Avis n° 455 (2006-2007) de M. Philippe NACHBAR , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 19 septembre 2007
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INTRODUCTION
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 455
SÉNAT
DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 septembre 2007 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation d'accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d' Abou Dabi ,
Par M. Philippe NACHBAR,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, MM. Denis Detcheverry, Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, M. Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Philippe Goujon, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Alain Le Vern, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, Jacques Siffre, René-Pierre Signé, Robert Tropéano, André Vallet, Jean-François Voguet.
Voir les numéros :
Sénat : 436 et 451 (2006-2007)
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Il n'est pas courant que votre commission des affaires culturelles demande à se saisir pour avis d'un projet de loi autorisant la ratification d'un accord international.
Mais les accords passés entre la France et les Emirats Arabes Unis, qui vont donner corps au projet de musée universel d'Abou Dabi, justifient pleinement une exception à cette habituelle réserve.
Certes, il ne s'agit pas de sous-estimer la dimension spécifiquement diplomatique du succès que représente leur conclusion : la commission des Affaires Etrangères insistera, à juste titre, sur l'impulsion - très positive qu'ils donneront aux relations bilatérales déjà très privilégiées que nous entretenons avec cet Etat - ou plutôt cette fédération d'Etats. Elle ne manquera pas de rappeler que les Emirats, qui sont au coeur d'une région stratégiquement essentielle, se caractérisent par leur stabilité politique, leur volonté d'ouverture sur l'extérieur, et un souci d'équilibre entre leurs partenaires américains et européens et notamment français. Notons que le réseau d'enseignement français est composé de quatre établissements scolaires qui scolarisent 3 600 élèves, et que deux alliances françaises sont respectivement implantées à Abou Dabi et à Dubaï.
Au sein de cette fédération, l'émirat d'Abou Dabi s'est donné pour ambition particulière de devenir un carrefour d'échanges entre les cultures, et le coeur de la région pour l'enseignement supérieur et la culture. Cette ambition l'a conduit à se tourner une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, et à ouvrir, à l'automne 2006, une antenne de la Sorbonne à Abou Dabi.
Le projet de création d'un musée universel s'inscrit dans cette perspective, et témoigne de la détermination de l'émirat et de l'ampleur de son ambition.
Plusieurs considérations ont convaincu votre commission de se prononcer sur ces accords.
Tout d'abord, ils comportent une dimension spécifiquement culturelle, comme en témoigne le rôle déterminant joué dans leur négociation par le précédent ministre de la culture, M. Renaud Donnedieu de Vabres, par la directrice des musées de France, et par le président-directeur de l'établissement public du musée du Louvre.
Ces accords illustrent notre conception du rôle de la culture, en France, et dans le monde comme l'avait rappelé le ministre lors d'une réponse en séance à notre collègue Ambroise Dupont.
Ensuite, ils marquent un changement d'échelle par rapport à tout ce que nous avons fait jusqu'à présent en matière de coopération internationale des musées : ils méritent à ce titre d'être accompagnés d'une véritable réflexion. Notre commission avait d'ailleurs initié cette démarche dès le mois de janvier dernier, en auditionnant Mme Mariani-Ducray, directrice des musées de France, M. Henri Loyrette, président-directeur de l'établissement public du musée du Louvre, ainsi que Mme Françoise Cachin, directrice honoraire des musées de France, à l'occasion de la polémique qu'avait suscitée l'annonce du projet.
Enfin, les contreparties très significatives qu'ils comportent, et qui bénéficieront exclusivement aux musées, sont de nature à stimuler très positivement la modernisation de nos musées, et à faire avancer un certain nombre de dossiers sensibles, comme celui de la gestion des réserves dont notre commission avait dénoncé les insuffisances, à l'occasion d'une mission 1 ( * ) que j'avais présidée et dont notre collègue Philippe Richert était le rapporteur.
I. LE LOUVRE ABOU DABI : UN PROJET DE COOPERATION GLOBAL ET AMBITIEUX
L'accord international signé le 6 mars 2007 à Abou Dabi entre la France et les Emirats Arabes Unis fixe le cadre juridique d'un projet global de coopération qui doit conduire, avec l'appui de la France et de ses musées, à la création d'un musée universel à Abou Dabi.
