2. Les obstacles rencontrés par les chefs de cour d'appel dans le cadre des nouvelles responsabilités conférées par la LOLF
Les cours d'appel se sont heurtées à plusieurs obstacles au cours de la phase d'exécution de leur budget.
Comme l'a reconnu le ministère de la justice, les conditions d'exécution budgétaire, entre janvier et avril dernier, ont été très délicates en raison du faible montant des enveloppes mises à la disposition des juridictions (15 % des crédits de paiement). Les sommes allouées aux juridictions n'étaient en effet pas suffisantes pour faire face aux dépenses obligatoires urgentes. Cette situation a conduit de nombreuses cours d'appel (Paris, Perpignan, Créteil...), dans l'impossibilité de payer les actes effectués par les experts, les médecins légistes ou encore les traducteurs, à se déclarer « en état de cessation des paiements ».
Une double raison explique ce démarrage difficile. D'une part, le calendrier de préparation, puis de validation des BOP a été trop lent. Ce problème n'a d'ailleurs pas été spécifique au ministère de la justice. MM. Alain Lambert et Didier Migaud, dans leur rapport sur la mise en oeuvre de la LOLF remis au Gouvernement en octobre dernier, ont en effet relevé cet écueil à l'échelle de toutes les administrations de l'Etat, préconisant « d'anticiper la programmation budgétaire initiale et son visa ainsi que la préparation des BOP et la procédure d'avis des contrôleurs financiers » 26 ( * ) . D'autre part, ainsi que l'a reconnu le responsable du programme justice judiciaire, l'administration centrale - en phase d'apprentissage de la LOLF - a fait preuve d' une excessive prudence .
Les conditions d'exécution du budget se sont par la suite notablement améliorées. L'administration centrale a accepté de débloquer 25 % de crédits supplémentaires lorsque les cours d'appel présentaient des demandes de crédits supplémentaires suffisamment argumentées. Les conditions d'exécution des BOP se sont progressivement normalisées, le retard constaté dans le paiement des factures ayant été rattrapé. Au total, les crédits notifiés aux BOP ont été délégués par l'administration centrale à hauteur de 90 % et de 100 % respectivement pour les dépenses de personnel et l'ensemble des autres dépenses (frais de justice et frais de fonctionnement).
Les problèmes rencontrés par les cours d'appel en début d'année sont principalement imputables au caractère inédit du cadre budgétaire défini par la LOLF. Il est donc permis de penser que l'exécution 2007 devrait se dérouler sous de meilleurs auspices. Le responsable du programme justice judiciaire a indiqué à cet égard que, cette année, la préparation des BOP avait d'ores et déjà été anticipée.
Outre ces difficultés conjoncturelles de gestion, les chefs de cour d'appel n'ont pu cette année véritablement arbitrer entre les différents postes de dépenses, contrairement à la philosophie de la LOLF .
En théorie, les chefs de cour d'appel disposent désormais d'une grande liberté dans l'utilisation des crédits mis à leur disposition , compte tenu de leur caractère fongible, sous réserve de l'aspect asymétrique de cette fongibilité 27 ( * ) .
Pourtant, le ministère de la justice a indiqué qu'à ce jour « aucune mesure de fongibilité des crédits n'avait pu être mise en oeuvre », au motif que les crédits alloués aux dépenses de personnel « ne permettaient pas d'envisager une marge positive en fin d'année ». A cet égard M. Philippe Dupriez, coordonnateur du SAR d'Amiens, a souligné le décalage entre la théorie et la pratique en ce domaine : la fongibilité des crédits -qui laisse supposer une amélioration réelle des moyens matériels des juridictions- apparaît prometteuse mais n'a pu être concrétisée en l'absence de réelle marge de manoeuvre budgétaire.
Les chefs de la cour d'appel de Versailles, MM. Vincent Lamanda, premier président et Jean-Amédée Lathoud, procureur général, ont relevé que l'absence de souplesse effective dans l'utilisation des crédits avait fait naître un sentiment de déception dans les juridictions, ayant parfois conduit à démobiliser les personnels. Ils ont constaté que ces derniers estimaient que les efforts de gestion de crédits n'avaient pas été récompensés.
Outre l'insuffisance des moyens alloués aux juridictions, un autre obstacle à l'utilisation de la fongibilité des crédits relatif au poids de l'administration centrale a également été fréquemment évoqué au cours des auditions et des déplacements.
