4. La lutte contre les délais de jugement excessifs des juridictions judiciaires, un objectif toujours d'actualité
La lutte contre l'engorgement des juridictions a constitué un axe prioritaire de la loi de programmation quinquennale qui avait fixé respectivement à 12, 6 et 3 mois le délai de jugement des cours d'appel, des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance. Le ministère de la justice n'a pas faibli dans sa détermination, cette priorité apparaissant comme une des orientations stratégiques de la mission Justice à laquelle sont associés deux objectifs (objectif n° 1 -rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile- et objectif n° 2 -rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière pénale-) du programme judiciaire et de nombreux indicateurs (15) 93 ( * ) .
Bien qu'insuffisants, des moyens humains et matériels supplémentaires ont été mis à la disposition de la justice depuis 2002, pour permettre aux tribunaux de rendre la justice plus rapidement.
A cet égard, les contrats d'objectifs de résorption des stocks entre les cours d'appel et le ministère ont servi de vecteur privilégié pour atteindre cette cible 94 ( * ) .
Les cours d'appel de Douai et d'Aix-en-Provence ont été les premières à suivre cette démarche, suivies des cours d'appel de Bastia, Pau, Bordeaux, Versailles, Lyon. Actuellement, de nouveaux contrats sont en cours avec plusieurs autres cours d'appel (Chambéry, Montpellier, Reims, Riom, Nouméa, Saint-Denis-de-la Réunion, Basse-Terre). Plusieurs de ces contrats prêts l'année dernière n'ont pu être mis en oeuvre « en raison de la quasi impossibilité de mettre en place les moyens humains indispensables à leur bonne exécution » (réponse au questionnaire budgétaire).
Les tribunaux de grande instance se sont également impliqués dans cette politique de contractualisation. Un contrat est actuellement en cours de renouvellement avec le tribunal de grande instance de Bobigny. De même, l'objectif prévu par le contrat de la cour d'appel de Montpellier (améliorer le traitement des affaires pénales) a été décliné pour les trois tribunaux de grande instance du ressort (Montpellier, Béziers et Perpignan).
Le principe du contrat d'objectifs est simple : les cours d'appel fixent des objectifs précis à atteindre et obtiennent en échange des moyens humains et matériels supplémentaires, octroyés provisoirement. Depuis 2002, 69 créations d'emplois de greffiers et 78 créations d'emplois de magistrats 95 ( * ) ont été localisées pour la mise en oeuvre de ce dispositif.
En fin de contrat, les emplois créés sont supprimés et la dotation de fonctionnement réduite à hauteur de la rallonge budgétaire allouée initialement. A la différence des contrats d'objectifs signés par les juridictions administratives, ceux des juridictions judiciaires ne comportent pas un objectif unique mais visent au contraire à remédier aux difficultés particulières à un ressort.
Ainsi, les chefs de la cour d'appel de Versailles ont expliqué qu'un contrat d'objectifs signé en janvier 2005 avait été conclu pour une durée de deux ans en vue de réduire significativement le nombre de dossiers criminels en stock en attente de jugement devant les cours d'assises. En contrepartie, cette cour a bénéficié d'effectifs supplémentaires (9 magistrats -6 au siège et 3 au parquet- et 6 greffiers) ainsi que d'une dotation supplémentaire de 54.000 euros pour permettre l'installation des nouveaux arrivants. Même si l'objectif risque de ne pas être atteint complètement, les résultats sont tangibles, le stock d'affaires criminelles baissant et les délais d'audiencement devant les cours d'assises du ressort étant en voie d'amélioration.
Pour le ministère de la justice, les premiers résultats des contrats d'objectifs sont très encourageants. Toutefois, il constate que compte tenu de l'exécution imparfaite de la LOPJ en termes de créations d'emplois, la réduction des délais de jugement sera plus modeste que ce que prévoyait la LOPJ.
Parallèlement à la généralisation de ce nouveau mode de relation entre l'administration centrale et les cours d'appel, un recentrage des magistrats sur le coeur de leur activité - l'activité juridictionnelle - s'est produit, concrétisant ainsi une recommandation de la mission sur l'évolution des métiers de la justice formulée en 2002 96 ( * ) . Deux décrets de juin 2006 97 ( * ) pris en application de l'ordonnance n° 2004-637 du 1er juillet 2004 relative à la simplification de la composition et du fonctionnement des commissions administratives et à la réduction de leur nombre 98 ( * ) ont été publiés en ce sens. A ainsi été supprimée la présence des magistrats judiciaires dans le jury du concours de recrutement des gardes champêtres.