A. UNE NÉGOCIATION FRUCTUEUSE
Le projet est né il y a deux ans, lorsque les autorités émiriennes ont demandé au musée du Louvre d'apporter son expertise et son appui à la conception d'un musée.
La négociation a permis d'enrichir ce projet, et d'élargir la vocation du futur musée, initialement centré sur la période classique, pour en faire un musée universel, qui couvre la totalité de l'histoire de l'art, depuis la préhistoire jusqu'à la période contemporaine, et toutes les aires géographiques.
Cette vocation élargie devait ainsi permettre, conformément aux voeux des deux parties, d'en faire un instrument privilégié du dialogue des cultures et du rapprochement des civilisations de l'Orient et de l'Occident.
Cette ambition rendait indispensable d'associer d'autres musées à ce projet, et notamment le musée d'Orsay, le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, le musée des arts asiatiques Guimet et le musée du quai Branly.
B. UN PROJET AMBITIEUX
Les articles 1 er et 4 de l'accord international, qui définissent respectivement la vocation et la structure du futur musée, donnent une idée de l'ambition qui anime le projet.
L' article premier confirme la vocation universelle du musée, puisque celui-ci devra présenter des objets majeurs dans les domaines de l'archéologie, des beaux-arts et des arts décoratifs, être ouvert à toutes les périodes y compris à l'art contemporain, bien que mettant l'accent sur la période classique, à toutes les aires géographiques et tous les domaines de l'histoire de l'art.
Il insiste également sur le caractère novateur du musée, qui devra faire appel aux techniques les plus innovantes en matière de muséographie, ainsi que sur son niveau d'exigence puisqu'il devra répondre à tout moment aux critères de qualité et à l'ambition scientifique et muséographique du musée du Louvre.
Enfin, il lui assigne pour mission d'oeuvrer au dialogue entre l'Orient et l'Occident , chaque partie s'engageant à respecter les valeurs culturelles de l'autre.
Cette vocation devra inspirer la présentation des oeuvres : aux parcours chronologiques et aux classements par écoles ou par pays, la muséologie préférera les confrontations entre les oeuvres de périodes ou d'aires géographiques différentes , de façon à mettre en valeur le dialogue entre les civilisations dans le domaine des arts. Les parcours de visite privilégieront des thématiques par genre, comme le portrait ou le paysage, ou par sujets comme le voyage ou l'art funéraire.
Les oeuvres présentées pourront relever des techniques les plus variées et les plus modernes comme la vidéo, mais la partie française s'est engagée à ce que les oeuvres que nous prêterons soient pour une « part raisonnable » issues des collections du Louvre.
L' article 4 , qui détermine la structure du musée, confirme l'ampleur et l'ambition du projet.
Le futur musée devrait avoir une superficie de 24 000 mètres carrés : 6 000 mètres carrés seront consacrés aux galeries des collections , pour les futures expositions permanentes, et 2 000 mètres carrés supplémentaires seront dévolus aux expositions temporaires .
A titre de comparaison, cette surface d'exposition est très voisine de celle du musée du Quai Branly tout en restant très inférieure à celle du musée du Louvre - 68 000 mètres carrés. Les 16 000 mètres carrés restants doivent permettre de créer des espaces pour les réserves répondant aux normes internationales et aux exigences les plus récentes, un atelier de restauration et de conservation, un centre de ressources pédagogiques et scientifiques , sans compter un auditorium, des espaces pédagogiques et des lieux d'accueil et de confort.
C. L'APPUI FRANÇAIS : UNE COOPÉRATION GLOBALE
L'appui qu'apportent la France et ses musées à ce projet très séduisant déborde très largement la seule question du prêt d'oeuvre sur lequel le débat public s'est, un moment, polarisé, début 2007.
Cet appui sera mis en oeuvre, du côté français, par une nouvelle personne morale créée à cet effet, l'Agence internationale des musées, qui aura pour rôle de fédérer les moyens et les compétences des musées partenaires.
1. L'Agence internationale des musées de France
Dénommée « France Museums » , cette agence associe les douze établissements publics muséaux ou patrimoniaux qui ont vocation à apporter leur concours.
La forme juridique retenue pour cette agence est celle de la société par actions simplifiée, régie par les articles L. 227-1 et suivants du code de commerce.
