V. LA MISE EN PLACE DU CENTRE DE RÉTENTION DE SÛRETÉ À FRESNES

A l'initiative de votre rapporteur, une délégation de la commission des lois 24 ( * ) s'est rendue le jeudi 13 novembre dernier au centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes. A cette occasion, elle a également évoqué l'avenir de l'établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF).

Le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes

- Le cadre juridique

La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a institué un dispositif permettant de « retenir » dans une structure fermée, après l'exécution de leur peine, des criminels considérés comme particulièrement dangereux, pour une durée d'un an renouvelable sans limite.

La rétention de sûreté n'est applicable qu'aux personnes condamnées à une peine au moins égale à quinze ans de réclusion criminelle pour un crime particulièrement grave (assassinat, torture, viol sur victime mineure ou crime aggravé sur victime majeure) à la condition qu'elles présentent toujours à la fin de l'exécution de leur peine, une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive liée à un trouble grave de la personnalité.

La loi a prévu qu'elle présentait un caractère exceptionnel et subsidiaire (aucune autre mesure n'étant susceptible de prévenir la récidive). En outre, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 a, sous la forme d'une réserve d'interprétation, prévu que la personne condamnée devait avoir « effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ».

La rétention de sûreté peut être décidée, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, soit immédiatement après l'exécution de la peine dès lors que la cour d'assises a expressément envisagé cette possibilité, soit en cas de non respect des obligations de surveillance de sûreté. Dans le premier cas, le dispositif s'appliquera aux personnes condamnées à au moins quinze années après l'entrée en vigueur de la loi, une fois leur peine exécutée, dans le second cas, en revanche, il est applicable immédiatement.

C'est pourquoi, un centre socio-médico-judiciaire de sûreté a dû être mis en place. Etabli à l'EPSNF, établissement sous double tutelle du ministère de la justice et de la santé, il sera en mesure d'accueillir dès 2009 dix personnes.

Le décret n° 2008-1129 du 4 novembre 2008 relatif à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté a précisé en particulier l'articulation entre les responsabilités respectives de la justice et de la santé qui assurent la double tutelle du centre.

Le directeur d'hôpital « organise la prise en charge médicale et psychologique des personnes retenues » tandis que le directeur des services publics pénitentiaires « assure les missions de sécurité, de surveillance, de maintien de l'ordre, de greffe, d'hébergement et d'organisation de la vie quotidienne des personnes retenues ».

L'un et l'autre sont cependant chargés « d'organiser conjointement la prise en charge pluridisciplinaire des personnes retenues destinée à permettre leur sortie du centre ainsi que leur prise en charge socio-éducative. Des travailleurs sociaux sont chargés d'aider les personnes retenues, notamment dans l'exercice de leurs droits sociaux, le maintien de leurs liens familiaux et leurs démarches de réinsertion ».

Le décret rappelle que l'exercice des droits ne peut faire l'objet d'« autres restrictions que celles strictement nécessaires au maintien de l'ordre et de la sécurité dans les centres, à la protection d'autrui, à la prévention des infractions et de toute soustraction des personnes retenues à la mesure dont elles font l'objet ».

Il prévoit par ailleurs un règlement intérieur en cours d'élaboration.

- La structure

Le centre est installé au troisième étage de l'EPSNF et organisé de manière à éviter tous points de contact avec les personnes détenues hospitalisées. L'accès en est commandé par une porte unique. L'espace comporte le long d'un couloir dix studios d'une vingtaine de mètres carrés répondant aux normes fixées pour l'accueil des personnes à mobilité réduite (dans la mesure où ils hébergeront une population plutôt âgée), des locaux de soins (une salle de soins, trois salles d'activité thérapeutique collectives), une salle de repos pour les personnels, des bureaux administratifs et des locaux collectifs réservés aux personnes retenues (médiathèque, laverie, cuisine).

Les travaux devraient s'achever avant la fin de l'année. Un second volet architectural -dont la réalisation sera terminée en juin 2009- comportera la réalisation de locaux pour les visites et d'une cour de promenade - l'espace réservé à cette dernière a paru à votre rapporteur très exigu.

- Les conditions de prise en charge

Le projet de prise en charge a été confié au docteur Magali Bodon-Bruzel, responsable du SMPR de la maison d'arrêt de Fresnes. Selon les indications données à votre rapporteur par le directeur d'hôpital de l'EPSNF, l'activité quotidienne s'organiserait de la manière suivante : ouverture du centre à sept heures sous la responsabilité de deux personnels de surveillance, arrivée de l'équipe soignante à huit heures, prise en charge pathologique et sociale de neuf à dix-sept heures. Les personnes retenues doivent pouvoir circuler librement au sein du centre sauf durant la nuit, les portes des studios étant closes de vingt-et-une heures à sept heures -un système d'interphone installé dans chaque studio permet à toute heure d'entrer en communication avec le personnel de surveillance. Le projet intègre une prise en charge individuelle d'une durée de trois heures trente répartie sur la journée -le contenu est actuellement en cours de validation par l'équipe médicale de l'établissement hospitalier Paul Guiraud de Villejuif qui fournira également les personnels médicaux. Selon le directeur de l'EPSNF, l'incitation aux soins sera d'autant plus forte que tout rejet de la part du détenu sera pris en compte lors du réexamen annuel de sa situation pour déterminer un renouvellement de la rétention de sûreté.