Il semble en effet que l'administration centrale ait eu tendance à « recentraliser » fortement la gestion des crédits , ce qui apparaît en décalage avec l'objectif prévu par la LOLF de conférer aux chefs de cour une autonomie de gestion accrue. Le responsable du programme justice judiciaire, M. Léonard Bernard de la Gatinais, a confirmé que l'administration centrale avait effectivement encadré la gestion des cours d'appel . Il a justifié cette attitude par le souci de « veiller à la cohérence du programme » et d'assurer le versement de la rémunération de tous les personnels compte tenu du calcul -incertain- de la masse salariale allouée à la justice par le budget 2006.
Comme l'a souligné, non sans déception, le premier président de la cour d'appel d'Amiens, M. Jean-Pierre Delzoide, les crédits mis à la disposition des cours d'appel sont préalablement « fléchés » par l'administration centrale : « le contrôle a priori est très fort. La LOLF, bonne dans son principe, a été source d'une excessive bureaucratie et de lourdeur administrative de nature à décourager les personnels ». M. Philippe Dupriez, coordonnateur du SAR de cette même cour d'appel, a dénoncé les effets pervers de cette emprise de l'administration centrale sur la gestion des cours d'appel, lesquelles étaient destinataires « d'innombrables circulaires », parfois contradictoires, ce qui semait une réelle confusion au stade de l'exécution budgétaire.
La circulaire élaborée par le ministère de l'économie et des finances le 9 août dernier relative aux modalités de mise en oeuvre de la fongibilité asymétrique et diffusée par le ministère de la justice en septembre dernier aux juridictions confirme cette tendance à la centralisation. En effet, ce texte invite les ministères à assurer un suivi centralisé, plutôt que déconcentré, de la fongibilité asymétrique dans les BOP . Ainsi le ministère de la justice a-t-il indiqué aux cours d'appel que :
- toutes les demandes doivent être adressées au bureau de la gestion financière et budgétaire des services judiciaires aux fins d'expertise et accompagnée d'une évaluation fine de la dépense de rémunération principale, indemnitaire, de charges et de prestations sociales et de la prévision d'exécution au titre des frais de justice ;
- toute demande de fongibilité sera refusée en l'absence de notification de l'approbation du responsable de programme et du directeur des affaires financières concernés.
Conscient de cet écart entre la philosophie de la LOLF et la réalité, le ministère de la justice s'est engagé à rénover le dialogue de gestion entre le responsable de programme et les responsables des BOP. Il est impératif qu'un tel engagement soit tenu .
S'il est compréhensible que dans les premières années de mise en oeuvre de la LOLF, l'administration centrale aiguille les cours d'appel encore peu rompues au nouveau cadre budgétaire, il serait choquant que ces juridictions ne jouissent pas progressivement d'une plus grande autonomie et d'une plus grande confiance.
Au surplus, la gestion des ressources humaines a été, pour les chefs de cour d'appel, un domaine complexe à appréhender . Ces derniers ont en effet dû intégrer de nouveaux concepts à la fois très techniques et lourds d'enjeux pour le fonctionnement des juridictions, à savoir :
- la correspondance entre les effectifs budgétaires et les emplois équivalents temps plein (ETPT) 28 ( * ) . Comme l'ont signalé les chefs de la cour d'appel de Versailles, ce nouveau mode de comptabilisation est très mal ressenti dans les juridictions, les ETPT étant inférieurs aux effectifs budgétaires qui comptabilisaient indistinctement les postes pourvus et les postes vacants 29 ( * ) ; la responsable de la gestion des ressources humaines du SAR d'Amiens s'est déclarée « désorientée » par le nouveau décompte en ETPT, indiquant encore parfois se référer à la notion d'emplois budgétaires ; la responsable de la gestion des ressources humaines du SAR de Paris a souligné que l'absence de corrélation entre l'ETPT et l'effectif physique était difficile à appréhender ;
- le calcul de la masse salariale correspondant au plafond d'emplois qui constitue une opération technique très complexe mais néanmoins capitale pour élaborer les prévisions budgétaires soumises à l'avis du contrôleur financier ; au SAR de Paris, le taux de rotation élevé des effectifs accroît cette difficulté comme a pu le souligner la responsable du service de la gestion des ressources humaines, la masse salariale étant toujours en décalage avec la réalité, compte tenu des incessants mouvements de mutation des magistrats et des fonctionnaires ;
- la répartition des effectifs de magistrats et de fonctionnaires des greffes par action. Ainsi que l'a souligné la responsable du service de la gestion des ressources humaines du SAR d'Amiens, les demandes de temps partiel, les astreintes des magistrats, les accidents du travail, les mutations rendent très aléatoires les prévisions budgétaires définies en début d'année.