Le ministère de la culture explique ainsi les raisons de ce choix : la formule de l'« établissement public » ne permettait pas d'associer plusieurs établissements ; celle du groupement d'intérêt économique aurait nécessité de modifier au préalable les statuts de tous les établissements partenaires et n'aurait de toutes façons pas été très adaptée.
La société par actions simplifiée, tout en encadrant strictement les conditions d'entrée ou de sortie des associés, accorde une grande liberté pour le choix de ses modalités de fonctionnement. Elle permettra ainsi de confier un rôle important au conseil scientifique qui sera constitué de personnalités qualifiées.
Les douze établissements publics partenaires de l'Agence sont respectivement :
- le musée du Louvre ;
- le musée du Quai Branly ;
- le centre national d'art et de culture Georges Pompidou ;
- le musée d'Orsay ;
- le musée et le domaine national de Versailles ;
- le musée des arts asiatiques Guimet ;
- le musée Rodin ;
- le domaine national de Chambord ;
- la réunion des musées nationaux ;
- l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels ;
- l'école du Louvre ;
- et la Bibliothèque Nationale de France.
La répartition des droits de vote et de représentation est fonction de celle des apports.
Le Louvre détient à lui seul 115 des 335 actions, soit un peu plus du tiers de l'ensemble, et chacun des onze autres établissements possède 20 actions.
Le Louvre bénéficie également d'un poids particulier au sein du conseil d'administration : sur un total de 11 voix, il en dispose de 3 ; cinq autres établissements disposent chacun d'une voix (musée du quai Branly, centre Georges Pompidou, musée d'Orsay, réunion des musées nationaux, Bibliothèque Nationale de France) ; les trois dernières voix reviennent à des personnes physiques indépendantes ; celles-ci sont nommées par décision collective des associés sur proposition des 3 ministres chargés respectivement de la culture, des affaires étrangères, et des finances.
L'Agence comporte également un conseil scientifique chargé de veiller à la déontologie des projets scientifiques et culturels. Il doit être obligatoirement consulté sur tous les programmes de prêts et d'exposition ainsi que sur la répartition des contreparties financières versées aux musées. Il émet également un avis sur les listes d'oeuvres susceptibles d'être prêtées. Il est composé de 9 membres, dont trois sont désignés par le ministre chargé de la culture, trois par le musée du Louvre, et trois par décision collective des associés.
Enfin, un directeur général , nommé pour 3 ans renouvelables par le conseil d'administration, après consultation des ministres chargés des affaires étrangères et de la culture, est investi de pouvoirs étendus pour agir au nom de la société.
Le contrôle de la société est assuré par un commissaire aux comptes.
Le recrutement d'agents publics mis à disposition est prévu pour assurer des fonctions de responsabilité et le nombre de détachements est autorisé jusqu'à 25 personnes. Les autres personnels seront régis par le droit privé.
2. Un projet global aux multiples volets
La partie française s'engage à apporter à l'Emirat une aide globale qui s'analyse en plusieurs volets.
• Cette aide portera tout d'abord sur
la
conception
et la réalisation du musée
lui-même.
L' article 6 de l'accord énumère l'ensemble des prestations que l' « Agence France Museums » devra fournir aux différentes étapes du projet, qu'il s'agisse de l'élaboration du projet scientifique et culturel du musée, et sa stratégie de développement, ou, plus matériellement, de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou à l'organisation et au suivi des chantiers liés aux contenus.
• Le second volet portera sur
le conseil et
l'assistance à la stratégie d'acquisition
des
collections permanentes du musée.
L' article 7 précise que l'Agence procèdera tout d'abord à un état des lieux des collections déjà existantes à Abou Dabi.
Elle apportera également son aide à la constitution des collections permanentes du musée à laquelle les Emirats s'engagent à consacrer un budget annuel moyen de 40 millions d'euros .
Pour éviter tout risque de conflits d'intérêt, la mission de l'Agence en ce domaine est strictement encadrée : elle propose à la partie émirienne une stratégie générale d'acquisition, elle la conseille pour la constitution d'une commission des acquisitions sur le modèle de celles du Louvre, elle en forme les personnels mais il est bien entendu que la partie émirienne entreprendra seule les acquisitions qu'elle réalisera pour son propre compte. Et l'accord précise bien que la partie française, l'Agence France-Museums, ou les membres de la commission des acquisitions qu'elle aurait proposées ne peuvent être tenus responsables de ces décisions d'acquisition.
