en contribuant au respect de nos engagements internationaux. Le général commandant le CIE est le représentant « espace » de l'état-major des armées, en interne, au sein du ministère de la défense, et vis-à-vis de l'extérieur. Il est le point d'entrée unique de toute question spatiale relevant du domaine de compétence des armées. La création du CIE répond au besoin d'une vision globale dans la contribution des armées à l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique spatiale nationale, en prenant en compte l'évolution du contexte des coopérations et de la politique spatiale internationale. Dans la perspective de l'augmentation des capacités spatiales françaises, elle doit améliorer la coordination de l'utilisation de l'espace par l'ensemble des forces armées et permettre de maîtriser les coûts de développement et d'acquisition par la recherche d'emploi dual et de coopérations |
Le plan de relance a prévu l'accélération de la livraison de stations de réception Syracuse III. La totalité des 368 stations ont été commandées, 204 avaient été livrées avant 2010 et 85 autres doivent l'être cette année. Le projet de loi de finances prévoit la livraison de 60 stations en 2011. Il ne restera que 19 stations à livrer après 2011.
Le renforcement des capacités du « noyau dur » passe par la réalisation en coopération franco-italienne du satellite Sicral 2 , qui viendra compléter la constellation Syracuse. La part française est imputée sur les financements initialement prévus pour un troisième satellite Syracuse III. Comme Syracuse III, Sicral 2 est dédié aux télécommunications militaires protégées. La phase de développement principale doit démarrer en 2010 pour un lancement prévu en 2013.
Comme on l'a rappelé plus haut, le processus visant à céder l'usufruit du système Syracuse III en vue d'une location de service vient d'être lancé. Cette location porterait sur 90 % au maximum des capacités du système , les capacités restantes pouvant être louées à d'autres utilisateurs.
L'article 61 de la loi de finances pour 2010 précise que cette cession s'effectuera dans le cadre d'un contrat précisant les conditions permettant d'assurer la continuité du service public de la défense . Ce contrat prévoira notamment :
- les conditions dans lesquelles l'Etat conserve les droits d'utilisation des systèmes nécessaires à l'exécution des missions de service public ;
- les modalités de contrôle de l'Etat sur l'utilisation de ces systèmes ;
- les sanctions susceptibles d'être infligées en cas de manquement aux obligations qu'il édicte ;
- l'interdiction de toute cession, d'apport ou de création de sûretés qui n'auraient pas été dûment autorisés par l'Etat.
Le recours à une solution reposant sur la location de services repose sur l'idée que les besoins du ministère de la défense en télécommunications militaires peuvent être satisfaits autrement que par des satellites qui lui soient exclusivement réservés.
Cette solution sera sans incidence au plan opérationnel. Les armées bénéficieront de liaisons sécurisées grâce à des satellites répondant à des spécifications militaires et sur lesquels l'Etat conservera des garanties d'utilisation et de contrôle.
Sur le plan économique, l'intérêt de l'opération peut être triple. Premièrement, l'opérateur facturant les communications à l'utilisateur, ce dernier sera incité à être sélectif dans l'usage des liaisons hautement protégées et à les réserver aux communications qui le justifient véritablement. Deuxièmement, l'opérateur devrait pouvoir assurer l'exploitation du système à moindre coût et mieux le rentabiliser, en louant de la capacité à d'autres clients. Troisièmement, à court terme, le ministère de la défense encaissera le produit de la cession, et lors du renouvellement des satellites, il n'aura pas à supporter le coût d'investissement, si la formule est reconduite.
Le contrat couvrira la charge utile française du satellite Sicral 2. Il a également été proposé à l'Italie de se joindre à l'opération, à condition que le calendrier de celle-ci ne soit pas remis en cause.
La passation du contrat est désormais envisagée, au mieux, pour le second semestre 2011. Une partie des 500 millions d'euros d'autorisations d'engagement prévues en 2011 sur le programme Syracuse III est destinée au contrat de location de services.
La décision de réalisation de l'opération sera prise en fonction de l'intérêt économique des offres qui seront reçues. Le projet comporte des options d'externalisation qui pourront contribuer à l'intérêt économique du projet même si le montant des recettes proposé est plus faible que le montant visé. Vos rapporteurs soulignent toutefois que plus le temps passe, plus l'intérêt risque de se réduire pour l'opérateur et pour les armées, la fin de vie des satellites étant prévue en 2016 pour le premier et 2018 pour le second.