- en matière civile, des progrès lents mais perceptibles
Malgré la pression des affaires nouvelles enregistrée depuis 2002, les juridictions judiciaires parviennent peu à peu à maîtriser leurs délais de jugement en matière civile. Comme l'a souligné le Garde des sceaux le 21 novembre dernier, les délais moyens de traitement dans les juridictions du premier degré ont été réduits de 28 %, passant en moyenne de 9,4 à 6,7 mois.
En 2005, la durée moyenne de traitement des tribunaux de grande instance -6,7 mois contre 7 en 2004-, des cours d'appel -14,2 mois contre 15,3 mois en 2004- et de la Cour de cassation (20,4 mois contre 21,9 mois) s'améliore , alors même que ces juridictions, à l'exception de la Cour de cassation 99 ( * ) , ont connu une augmentation des flux d'affaires nouvelles , légère pour les tribunaux de grande instance (moins de 1 %), plus marquée s'agissant des cours d'appel (+ 4,4 %). Seuls les tribunaux d'instance qui enregistrent en 2005 une baisse des flux contentieux (-1 %) ne connaissent pas d'amélioration significative de leur délai moyen de jugement des affaires -stable à 4,5 mois .
Le raccourcissement de la durée moyenne de traitement des cours d'appel s'observe dans les deux tiers d'entre elles (-3,5 mois à Douai, -2 mois dans les cours de Chambéry, Rouen, Grenoble et Limoges). A l'inverse, 9 cours connaissent un allongement de leur délai de jugement dont Nîmes (+1,2 mois) et Caen (+1,4 mois). En outre, le délai moyen masque d'importantes disparités puisque 25 % des affaires sont jugées en moins de 6,7 mois, 50 % en moins de 12,2 mois, 25 % du contentieux demandant près de 19 mois.
Il convient néanmoins d'interpréter ces résultats encourageants à la lumière des délais d'écoulement du stock des affaires civiles terminées. En effet, comme le met en avant l'annexe Justice au projet de loi de finances pour 2007, « une durée de traitement moyenne en baisse conjuguée à une progression du stock pourrait signifier que la juridiction s'attache à évacuer les affaires simples au détriment des dossiers complexes. Inversement, une hausse de la durée (pendant un an ou deux) alors que le stock diminue peut signifier que la juridiction assainit la situation en terminant des affaires très anciennes. »
Le délai d'écoulement des stocks d'affaires s'améliore lentement pour les cours d'appel (13,1 mois contre 13,5 mois en 2004) 100 ( * ) et les tribunaux de grande instance (7,4 mois contre 7,9 mois en 2004). Ces résultats sont meilleurs que la cible affichée pour 2007 (13,5 mois pour les cours d'appel et 7,5 mois pour les tribunaux de grande instance). S'agissant du tribunal d'instance, les données sont partielles, seul le délai prévisionnel -et non définitif- pour 2005 étant mentionné (5,8 mois), celui de 2004 n'étant pas disponible. Pour la Cour de cassation, ce chiffre n'est pas connu.
Comme pour les délais de jugement, la situation des cours d'appel, recouvre des hypothèses diverses. La baisse du stock s'observe ainsi dans plus de la moitié des cours avec des efforts plus ou moins prononcés (Douai a évacué 15 % de son stock contre 20 % pour Lyon, Limoges et Rouen). Dans ces cours, l'âge moyen du stock diminue, ce qui témoigne d'une volonté de réduction du stock d'affaires les plus anciennes. A l'inverse, une quinzaine de cours ont augmenté leurs stocks dans des proportions parfois importantes (Basse-Terre 20 %, Toulouse 17 %).
- en matière pénale, une justice trop lente
Depuis dix ans, la durée moyenne des procédures pénales se caractérise par une grande stabilité , oscillant entre 10,3 mois et 11,5 mois. En 2004, elle s'élève à 11,4 mois (contre 10,8 mois en 2003).
En matière criminelle , le délai imputable à l'institution judiciaire ( 36,4 mois dont 24,8 mois pour le déroulement de l'instruction et 11,6 mois pour l'audiencement) se dégrade par rapport à 2003 (34,8 mois).
L'activité des cours d'assises marque une constante hausse. Ces juridictions ont jugé en 2005 un nombre croissant de personnes (4.427 contre 4.168 en 2004), le nombre d'arrêts prononcés en premier ressort étant stable (3.886) par rapport à 2004 tandis que ce nombre augmente en appel (642). Le taux d'appel en 2004 -en recul l'année dernière- progresse (24,8 % contre 21,3 %). Les efforts de productivité des magistrats et des fonctionnaires des greffes n'ont toutefois pas permis de contenir la croissance du stock d'affaires en instance d'audiencement en augmentation de 6 % par rapport à 2004. Cette situation résulte de la pression des affaires nouvelles liées à l'instauration par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes d'un appel des jugements de cours d'assises. Le surcroît de travail dans les cours d'assises engendré par cette réforme est en effet difficile à absorber.