• L'accord comporte en outre un troisième
volet important en matière de
formation de l'équipe de
direction du musée et de son personnel
Les conseils de l'Agence porteront sur l'organigramme de la direction du musée ; le choix du directeur et de ses conservateurs se feront d'un commun accord.
Elle assurera en outre la formation et l'encadrement pédagogique de l'ensemble des personnels spécifiques : conservateurs, restaurateurs, régisseurs, guides et surveillants.
Elle dressera enfin la liste des fonctions dans lesquelles il convient de recruter des professionnels internationalement qualifiés.
• Le quatrième volet porte sur
l'organisation d'expositions temporaires
et le
prêt d'oeuvres
de collections publiques
françaises.
Aux termes de l'article 10, la France s'engage, dans les quinze années suivant l'ouverture du musée, à organiser chaque année quatre expositions temporaires de qualité internationale :
- une grande exposition sur 1 200 m² ;
- une exposition intermédiaire de 600 m² ;
- deux expositions-dossiers de 300 m².
La durée de ces expositions sera comprise entre 2 et 4 mois, et celles-ci ne pourront avoir lieu pendant les mois d'été.
La France s'engage par ailleurs, avec l'article 11, à présenter, dans les 10 années suivant l'ouverture du musée, sous forme de prêts issus des collections publiques françaises , des oeuvres d'une qualité comparable à celle du Louvre et des grands musées français. Le nombre de ces oeuvres diminuera progressivement au fur et à mesure que se constitueront les collections permanentes du nouveau musée : 300 oeuvres au cours des 3 premières années, 250 oeuvres au cours des 3 années suivantes, 200 oeuvres au cours des 4 dernières années.
Chaque oeuvre sera prêtée entre six mois et deux ans maximum.
• Le cinquième volet, qui a fait couler
beaucoup d'encre, porte sur
l'utilisation du nom du musée du
Louvre
.
L' article 14 prévoit que le musée aura pour nom une « dénomination spécifique », qui sera définie conjointement par la France et les Emirats, et qui pourra « inclure le nom du Louvre » . Cette dénomination devra pourtant permettre d'éviter toute confusion entre le musée du Louvre et le musée d'Abou Dabi.
Cette autorisation est limitée dans le temps - elle est consentie pour trente ans et six mois - et dans l'espace - elle ne peut être utilisée par aucune filiale du musée d'Abou Dabi.
Un ensemble de précautions juridiques sont strictement définies pour éviter toute dérive et toute exploitation abusive du nom de Louvre.
D. MESURES CONSERVATOIRES ET CONTREPARTIES FINANCIÈRES
Ces prestations de service d'une ampleur exceptionnelle sont assorties de garanties juridiques fortes et de contreparties financières généreuses.
1. Des garanties juridiques fortes
L' article 12 autorise l'Agence à s'assurer à tout moment du respect par le musée des normes de sécurité et de conservations des oeuvres prêtées. Si ce respect n'est pas assuré, la partie française peut adresser une mise en demeure à la partie émirienne, puis prendre des mesures conservatoires lourdes : rapatriement des oeuvres, suspension, voire résiliation sans préavis de l'accord.
L' article 13 confirme l'insaisissabilité des oeuvres prêtées sur le territoire émirien, interdit toute forme de saisie ou de mesures d'exécution, et autorise la France à procéder au rapatriement sans délai de l'ensemble des oeuvres prêtées, si elle considère qu'un risque pèse sur leur sécurité.
Enfin, l' article 14 autorise la France, en cas de manquement aux conditions d'utilisation du nom du musée du Louvre, après une mise en demeure restée sans effet, à procéder au retour immédiat des oeuvres prêtées, à retirer l'autorisation d'usage du nom du Louvre, ou encore à résilier sans délai l'accord.
2. Des contreparties financières généreuses
L'accord prévoit au profit exclusif des musées français des contreparties financières généreuses, dont le montant global avoisine le milliard d'euros .
Tout d'abord, à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, la partie émirienne rémunérera l'Agence en contrepartie de ses prestations. Cette rémunération sera de 165 millions d'euros sur la durée de l'accord.