Enfin, il faut indiquer que la relève du système Syracuse III, sera assurée à partir de 2018 dans le cadre d'une opération d'armement baptisée Comsat-NG. Dans la continuité de la démarche engagée, il est envisagé de recourir, pour l'acquisition et l'exploitation, à un partenariat public-privé et une location de service.
La France et le Royaume-Uni ont annoncé, dans la déclaration de Londres du 2 novembre, leur intention de lancer l'an prochain une étude de concept commune pour ces futurs satellites qui entreront en service entre 2018 et 2022. Les Britanniques ont déjà externalisé leurs télécommunications satellitaires avec le système Paradigm, exploité par Astrium.
? Les liaisons hors « noyau dur »
Les liaisons destinées à la correspondance numérique, à la télégestion ou à la télémédecine n'ont pas les mêmes exigences que les liaisons dédiées aux opérations en termes de disponibilité, de confidentialité et de protection.
Ce besoin croissant de liaisons haut débit non sécurisées peut être satisfait par des capacités duales . Il est pris en compte dans le cadre de l'opération Comcept, en coopération avec l'Italie. Celle-ci prévoit la réalisation du satellite Athena-Fidus, qui comportera une charge utile française et une charge utile italienne. Il utilisera les standards de télécommunication civils et sera mis en oeuvre depuis des terminaux utilisateurs civils à bas coût. Il offrira également une capacité de liaison avec des drones. Le satellite Athena-Fidus a été commandé en 2010, pour une mise en service prévue en 2013. Le segment sol national réalisé par la France comprend une composante système et environ 660 stations sol utilisateur.
2. Le renseignement spatial : le renouvellement de la composante optique et la réalisation d'un satellite d'écoute électromagnétique
? Les programmes d'observation
Le second satellite optique Helios II est opérationnel depuis avril 2010, le premier (Helios IIA) étant entré en service en 2005. En outre, depuis juillet 2010, la France possède un droit de programmation sur les satellites radar Cosmo-Skymed de l'Italie et Sar-Lupe de l'Allemagne , en contrepartie de possibilités analogues pour ces deux pays sur Helios II.
Il faut rappeler que le système Helios II possède des performances très supérieures à celles d'Hélios I, puisqu'il dispose d'une capacité infrarouge pour la vision de nuit, de caméras de très haute résolution (THR) et de capacités de prises de vues stéréoscopiques (SHR).
Le premier satellite Helios, Helios IA, entré en service en 1995, continue pour sa part de fonctionner bien qu'il ait dépassé sa durée de vie nominale de 10 années. Il devrait néanmoins être « désorbité » en 2011, pour des raisons de sécurité.
Le ministère de la défense devrait accéder l'an prochain aux images du satellite civil Pléiades , dont le lancement par Soyouz à Kourou est programmé fin 2011. Pléiades est un programme dual, civil et militaire, auquel le budget de la défense contribue à hauteur de près de 33 millions d'euros.
Une coopération européenne a été engagée pour préparer la succession des trois systèmes spatiaux d'observation européens (Helios, Cosmo-Skymed et Sar-Lupe). Ce futur système européen d'observation spatiale militaire MUSIS , intégrant des capacités optique et radar, doit en principe associer la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Belgique et la Grèce (La Suède et la Pologne ont également manifesté un intérêt). Toutefois, en raison des difficultés budgétaires de certains de ces pays, aucun arrangement de coopération n'a encore pu être signé sur le programme commun fédérateur, ni sur la composante spatiale optique, dont la réalisation est placée sous la responsabilité de la France.
En l'absence d'accord de coopération finalisé, afin d'éviter tout risque de rupture capacitaire, la France a décidé de lancer en national la réalisation de la composante optique , sur la base de 2 satellites (sur un total de 3 satellites optiques prévu à terme). Le premier satellite assurera la mission de reconnaissance (THR), alors que le deuxième, en orbite plus basse, assurera la mission d'identification en réalisant des images de plus haute résolution (EHR).
La commande de ces 2 satellites doit intervenir à l'automne 2010, pour un coût de réalisation de 1,3 milliard d'euros, auquel s'ajoute un coût de maintien en condition opérationnelle estimé à 400 millions d'euros sur 12 ans. Leur mise en service est prévue en 2016 pour le premier satellite et en 2017 pour le second. Cette échéance est compatible avec la durée de vie prévisible d'Helios IIB.