Enfin, les capacités opérationnelles des services administratifs régionaux (SAR) sur lesquels les chefs de cour d'appel se sont appuyés ont, cette année, atteint leurs limites .
En 2006, les SAR, devenus des acteurs essentiels de la gestion publique, ont subi un alourdissement considérable de leur charge de travail . Ils ont en effet assumé les opérations -nouvelles- liées à l'ordonnancement secondaire 30 ( * ) des crédits de rémunération de personnel et de fonctionnement, des frais de justice et des dépenses d'aide juridictionnelle. Ainsi, par exemple pour les frais de justice, le caractère limitatif de ce poste de dépenses a rendu nécessaire de mettre en place un suivi tant des engagements que des paiements qui n'existait pas auparavant.
Le nouveau circuit des dépenses au titre des
frais de justice
Le nouveau circuit des dépenses au titre des frais de justice est articulé autour du paiement direct par les régies des juridictions pour les mémoires de frais inférieurs à 2.000 euros et par le mandatement direct par les SAR puis le paiement par les trésoreries générales pour les frais supérieurs à 2.000 euros. Afin d'être en mesure d'effectuer les saisies des mandatements, les personnels des SAR ont dû se former à l'utilisation du logiciel NDL (nouvelle dépense locale) qui, pour l'intégralité des crédits du BOP, relie les chefs de cour, en leur qualité d'ordonnateurs secondaires, à leur comptable assignataire et permet de connaître l'état de la consommation des crédits. Le rôle de l'ordonnateur secondaire se limite, dans le domaine des frais de justice, à prendre acte de la décision de taxation du juge ou de certification du greffe et à la constater dans la comptabilité des engagements. En effet, en l'état actuel des textes, le recours juridictionnel contre ces décisions n'est pas ouvert aux chefs de cour pris en leur qualité d'ordonnateurs secondaires conjoints. Les contrôles effectués par les services des SAR sur les mémoires de frais consistent en des vérifications formelles telles que la constatation de l'existence des pièces en original et la mention de la certification ou de la taxation. |
Source : Ministère de la justice- Réponse au questionnaire budgétaire
En outre, le transfert de la compétence aux chefs de cour d'appel de la responsabilité des marchés a fait peser de nouvelles contraintes sur les SAR. En effet, comme l'a expliqué Mme Aurélie Prache, coordonnateur adjoint au SAR de Paris, depuis le 1 er janvier 2006, le SAR a dû fournir une assistance à toutes les juridictions du ressort pour leur permettre de conclure des marchés publics tels que les fournitures des juridictions judicaires, le nettoyage ou encore le gardiennage, ce qui a exigé un gros travail de rédaction de cahiers des charges.
De plus, en l'absence de structure identifiée chargée du contrôle de gestion, il revient au SAR (soit à son coordonnateur ou à ses collaborateurs, responsables du suivi budgétaire) d'exercer cette fonction. Cette mission consiste à suivre les activités et les moyens humains des juridictions, en vue d'utiliser au mieux les marges de manoeuvre, par exemple pour compenser les surcroîts d'activité dans un secteur donné. Elle revêt une grande importance, compte tenu des nouvelles modalités de gestion publique désormais en vigueur, orientées vers la performance.
Enfin, l'ensemble des personnels des SAR entendus par votre rapporteur pour avis au cours de ses déplacements ont souligné que l'inadaptation des outils, notamment informatiques mis à leur disposition avait compliqué leurs tâches.
Les SAR sont donc actuellement dans une situation très tendue .
Ils ont d'une part absorbé un surcroît de travail à effectif constant . En effet, le transfert de la compétence d'ordonnateur secondaire s'est effectué sans apports des emplois correspondants. Alors que ces services avaient bénéficié d'effectifs supplémentaires entre 2002 et 2005 31 ( * ) , la loi de finances pour 2006 n'a paradoxalement autorisé aucune création d'emplois pour étoffer les effectifs .
La dernière localisation d'emplois dans ces services est intervenue en septembre 2005 32 ( * ) . A ainsi été prévue la création de 39 emplois de greffiers (il s'agit de postes offerts dans le cadre des mouvements de mutations et des sorties d'école intervenus en mars 2006) et de 44 emplois de catégorie C (ces postes ont été proposés dans le cadre des mouvements de mutation qui ont eu lieu à la fin de l'année 2005, ainsi qu'à l'occasion des recrutements déconcentrés intervenus au cours du dernier trimestre 2005).