Quant au budget annuel des expositions temporaires, il sera de l'ordre de 13 millions d'euros, soit environ 195 millions d'euros sur la durée de l'accord.
Les contreparties financières versées au titre des prêts d'oeuvres tirées des collections permanentes sont fixées à 190 millions d'euros sur dix ans.
Ces deux séries de contributions seront versées à l'Agence « France-Museums » à qui reviendra la responsabilité de les répartir entre les différents musées français qui auront accepté de prêter leurs oeuvres.
Enfin, la partie émirienne versera directement au musée du Louvre une somme de 400 millions d'euros correspondant à l'usage de son nom. Sur ce total, 150 millions d'euros ont déjà été versés trente jours après la signature de l'accord, le solde s'échelonnant en quatre versements de 62,5 millions d'euros pour les cinq ans à compter de l'ouverture du musée d'Abou Dabi.
De surcroît, les Emirats versent, à titre de mécénat, 25 millions d'euros supplémentaires au Louvre pour soutenir son développement. En hommage à ce mécénat, les salles d'un étage du pavillon de Flore dans le palais du Louvre porteront le nom d'une personnalité éminente des Emirats Arabes Unis.
3. Les garanties apportées par les deux accords complémentaires
Les articles 2 et 3 du projet de loi soumis au Sénat ont pour objet d'autoriser la ratification de deux accords additionnels.
L'accord additionnel portant dispositions fiscales a pour objet de conférer un caractère non imposable aux sommes perçues par l'Agence « France-Museums » ou par le musée du Louvre, de façon à ce que celles-ci bénéficient bien en totalité aux musées français.
L'accord relatif à la garantie des Etats précise les conditions dans lesquelles les deux Etats parties à l'accord se portent garants des mandataires qu'ils auront dirigés pour la réalisation des objectifs fixés par l'accord principal.
II. UN PROJET QUI SE SITUE AU CoeUR DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DES MUSÉES
La conclusion des accords relatifs au projet du Louvre Abou Dabi témoigne du prestige international des musées français et de l'expertise des équipes chargées de leur conservation.
Ce projet constituera dans les années à venir un élément important pour notre politique des musées sous deux aspects :
- il se situe dans le prolongement d'une politique internationale des musées français à laquelle il confère une dimension nouvelle ;
- ses retombées financières donneront une nouvelle impulsion à la rénovation des musées, à l'amélioration de leurs réserves et à l'enrichissement de leurs collections.
A. L'ACTION INTERNATIONALE DES MUSÉES
Les musées ont une triple vocation : conserver les oeuvres, les étudier, et les mettre à la disposition du public le plus large. Cette vocation les a conduits depuis longtemps à s'ouvrir sur l'extérieur.
Cette ouverture s'est traduite, dès le XIXè siècle, bien souvent, pour les grands musées européens, par la participation à des campagnes de fouilles et par des coopérations entre musées d'où la concurrence n'était pas absente.
Les grands musées français, et en premier lieu, le musée du Louvre, ont engagé souvent très tôt une action internationale qui en fait très naturellement des instruments du rayonnement culturel de la France.
Cette vocation internationale est confirmée, s'il en était besoin, par le contrat de performance conclu par le Louvre avec l'Etat pour les années 2006 à 2008 et qui fixe parmi ses objectifs celui de renforcer son action internationale.
Outre la relance d'un certain nombre de chantiers de fouilles, en particulier au Moyen-Orient, il a engagé de nouvelles coopérations dans ses différents domaines de compétence et notamment, la muséographie, la conservation, et la formation des personnels. A ce titre, l'appui à la création du nouveau musée d'Abou Dabi ne constitue pas une mission nouvelle pour lui, même si elle présente un changement d'échelle.
Le Louvre a également fortement développé au cours des dernières années son activité de prêt d'oeuvres et de réalisation d'expositions à l'étranger.
Ces expositions, qui ont été organisées un peu partout dans le monde, ont connu des succès de fréquentation sans précédent. Pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, une des deux expositions réalisées en 2005 au Japon -« Chefs d'oeuvre de la peinture française au XIX ème siècle » - a battu le record mondial de fréquentation avec plus d'un million de visiteurs.