Constante depuis 1999, la durée moyenne des procédures délictuelles en 2004 - 11,4 mois - augmente légèrement par rapport à 2003 (11 mois). Cette donnée homogène déclinée selon les catégories d'infractions recouvre des réalités différentes : les condamnations en matière de stupéfiants sont prononcées dans un délai -très long- de 16,7 mois en raison d'une saisine fréquente du juge d'instruction, tandis qu'à l'inverse les infractions à la circulation routière et à la police des étrangers sont jugées plus vite, respectivement 5,1 et 6,9 mois. L'orientation de ces délits vers la procédure de comparution immédiate explique notamment cette rapidité.
Avec près de 10 % de jugements supplémentaires rendus (soit 535.946), l'activité des tribunaux correctionnels a cru en 2005. Cette hausse est la traduction de l'augmentation du nombre d'affaires transmises par les parquets (+ 11 %) imputable en partie à la « correctionnalisation » de certains délits routiers (défaut d'assurance, défaut de permis de conduire) opérée par la loi du 9 mars 2004.
Le nombre de jugements portant condamnation ou relaxe rendus par ces juridictions (389.162) accuse une légère baisse qui a cependant été compensée par un doublement du volume des ordonnances pénales (qui passe de 42.000 en 2004 à 88.000 en 2005) 101 ( * ) et des ordonnances d'homologation des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (qui passent de 1.745 en 2004 à près de 20.900 en 2005).
Le délai de jugement moyen des contraventions de la cinquième classe s'est sensiblement dégradé en 2005 passant de 8,5 à 10,3 mois .
Ces données doivent être interprétées à la lumière de la capacité de l'institution judiciaire à enregistrer rapidement les décisions définitives. Or, les délais d'inscription au casier judiciaire 102 ( * ) sont actuellement trop longs (un mois et demi), ce qui nuit à l'efficacité de la justice. Comme l'explique l'annexe Justice au projet de loi de finances pour 2007, « en l'absence d'inscription des condamnations au casier, les magistrats du parquet ou les juges correctionnels saisis ne sont pas en mesure de constater l'éventuelle récidive. » L'objectif affiché dans le volet performance du présent projet de budget est de réduire ce délai à 15 jours.
* 93 Par exemple : indicateur 1.1 délai moyen de traitement des procédures, par type de juridiction, indicateur 1.3 ancienneté moyenne du stock par type de juridiction ; indicateur 2.1 délai moyen de traitement des procédures pénales ; indicateur 2.6 nombre d'affaires pénales traitées par magistrat du siège.
* 94 A l'exception du contrat d'objectifs signé par la cour d'appel de Fort-de-France qui a eu pour objet une réorganisation des juridictions du ressort (renforcement de la présence judiciaire à St Laurent du Maroni, création d'un service verticalisé du traitement des affaires civiles gracieuses, création d'un guichet unique de greffe...).
* 95 Dont 57 pour le siège et 21 pour le parquet.
* 96 Recommandation n° 4 ; « Quels métiers pour quelle justice » - Rapport n° 345 (Sénat 2001-2002) de M. Christian Cointat au nom de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice présidée par M. Jean-Jacques Hyest, pages 61 et suivante.
* 97 Décret n° 2006-662 du 7 juin 2006 relatif à la réorganisation, au retrait de magistrats et à la suppression de diverses commissions administratives et décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction du nombre et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives.
* 98 Ordonnance ratifiée par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.
* 99 Dont le nombre d'affaires nouvelles a nettement diminué en 2005 (- 14,3%), atteignant le niveau le plus bas depuis dix ans grâce à la procédure de filtrage des pourvois non fondés ou manifestement irrecevables et à la généralisation de la représentation obligatoire (qui concerne 85 % du contentieux contre 53 % auparavant) entrée en vigueur le 1 er janvier 2005 (décret du 20 août 2004).
* 100 Ce délai est exprimé en mois et permet de mesurer combien de mois seraient nécessaires pour écouler le stock.
* 101 Sur ces 42.000 ordonnances pénales, 41.725 tendaient à une condamnation et 312 à une relaxe (soit un taux de relaxe de 0,7 %).
* 102 Qui s'écoule entre la date de réception des fiches de jugement par le Casier judiciaire national et la date d'inscription des condamnations (indicateur n° 6.1 du programme justice judiciaire).