Au 12 juillet 2006, les effectifs des SAR s'élevaient à 1.029 emplois ETPT de fonctionnaires répartis en 205 ETPT de greffiers en chef, 480 ETPT de greffiers et 344 ETPT de fonctionnaires de catégorie C 33 ( * ) , auxquels s'ajoutent 92 emplois ETPT de contractuels.
Les chefs des cours d'appel d'Amiens et de Versailles entendus par votre rapporteur pour avis ont vivement regretté l'absence de renforts humains dédiés à la mise en oeuvre de la LOLF. Ils ont expliqué que cette situation les avait conduits à prélever des effectifs sur leurs juridictions, notamment sur les équipes de greffiers placés. Cette pénurie a par exemple conduit le premier président de la cour d'appel de Versailles, M. Vincent Lamanda, à recruter des assistants de justice pour rédiger un guide méthodologique -repris par la suite pour être généralisé par le ministre de la justice- sur la maîtrise des frais de justice.
Une étude réalisée en 2002 par la direction de l'administration générale et de l'équipement d'après une enquête auprès de sept préfectures avait estimé à environ 200 ETPT les besoins en personnels supplémentaires pour le ministère de la justice lié au transfert des charges d'ordonnancement secondaire aux SAR 34 ( * ) . Cette estimation apparaît inférieure à la réalité. En effet, la direction des services judiciaires a récemment réalisé une étude d'impact à partir de son application OUTILGREF, selon laquelle la charge de travail supplémentaire induite par la LOLF nécessiterait 280 ETPT supplémentaires.
Le ministère de la justice, pleinement conscient des besoins des SAR en personnels, a indiqué à votre rapporteur pour avis que le projet de loi de finances pour 2007 financerait des recrutements de contractuels (20 à compter de mai prochain) appelés à exercer des fonctions spécialisées de niveau équivalent à la catégorie A dans les domaines de l'informatique, de l'équipement et du contrôle de gestion, ainsi que des créations d'emplois de fonctionnaires de catégorie C limitées à 5, s'imputant sur des créations de postes de personnels placés.
Votre rapporteur pour avis tient à saluer les considérables efforts d'adaptation des personnels des SAR, parvenus, à effectifs constants, à remplir leurs nombreuses missions et ce, alors même que les fonctions nouvelles sont très éloignées des tâches traditionnelles (les activités juridictionnelles) auxquelles ils ont été formés . On ne peut dès lors que se féliciter de ce que le présent projet de budget prévoit d'étoffer ces structures, même si ce mouvement est de faible ampleur.
Il est par ailleurs souhaitable que le projet de décret -annoncé par le ministère de la justice depuis deux ans déjà- instituant une nouvelle organisation des SAR en vue de les doter d'un statut juridique distinct de la cour d'appel et d'améliorer leur organisation et leurs conditions de fonctionnement soit publié le plus rapidement possible.
* 26 « A l'épreuve de la pratique, insuffler une nouvelle dynamique à la réforme » - Rapport au Gouvernement - page 6.
* 27 Qui signifie que si les dépenses de personnels allouées aux BOP peuvent être redéployées vers d'autres catégories de dépenses (fonctionnement, intervention, investissement), l'inverse n'est pas possible, le montant des crédits de personnels fixé dans le cadre de l'enveloppe globale du BOP par le responsable de programme étant limitatif.
* 28 La notion d'emplois budgétaires a été remplacée par un suivi de la consommation des ETPT sur la base de laquelle les chefs de cour d'appel déterminent les « emplois cibles » à pourvoir dans leur ressort.
* 29 Selon les chefs de la cour d'appel de Versailles, les effectifs en ETPT ont diminué, en moyenne dans le ressort, de 10 % par rapport aux effectifs en postes budgétaires, avec de fortes variations suivant les arrondissements (- 16 % pour celui de Versailles, moins de 1 % pour celui de Chartres).
* 30 Auparavant, les préfectures assuraient l'ordonnancement secondaire des dépenses des juridictions judiciaires.
* 31 Les SAR des cours d'appel les plus importantes (Paris, Versailles, Aix-en-Provence, Douai) ont été les principales bénéficiaires du renforcement des effectifs intervenu ces dernières années.
* 32 Un quart des emplois nouveaux toutes catégories confondues localisés ont bénéficié aux SAR.
* 33 Y compris 249 greffiers B placés et 90 fonctionnaires de catégorie C placés dont la plupart vient en renfort des juridictions judiciaires dans le cadre des activités juridictionnelles.
* 34 Sur la base d'une enquête menée auprès de 7 préfectures qui démontrait que le transfert des charges d'ordonnancement conduisait à libérer 2 ETPT par préfecture.