Ces événements exceptionnels contribuent au rayonnement de la France et au prestige de ses musées : 89 % des Japonais interrogés par le cabinet de Me Kinsey à la sortie de ces expositions, ont exprimé leur souhait de visiter le Louvre, ou, à tout le moins, de revoir l'exposition.
Longtemps poursuivi par une réputation de mauvais prêteur, le Louvre fait preuve maintenant d'une grande générosité : en 2006, il a participé ainsi à près d'une centaine d'expositions à l'étranger.
Les autres grands musées étrangers développent aujourd'hui eux aussi des stratégies internationales ambitieuses.
Cette coopération peut revêtir différentes formes :
- une dimension pédagogique à travers la formation des personnels des musées, la muséographie, la restauration ;
- la multiplication des expositions en partenariat ;
- les expositions clefs en mains qui donnent lieu à des contreparties en nature ou financières.
Certains grands musées s'engagent parfois ainsi dans des partenariats plus globaux. Ainsi, en 2005, le British Museum et le Victoria and Albert Museum ont signé un très important accord de partenariat avec plusieurs musées chinois, en vue de développer des prêts mutuels et de promouvoir des échanges entre conservateurs. Le British Museum a également signé un partenariat avec le musée d'art islamique du Qatar.
B. L'AMÉLIORATION DE LA GESTION DES MUSÉES
Au total, la coopération avec le musée d'Abou Dabi devrait apporter une contribution significative, en trente ans, au financement des musées français.
Le Louvre devrait recevoir 400 millions d'euros pour le seul usage de son nom sans compter les contreparties qu'il obtiendra pour les prêts d'oeuvres de ses collections.
Ces montants sont tout à fait considérables.
A titre de comparaison, le budget du musée du Louvre s'établissait en 2006 à 188 millions d'euros, dont 110 millions provenant de la subvention de l'Etat, et 78 millions de ses ressources propres.
Cette manne financière devrait permettre de faire progresser un certain nombre de projets importants :
- le projet Pyramide, qui a pour objet de faire face au doublement de la fréquentation du musée depuis la réalisation du projet réalisé en 1989 par M. Pei ;
- le prolongement des travaux du Grand Louvre, avec la restauration de la cour carrée et du quart du Palais qui n'a pu encore être ouvert au public ;
- la réalisation d'un centre commun de réserves qui aurait vocation à accueillir les réserves du Louvre, du musée d'Orsay et de quelques autres grands musées de la capitale.
La réalisation de ce centre permettrait de mettre à l'abri un grand nombre d'oeuvres de renom aujourd'hui stockées en zone inondable et dans des conditions souvent déplorables comme avait pu le constater une mission d'information de la commission, il y a quelques années.
Ce centre serait consacré non seulement à la conservation des oeuvres, mais à leur restauration, à la recherche et à la formation des futurs restaurateurs.
Sa création permettrait en outre de libérer le pavillon de Flore, actuellement occupé par les ateliers du Louvre, et d'y accueillir les oeuvres et le public.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa séance du mercredi 19 septembre 2007, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Nachbar sur le projet de loi n° 136 autorisant l'approbation d'accords entre la France et les Emirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade, président , a rappelé que la commission s'était s'intéressée à ce projet dés le mois de janvier dernier à l'occasion du débat public suscité par son annonce.
Il a jugé convaincants les arguments présentés par le rapporteur pour avis en réponse aux inquiétudes exprimées par les opposants au projet. Toutes les précautions étant maintenant inscrites dans l'accord, il lui a paru évident que la France avait intérêt à s'engager dans cette coopération, et il s'est réjoui qu'elle ait été préférée à d'autres partenaires potentiels prestigieux.
Mme Catherine Morin-Desailly a souhaité connaître précisément la liste des douze musées partenaires au sein de l'Agence « France-Museums » et a demandé si des musées en région pourraient participer d'une façon ou d'une autre au projet.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis , a précisé que les douze établissements publics partenaires de l'Agence « France-Museums » étaient respectivement : le musée du Louvre, le musée du Quai Branly, le centre national d'art et de culture Georges Pompidou, le musée d'Orsay, le musée et le domaine national de Versailles, le musée des arts asiatiques Guimet, le musée Rodin, le domaine national de Chambord, la réunion des musées nationaux, l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, l'école du Louvre, et la Bibliothèque Nationale de France.