Les dotations inscrites dans le projet de loi de finances au titre du programme Musis s'élèvent à 1 121 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 115 millions d'euros de crédits de paiement.
? L'écoute électromagnétique
Plusieurs développements expérimentaux ont été réalisés en matière de capacités spatiales de renseignement électromagnétique, avec en dernier lieu le lancement fin 2004 du démonstrateur Essaim , constitué de quatre micro-satellites d'écoute électronique. Dédié à l'écoute des communications, Essaim doit néanmoins être « désorbité » en 2010.
Un deuxième système dédié à l'écoute électromagnétique baptisé Elisa et composé, lui aussi, de 4 micro-satellites est en cours de réalisation, pour un lancement prévu avec Pléiades fin 2011, pour une expérimentation de 3 ans. Il est dédié à la localisation des émetteurs radar depuis l'espace.
La loi de programmation militaire prévoit la réalisation, à partir de l'expérience acquise en ce domaine, du système opérationnel Ceres .
Ceres devra permettre l'interception et la localisation des émissions électromagnétiques depuis l'espace (détection et localisation d'émetteurs radar ou de télécommunications).
Le calendrier du programme Ceres a été remis en cause à la suite des arbitrages rendus dans le cadre de la programmation triennale. Le lancement du stade d'élaboration est reporté à 2012. La mise en service de Ceres, initialement envisagée pour 2016 par la loi de programmation militaire, pourrait être reportée à 2020.
28 millions d'euros sont inscrits en autorisation d'engagement dans le projet de loi de finances.
Vos rapporteurs regrettent le report de l'échéance de mise en service de Ceres, les systèmes expérimentaux d'écoute électronique ayant démontré l'intérêt d'une capacité pérenne.
3. L'alerte spatiale et la question de la défense antimissile
Le Livre blanc prévoit l'acquisition par la France d'une capacité de détection et d'alerte avancée avec trois objectifs principaux :
- développer les capacités de surveillance de la prolifération afin d'acquérir une autonomie d'appréciation des situations ;
- déterminer l'origine des tirs et caractériser les vecteurs attaquants afin de contribuer à l'identification des agresseurs ;
- favoriser l'alerte des populations à partir de l'estimation des zones visées.
L'alerte avancée reposera sur deux types de capteurs complémentaires :
- des capteurs optiques spatiaux (satellites géostationnaires ou défilant) ;
- des capteurs terrestres , à savoir des radars UHF très longue portée.
Au cours de l'actuelle loi de programmation, seuls sont prévus des travaux d'études amont, par la réalisation de démonstrateurs.
Le lancement le 12 février 2009 des deux satellites Spirale constitue la première étape de la constitution d'une capacité d'alerte avancée. Composé de deux micro-satellites dotés d'un instrument d'observation infrarouge, ce démonstrateur est destiné à l'acquisition en orbite de signatures de fond de Terre en vue de spécifier, ultérieurement, un système opérationnel.
Les données recueillies par Spirale - qui répondent semble-t-il pleinement aux attentes - seront exploitées pour lancer, « au plus tard en 2012 » aux termes de la loi de programmation militaire, la conception et la réalisation des radars de très longue portée et d'un satellite d'alerte.
En ce qui concerne la composante « radar très longue portée », la réalisation d'un démonstrateur, représentant environ le quart de la taille du futur système, a été légèrement décalée et doit être lancée en 2011. Le lancement de la réalisation du radar lui-même n'est pas envisagé avant 2015, pour une mise en service opérationnelle complète à partir de 2018.
S'agissant de la composante spatiale, des études d'architecture et des travaux technologiques devraient être lancés fin 2010. La commande du satellite opérationnel est envisagée pour une mise sur orbite elle aussi légèrement décalée, de 2019 à 2020.
Dans son rapport d'information sur les conditions d'un engagement de la France dans la défense anti-missile balistique de l'OTAN, le président Josselin de Rohan a souligné que cette capacité d'alerte spatiale présentait un caractère stratégique au regard du développement des capacités balistiques dans le monde et qu'elle constituerait un apport précieux pour le système de défense anti-missile de l'OTAN. Vos rapporteurs souscrivent à sa demande de voir l'effort en ce sens maintenu et si possible accéléré.