Aucune possibilité de travail à l'extérieur n'est envisagée -seul le télétravail ou le travail en studio étant admis à ce stade.

Les permissions de sortie ont été strictement encadrées par le décret du 4 novembre 2008 : elles ne peuvent intervenir que sous escorte (art. R. 53-8-69) ou sous surveillance électronique mobile (art. R. 53-8-70).

L'effectif affecté au centre de rétention devrait comprendre une quinzaine de personnel pour la partie hospitalière et sept fonctionnaires pénitentiaires. A partir de vingt-et-une heures, la sécurité devrait être transférée aux surveillants de l'EPSNF de Fresnes avec l'organisation d'une ronde toutes les deux heures.

- Le financement

La réalisation du centre représente pour la première phase de travaux un coût de 970.000 euros et pour la seconde -à réaliser (locaux familiaux, zone de promenade...), 350.000 euros. Actuellement, cette dépense est entièrement financée sur le fonds de roulement du volet hospitalier de l'EPSNF. Son imputation définitive et sa répartition entre la santé et la justice ne paraissent pas précisément établies.

De même, de nombreuses incertitudes pèsent encore sur le budget de fonctionnement du centre.

La journée de rétention a été estimée par le directeur d'hôpital de l'EPSNF à 350 euros mais elle n'intègre que le volet sanitaire de la prise en charge, le volet « pénitentiaire » pouvant représenter le quart de ce montant 25 ( * ) . Ce budget sera-t-il financé à part égale entre les deux ministères ou au prorata de leur participation effective ? Les éléments contradictoires recueillis par votre rapporteur ne permettent pas encore d'apporter une réponse assurée à cette interrogation.

L'avenir de l'établissement public national hospitalier de Fresnes

L'installation du centre de rétention dans les murs de l'EPSN n'a pas laissé de surprendre puisqu'en 2007, lors de la précédente visite de votre rapporteur, un audit technique dressait un état alarmant de la structure et concluait à sa rénovation complète, voire à sa reconstruction. Les responsables de l'établissement ont néanmoins quelque peu relativisé ces constats : s'il est certain que du fait de la surélévation des bâtiments originels opérée sans considération de la nature du sol -constitué de roches meubles-, l'édifice tend à s'écraser et a perdu son élasticité, il ne semble pas devoir être condamné. Au reste, dans le bâtiment où est implanté le centre de rétention, l'ensemble des circuits électriques et des conduites a été récemment remis aux normes.

Au-delà des incertitudes soulevées par l'état du bâti, les interrogations portaient également sur les missions de l'établissement. Sans revenir sur l'organisation de l'EPSNF présentée de manière détaillée dans l'avis sur le projet de loi de finances pour 2008 26 ( * ) , il convient de rappeler que l'hôpital comporte aujourd'hui quatre-vingt-dix-neuf lits accueillant exclusivement des détenus, un personnel dépendant du ministère de la santé (200 ETP hospitaliers et 25 ETP médecins -principalement des praticiens hospitaliers) et de l'administration pénitentiaire (au nombre de cent-trente-huit parmi lesquels cent-dix-sept surveillants).

L'ouverture à la fin de l'année d'une unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) à la Pitié-Salpétrière a nourri une certaine confusion sur le rôle respectif des deux institutions. Votre rapporteur a obtenu les clarifications nécessaires : l'UHSI prendra en charge la chirurgie et la médecine dite « aigue » tandis que l'EPSNF (dont le bloc opératoire a fermé) assumera les soins post-opératoires, les soins de suite et de réadaptation. Une cellule de régulation installée à l'EPSNF composée de deux médecins régulateurs orientera les patients soit vers La Pitié, soit vers Fresnes.

Ce dispositif devrait fonctionner jusqu'en 2012 , date annoncée de l'ouverture d'une UHSI d'une centaine de lits dans l'hôpital sud-francilien d'Evry 27 ( * ) .

Au-delà, l'avenir de l'EPSNF apparaît incertain. Certains, parmi les personnels, suggèrent de reconvertir l'établissement dans l'accueil des détenus âgés ou à mobilité réduite dont le nombre s'accroît alors que la très grande majorité des prisons françaises manque de cellules adaptées.

* 24 Cette délégation conduite par M. Jean-René Lecerf était composée de Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre-Yves Collombat et Richard Yung.

* 25 A titre de comparaison, le coût de journée de détention à l'EPSNF est estimé à 500 euros pour le volet médical pris en charge par le ministère de la santé et 150 euros pour le volet pénitentiaire assuré par le ministère de la justice, soit un coût annuel de fonctionnement de 23 millions d'euros pour accueillir environ 1.000 patients en 2007.

* 26 Rapport pour avis n° 96, tome IV (2007-2008) .

* 27 Les responsables de l'établissement ont manifesté leur souci de remettre en place un plan d'accompagnement des personnels -impliquant pour ceux qui souhaiteraient poursuivre leur activité au sein de l'UHSI d'Evry, la titularisation du petit nombre de contractuels et un effort de formation particulier, et pour les autres la garantie d'obtenir un reclassement dans les hôpitaux, nombreux, de la zone. Le dispositif de l'UHSI devrait mobiliser plus de personnels pénitentiaires que l'EPSNF compte tenu de la nécessité d'organiser des escortes de l'unité vers les plateaux techniques de l'hôpital (complication qui n'existe pas dans « l'hôpital prison » de Fresnes).

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