Il a également précisé que les musées de France en région pourraient prêter les oeuvres issues de leurs collections et recevoir de l'Agence « France-Museums » des contreparties financières.
M. Jack Ralite a regretté que la conclusion et la ratification de ces accords n'aient pas été précédées par une véritable concertation dans la mesure où ils opèrent un changement radical dans le traitement de notre patrimoine. Il a déploré que l'on s'engage dans un processus encouragé par le rapport sur l'économie de l'immatériel de MM. Jouyet et Lévy, estimant que ce processus entraînera tôt ou tard des conséquences graves. Il a exprimé l'inquiétude que lui inspirait un passage de la lettre de mission adressée à la ministre chargée de la culture, dans laquelle le Président de la République envisage la possibilité d'aliéner certaines oeuvres des collections publiques sous couvert de mieux valoriser ces dernières. Il y a vu une étape supplémentaire dans un parcours inquiétant, rappelant que le précédent ministre de la culture M. Renaud Donnedieu de Vabres, avait su s'en garder. Il s'est interrogé sur le sens et la portée de l'exposé des motifs relatif à l'accord fiscal qui assure que du « point de vue de l'intérêt financier de la France, le manque à gagner fiscal induit par cet accord d'exonération sera compensé par les retombées économiques de l'utilisation des sommes en jeu par les institutions culturelles bénéficiaires ». Enfin, il a douté que la localisation du musée à Abou Dabi soit nécessairement la plus pertinente pour toucher les masses arabes.
M. Jacques Valade, président , a donné acte à M. Jack Ralite de la confirmation de sa position. Il s'est réjoui que le regard qui avait été porté sur le projet d'Abou Dabi depuis son lancement ait permis d'en améliorer la présentation juridique.
Enfin, il a estimé qu'il n'était en soi pas anormal que la lettre de mission adressée par le Président de la République à la ministre de la culture et de la communication donne certaines directives.
M. Louis de Broissia s'est déclaré en accord avec les préoccupations exprimées par le Président de la République dans la lettre de mission qu'il a adressée à la ministre de la culture et de la communication et tout particulièrement concernant la démocratisation culturelle et l'insuffisance des résultats obtenus en ce domaine, due au fait qu'elle ne s'est pas suffisamment appuyée sur l'école et sur les médias.
Il a jugé convaincante la présentation du rapporteur sur la politique suivie par les musées français en matière d'échanges d'oeuvres et a jugé qu'Abou Dabi était une ville géographiquement bien située pour servir de point de rencontre entre l'Europe et l'Asie. Il a souhaité que les musées en région puissent également contribuer à ce projet. Pour illustrer l'intérêt de ces échanges, il a rappelé que la présentation au musée de Dijon d'oeuvres en provenance du musée de L'Ermitage avait attiré 140.000 visiteurs. Il a ajouté que l'existence de contreparties financières significatives n'était pas de nature à le gêner et s'est réjoui que les conceptions françaises en matière de muséographie puissent ainsi s'exporter. Il a estimé, en outre, que le projet était bien de nature à contribuer à l'élargissement des publics et à la démocratisation culturelle.
M. Jacques Valade, président , a avoué qu'après avoir été à l'origine un peu surpris par le projet de musée du Quai Branly, il avait été finalement très séduit par sa réalisation, par l'imagination dont il avait fait preuve en matière de traitement et de présentation des collections, et par l'intégration d'une véritable entité de recherche dans l'enceinte du musée. Il a jugé que la création d'un musée universel à Abou Dabi était de nature à renforcer l'attractivité de ce pays, estimant que les risques que nous encourions étaient mineurs par rapport à l'intérêt du projet.
M. Jack Ralite a craint que l'introduction massive de capitaux privés dans le domaine de l'art soit de nature à faire perdre toute maîtrise aux pouvoirs publics, et que le recul du poids relatif des subventions publiques se traduise par une diminution du rôle des citoyens.
M. Jacques Valade, président , s'est réjoui que les pouvoirs publics n'aient pas refusé la contribution que Total a apportée à la restauration de certaines salles du Louvre.
La commission a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi n° 136 autorisant l'approbation d'accords entre la France et les Emirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi, le groupe communiste républicain et citoyen et le groupe socialiste s'abstenant.
* 1 Rapport n° 379 (2002-2003) « Collections des musées : là où le pire côtoie le meilleur ».